Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1310

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : L. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Isabelle Thiffault

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 17 avril 2023
(GE-23-202)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Par Écrit
Date de la décision : Le 2 octobre 2023
Numéro de dossier : AD-23-395

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Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit. Mon examen de la preuve m’a convaincu que le prestataire n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] Le prestataire, L. C., travaillait comme ingénieur de conception pour X, un fabricant de machines industrielles. En mars 2022, l’un des techniciens de X a démissionné, et le prestataire a été prié d’effectuer des tâches supplémentaires jusqu’à ce qu’un remplaçant puisse être trouvé. Le prestataire affirme qu’il s’est rapidement retrouvé à passer la moitié de son temps à effectuer des tâches fastidieuses et répétitives bien en deçà de son niveau de compétence.

[3] Après huit semaines, le prestataire a demandé à ses supérieurs s’il pouvait être relevé de ses fonctions supplémentaires afin de pouvoir consacrer tout son temps à l’emploi pour lequel il avait été embauché. Sa demande a été refusée. Deux semaines plus tard, le 1er juin 2022, il a démissionné de son poste en invoquant un congédiement déguisé.

[4] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du prestataire pour avoir quitté son emploi. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification et qu’elle n’avait donc pas à lui verser de prestations. Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et était d’accord avec la Commission. Elle a conclu que le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Elle a jugé, entre autres choses, que le prestataire aurait pu continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi, ou qu’il aurait pu demander un avis médical confirmant que ses nouvelles fonctions nuisaient à sa santé mentale.

[6] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Il soutient qu’en rendant sa décision, la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de changement important dans ses fonctions parce que le changement [traduction] « n’était que temporaire ». Le prestataire affirme que rien ne dure éternellement et que, de toute façon, ses supérieurs lui ont dit clairement que la période pendant laquelle il aurait cette charge de travail supplémentaire était indéfinie.
  • Elle a conclu qu’il n’avait pas parlé à ses supérieurs avant de démissionner et qu’il aurait pu leur demander la permission de faire moins du travail de technicien. Le prestataire affirme qu’il en avait fait la demande dans un courriel daté du 18 mai 2022.
  • Elle a conclu qu’il avait d’autres d’options que celle de quitter son emploi, comme demander un congé ou obtenir une note médicale. Le prestataire affirme que, comme la division générale l’a elle-même reconnu, son employeur ne lui aurait presque certainement pas accordé un congé.

[7] Plus tôt cette année, j’ai accordé au prestataire la permission de faire appel parce que je croyais qu’il avait soulevé au moins un argument défendable. À la demande du prestataire, je n’ai pas tenu d’audience orale, mais j’ai plutôt tranché son appel en me fondant sur l’examen des documents déjà au dossier.

Question en litige

[8] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale a :

  • agi de façon injuste;
  • outrepassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[9] Mon travail consiste à décider si l’une ou l’autre des allégations du prestataire correspond aux moyens d’appel permis et, dans l’affirmative, si elles sont fondées.

Analyse

[10] Je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante, soit sa conclusion selon laquelle le prestataire aurait pu demander un congé à son employeur. Comme cette raison suffit à elle seule à infirmer la décision de la division générale, je ne vois pas la nécessité d’aborder les autres allégations du prestataire.

La division générale s’est contredite au sujet de la capacité du prestataire à prendre congé de son emploi

[11] Comme la division générale l’a souligné à juste titre, une personne peut être admissible aux prestations d’assurance-emploi même si elle a quitté volontairement son emploi, pourvu qu’elle ait une « justification » pour l’avoir faitNote de bas de page 2. Toutefois, la personne doit prouver que quitter son emploi était la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle. Avoir une bonne raison de quitter son emploi ne suffit pas à prouver que l’on était fondé à le faire.

[12] Dans ses motifs, la division générale a énuméré plusieurs solutions raisonnables qui s’offraient au prestataire au lieu de quitter son emploi. Parmi celles-ci, la division générale a conclu que le prestataire [traduction] « aurait pu demander un congé à son employeur et obtenir une note médicale indiquant que faire le travail de technicien affectait sa santé mentale »Note de bas de page 3. Toutefois, la division générale avait déjà convenu qu’il était hors de question d’accorder la permission :

Le prestataire affirme que l’employeur ne lui aurait pas permis de prendre un congé. Je suis d’accord avec lui pour dire que son employeur ne l’aurait pas laissé prendre congé. Ils avaient besoin d’un technicien. Ils avaient de la difficulté à en embaucher un alors ils avaient besoin que le prestataire fasse une partie du travail du technicien. Ils n’auraient pas voulu qu’il prenne congéNote de bas de page 4. [C’est moi qui souligne.]

