Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1442

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (499979) datée du 24 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 8 décembre 2022
Personnes présentes à l’audience : A. M.
Appelant
R. S.
Témoin
Date de la décision : Le 12 décembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-3116

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire a travaillé comme barman pendant près de 12 ans et il a perdu son emploi. Son employeur a déclaré qu’il avait été congédié parce qu’il s’était livré à du harcèlement sexuel en milieu de travail.

[4] Le prestataire ne conteste pas qu’il s’agit de la raison pour laquelle il a perdu son emploi. Il affirme qu’il n’y a pas eu de harcèlement sexuel parce qu’il entretenait une relation avec la personne et qu’il s’agissait de la culture acceptée au travail. Le prestataire affirme également qu’il n’y a pas eu inconduite, car il n’avait aucun moyen raisonnable de savoir qu’il pouvait perdre son emploi puisqu’il s’agissait d’un comportement accepté au travail.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle a donc décidé que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

Le prestataire a demandé de devancer la date d’audience

[6] L’audience du prestataire a été prévue et il a demandé qu’elle ait lieu à une date plus rapprochée. On a accédé à la requête du prestataire et une audience a été prévue à une date plus rapprochée.

Question en litige

[7] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] Pour décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[9] Je conclus que le prestataire a perdu son emploi parce que, selon l’employeur, il n’avait pas respecté la politique sur le harcèlement sexuel au travail. Le prestataire ne conteste pas le fait qu’il a touché le derrière d’une collègue (la plaignante). Je ne vois aucune preuve du contraire. Le litige du prestataire porte sur la question de savoir si la perte de son emploi est attribuable à une inconduite. Le prestataire affirme que la culture au travail en était une où les personnes employées s’enlaçaient, s’embrassaient et se touchaient régulièrement. Le prestataire conteste que ce soit une inconduite, car c’est la culture qui existait pendant toute la période au cours de laquelle il a travaillé à cet endroit.

[10] J’estime qu’il y avait une culture acceptée de contacts physiques au travail qui relevait de la politique de l’entreprise sur le harcèlement sexuel, à savoir : s’enlacer, s’embrasser et se tapoter le derrière. La politique sur le harcèlement sexuel prévoit ce qui suitNote de bas page 2 :

[traduction]

le harcèlement sexuel comprend les avances sexuelles non désirées, les demandes de faveurs sexuelles ou tout autre exhibition, propos ou acte de nature sexuelle lorsque. . .

c) le harcèlement a pour but ou pour effet d’entraver de façon déraisonnable le rendement au travail de la personne employée ou de créer un environnement intimidant, hostile ou offensant pour la personne.

Plus loin, la politique donne des exemples et dit :

[traduction]

Voici des exemples de comportements qui constitueraient du harcèlement sexuel :…

3. Contact physique — contact physique non sollicité, y compris toucher une personne, entraver ses mouvements normaux au travail ou l’agresser.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[11] Selon la loi, la raison du congédiement du prestataire n’est pas une inconduite.

[12] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 3. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 4. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas page 5.

[13] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas page 6.

[14] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 7.

[15] Le prestataire travaillait pour l’employeur depuis près de 12 ans. Il ne se souvient pas d’avoir signé une politique sur le harcèlementNote de bas page 8. Même s’il l’a fait, le prestataire affirme que selon la culture au travail, de nombreuses personnes s’enlaçaient, s’embrassaient et se tapotaient régulièrement le derrière.

[16] Le prestataire affirme qu’il avait des relations sexuelles avec la plaignante à l’occasion. Il dit que cela a duré pendant toute la période au cours de laquelle il a travaillé pour l’employeur. Le prestataire a déposé des messages textes et une vidéo pour démontrer leur relation intimeNote de bas page 9. Rien ne prouve le contraire. J’accepte le témoignage du prestataire selon lequel il entretenait une relation intime avec la plaignante.

[17] Le 7 janvier 2022, le prestataire affirme que la plaignante et lui travaillaient le quart de soir. Le prestataire faisait le service au bar et la plaignante s’occupait du service aux chambres. Le prestataire affirme que rapporter les boissons à la zone de service aux chambres ne fait pas partie de son travail, mais il le fait quand même pour faciliter la tâche des autres membres du personnel. Ce soir-là, d’après le prestataire, la plaignante était agitée et elle a élevé la voix devant les gens. Le prestataire affirme que la plaignante a dit quelque chose au sujet des boissons et qu’elle se demandait où elles étaient. Le prestataire dit qu’il a touché le derrière de la plaignante et qu’il lui a indiqué où se trouvaient les boissons. Le prestataire affirme qu’à la fin de la soirée, la plaignante l’a serré dans ses bras.

[18] Le prestataire affirme qu’il s’agit d’un comportement normal caractéristique à son travail. Il dit que les choses étaient ainsi tout le temps qu’il a passé à travailler à cet endroit. Le prestataire affirme que la plaignante s’est régulièrement comportée de la même façonNote de bas page 10. Il dit qu’il y avait régulièrement et fréquemment des baisers, des étreintes et des tapes au derrière. Il affirme que même la direction s’est comportée de cette façon. Le prestataire dit que le directeur du service des aliments et boissons agit ainsi et qu’il l’a vu adopter cette conduite avec la plaignante. Le prestataire affirme qu’il n’y a jamais eu d’avertissement lui ayant été adressé ou à qui que ce soit d’autre dont il avait eu connaissance.

[19] Le prestataire affirme qu’après qu’on l’ait informé que la plaignante avait déposé une plainte auprès de la direction, il leur a dit d’examiner les enregistrements vidéo des deux dernières semaines. Le prestataire affirme que son employeur aurait découvert la plaignante en train de l’embrasser.

