Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1293

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (499634) rendue le 20 juillet 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Bret Edwards
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 20 décembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante (prestataire)
Date de la décision : Le 6 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-2627

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspensionNote de bas de page 1). Par conséquent, la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

Aperçu

[3] La prestataire a été suspendue parce que, selon son employeur, elle n’a pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas ces faits, elle affirme que la politique de son employeur était injuste et qu’elle ne pensait pas qu’elle serait vraiment suspendue.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer le renvoi. Elle a décidé que la prestataire avait été suspendue pour inconduite. Elle a donc décidé que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] La prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] Pour savoir si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a été suspendue. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Quelle est la raison de la suspension?

[8] Je juge que la prestataire a été suspendue parce qu’elle n’a pas suivi la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[9] La prestataire et la Commission s’entendent sur la raison de la suspension. La prestataire affirme qu’elle a été suspendue parce qu’elle n’a pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19 (elle a refusé d’attester son statut vaccinalNote de bas de page 3). Son employeur dit la même choseNote de bas de page 4.

La raison de la suspension est‑elle une inconduite au sens de la loi?

[10] La raison pour laquelle la prestataire a été suspendue est une inconduite au sens de la loi.

[11] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si la suspension de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est‑à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[12] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit avoir été consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 5. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 6. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est‑à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 7.

[13] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité d’être suspendue pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 8.

[14] Il faut que la Commission prouve que la prestataire a été suspendue pour inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 9.

[15] La loi ne m’oblige pas à tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 10. Je dois plutôt me pencher sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 11.

[16] Je dois tenir compte uniquement de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options à la prestataire. Il ne m’appartient pas de décider si la prestataire a été suspendue à tort ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables pour elleNote de bas de page 12. Je peux me pencher sur une seule question : ce que la prestataire a fait ou omis de faire est‑il une inconduite au sens de la Loi?

[17] Selon la Commission, il y a eu inconduite parce que l’employeur a adopté une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19, la prestataire était au courant de la politique et elle savait qu’elle risquait une suspension si elle ne la respectait pas, mais elle a choisi de ne pas la suivre malgré toutNote de bas de page 13.

[18] Selon la prestataire, il n’y a pas eu d’inconduite parce que la politique de son employeur était injuste et elle ne pensait pas qu’elle serait suspendue pour non‑respect de la politiqueNote de bas de page 14.

[19] Dans ses échanges avec la Commission et durant son témoignage, la prestataire a dit qu’elle connaissait la politique de son employeur, mais qu’elle a choisi de ne pas la suivre parce qu’elle ne voulait pas lui dévoiler son statut vaccinal pour protéger sa vie privéeNote de bas de page 15.

[20] De plus, la prestataire a dit à la Commission et au Tribunal qu’elle a appris l’existence de la politique de son employeur en septembre 2021 et qu’elle a reçu d’autres avis au sujet de la politique à partir de ce moment‑là jusqu’au 10 janvier 2022, soit le jour de sa suspensionNote de bas de page 16.

[21] Voici, selon la prestataire, la chronologie des événements entourant la politique de son employeurNote de bas de page 17 :

  • Le 15 septembre 2021, son employeur met en place une nouvelle politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Le 13 octobre 2021, son employeur a mis sa politique à jour.
  • Le 15 octobre 2021, la politique a été affichée dans la salle à manger.
  • Le 27 octobre 2021, elle a reçu une lettre de son gestionnaire au sujet de la politique.
  • Le 1er novembre 2021, on lui a remis en main propre un avis au sujet de la politique.
  • Le 23 novembre 2021, on lui a remis en main propre un autre avis au sujet de la politique.
  • Le 6 décembre 2021, son employeur a fait une nouvelle mise à jour de sa politique.
  • Le 10 décembre 2021, on lui a remis en main propre un autre avis au sujet de la politique.
  • Le 4 janvier 2022, la politique a été réaffichée dans la salle à manger.
  • Le 10 janvier 2022, elle s’est rendue au travail et la police a été appelée parce qu’elle se trouvait là sans autorisation.