[13] À première vue, il s’agissait d’une contradiction. Il se peut que, dans l’esprit de la division générale, il y ait une distinction entre un « congé » (prendre congé le matin ou l’après-midi pour obtenir une note médicale) et un « congé autorisé » (prendre un congé prolongé pour se rétablir d’une maladie grave). Si c’était le cas, la division générale aurait dû établir cette distinction clairement.

[14] La Cour suprême du Canada a déclaré que les décisions administratives doivent être « fondées sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »Note de bas de page 5. Dans le même ordre d’idées, la Cour fédérale du Canada exige que les décideurs rendent leurs motifs intelligibles et transparents de sorte que « [leur] fondement […] [soit] compréhensible […] et logique »Note de bas de page 6.

[15] Je suis d’avis que la décision de la division générale manque de cohérence interne et de logique perceptible parce qu’elle n’a pas expliqué adéquatement comment on pouvait s’attendre à ce que le prestataire prenne congé pour s’occuper de ses problèmes de santé mentale si son employeur n’était pas prêt à lui accorder un congé.

Réparation

Il y a deux façons de corriger l’erreur de la division générale

[16] Lorsque la division générale fait une erreur, la division d’appel peut la corriger de l’une des deux façons suivantes : i) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience ou ii) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 7.

[17] Dans la conduite de ses procédures, le Tribunal doit trouver un équilibre entre simplicité, équité et rapiditéNote de bas de page 8. De plus, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une personne qui rend une décision devrait tenir compte de tout retard possible dans la conclusion d’une demande de prestations. Cela fait plus d’un an que le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi. Si cette affaire est renvoyée à la division générale, cela reportera inutilement la résolution finale.

Le dossier est assez complet pour trancher la présente affaire sur le fond

[18] Je suis convaincu que le dossier est complet. J’ai devant moi un grand nombre d’éléments de preuve écrits, y compris des courriels, des lettres et des transcriptions de conversations téléphoniques, qui documentent les circonstances ayant mené au départ du prestataire. J’ai également eu accès à l’enregistrement audio de l’audience de la division générale, au cours de laquelle le prestataire a discuté de son emploi, ainsi que des tâches supplémentaires que son employeur lui a imposées après le départ d’un technicien. Je doute que la preuve du prestataire soit bien différente si cette affaire était instruite de nouveau.

[19] Par conséquent, je suis en mesure d’évaluer la preuve dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre, si elle n’avait pas commis d’erreur. À mon avis, même si la division générale avait évalué correctement la preuve, elle aurait abouti au même résultat. Mon propre examen du dossier me convainc que l’appel du prestataire ne peut pas être accueilli.

Le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi

[20] Le prestataire soutient qu’il n’a pas quitté son emploi, mais qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. Il affirme qu’il n’avait d’autre choix que de partir parce que son employeur avait modifié ses tâches de façon importante sans son consentement.

[21] Toutefois, pour décider si le prestataire a quitté volontairement son emploi, je dois regarder s’il avait le choix de rester ou de partirNote de bas de page 9. Je suis d’avis que le prestataire avait le choix. Il aurait pu continuer à travailler pour son employeur, mais dans des circonstances moins qu’idéales. Il a plutôt décidé de partir. Cela signifie que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

Il y a justification lorsqu’il n’y a pas d’autre solution raisonnable

[22] La loi dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable dans son cas. Elle dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 10.

[23] Il incombe à une partie prestataire de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’elle était fondée à quitter son emploi. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la seule solution raisonnable dans son cas était de démissionner.

[24] Pour décider si une partie prestataire était fondée à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La loi prévoit que ces circonstances peuvent inclure des changements importants dans les fonctions d’une partie prestataireNote de bas de page 11.

X a imposé temporairement de nouvelles tâches au prestataire sans rémunération supplémentaire

[25] Le prestataire affirme qu’il n’avait d’autre choix que de quitter X après que ses supérieurs lui ont confié des tâches supplémentaires lorsqu’un autre employé a soudainement démissionné. Après avoir examiné les circonstances ayant mené à sa démission, je conclus que le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas.

[26] À mon avis, les changements apportés à l’emploi du prestataire, même s’ils étaient sans aucun doute inconvénients, n’étaient pas importants. En effet, les changements n’étaient pas permanents. X a imposé au prestataire une charge de travail supplémentaire sans rémunération supplémentaire, mais la preuve montre qu’il faisait des efforts pour trouver quelqu’un pour remplacer l’employé qui avait quitté son emploi.

