Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HN c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 427

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : H. N.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (560025) datée du 16 décembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Susan Stapleton
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 10 juillet 2023
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 17 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-751

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a perdu son emploi. Son employeur affirme qu’il a été congédié parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 : il n’a pas divulgué son statut vaccinal.

[4] Bien que l’appelant ne conteste pas ce qui s’est passé, il affirme qu’agir contre la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite. Il dit que l’employeur l’a congédié illégalement. Exiger qu’il divulgue son statut vaccinal est un crime grave et une violation de ses droits de la personne. Son statut vaccinal constitue un renseignement médical personnel. Parce qu’il n’a pas divulgué son statut vaccinal, l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard et lui a causé un stress mental et financier injustifiéNote de bas page 2.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement fournie par l’employeur. Elle a conclu que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi prévoit qu’une partie prestataire ne peut pas obtenir des prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas page 3.

[8] Pour décider si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[9] Les parties s’entendent pour dire que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il a agi contre de la politique de vaccination de l’employeur : il n’a pas divulgué son statut vaccinal. Rien n’indique le contraire, alors j’accepte cela comme un fait.

La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la loi?

[10] Je conclus que la raison du congédiement de l’appelant est une inconduite selon la loi.

[11] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Cependant, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si le congédiement de l’appelant est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[12] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 4. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 5. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il a voulu faire quelque chose de mal)Note de bas page 6.

[13] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas page 7.

[14] La Commission doit prouver que l’appelant a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a été congédié de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas page 8.

[15] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelant. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement congédié ou s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas page 9. Je peux seulement examiner une chose : si ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[16] Dans une décision de la Cour d’appel fédérale qui s’intitule McNamara, un prestataire a affirmé qu’il devrait avoir droit à des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’avait injustement congédiéNote de bas page 10. Il avait perdu son emploi à cause de la politique de son employeur sur le dépistage de drogues. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié, car le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire parce qu’il aurait consommé de la drogue. De plus, les résultats de son test de dépistage précédent auraient dû être toujours valides.

[17] La Cour d’appel fédérale a répondu en faisant remarquer qu’elle a toujours affirmé que, dans les dossiers d’inconduite, la question est de savoir si ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, que la personne ait été injustement congédiée ou nonNote de bas page 11.

[18] La Cour d’appel fédérale a aussi dit que l’interprétation et l’application de la loi se concentrent sur le comportement de la personne employée, et non sur celui de l’employeur. Elle a fait remarquer qu’il y avait d’autres solutions pour les personnes injustement congédiées. Ces solutions pénalisent le comportement de l’employeur au lieu de faire en sorte que les actions de l’employeur coûtent de l’argent aux contribuables en versements de prestationsNote de bas page 12.

[19] Dans une affaire plus récente intitulée Paradis, un prestataire a été congédié pour avoir échoué à un test de dépistage de droguesNote de bas page 13. Le prestataire a soutenu qu’il avait été injustement congédié, car les résultats du test montraient qu’il n’avait pas travaillé avec des facultés affaiblies. Il a affirmé que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à sa politique et à la loi provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara et a dit que le comportement de l’employeur n’était pas un facteur pertinent pour évaluer s’il y avait eu une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 14.

[20] Dans une autre affaire semblable intitulée Mishibinijima, un prestataire a perdu son emploi en raison de son trouble lié à la consommation d’alcoolNote de bas page 15. Le prestataire a soutenu que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que le trouble lié à la consommation d’alcool est considéré comme une déficience. La Cour d’appel fédérale a encore une fois affirmé qu’il fallait se concentrer sur ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait. Le fait que l’employeur ne lui avait pas offert de mesures d’adaptation n’était pas pertinentNote de bas page 16.

[21] Ces dossiers ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’ils disent est tout de même pertinent. Dans une affaire récente qui portait sur une politique de vaccination contre la COVID-19, l’appelant a soutenu qu’il n’a eu aucune réponse satisfaisante à ses questions sur la sécurité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 et des tests antigéniques. Il a ajouté qu’aucun décideur n’avait abordé la question suivante : comment une personne peut-elle être forcée de prendre un médicament non testé ou de procéder à un test, alors que cela porte atteinte à l’intégrité physique fondamentale et qu’il s’agit de discrimination fondée sur les choix médicaux personnelsNote de bas page 17?

[22] En rejetant l’appel, la Cour fédérale a écrit :

[traduction]

Même s’il est clair que le demandeur est frustré par le fait qu’aucun des décideurs n’a abordé les questions qu’il soulève et qu’il considère comme des questions juridiques ou factuelles fondamentales [...]. Le principal problème avec l’argument du demandeur est qu’il critique les décideurs pour avoir omis de trancher un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés, par la loi, à trancherNote de bas page 18.

[23] La Cour fédérale a également écrit :

[traduction]

La division générale et la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ont un rôle important à jouer dans le système juridique, mais ce rôle est restreint et précis. Dans cette affaire, leur rôle consistait à déterminer la raison pour laquelle l’appelant avait été congédié de son emploi et si cette raison constituait une inconduiteNote de bas page 19.

[24] La jurisprudence établit clairement que mon rôle n’est pas d’examiner le comportement ou les politiques de l’employeur ni de décider s’il a eu raison de congédier l’appelant. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[25] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait mis en place une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 qui exigeait que l’appelant soit vacciné et divulgue son statut vaccinal.
  • L’appelant savait que le non-respect de la politique pouvait entraîner la perte de son emploi.
  • L’appelant n’a pas divulgué son statut vaccinal.
  • L’appelant a perdu son emploi parce qu’il a refusé de se conformer à la politique de vaccination de l’employeurNote de bas page 20.