[22] Dans ses échanges avec la Commission et durant son témoignage, la prestataire a aussi dit qu’elle estime que la politique de son employeur était injuste parce qu’elle violait son droit à la vie privée et ses conditions d’emploi originales. Elle a ajouté que la politique n’aurait pas dû s’appliquer à elle parce qu’elle travaille seule la plupart du tempsNote de bas de page 18.

[23] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

[24] Je juge que la prestataire a posé les gestes qui ont mené à sa suspension, car elle savait que son employeur avait une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 et elle savait ce qu’elle devait faire pour la suivre.

[25] Je juge aussi que les faits et gestes de la prestataire étaient intentionnels, car elle a pris la décision consciente de ne pas suivre la politique de son employeur.

[26] La preuve est claire : la prestataire était au courant de la politique de son employeur. Comme je l’ai mentionné plus haut, elle a dit à la Commission et au Tribunal qu’elle était au courant de la politique.

[27] De plus, les éléments de preuve montrent clairement que la prestataire a choisi de ne pas suivre la politique de son employeur. Dans ses échanges avec la Commission et durant son témoignage, elle a dit qu’elle refusait de communiquer son statut vaccinal à son employeur, comme je l’ai mentionné plus haut.

[28] Je reconnais que la prestataire estime que la politique de son employeur est injuste, d’une part, parce qu’elle viole son contrat de travail original et ses droits à la vie privée, d’autre part, parce qu’elle n’aurait pas dû s’appliquer à elle puisqu’elle travaille seule la plupart du temps.

[29] Malheureusement, je juge que cet argument n’est pas pertinent. Comme je l’ai expliqué plus haut, la seule chose que je peux regarder, ce sont les faits et gestes de la prestataire par comparaison à ce que la loi dit au sujet de l’inconduite. Autrement dit, je dois me concentrer sur ce que la prestataire a fait avant d’être suspendue et sur la question de savoir si elle savait que ses faits et gestes pouvaient mener à une suspension. Si la prestataire souhaite soulever cet argument, elle doit le faire valoir devant une autre autorité.

[30] Ainsi, même si je reconnais les préoccupations de la prestataire au sujet de la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19, je conclus que la preuve démontre clairement qu’elle a pris la décision consciente de ne pas suivre la politique. Elle n’a pas déclaré son statut vaccinal comme la politique l’exigeait, ce qui démontre que ses faits et gestes étaient intentionnels.

[31] Je conclus aussi que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le refus de suivre la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pouvait entraîner une suspension.

[32] Je remarque que l’employeur de la prestataire a dit à la Commission qu’il avait adopté une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 en septembre 2021. La politique obligeait tout le personnel à déclarer son statut vaccinal avant la mi‑décembre 2021 et à recevoir toutes les doses du vaccin au plus tard le 10 janvier 2022, sous peine de congé sans soldeNote de bas de page 19.

[33] Je remarque aussi que l’employeur de la prestataire a dit à la Commission que les membres du personnel avaient reçu de multiples lettres et rappels les informant de la politique et des conséquences du non-respect de la politiqueNote de bas de page 20. La prestataire a confirmé qu’elle avait reçu des lettres et des rappels au sujet de la politique, comme je l’ai mentionné plus haut.

[34] De plus, je constate que les lettres et les rappels de l’employeur indiquent clairement que la prestataire risquait une suspension si elle ne suivait pas sa politique. Il y a entre autres :

  • une lettre datée du 27 octobre 2021 qui indique que la prestataire n’avait pas rempli son attestation de vaccination, alors que la date limite était le 15 octobre 2021, et qui précise qu’elle devait le faire immédiatement, sans quoi elle pouvait tomber en congé sans soldeNote de bas de page 21;
  • une lettre datée du 6 décembre 2021 qui précise qu’après le 10 janvier 2022, toute personne non vaccinée serait placée en congé sans solde pour non-respect de sa politiqueNote de bas de page 22;
  • une lettre datée du 10 décembre 2021 qui précise qu’elle devait être entièrement vaccinée au plus tard le 31 décembre 2021, sans quoi elle serait mise en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022Note de bas de page 23;
  • un bulletin d’information pour le personnel qui est daté du 4 janvier 2022 et qui mentionne que les personnes ayant attesté ne pas être entièrement vaccinées seront placées en congé sans solde le 10 janvier 2022 et ne pourront pas se présenter au travail ce jour‑làNote de bas de page 24.