[20] Le prestataire a travaillé avec la plaignante le 8 janvier 2022 et le 9 janvier 2022. Vers le 9 janvier 2022, le prestataire a pris connaissance de la plainte déposée contre lui.

[21] Le prestataire affirme que la plaignante ne lui a jamais dit pendant tout le temps où ils ont travaillé ensemble qu’elle ne voulait pas qu’il se comporte de cette façon. Le prestataire affirme que leur relation à l’extérieur du milieu de travail montre également qu’il ne s’agissait pas d’un comportement indésirable.

[22] Le prestataire affirme que la plainte a été tout un choc pour lui. Il dit qu’il y a eu une enquête et qu’il a été suspendu de ses fonctions. Le prestataire affirme qu’il n’a jamais contesté avoir touché la plaignante. Toutefois, il conteste le fait qu’on l’ait déjà averti à ce sujetNote de bas page 11.

[23] La Commission a conclu que le prestataire avait déjà été averti d’un incident semblable en mars 2021Note de bas page 12. Cependant, les conversations consignées avec la gestionnaire des ressources humaines n’en font pas étatNote de bas page 13. La gestionnaire des ressources humaines a dit à la Commission qu’il y avait eu un incident antérieur en mars 2021 au cours duquel une collègue s’était plainte à un gestionnaire et ce gestionnaire n’avait pas respecté le protocole, de sorte que les renseignements n’étaient jamais parvenus au service des ressources humaines. La Commission a demandé à l’employeur de lui fournir des pièces justificatives. Aucun renseignement n’a été fourniNote de bas page 14. Le prestataire affirme que la gestionnaire des ressources humaines ne travaillait pas pour l’employeur en mars 2021 et qu’elle n’avait donc pas d’information de première mainNote de bas page 15. Le prestataire nie s’être livré à des agissements de type harcèlement sexuel auparavant au sujet desquels il a reçu un avertissement.

[24] Le prestataire affirme que la seule fois où il a reçu un avertissement, il s’agissait de quelque chose qui n’a rien à voir avec cela. Il dit qu’alors qu’il n’était pas en service, il avait bu au barNote de bas page 16. Il affirme qu’il ne savait pas que c’était interdit. On lui a dit que c’était le cas et il a reçu un avertissement. Il affirme qu’il ne s’est plus jamais comporté de cette manière.

[25] Tout compte fait, je préfère l’explication du prestataire au sujet de l’avertissement. Je préfère son explication parce que la personne que la Commission a interrogée n’était pas employée là où il travaillait au moment de l’événement reproché. L’employeur n’a fourni aucun document pour prouver que le prestataire avait reçu un quelconque avertissement. De plus, le prestataire a témoigné sous serment à ce sujet.

[26] Le prestataire avait plusieurs témoins, mais avant de pouvoir témoigner, ces personnes ont dû partir pour se rendre au travail ou pour assister à d’autres rendez-vous. Le prestataire a fourni de nombreuses déclarations de soutien qui exprimaient le fait que son comportement était courant dans le milieu de travail et que personne n’avait été congédié pour cette raisonNote de bas page 17.

[27] Le témoin du prestataire, R. S., a également témoigné. R. S. travaille pour l’employeur depuis 23 ans. Il a travaillé au sein de l’entreprise pendant toute la période au cours de laquelle le prestataire a été employé là-bas. R. S. connaît bien le prestataire et la plaignante. R. S. a déclaré qu’il existe une culture qui consiste à s’enlacer, à s’embrasser et à s’amuser. R. S. a déclaré qu’il avait vu plusieurs fois la plaignante se livrer à ce type de comportement. R. S. a déclaré que la plaignante avait non seulement adopté ce type de comportement avec le prestataire, mais qu’il la voyait aussi fréquemment se comporter de la même façon avec d’autres.

[28] Pour prouver qu’il y a eu inconduite, la Commission doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire savait ou devait savoir qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour la conduite en question. Je suis d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, la Commission n’a pas établi que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait être congédié.

[29] Le prestataire n’a jamais nié avoir touché le derrière de la plaignante. J’accepte ce fait puisqu’il n’y a aucune preuve du contraire.

[30] Je conclus que le prestataire a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait une culture d’attouchements de caractère sexuel (étreintes, baisers, tapes au derrière) dans son milieu de travail. Je suis d’avis que le témoignage du prestataire et celui de son témoin confirment cette conclusion. Je juge également que les lettres d’appui de collègues de travail du prestataire le confirment. De plus, la Commission n’a pas d’information indiquant le contraire, à savoir qu’il ne s’agissait pas de la culture du milieu de travail du prestataire. Par conséquent, j’estime que l’employeur du prestataire a accepté ce type de comportement et qu’il a fait preuve de tolérance à cet égard.

[31] Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire ne pouvait pas savoir qu’en touchant le derrière de la plaignante, il contrevenait à la politique de son employeur. Je tire cette conclusion en me fondant sur le témoignage sous serment du prestataire ainsi que sur celui de son témoin et sur les documents à l’appui. J’estime que ce type de comportement était une culture acceptée à son travail. À mon avis, ce type de comportement n’était pas isolé. De plus, le fait que la plaignante et son superviseur aient adopté un comportement semblable aurait donné l’impression que la conduite était tolérée.

[32] J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire n’aurait pas pu raisonnablement comprendre que ce comportement banal mettrait son emploi en danger. Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas prouvé que le comportement du prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Alors, le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[33] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[34] La Commission n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[35] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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