[26] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu inconduite de sa part pour les raisons suivantes :

  • La politique de l’employeur était illégale et allait à l’encontre de ses droits de la personne.
  • Son statut vaccinal constitue un renseignement médical personnel, et il n’était pas légalement tenu de divulguer ce renseignement à l’employeur.
  • L’employeur a fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’il a refusé de divulguer son statut vaccinal.
  • L’employeur a rompu son contrat de travail en le congédiant illégalementNote de bas page 21.

[27] Selon la politique de vaccination obligatoire de l’employeur, tout le personnel devait être vacciné et divulguer son statut vaccinal. Le personnel avait jusqu’au 29 octobre 2021 pour divulguer son statut vaccinal et jusqu’au 15 novembre 2021 pour se conformer entièrement à la politiqueNote de bas page 22.

[28] L’appelant a déclaré ce qui suit :

  • Le vaccin contre la COVID-19 n’a pas été testé et il n’a pas été prouvé qu’il était sécuritaire ou efficace.
  • La politique de vaccination de l’employeur était illégale.
  • Il connaissait la politique de vaccination de l’employeur. La politique s’appliquait à tout le personnel, dont lui. La politique précisait qu’il devait se faire vacciner contre la COVID-19 et divulguer son statut vaccinal au moyen du système « Gestion SSAM » de l’employeur.
  • Dans le cadre du processus de mesures correctives de l’employeur, il a reçu un avertissement écrit qui disait que s’il ne divulguait pas son statut vaccinal, il allait perdre son emploi.
  • L’employeur l’a averti verbalement à de nombreuses reprises que s’il ne divulguait pas son statut vaccinal dans le système Gestion SSAM, il allait perdre son emploi.
  • Il a demandé des mesures d’adaptation pour des motifs liés aux droits de la personne, mais l’employeur a rejeté sa demande.
  • Le fait de divulguer son statut vaccinal allait à l’encontre de sa conscience, de ses croyances, de son droit à la vie privée et de ses droits garantis par la Charte.
  • Il n’a pas divulgué son statut vaccinal à l’employeur. Il a dit à son employeur qu’il n’allait pas divulguer son statut vaccinal parce qu’il s’agissait d’un renseignement médical personnel et que ce renseignement était protégé par la loi.
  • Il a été congédié parce qu’il n’a pas divulgué son statut vaccinal.

[29] Je conclus que la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait mis en place une politique qui exigeait que tout le personnel soit vacciné et divulgue son statut vaccinal.
  • L’employeur a informé l’appelant de sa politique et il lui a fait part de ses attentes au sujet de la vaccination et de la divulgation de son statut vaccinalNote de bas page 23.
  • L’appelant connaissait les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.
  • L’appelant n’a pas divulgué son statut vaccinal et il a été congédié de son emploi.

[30] Lors de l’audience, l’appelant a cité une conclusion tirée récemment par le Comité externe d’examen des griefs militaires. Selon cette conclusion, la politique de vaccination des Forces armées canadiennes contrevenait aux droits de la personne garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le droit à la liberté et le droit à la sécurité de la personne. Le Comité a également tiré une conclusion semblable dans deux autres affairesNote de bas page 24. Selon l’appelant, ces décisions prouvent que la politique de l’employeur était illégale et violait ses droits, et qu’il avait tout à fait le droit de ne pas s’y conformer.

[31] Le Comité externe d’examen des griefs militaires est un tribunal administratif. Il présente ses conclusions et des recommandations au chef d’état-major de la défense, qui prend la décision finale et qui « n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs »Note de bas page 25. Les conclusions du Comité ne sont pas contraignantes, pas même pour les Forces armées canadiennes. 

[32] Au Canada, un certain nombre de lois protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (non-discrimination). La Charte est l’une de ces lois. Ces lois sont appliquées par différentes cours et différents tribunaux. 

[33] Le Tribunal de la sécurité sociale peut décider si une disposition de la Loi sur l’assurance-emploi, de son Règlement ou d’une loi connexe porte atteinte aux droits que garantit la Charte à une partie appelante. 

[34] Toutefois, le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si une mesure prise par un employeur va à l’encontre des droits que la Charte reconnaît à une partie appelante. Cette question ne relève pas de ma compétence.

[35] L’appelant peut avoir d’autres recours pour faire valoir ses allégations selon lesquelles la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits. Cependant, ces questions doivent être traitées par le tribunal approprié. Ces questions ne relèvent pas de ma compétence.

[36] Je comprends que l’appelant espérait que l’employeur ne le congédie pas réellement pour ne pas avoir respecté sa politique de vaccination. Cependant, j’estime qu’il savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique pouvait entraîner la perte de son emploi. Dans son témoignage, il a confirmé que l’employeur [traduction] « avait très clairement indiqué » qu’il allait perdre son emploi s’il ne respectait pas la politique. Il savait qu’il devait divulguer son statut vaccinal pour être en mesure de se conformer à la politique de l’employeur.

Alors, l’appelant a-t-il été congédié de son emploi en raison d’une inconduite?

[37] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelant a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite.

[38] En effet, les actions de l’appelant ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il savait que le refus de divulguer son statut vaccinal entraînerait son congédiement.

Conclusion

[39] La Commission a prouvé que l’appelant a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[40] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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