Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 430

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (547060) datée du 20 octobre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 mars 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 24 mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-4298

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi chez X.

[3] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[4] Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[5] Le 29 avril 2022, l’appelant a perdu son emploi de camionneur du secteur des sables bitumineux chez X. Il a renouvelé sa demande de prestations d’assurance-emploi à compter du 29 mai 2022.

[6] La Commission a enquêté sur la raison de la cessation d’emploi de l’appelant. Le propriétaire de X a déclaré que l’appelant a été congédié parce qu’il refusait de respecter l’horaire de travail et était insubordonné. Le propriétaire a dit que l’appelant avait reçu trois avertissements verbaux, puis un avertissement écrit la veille de son congédiement. Un relevé d’emploi a été produit lors du congédiement. L’appelant a contesté la version des faits du propriétaire.

[7] La Commission a décidé que l’appelant avait perdu son emploi en raison d’une inconduite et a imposé une exclusion à l’égard de sa demande de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

[8] L’appelant a demandé à la Commission de réviser sa décision. Il a dit que l’employeur lui avait demandé de passer du quart de jour à celui de nuit sans lui accorder le congé de récupération exigé par la loi après une période de conduite. Lorsqu’il s’est présenté pour travailler son quart suivant, il a été congédié.

[9] Au cours du processus de révision, le propriétaire a changé sa version des faits et a soudainement dit que l’appelant avait démissionné.

[10] L’appelant a contesté les déclarations du propriétaire, mais la Commission a accepté la nouvelle version des événements soudainement fournie par ce dernier. La Commission a décidé que l’appelant avait quitté volontairement son emploi sans justification et a maintenu l’exclusion à l’égard de sa demande de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

[11] L’appelant a porté cette décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[12] L’appelant nie les deux versions des événements fournies par le propriétaire. Il dit que ce ne sont pas les véritables raisons pour lesquelles il a perdu son emploi. Il affirme que le propriétaire l’a congédié pour des raisons personnelles qui n’avaient rien à voir avec son rendement au travail ou sa conduite en milieu de travail.

[13] Je dois me demander pourquoi l’appelant a cessé de travailler chez X, puis décider s’il s’agit d’un motif d’exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Questions en litige

[14] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 3?

[15] Pour répondre à cette question, je dois d’abord traiter de la question du départ volontaire de l’appelant. Ensuite, je dois décider s’il était fondé à quitter son emploi.

[16] Si l’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi, mais que l’on a mis fin à son emploi en raison de ses agissements, alors je dois examiner s’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 4.

[17] Pour répondre à cette question, je dois d’abord établir la cause réelle de la cessation de l’emploi de l’appelant, puis décider si cela constitue une inconduite aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi.

Analyse

Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[18] Non, il ne l’a pas fait.

[19] La loi prévoit qu’une partie prestataire qui quitte volontairement son emploi est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à moins qu’elle puisse établir que son départ était fondéNote de bas de page 5.

[20] Pour décider s’il faut exclure le prestataire pour cette raison, je dois d’abord vérifier s’il a effectivement quitté volontairement son emploi.

[21] Le propriétaire a déclaré à plusieurs reprises à la Commission (lors de trois entrevues différentes avec Service CanadaNote de bas de page 6) que l’appelant avait été congédié.

[22] Le relevé d’emploi de l’appelant a été produit le 10 mai 2022 et portait la mention « Congédiement ou suspension ». Le document comporte aussi l’attestation du propriétaireNote de bas de page 7.

[23] L’appelant a également déclaré à la Commission qu’on l’avait congédiéNote de bas de page 8.

[24] Pourtant, au cours du processus de révision, le propriétaire a soudainement, et ce, sans explication adéquate ou cohérenteNote de bas de page 9, dit à la Commission que l’appelant avait démissionné.

[25] Il n’y a aucune preuve crédible indiquant que l’appelant a démissionné ou qu’il a pris des mesures visant à mettre fin à la relation professionnelle en démissionnantNote de bas de page 10.

