Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 1336

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance‑emploi

Décision

Appelante : J. B.
Intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (476162) datée du 30 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jillian Evans
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 19 octobre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 31 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-2272

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Décision

1. L’appel est rejeté.

2. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a commis un geste qui lui a fait perdre son emploi). C’est donc dire que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1

Aperçu 

3. L’appelante, J. B., est infirmière. Elle est une ancienne employée de l’Interior Health Authority de X. Avant d’être congédiée, elle avait travaillé pour cet employeur depuis l’obtention de son diplôme en sciences infirmières en 2016.

4. Son employeur affirme qu’elle a été suspendue et qu’elle a fini par être congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à l’une de ses politiques : l’appelante n’a pas fourni de confirmation qu’elle avait reçu les vaccins approuvés contre la COVID-19 dans les délais prescrits dans la Politique sur les exigences en matière d’immunisation contre la COVID-19(la « Politique ») de l’employeur.

5. L’appelante convient qu’elle a choisi de ne pas recevoir de vaccins contre la COVID-19 dans les délais prescrits par l’employeur. Elle convient également que son employeur l’a congédiée pour cette raison.

6. La Commission a décidé que, comme J. B. a été congédiée pour avoir enfreint l’une des politiques de son employeur, elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a rejeté sa demande de prestations d’assurance-emploi pour ce motif.

7. L’appelante affirme qu’elle a toujours été une employée dévouée et modèle. Elle se décrit comme une infirmière compatissante et empathique qui a travaillé extrêmement fort pour prendre soin de ses patients pendant la pandémie. Elle dit n’avoir jamais eu de comportement dangereux, non professionnel ou négligent en tant qu’infirmière. Elle ne croit pas que sa décision de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 répond à la définition d’inconduite.

8. Mon travail consiste à décider si les actions et les comportements de l’appelante satisfont effectivement à la définition d’inconduite en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

Question en litige : L’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite? 

Analyse

9. Pour répondre à la question de savoir si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois trancher deux éléments. D’abord, je dois établir pourquoi J. B. a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si la loi considère ce motif comme une inconduite. 

Pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi?

10. La Commission et l’appelante ne sont pas en désaccord au sujet des motifs pour lesquels l’appelante a perdu son emploi.

11. La Commission affirme que l’appelante a été congédiée pour non-conformité à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

12. L’appelante est d’accord avec cela. Dans son avis d’appel au Tribunal, l’appelante souligne qu’elle a été congédiée le 26 janvier 2022 [traduction] « en raison de ses croyances l’amenant à ne pas se faire vacciner »Note de bas de page 2.

13. Son témoignage à l’audience a fait écho à cette affirmation. Elle a déclaré avoir été informée le 26 janvier 2022 qu’elle était congédiée parce qu’elle n’avait pas fourni à son employeur la confirmation qu’elle avait reçu les vaccins contre la COVID-19 exigés par sa politique.

14. L’appelante a compris qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Rien ne prouve le contraire. Je conclus donc que l’appelante a perdu son emploi pour ce motif. 

Le motif du congédiement de l’appelante est-il une inconduite au sens de la loi? 

15. La décision de l’appelante de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur constitue une inconduite.

16. Bien que la Loi ne fournisse pas de définition exacte du mot inconduite, la jurisprudence (décisions des tribunaux judiciaires et administratifs) nous montre comment établir si les actions et les comportements d’un appelant constituent une inconduite au sens de la Loi.

17. Il incombe à la Commission de prouver que le refus de J. B. de se conformer à la politique de vaccination de son employeur correspond à ce sens juridique du mot.

18. En examinant les décisions des tribunaux, nous constatons une différence entre l’utilisation courante du mot « inconduite » et le sens juridique de ce mot dans le contexte de l’assurance-emploi. Le terme « inconduite » dans le contexte de l’assurance-emploi désigne la violation par l’employé d’une règle d’emploi. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait une intention coupable ou préjudiciable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que sa conduite soit une inconduite au sens de la loi.

