Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MN c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1386

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. N.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (548092) datée du 3 octobre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Barbara Hicks
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er août 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Personne de soutien de l’appelante
Date de la décision : Le 20 août 2023
Numéro de dossier : GE-22-3928

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelante.

[2] L’appelante a démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations. Autrement dit, elle a fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, la demande de l’appelante peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôtNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 4 mai 2022. Elle demande maintenant que sa demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 7 février 2022. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déjà rejeté cette demande.

[4] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable de ne pas demander des prestations plus tôt.

[5] La Commission affirme que l’appelante n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable pour avoir présenté sa demande de prestations en retard. Elle n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans sa situation.

[6] L’appelante n’est pas d’accord et affirme qu’il y avait plusieurs raisons pour lesquelles elle a présenté sa demande de prestations en retard. Elle était bouleversée après avoir perdu son emploi, elle n’était pas certaine si elle était admissible aux prestations, elle ne connaissait pas les échéances ou les procédures pour faire une demande, et elle a eu des problèmes logistiques lorsqu’elle a tenté de joindre son employeur ou une personne de Service Canada.

Questions préliminaires

Appels multiples

[7] Le présent appel est lié à un autre appel impliquant les mêmes parties, portant le numéro GD-22-3927, qui a été instruit le même jour. Une décision distincte sera rendue pour l’autre appel.

Personne de soutien

[8] Les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale permettent à une partie d’avoir une personne de soutien avec elle à l’audienceNote de bas de page 2. L’appelante a demandé que son amie, A. M., puisse l’aider pendant l’audience en organisant ses documents, en prenant des notes et en lui apportant un soutien émotionnel. J’ai accueilli la demande.

Conférence de cas

[9] Une conférence préparatoire a eu lieu le 26 avril 2023 pour discuter d’un certain nombre de questions, clarifier les questions en litige et examiner les critères juridiques qui s’appliqueront. L’appelante a précisé qu’elle avait des documents supplémentaires qu’elle aimerait déposer et je lui ai donné jusqu’au 17 mai 2023 pour le faire. L’appelante a également changé d’avis quant au mode d’audience qu’elle aimerait avoir. Elle a dit qu’elle voulait avoir une audience par téléconférence plutôt qu’en personne.

Question en litige

[10] La demande de prestations de l’appelante peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée le 7 février 2022? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande.

Analyse

[11] Pour qu’une demande de prestations soit antidatée, une personne doit prouver les deux choses suivantesNote de bas de page 3 :

  1. a) Elle avait un motif valable justifiant son retard pendant toute la période du retard. Autrement dit, elle avait une explication que la loi accepte.
  2. b) Elle remplissait les conditions requises à la date antérieure (c’est-à-dire, la date à laquelle elle souhaite que sa demande soit antidatée).

[12] Dans la présente affaire, les principaux arguments portent sur la question de savoir si l’appelante avait un motif valable. Je vais donc commencer par ce point.

[13] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, l’appelante doit prouver qu’elle a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 4. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a agi de façon raisonnable et prudente, comme n’importe quelle autre personne l’aurait fait dans une situation semblable.

[14] L’appelante doit démontrer qu’elle a agi de cette façon pendant toute la période du retardNote de bas de page 5. Cette période s’étend du jour où elle souhaite que sa demande soit antidatée au jour où elle a présenté sa demande. Par conséquent, pour l’appelante, la période de retard s’étend du 7 février 2022 au 4 mai 2022.

[15] L’appelante doit également démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et les obligations que lui impose la loiNote de bas de page 6. Cela signifie que l’appelante doit démontrer qu’elle a essayé de s’informer de ses droits et responsabilités dès que possible et du mieux qu’elle pouvait. Si l’appelante n’a pas fait ces démarches, elle doit démontrer qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui expliquent pourquoi elle ne l’a pas faitNote de bas de page 7.

[16] L’appelante doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait un motif valable justifiant son retard.