[26] À l’audience, l’appelant a déclaré ce qui suit :

  • Le 27 avril 2022, il s’est présenté pour travailler le quart de jour. Il était sur la route au volant d’un camion chargé d’huile lorsque son superviseur de terrain a communiqué avec lui pour lui dire qu’on avait besoin de lui pendant le quart de nuit plus tard ce jour-là; il devait donc [traduction] « aller dormir ».
  • Il a dit au superviseur de terrain qu’il était déjà sur la route au volant d’un camion complètement chargé et lui a demandé la permission de faire d’abord la livraison.
  • Le superviseur de terrain lui a donné la permission de le faire en premier.
  • Vers 10 h, alors qu’il achevait la livraison, le propriétaire lui a téléphoné et [traduction] « s’est énervé ». Le propriétaire a dit qu’il devait commencer un quart de travail à 18 h ce soir-là, même si, « selon la loi », il avait droit à une période de « récupération » s’il passait du quart de jour à celui de nuitNote de bas de page 11.
  • Lorsqu’il s’est présenté pour le quart de 18 h le 27 avril 2022, on lui a donné la lettre d’avertissement qui se trouve à la page GD3-25 du dossier d’appel.
  • Il l’a signée sans la lire. Il n’a jamais été agressif avec personne. Il a fait son quart de travail, puis il a eu 36 heures de congé.
  • Lorsqu’il est retourné pour travailler le quart de nuit le 29 avril 2022, l’appelant s’est rendu à [traduction] « son camionNote de bas de page 12 » et a vu que son superviseur de terrain [traduction] « vidait » le véhicule et en retirait les effets personnels qui lui appartenaient.
  • Lorsque l’appelant a demandé pourquoi le superviseur de terrain faisait cela, celui-ci a répondu qu’il était mis à pied.
  • Mais il y avait beaucoup de travail et l’appelant ne croyait pas cela. Il a demandé une réponse [traduction] « honnête », et le superviseur de terrain a dit qu’il avait été [traduction] « congédié ».
  • L’appelant a fini le ménage du camion lui-même, puis il est parti.
  • Il n’a pas quitté son emploi.
  • Il conduisait beaucoup, les choses se passaient bien et il gagnait beaucoup d’argent, comme en témoigne la rémunération inscrite sur son relevé d’emploi. Il voulait continuer à travailler.

[27] J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel il a été congédié.

[28] Le témoignage est conforme aux déclarations initiales répétées du propriétaire à la Commission et à celles de l’appelant. Le témoignage est également confirmé par le relevé d’emploi qui a été produit — et qui comporte l’attestation du propriétaire lui-même — au moment des événements en questionNote de bas de page 13.

[29] Je n’accorde pas d’importance aux éléments de preuve obtenus auprès du propriétaire au cours du processus de révision. Il s’agit d’une version entièrement nouvelle des événements, qui n’est pas expliquée et appuyée par des éléments de preuve concomitantsNote de bas de page 14.

[30] La Cour a déclaré que je dois examiner si l’appelant avait le choix de rester ou de quitter son emploiNote de bas de page 15.

[31] Lorsque l’appelant est arrivé au travail le 29 avril 2022, il a trouvé son superviseur de terrain en train de retirer ses effets personnels de [traduction] « son camion ». Il a demandé une explication. Au départ, le superviseur de terrain a dit que l’appelant était mis à pied, mais il a ensuite admis qu’il était congédié. Quoi qu’il en soit, la preuve montre que l’employeur empêchait l’appelant de travailler. Et je crois l’appelant lorsqu’il a dit qu’il aurait préféré continuer à travailler.

[32] Je conclus que l’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi parce qu’il n’avait pas d’autre choix que de rester en poste.

[33] Comme l’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi, il ne peut pas être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour cette raison.

Question en litige no 2 : L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison de son inconduite?

[34] Pour répondre à la question de savoir si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses :

  1. a) Pourquoi a-t-il perdu son emploi?
  2. b) La loi considère-t-elle cette raison comme une inconduite?

A) Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[35] L’appelant a perdu son emploi parce que le propriétaire a personnellement décidé de mettre fin à la relation professionnelle.

