Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : UB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1374

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale - Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : U. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (556108) datée du 24 novembre 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 14 juin 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Témoin de l’appelant
Date de la décision : Le 9 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-22-4006

Sur cette page

Décision

[1] U. B. est l’appelant. Je rejette son appel.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable pour toute la période de son retard à présenter sa demande de prestations d’assurance-emploi. Autrement dit, l’appelant n’a pas fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, la demande de l’appelant ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.Note de bas de page 1

Aperçu

[3] L’appelant a demandé des prestations d’assurance-emploi le 8 mars 2022. Il a demandé à la Commission de traiter sa demande comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 3 décembre 2017. C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande.

[4] La Commission affirme que l’appelant remplit les conditions requises à la date antérieure pour recevoir des prestations. Cependant, elle a refusé de commencer à lui verser des prestations le 3 décembre 2017, parce qu’il n’avait pas de motif valable pour toute la période de son retard à présenter sa demande. La Commission affirme que l’appelant n’a pas fait assez de démarches pour s’informer de son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi pendant le retard.

[5] L’appelant n’est pas d’accord avec la Commission. Il fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Question que je dois examiner en premier

Documents présentés en retard

[6] Dans l’intérêt de la justice, j’ai accepté tous les documents et observations reçus après l’audience du 14 juin 2023.Note de bas de page 2

[7] Au cours de l’audience, l’appelant a demandé la permission de présenter des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de son appel. Il a fait valoir qu’il éprouvait des symptômes liés à la COVID longue et qu’il n’avait donc pas pensé à présenter tous ses documents médicaux avant l’audience.

[8] Afin de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, j’ai donné à l’appelant la permission de présenter des documents supplémentaires, pourvu qu’ils soient déposés au plus tard le 5 juillet 2023.

[9] Le 25 juin 2023, le Tribunal a reçu un courriel de l’appelant, auquel étaient joints des documents médicaux supplémentaires. Dans ce courriel, l’appelant a présenté ses problèmes de santé, a évoqué le fait qu’il doit composer avec les méfaits de son frère, et a affirmé qu’il n’a [traduction] « rien à ajouter ».

[10] Les documents tardifs sont pertinents pour la question en litige. La Commission a reçu des copies de ces documents. Lors de l’audience, l’appelant a témoigné au sujet de ces documents et de ses problèmes de santé. De sorte que si la Commission avait assisté à l’audience, elle aurait eu l’occasion d’interroger l’appelant sur cet élément de preuve. Je conclus donc que cela ne causerait préjudice à aucune des parties si les documents tardifs étaient acceptés. Par conséquent, j’ai procédé à l’évaluation du bien-fondé du présent appel.

Question en litige

[11] La demande de prestations de l’appelant peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 3 décembre 2017?

Analyse

[12] Pour qu’une demande de prestations soit antidatée, la partie prestataire doit satisfaire aux deux exigences ci-dessousNote de bas de page 3.

[13] Elle avait un motif valable justifiant son retard durant toute la période du retard. Autrement dit, elle avait une explication acceptable selon la loi.

[14] Elle remplissait les conditions requises à la date antérieure (c’est-à-dire la date à laquelle elle veut que sa demande soit antidatée).

[15] Les principaux arguments dans la présente affaire portent sur la question de savoir si l’appelant avait un motif valable. C’est donc par cela que je vais commencer.

[16] Pour démontrer qu’il avait un motif valable, l’appelant doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables.Note de bas de page 4 Autrement dit, il doit démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente aurait agi dans une situation semblable.

[17] L’appelant doit démontrer qu’il a agi de cette façon pendant toute la période du retard.Note de bas de page 5 Cette période s’étend du jour où il veut que sa demande soit antidatée au jour où il a présenté sa demande. Par conséquent, la période de retard de l’appelant s’étend du 3 décembre 2017 au 18 février 2022.

[18] L’appelant doit aussi démontrer qu’il a vérifié assez rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposait.Note de bas de page 6 Cela signifie que l’appelant doit démontrer qu’il a essayé de s’informer de ses droits et responsabilités dès que possible et du mieux qu’il le pouvait. Si l’appelant n’a pas fait ces démarches, il doit démontrer qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui expliquent pourquoi il ne l’a pas fait.Note de bas de page 7

[19] L’appelant doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait un motif valable justifiant son retard.

La demande de prestations de l’appelant peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 3 décembre 2017?

[20] Non. Après avoir examiné attentivement la preuve dont je dispose, je conclus que l’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard. Dans le cas présent, la période du retard est de quatre ans et deux mois, soit du 3 décembre 2017 au 18 février 2022. Voici ce que j’ai examiné.