[27] Le prestataire est ingénieur. Chez X, il a travaillé comme ingénieur en conception. Son travail consistait à développer de nouveaux produits et à faire des dessins détaillés des pièces nécessaires à leur fabrication.

[28] Le 3 mars 2022, un technicien a démissionné. Le patron du prestataire lui a dit que lui et un autre employé allaient devoir assumer les fonctions du technicien jusqu’à ce qu’un nouveau technicien puisse être embauché. Son patron lui a également dit que s’il n’effectuait pas sa part des tâches, il serait congédié ou il devrait démissionner.

[29] Le prestataire a commencé à faire les tâches supplémentaires le 14 mars 2022 ou vers cette date. En plus de ses tâches habituelles, il devait :

  • télécharger et sauvegarder les commandes;
  • imprimer, annoter et classer des copies papier de dessins existants;
  • chercher des documents dans un système de classement sur papier désorganisé et les recréer s’ils sont introuvables;
  • apporter des modifications mineures aux dessins 2D existants avec AutoCADNote de bas de page 12.

[30] Comme bon nombre de ces tâches ne pouvaient pas être effectuées à distance, le prestataire devait se rendre au bureau environ 12 heures par semaine. Cela signifie que son épouse, qui avait un emploi en ligne à elle, n’avait souvent personne pour l’aider à s’occuper de leurs enfants. Après huit semaines, le prestataire s’est retrouvé à consacrer plus de 50 % de son temps à des tâches supplémentaires, tout en devant aussi continuer son travail régulier de conception.

[31] Le prestataire s’est d’abord plaint à son patron dans un courriel daté du 18 mai 2022. Il a affirmé que ses tâches supplémentaires étaient fastidieuses et inférieures à son niveau de compétence, et qu’elles nuisaient à son estime de soi. Il a aussi dit à son employeur qu’il voulait recommencer à consacrer tout son temps à son emploi d’ingénieur en conception.

[32] Le patron du prestataire a répondu le 19 mai 2022. Il a dit qu’ils interviewaient des gens et qu’ils étaient optimistes quant à la possibilité de trouver un nouveau technicien. Mais il a aussi dit qu’il s’agissait d’une petite entreprise et que si une personne quittait son emploi, cela signifiait que tout le monde devait accepter plus de travail.

[33] Le 27 mai 2022, le prestataire s’est informé au sujet des entrevues. Le 30 mai 2022, son patron lui a dit qu’il n’avait encore embauché personne, car aucune des personnes interviewées n’était qualifiée pour le poste. Il a ajouté qu’ils continuaient de chercher d’autres candidates et candidats et qu’ils avaient demandé d’autres pistes au recruteur.

[34] Le prestataire soupçonnait que cela pourrait prendre beaucoup de temps avant que X trouve quelqu’un, et qu’il était possible qu’il ne trouve jamais personne. Il a parlé à un avocat qui lui a dit que s’il continuait à travailler, cela signifierait qu’il acceptait les tâches supplémentaires qui lui avaient été confiées. L’avocat a également dit au prestataire qu’il devrait démissionner s’il souhaitait prétendre avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. Le 1er juin 2022, le prestataire a démissionné. Il a dit que son rôle avait été dévalorisé et qu’il n’avait pas consenti aux tâches supplémentaires.

Le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas

[35] Pour démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi, le prestataire [traduction] n’a pas à démontrer qu’il a épuisé toutes les solutions possibles, pas plus qu’il n’a à démontrer que ses conditions de travail étaient à ce point intolérables qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner immédiatementNote de bas de page 13.

[36] Cependant, il y avait au moins trois autres choses que le prestataire aurait pu faire, plutôt que de quitter son emploi quand il l’a fait :

  • Il aurait pu continuer à travailler pour X pendant qu’il cherchait un autre emploi.
  • Il aurait pu rejeter les conseils de son avocat et rester au travail puis soumettre une protestation écrite.
  • Il aurait pu continuer à faire les tâches supplémentaires jusqu’à ce que son employeur embauche un nouveau technicien.

[37] Aucune de ces solutions n’était idéale, mais la loi ne permet pas aux parties prestataires potentielles de quitter leur emploi simplement parce que les conditions de travail ne sont pas parfaites. X a peut-être profité du prestataire, mais cela ne signifie pas qu’il n’avait pas d’autre option que de quitter son emploi.

Conclusion

[38] La division générale s’est contredite tout en omettant d’offrir des motifs adéquats pour sa décision. Cependant, je pense qu’elle aurait rendu la même décision même si elle n’avait pas commis ces erreurs. Après avoir examiné le dossier, j’ai conclu qu’aux fins de la détermination de l’admissibilité à l’assurance-emploi, le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[39] L’appel est rejeté.

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