[36] L’appelant et la Commission ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle l’appelant a perdu son emploi.

[37] La Commission affirme que l’appelant a démissionné. Pour les motifs énoncés à la question en litige no 1 ci-dessus, j’ai conclu qu’il n’y a aucune preuve crédible de cela.

[38] Alors pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[39] Lors de la première enquête effectuée par Service Canada, le propriétaire a déclaré que l’appelant avait été congédié parce qu’il ne respectait pas l’horaire de travail et était insubordonné.

[40] L’appelant convient qu’il a été congédié, mais nie ce qu’avance le propriétaire. Il affirme que la véritable raison pour laquelle il a perdu son emploi est que le propriétaire a décidé personnellement qu’il ne voulait plus que l’appelant soit son employé.

[41] Je suis d’accord avec l’appelant. Voilà pourquoi.

[42] L’appelant a fait les déclarations suivantes :

  • Lorsqu’il a passé un entretien d’emploi chez X, on lui a dit qu’il s’agirait d’un poste [traduction] « sur le terrain ».
  • Cela signifiait qu’il devrait seulement conduire dans le [traduction] « champ » de l’exploitation de sables bitumineux où il était affecté — et non sur la route. Dans le champ, la conduite est plus lente, tandis que la conduite sur route est beaucoup plus rapide.
  • Il n’avait pas l’expérience de la conduite de camions-citernes d’hydrocarbures sur la route, mais il pouvait conduire dans un champ avec l’expérience qu’il avait.
  • Après son entrée en fonction, il est devenu évident pour lui qu’il devait conduire sur la route et conduire dans le champ. Il a parlé de ce fait nouveau au propriétaire. Celui-ci a dit qu’il recevrait une formation pour la conduite sur la route. L’appelant a accepté d’essayer, mais il n’était pas heureux.
  • Le propriétaire a dit que [traduction] « personne ne reçoit d’assurance-emploi de ma part », ce qui signifiait essentiellement que l’appelant n’avait d’autre choix que de le faire.
  • Il a suivi la formation et, en fin de compte, il ne craignait pas de conduire sur la route pendant la journée. Le quart de nuit était une autre histoire. Il en était encore à ses débuts et était très anxieux la nuit. Il craignait aussi de s’endormir.
  • Cependant, il n’a jamais refusé de respecter l’horaire de travail.
  • Il vivait dans son camion. Lorsqu’il faisait un quart de travail (mais ne conduisait pas), il vivait dans son camion et dormait à l’arrière de la cabine. Cette disposition lui permettait de travailler beaucoup.
  • Ses chèques de paie montrent qu’il travaillait [traduction] « sans interruption ».
  • Il savait que les autres chauffeurs étaient [traduction] « jaloux » et se plaignaient qu’il les faisait mal paraître, mais il faisait un bon salaire et il a continué.
  • Le propriétaire l’appelait souvent pour lui demander [traduction] « une faveur » et lui demandait de faire une course pendant ce qui aurait dû être du temps passé sans conduire comme l’exigeait la loi.
  • Il n’a jamais eu d’avertissements concernant le non-respect de l’horaire. Il vivait dans son camion et effectuait le travail qui lui était assigné, y compris les faveurs demandées par le propriétaire.
  • Il a bel et bien reçu un avertissement verbal lorsqu’il a rempli un carnet de bord incorrectement.
  • Sinon, personne n’avait de problème avec lui ou son travail.
  • Environ deux semaines avant d’être congédié, le propriétaire s’est fâché contre lui parce qu’il était allé à l’église. Selon le propriétaire, il aurait plutôt dû dormir.
  • Mais il était [traduction] « en congé » à ce moment-là.
  • Selon la loi, il doit [traduction] « s’arrêter » et ne pas conduire pendant huit heures par jour. Ce sont ses temps libres. Il en passe une partie à dormir et une autre à s’occuper de ses affaires personnelles.
  • Il est un [traduction] « chrétien fervent » et parle très ouvertement de sa foi. Il savait que le fait qu’il est [traduction] « chrétien » mettait le propriétaire [traduction] « mal à l’aise ».
  • Il a tenté de convaincre le propriétaire de son droit d’aller à l’église, mais le propriétaire lui a dit qu’il était congédié.
  • [Traduction] « Je ne peux pas abandonner le Seigneur pour garder un emploi. »
  • Peu de temps après l’avoir congédié parce qu’il était allé à l’église, le propriétaire [traduction] « a su qu’il avait dépassé les bornes » et a dit à l’appelant qu’il pouvait revenir travailler.
  • Il est bel et bien revenu, mais les choses n’étaient pas les mêmes.
  • Le propriétaire avait décidé qu’il voulait qu’il parte et qu’il [traduction] « ferait en sorte » que cela se produise plus tard.
  • Et deux semaines plus tard, c’est exactement ce qui s’est passé.