[17] L’appelante affirme qu’elle avait un motif valable justifiant son retard pour les raisons suivantes, qui faisaient partie de ses documents écrits et au sujet desquelles elle a témoigné à l’audience :

  • Lorsqu’elle a perdu son emploi pour la première fois, elle était très stressée et bouleversée. Elle ne pouvait pas dormir. Elle dit qu’elle avait l’impression d’avoir été [traduction] « jetée à la poubelle » et que le fait de perdre son emploi [traduction] « l’avait complètement démolie ». Elle n’arrivait pas à fonctionner ou à réfléchir normalement. Elle adorait son travail et était anéantie de le perdre. Elle dit avoir reçu de nombreux prix de son employeur au fil des années et que ses collègues lui avaient décerné le « Prix du choix du personnel » parce qu’ils l’aimaient tellement. Elle a vu son médecin en raison de la façon dont elle se sentait à ce moment-là et il lui a dit qu’elle devait se détendre et prendre congé pendant un certain temps. Le médecin n’a diagnostiqué aucun problème de santé et il ne lui a rien prescrit, mais elle explique qu’elle n’arrivait pas à fonctionner comme d’habitude et qu’elle ne pouvait pas s’occuper de faire une demande de prestations d’assurance-emploi à ce moment-là. Elle dit qu’elle essayait simplement de survivre, en parlant à des amis et à son chef spirituel pour obtenir du soutien. Elle espérait vraiment retourner au travail.
  • Elle n’a jamais reçu de documents de cessation d’emploi de son employeur, ce dont elle croyait avoir besoin avant de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi. Elle a téléphoné à plusieurs reprises aux ressources humaines, mais comme tout le monde travaillait à distance à ce moment-là, alors personne n’était là pour répondre au téléphone. Personne n’a répondu aux messages qu’elle avait laissés. Elle s’est également rendue en personne au service des ressources humaines à plusieurs reprises pour obtenir les documents de cessation d’emploi. Elle était très frustrée de découvrir plus tard qu’elle n’avait pas besoin de recevoir ces documents elle-même puisque son employeur les avait déjà envoyés électroniquement à Service Canada en février.
  • Elle admet qu’elle ne s’y connaît pas beaucoup en informatique. Elle n’a pas été capable de demander des prestations d’assurance-emploi en ligne. Elle s’est donc rendue à son bureau local de Service Canada à plusieurs reprises pour essayer de parler à quelqu’un. Le personnel du bureau de Service Canada était débordé. Elle a dû faire la queue à l’extérieur du bureau pendant de longues heures. Seules quelques personnes étaient autorisées à entrer à la fois. Elle ne se souvient pas des dates précises, mais dit qu’il faisait froid dehors. Elle dit qu’il était très frustrant d’attendre des heures dans l’espoir de parler à quelqu’un qui pourrait l’aider. La plupart du temps, elle n’arrivait jamais à l’intérieur du bâtiment.
  • Ses représentantes et représentants syndicaux lui ont donné des renseignements contradictoires. Parfois, ils lui disaient d’attendre, qu’il n’y avait pas lieu de se précipiter. À d’autres moments, ils ont dit qu’elle n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi et qu’elle ne devrait donc pas présenter de demande. Elle savait que certains de ses collègues avaient demandé des prestations d’assurance-emploi et qu’ils n’en avaient pas obtenu, alors cela semblait appuyer ce que le syndicat lui avait dit. Enfin, les représentantes et représentants syndicaux lui ont dit qu’elle et les autres récupéreraient leurs emplois. Cela ne s’est jamais produit et, avec du recul, elle pense que les membres de son syndicat lui ont simplement dit des choses pour qu’elle se sente mieux. Elle a dit qu’ils ne lui ont jamais vraiment fourni de conseils.
  • L’appelante est une personne âgée et une veuve. Avant d’arriver au Canada, elle vivait en Bosnie, alors l’anglais n’est pas sa langue maternelle. Elle a de la difficulté à remplir des formulaires du gouvernement et à faire des choses en ligne. Elle doit souvent demander de l’aide à ses amis pour accomplir ce genre de tâches.
  • Les bulletins d’information prêtaient à confusion. Il ne semblait pas y avoir d’information à laquelle elle pouvait faire confiance. Les politiciens semblaient dire des choses différentes.
  • La seule autre fois où l’appelante a reçu des prestations d’assurance-emploi remonte à de nombreuses années à la suite d’un accident de la route. Elle ne connaissait pas les politiques et les procédures actuelles pour faire une demande. Elle ne s’est pas rendu compte qu’il y avait une date limite précise pour demander des prestations d’assurance-emploi. Elle n’a jamais eu l’intention de manquer la date limite.
  • Une fois qu’elle se sentait mieux, elle a décidé de demander des prestations. Elle s’est de nouveau rendue au bureau de Service Canada et a fait la queue pendant des heures. Lorsqu’elle est finalement entrée, elle a appris que son employeur avait déjà soumis son relevé d’emploi par voie électronique et qu’elle n’avait pas à continuer d’essayer de l’obtenir elle-même. C’est à ce moment-là qu’elle a présenté sa demande de prestations.