[21] Lors de l’audience, l’appelant a expliqué en détail qu’entre 2015 et septembre 2017, il a pris des périodes de congé de maladie et s’était absenté en raison d’une invalidité de courte durée. Il a subi quelques blessures en milieu de travail et il souffrait de stress et de dépression causés par l’épuisement des proches aidants. Il a dit qu’il s’occupait des soins de sa mère et qu’il avait des démêlés juridiques en Inde.Note de bas de page 8

[22] L’appelant a déclaré qu’il avait pris tous ses congés de vacances du 15 octobre 2017 au 2 décembre 2017; il s’agit de la période pendant laquelle il a accompagné en Inde sa mère qui était atteinte d’une maladie en phase terminale. Il a pris un congé sans solde du 3 décembre 2017 au mois de mars 2018, afin de continuer à s’occuper de sa mère en Inde.Note de bas de page 9 Il demande que sa demande soit antidatée au 3 décembre 2017 pour recevoir des prestations de compassion de l’assurance-emploi.

[23] L’appelant a dit être retourné au travail à temps plein dès son retour au Canada en mars 2018. Il a travaillé et pris soin de sa mère jusqu’à son décès le 9 décembre 2018. Il a continué à travailler jusqu’à la deuxième semaine de février 2019. À ce moment-là, il est allé en Inde pendant trois semaines pour assister aux derniers rites de sa mère. À son retour au Canada, au début de mars 2019, il a travaillé jusqu’à ce qu’il contracte la COVID-19 le 29 décembre 2019. Il est retourné au travail à temps plein le 5 mai 2020, jusqu’au 31 mai 2021, date à laquelle il est parti en congé d’invalidité de longue durée.

[24] L’appelant a présenté des documents médicaux qui montrent qu’il avait des problèmes de santé continus du 29 décembre 2019 à décembre 2021. Ces problèmes de santé comprennent la COVID-19, une chirurgie pour réparer la torsion testiculaire, une blessure à la cheville droite, une évaluation cognitive des symptômes liés à la COVID longue, une chirurgie à la cheville et le rétablissement de six mois après cette chirurgie, soit jusqu’en décembre 2021. Il a subi une chirurgie de pontage gastrique 13 mois plus tard, soit le 25 janvier 2023.

[25] L’appelant affirme avoir épuisé toutes ses ressources financières. Il n’était pas au courant des prestations de compassion avant que sa collègue lui suggère de présenter une demande en mars 2022. Il a présenté sa demande le 8 mars 2022.

[26] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas communiqué plus tôt avec la Commission ou Service Canada pour savoir s’il avait des prestations ou du soutien auquel il pourrait avoir droit, il a répondu qu’il n’avait jamais touché de prestations d’assurance-emploi auparavant, alors il ignorait l’existence des prestations de compassion. Il a fait valoir que depuis qu’il a contracté la COVID-19 le 29 décembre 2019, il éprouve des symptômes liés à la COVID longue, dont une dépression et un brouillard cérébral.

[27] La Commission affirme que l’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard de cinquante-deux mois. La Commission fait valoir que même si elle adopte une approche plus souple pour les prestations spéciales, l’appelant n’a pas envisagé de s’informer de son admissibilité aux prestations et n’a rien fait pour surmonter cet obstacle, même après le décès de sa mère.

[28] La Commission soutient qu’aucun obstacle réel n’a empêché l’appelant de déposer sa demande plus tôt. La Commission soutient que l’appelant n’a pas agi comme une « personne raisonnable » pour vérifier ses droits et ses obligations aux termes de la Loi. Plus précisément, il n’a communiqué avec aucun programme d’aide gouvernementale, ni avec son employeur. De plus, il n’a pas consulté le site Web de Service Canada ni appelé leur numéro de téléphone 1-800. Il habite à environ 23 minutes en voiture d’un bureau de Service Canada. Pourtant, il ne s’y est jamais arrêté pour s’informer de son admissibilité aux prestations au cours des cinquante-deux mois qui se sont écoulés depuis le 3 décembre 2017.

[29] J’admets que l’appelant a démontré qu’il avait un motif valable pendant deux périodes de retard, mais pas pendant toute la durée du retard. Premièrement, du 3 décembre 2017 au mois de mars 2019, l’appelant était atteint de ce qu’il a appelé l’épuisement des proches aidants et d’une dépression pendant qu’il soignait sa mère jusqu’à son décès le 9 décembre 2018. Ensuite, du 10 décembre 2018 jusqu’en mars 2019, il a éprouvé un stress émotionnel en prenant des dispositions funéraires au Canada. Il a aussi assisté aux derniers rites de sa mère en Inde.