    Remarque : voir le témoignage présenté au paragraphe 26 avant de continuer la lecture. Par souci de concision, il n’a pas été répété ici, mais ce témoignage est nécessaire pour la chronologie des événements.

  • L’appelant n’a jamais lu la lettre d’avertissement du 27 avril. Personne ne la lui a lue non plus. Il a été question du fait qu’il s’est enlisé dans la boue. Il a [traduction] « posé les chaînes » et est resté coincé malgré tout. Cependant, il n’a jamais pensé qu’il pourrait perdre son emploi pour cela.
  • Il n’était pas agressif, querelleur ou irrespectueux.
  • Il a signé la lettre d’avertissement et est retourné au travail. Peu importe ce que la lettre disait, il s’agissait seulement de son deuxième avertissement, et il savait qu’un système de trois avertissements était en place.
  • Il a terminé son quart de travail, puis il a eu 36 heures de congé. Cela comprenait la période de récupération à laquelle il avait droit pour passer au quart de nuit après que le propriétaire lui a crié dessus.
  • Il se trouvait loin de son camion pendant cette période de congé.
  • En fait, il est entré plus tôt pour son quart de travail suivant parce qu’il voulait faire nettoyer son camion et le préparer. Il a été surpris de voir le superviseur de terrain [traduction] « dégager » son camion.
  • Il savait que quelque chose se tramait.
  • Il a demandé ce qui se passait. Le superviseur sur le terrain a dit qu’il était mis à pied. Cela l’a fait rire parce qu’il y avait beaucoup de travail. Il a demandé au superviseur sur le terrain d’être honnête avec lui. Il a demandé s’il était congédié. Le superviseur de terrain a dit : [traduction] « Oui, vous êtes congédié ». Il a fini de nettoyer le camion lui-même, puis il a pris ses effets personnels et est parti.
  • [Traduction] « Le fait que je suis chrétien m’a tué. »

[43] J’accorde une plus grande importance au témoignage de l’appelant à l’audience. En effet, les détails sur ce qui se passait au travail et la nature de sa relation avec le propriétaire ont été fournis à l’aide du processus de prise de décision active pendant l’audience et sont cohérents avec ce qu’il a dit à la Commission.

[44] En préparant l’audience, j’ai examiné les documents de renseignements supplémentaires rédigés par les représentantes et représentants de Service Canada qui ont parlé à l’appelant pendant l’établissement initial des faits et le processus de révision. Ces notes montrent qu’ils ont eu de la difficulté à obtenir des renseignements pertinents de la part de l’appelant. Les représentantes et représentants de Service Canada ont souligné que l’appelant était sujet à réagir de façon émotive (comme traiter le propriétaire d’imposteur), qu’il s’écartait du sujet (par exemple, en décrivant comment il avait raté une autre occasion d’emploi en raison de renseignements trompeurs sur le poste chez X), qu’il faisait dévier la conversation vers des sujets non pertinents (une demande possible de prestations de maladie, par exemple) et qu’il avait de la difficulté à fournir des dates et des détails sur les événements.

[45] Il m’est apparu évident que l’appelant aurait besoin de l’aide apportée par le processus de prise de décision active à l’audience pour fournir des éléments de preuve pertinents à la décision portée en appel.