[18] La Commission affirme que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant son retard parce qu’elle n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables.

[19] Comme je l’ai mentionné, si l’appelante n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables, elle doit démontrer qu’il y a des circonstances exceptionnelles qui expliquent pourquoi elle ne l’a pas fait.

[20] Je conclus que l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations. Il y a eu des circonstances exceptionnelles entre février et mai qui expliquent pourquoi elle a présenté sa demande en retard. Les circonstances exceptionnelles étaient les suivantes :

  • le stress émotionnel qu’elle a vécu après avoir perdu un emploi qu’elle aimait depuis longtemps;
  • son incapacité à parler à quiconque du service des ressources humaines de son employeur pour obtenir ses documents de cessation d’emploi;
  • son incapacité à rencontrer une représentante ou un représentant de Service Canada en personne, malgré ses nombreuses tentatives;
  • l’information contradictoire et incohérente qu’elle recevait de ses représentantes et représentants syndicaux et le manque d’information claire dans les médias sur cette question.

[21] Il est clair pour moi que l’appelante a fait de son mieux, mais qu’il y a eu des circonstances exceptionnelles en cours de route qui l’ont empêchée de présenter sa demande plus tôt.

[22] Au départ, elle devait faire face au stress émotionnel qui avait été entraîné par la perte de son emploi.

[23] Par la suite, elle a dû surmonter d’autres obstacles qui ont causé son retard, y compris des difficultés à obtenir ses documents de cessation d’emploi et des retards à parler à une personne de Service Canada en raison des longues files d’attente.

[24] Si l’appelante avait été plus à l’aise avec l’informatique, elle aurait peut-être pu présenter sa demande en ligne en temps opportun. L’histoire de l’appelante, qui dit ne pas se sentir à l’aise de faire des choses en ligne, est appuyée par la preuve selon laquelle elle faisait toujours des choses en personne au bureau local de Service Canada. Tous les documents de l’appelante qui ont été déposés dans le présent appel ont été remis en main propre au bureau de Service Canada.

[25] L’appelante a témoigné de façon authentique, parfois avec émotion. Je l’ai jugée crédible.

[26] Dans la présente affaire, le retard était relativement court, soit environ trois mois.

[27] Enfin, il semble que l’appelante remplissait les conditions requises à la date antérieure pour recevoir des prestations. Le relevé d’emploi indique un total de 1 827 heures d’emploi assurableNote de bas de page 8. La Commission a confirmé que l’appelante remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations à compter du 20 février 2022Note de bas de page 9. J’accepte cela comme un fait.

Conclusion

[28] L’appel est accueilli. L’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations pendant toute la période de retard. Par conséquent, sa demande peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

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