[30] Deuxièmement, l’appelant a démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard au cours de la période qui s’étend du 29 décembre 2019 à décembre 2021. Au cours de cette période, il composait avec les effets de la COVID-19 et les symptômes liés à la COVID longue. Il a également subi deux chirurgies : une première pour réparer une torsion testiculaire et une deuxième pour sa cheville. Il éprouvait aussi beaucoup de stress en raison du rétablissement qu’exigeaient ces deux chirurgies. On a approuvé sa demande d’invalidité de longue durée. Son dernier jour payé par son employeur était le 31 mai 2021.

[31] Plus précisément, l’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable durant la période allant de mars 2019 au 29 décembre 2019. Il n’y a pas eu de circonstances extraordinaires au cours de ces périodes qui ont empêché l’appelant de s’informer de son admissibilité aux prestations, de communiquer avec la Commission, de faire des recherches en ligne ou de demander des prestations. L’appelant admet volontiers qu’il travaillait à temps plein pendant cette période. Il dit qu’il ignorait tout simplement l’existence des prestations de compassion.

[32] Je suis vraiment sensible à la situation de l’appelant. Toutefois, même si j’estime que ses arguments au sujet de ses problèmes de santé physique et mentale constituent des circonstances exceptionnelles qui ont entraîné son retard à présenter sa demande de prestations d’assurance-emploi, ces événements ne se sont pas produits en même temps ni pendant toute la période du retard. Ils ont eu lieu avant mars 2019 et après le 29 décembre 2019 (moment où il a contracté la COVID).

[33] Bien que l’appelant ait soutenu que les démêlés juridiques avec son frère lui ont causé du stress, j’estime qu’il ne s’agit pas d’une circonstance extraordinaire qui l’a empêché de chercher des renseignements ou de demander des prestations d’assurance-emploi. Même s’il a dû se présenter devant un tribunal en Inde et qu’on lui a peut-être demandé de communiquer avec son avocat pour faire un suivi, je n’accepte pas que cela explique ou justifie en soi son retard à présenter sa demande de prestations pendant toute la période du long retard. L’appelant travaillait alors au Canada à temps plein tout en gérant cette affaire.

[34] Après avoir examiné attentivement la preuve dont je dispose, je conclus que l’appelant n’a pas prouvé qu’il avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations pendant toute la période du retard. Il n’a pas démontré qu’il a vérifié assez rapidement ses droits. Même s’il dit qu’il ignorait l’existence des prestations de compassion, il n’y a pas eu de circonstances exceptionnelles qui l’ont empêché de communiquer avec la Commission ou Service Canada pour demander des renseignements ou de consulter en ligne les nouvelles prestations qui étaient offertes.

[35] Un motif valable justifiant un retard n’est pas la même chose qu’une raison valable ou une justification du retard. L’antidatation n’est pas un droit accordé aux prestataires. C’est plutôt un privilège pour lequel les prestataires doivent remplir les conditions requises. Selon la jurisprudence, c’est un privilège qui devrait s’appliquer de façon exceptionnelle. L’obligation de demander rapidement des prestations d’assurance-emploi est perçue comme étant très rigoureuse et stricteNote de bas de page 10. C’est pourquoi l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée avec prudence.

[36] Selon la loi, l’appelant doit prouver qu’il a vérifié assez rapidement ses droits. L’appelant n’a pas démontré qu’il a fait cela.

[37] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelant n’a pas démontré que sa situation était exceptionnelle pendant toute la période du retard. Le fait d’ignorer l’existence des prestations d’assurance-emploi ne constitue pas une circonstance exceptionnelle. Une partie prestataire doit prendre rapidement des démarches pour s’informer du programme d’assurance-emploi afin de démontrer qu’elle avait un motif valable.Note de bas de page 11 L’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations d’assurance-emploi.

[38] Je n’ai pas besoin de vérifier si l’appelant remplissait les conditions requises à la date antérieure pour recevoir des prestations. Si l’appelant n’a pas de motif valable, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

[39] Comme je l’ai déjà mentionné, je suis sensible à la situation de l’appelant. Cependant, je ne peux pas rendre ma décision en tenant compte de difficultés financières ou la modifier pour des raisons humanitaires. Ma décision est fondée sur les faits portés à ma connaissance et sur l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux faire aucune exception et je n’ai aucune latitude. Je ne peux pas interpréter ou réécrire la Loi d’une manière qui est contraire à son sens ordinaire, pas même par compassion.Note de bas de page 12

Conclusion

[40] L’appel est rejeté.

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