[46] Pour ce faire, j’ai communiqué avec l’appelant pour obtenir l’ordre chronologique détaillé des événements et je lui ai posé des questions au sujet de l’avertissement écritNote de bas de page 16 du 27 avril 2022. De cette façon, l’appelant a pu établir la chronologie des événements ayant mené au congédiement et décrire les causes des problèmes existants entre lui et le propriétaire.

[47] Je suis d’avis que le témoignage de l’appelant est crédible parce qu’il a été livré de façon réfléchie et en réponse à des questions directes et séquentielles de ma part. Ses déclarations correspondaient également — quoique de façon plus organisée et plus détaillée — à ce qu’il avait dit à la Commission avant et après l’exclusion imposée à l’égard de sa demandeNote de bas de page 17.

[48] En revanche, j’accorde moins d’importance à la preuve que la Commission a obtenue du propriétaire au sujet du prétendu non-respect de l’horaire de travail de l’appelant et de son insubordination. Je ne peux pas ignorer le fait que le propriétaire a brusquement et ouvertement contredit ses propres déclarations antérieures à la Commission en donnant une version entièrement nouvelle des événements au cours du processus de révision — et qu’il pensait pouvoir expliquer son changement soudain de version en parlant de mauvaise communication. Cela met sérieusement en doute la crédibilité des déclarations du propriétaire pendant ses entrevues avec Service Canada. Je trouve également inquiétante la nature personnelle de certains commentaires que le propriétaire a faits à la Commission au sujet de l’appelant, y compris un commentaire selon lequel l’appelant était mentalement instableNote de bas de page 18, et les incohérences dans la lettre d’avertissement écrite que le propriétaire a fournieNote de bas de page 19.

[49] Il semble plus probable qu’improbable que le propriétaire a simplement décidé qu’il ne voulait plus que l’appelant travaille pour lui.

[50] L’appelant n’avait travaillé chez X que pendant une courte période et croyait que tout allait bien. Il a été stupéfait lorsque le propriétaire l’a congédié parce qu’il était allé à l’église dans ses temps libres, pour annuler immédiatement le congédiement par la suite. L’appelant se dit ouvertement chrétienNote de bas de page 20 et savait que cela mettait le propriétaire mal à l’aise. Le propriétaire ne voulait peut-être pas être perçu comme ayant congédié l’appelant parce qu’il est chrétien, mais il avait néanmoins décidé personnellement qu’il ne voulait plus vois l’appelant. La détermination du propriétaire à prendre des mesures pour se débarrasser rapidement de l’appelant transparaît dans ses déclarations initiales à la Commission, lorsqu’il a décrit comment l’appelant avait été averti verbalement à plusieurs reprises sur une période de sept jours, puis qu’il avait reçu un avertissement écrit et qu’il avait été congédié le lendemain mêmeNote de bas de page 21.

[51] La preuve crédible confirme la conclusion selon laquelle l’appelant a été congédié parce que le propriétaire a pris la décision personnelle de mettre fin à la relation d’emploi. Il importe peu de savoir si le propriétaire a pris cette décision parce que [traduction] « la religion chrétienne » de l’appelant le mettait mal à l’aise ou en raison du mécontentement jaloux des autres chauffeursNote de bas de page 22 (ou en raison d’un mélange de ces raisons). Le propriétaire a rendu cette décision pour des raisons personnelles qui n’étaient pas liées au rendement au travail ou au comportement de l’appelant en milieu de travail.

[52] Je conclus que l’appelant a perdu son emploi parce que le propriétaire a pris la décision personnelle de mettre fin à la relation d’emploi.

[53] Il s’agit de la conduite à laquelle il faut appliquer le critère juridique relatif à l’inconduite (et l’exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi qui en découle).

B) La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la loi?

[54] Non, ce n’est pas le cas.

[55] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers l’employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 23.

[56] Il n’est pas possible de dire que l’appelant aurait pu savoir qu’il perdrait son emploi parce que le propriétaire déciderait personnellement de mettre fin à la relation professionnelle.

[57] De plus, pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 24 ou être tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 25.