[35] Dans ses échanges avec la Commission et durant son témoignage, la prestataire a aussi mentionné qu’elle savait qu’elle pouvait être suspendue si elle ne suivait pas la politique de son employeur, car elle avait lu ses lettres et ses rappelsNote de bas de page 25.

[36] Cependant, la prestataire a aussi déclaré qu’elle ne pensait pas qu’elle serait effectivement suspendue pour non-respect de la politique de son employeur. Elle s’explique ainsi :

  • Son employeur modifiait tout le temps la date limite pour l’attestation. Et l’un de ses gestionnaires a embrouillé encore plus les choses parce qu’il n’arrêtait pas de la harceler pour qu’elle remplisse l’attestation tout en lui donnant l’impression que la date limite était le lendemain.
  • Le 5 janvier 2022, après avoir vu l’avis du 4 janvier 2022 (mentionné plus haut), elle s’est rendue dans le bureau d’un autre de ses gestionnaires pour lui demander ce que l’employeur voulait dire par « congé ». Il a dit qu’il n’était pas certain, mis à part le fait que cela pouvait durer de 12 à 18 mois. Il a ajouté qu’elle devrait revenir le lendemain pour lui laisser le temps de s’informer.
  • Le lendemain (le 6 janvier 2022), elle est revenue au bureau de ce gestionnaire. Il a dit qu’il n’était toujours pas certain de ce que l’employeur voulait dire exactement par « congé ». Il a ajouté tout bonnement qu’il la verrait le lundi (soit le 10 janvier 2022). Elle a cru que cela voulait juste dire qu’elle devait se présenter au travail comme d’habitude et que les choses s’arrêteraient là.

[37] Même si je reconnais que l’employeur de la prestataire a peut-être modifié les dates limites auxquelles le personnel devait se conformer à sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19, je juge que rien ne prouve que cela voulait dire qu’il n’avait pas l’intention d’appliquer sa politique à un moment donné. Au contraire, je juge plutôt que les éléments de preuve montrent clairement que l’employeur a continué de faire des rappels au sujet de sa politique même quand il changeait les échéances, comme je l’ai mentionné plus haut. En conséquence, je n’accorde pas beaucoup d’importance à cet argument.

[38] Je crois également la prestataire lorsqu’elle dit qu’elle pensait pouvoir garder son emploi parce que c’est l’impression que son gestionnaire lui a donnée. Malheureusement, je conclus que cela ne veut pas dire qu’elle ne pouvait pas savoir qu’une suspension était possible. À mon avis, ce que son gestionnaire a dit ou n’a pas dit n’annule pas les divers rappels et lettres qu’elle a reçus de son employeur au sujet de la politique et de ce qui se passerait si elle ne la respectait pas, y compris le rappel qui date de la veille de sa rencontre avec son gestionnaire.

[39] Autrement dit, je juge qu’il était tout à fait possible que la prestataire croie à ces deux choses en même temps (qu’elle pouvait conserver son emploi, mais aussi qu’elle pouvait être suspendue), d’autant plus qu’elle a confirmé qu’elle connaissait la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 et les conséquences du non-respect de la politique, comme je l’ai mentionné plus haut.

[40] Ainsi, même si je comprends que la prestataire ne pensait pas qu’elle serait suspendue, je juge que la preuve démontre clairement qu’elle aurait malheureusement dû savoir qu’elle risquait une suspension.

[41] Par conséquent, je conclus que la conduite de la prestataire constitue une inconduite au sens de la loi, car c’est sa conduite qui a entraîné la suspension (elle n’a pas suivi la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19), ses faits et gestes étaient intentionnels et elle savait ou aurait dû savoir qu’ils mèneraient à une suspension.

Somme toute, la prestataire a‑t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[42] Étant donné les conclusions que je viens de tirer, je juge que la prestataire a été suspendue pour inconduite.

Conclusion

[43] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Par conséquent, la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[44] L’appel est donc rejeté.

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