[58] Je ne crois pas que l’appelant ait agi de façon délibérée ou insouciante relativement au changement de quart de travail le 27 avril 2022 ou dans ses rapports avec le superviseur de terrain le 29 avril 2022. Je fonde cela en partie sur la crédibilité du témoignage de l’appelant à l’audience (voir la question en litige no 2 ci-dessus) et en partie sur mes préoccupations au sujet de l’avertissement écrit que le propriétaire a fourni à la Commission (à la page GD3-25). Elles comprennent : a) le fait que la lettre porte la mention « avertissement verbal »; b) le fait qu’elle ne fasse référence à aucun des multiples avertissements verbaux soi-disant donnés à l’appelant pour des agissements semblables; c) le fait que la lettre n’indique pas les conséquences d’autres gestes semblables, comme des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement, par exemple.

[59] Je ne vois aucune raison crédible de conclure à une inconduite dans la cessation d’emploi de l’appelant chez X.

[60] Il revient à la Commission de prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 26.

[61] Selon la loi, une inconduite, avec les graves conséquences qui en découlent, peut seulement être établie en fonction d’une preuve claire de la conduite elle-même et pas seulement en se fondant sur des hypothèses et des suppositions. Il revient à la Commission de prouver l’existence de tels éléments de preuve indépendamment de l’opinion de l’employeurNote de bas de page 27.

[62] Elle ne l’a pas fait.

[63] J’ai exposé mes préoccupations au sujet de la crédibilité du propriétaire aux questions en litige no 1 et no 2 ci-dessus. À mon avis, il y a un manque flagrant d’éléments de preuve clairs à l’appui des allégations de conduite inappropriée qui ont été formulées à l’encontre de l’appelant.

[64] Selon la loi, ce n’est pas l’excuse utilisée par un employeur pour congédier une partie prestataire, mais la véritable raison du congédiement qui est pertinente pour conclure à une inconduiteNote de bas de page 28.

[65] Comme je l’ai mentionné plus haut, j’ai de sérieux doutes quant à savoir si l’appelant a effectivement été congédié parce qu’il refusait de respecter l’horaire de travail et était insubordonné. Je juge qu’il est plus probable que le propriétaire décidé personnellement qu’il ne souhaitait plus que l’appelant travaille chez X. Le superviseur de terrain a tenté de dire à l’appelant qu’il était mis à pied, mais tous deux savaient ce qui se passait vraiment.

[66] Mon rôle n’est pas de décider si les démarches entreprises par l’employeur étaient légales ou appropriées.

[67] Je dois vérifier si la conduite qui était la véritable cause de la cessation de l’emploi de l’appelant constituait une « inconduite » aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi. Je dois également le faire tout en ignorant l’évaluation subjective de l’employeur quant à savoir s’il y a eu une conduite qui justifiait un congédiement dans les circonstancesNote de bas de page 29.

[68] Cela signifie que la Commission doit prouver que la cessation de l’emploi de l’appelant était attribuable à une inconduite, non pas selon la définition de l’employeur, mais selon la façon dont le terme est pris en compte aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi.

[69] Elle ne l’a pas fait.

[70] J’ai conclu que l’appelant a perdu son emploi parce que le propriétaire a décidé personnellement qu’il ne souhaitait plus l’employer. Le propriétaire a donné suite à cette décision le 29 avril 2022, après une brève période au cours de laquelle une série d’avertissements verbaux ont rapidement été donnés à l’appelant, puis un avertissement écrit, puis on a immédiatement mis fin à son emploi le lendemain même.

[71] Il n’y a aucune preuve crédible qui indique de façon concluante un comportement délibéré ou insouciant de la part de l’appelant, dont il savait ou aurait dû savoir qu’il aurait pu entraîner son congédiement. À mon avis, la preuve montre le contraire : sa cessation d’emploi était attribuable à des facteurs qui étaient indépendants de sa volonté.

[72] Voilà pourquoi j’estime que la preuve sur laquelle la Commission s’est fondée ne suffit pas à prouver l’inconduite dans la présente affaire.

Conclusion

[73] L’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi chez X.

[74] La Commission n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[75] Par conséquent, l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[76] L’appel est accueilli.

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