19. L’appelante a fait part à l’audience de la chronologie suivante des événements, qui fournit un certain contexte pour sa position dans le cadre du présent appel :

  • Le 24 septembre 2021, l’employeur de l’hôpital a envoyé un courriel de masse à tout le personnel pour annoncer qu’il prévoyait qu’un décret provincial en matière de santé publique serait pris par la médecin hygiéniste en chef de X. Ce décret exigeait que tout le personnel de la santé soit entièrement vacciné comme condition d’emploi.
  • L’appelante a entrepris un congé pour raisons médicales le 28 septembre 2021. Il s’est poursuivi jusqu’au 22 décembre 2021. Pendant ce congé, on ne prévoyait pas non plus qu’elle ait des communications par courriel de son employeur ou qu’elle y réponde, et elle ne l’a pas fait.
  • Le 14 octobre 2021, la médecin hygiéniste en chef de X a pris un décretNote de bas de page 3 selon lequel tout le personnel de la santé communautaire devait être vacciné d’ici le 26 octobre 2021 comme condition d’emploi (le « décret en matière de S. P. »).
  • Elle a épuisé ses prestations de maladie en date du 5 décembre 2021. Elle est demeurée en congé – sans solde – jusqu’au 22 décembre 2021.
  • Le 23 décembre 2021, une fois son congé de maladie terminé, l’appelante a communiqué avec sa gestionnaire pour l’informer qu’elle était prête à reprendre le travail et pour demander d’être réinscrite à l’horaire à compter du 28 décembre 2021.
  • Au cours de cet appel téléphonique, l’appelante a été informée que le décret en matière de S. P. exigeait qu’elle soit vaccinée pour retourner au travail. Si elle ne l’était pas, elle serait mise en congé sans solde.
  • Au cours de cet appel, il n’a pas été mentionné que l’employeur avait sa propre politique. La gestionnaire n’a fait référence qu’au décret en matière de S. P. comme fondement de ces exigences.
  • Le 3 janvier 2022, l’appelante a écrit à la Dre Bonnie Henry, médecin hygiéniste en chef de X, pour demander une exemption pour motifs religieux au décret en matière de S. P.
  • On l’a informée le 4 janvier 2022 que sa demande d’exemption avait été refusée.
  • Le 11 janvier 2022, l’appelante, un représentant de son syndicat et son employeur se sont rencontrés. L’employeur a informé J. B. que, comme elle ne pouvait pas confirmer qu’elle avait reçu les vaccins nécessaires contre la COVID-19 :
    1. 1. Elle ne pouvait reprendre le travail.
    2. 2. Elle serait mise en congé sans solde pendant deux semaines.
    3. 3. Si elle ne confirmait pas qu’elle était vaccinée, elle serait probablement congédiée.
  • Au cours de cette réunion, il n’a nullement été fait mention de la politique de l’employeur. La gestionnaire n’a fait référence qu’au décret en matière de S. P. comme fondement de ces exigences.
  • Le 26 janvier 2022, elle a été congédiée. Elle a reçu une lettre de congédiement à cette date.

20. La Commission a reçu des renseignements divergents de l’employeur de l’appelante au sujet du moment du congédiement de J. B. :

  • L’employeur a informé la Commission que selon ses dossiers, l’appelante a été congédiée le 5 décembre 2021 parce qu’elle ne s’est pas conformée au décret en matière de S. P.
  • Il souligne que d’après le relevé d’emploi, le 5 décembre 2021 est le dernier jour pour lequel J. B. a été rémunérée.

21. À la lumière de mes conclusions ci-dessous, je n’ai pas à établir, en fait, à quel moment est survenu le dernier jour de travail de l’appelante. La question de savoir si elle a été congédiée le 5 décembre 2021 parce qu’elle ne s’est pas conformée aux exigences de vaccination énoncées dans le décret en matière de S. P.ou si elle a été congédiée le 26 janvier 2022 parce qu’elle ne s’est pas conformée aux exigences de vaccination énoncées dans le décret en matière de S. P. n’est pas pertinente dans la présente affaire.

22. Je dois seulement décider si, dans le contexte susmentionné, le défaut de l’appelante de se conformer aux exigences de vaccination énoncées dans le décret en matière de S. P. constitue une inconduite.

La décision de l’appelante de ne pas se conformer à la politique était délibérée, intentionnelle et voulue.

23. D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire de prouver qu’il y a eu supercherie ou désir de causer un préjudice à l’employeur.

24. L’appelante a soulevé de nombreuses objections à la conclusion de la Commission selon laquelle elle s’est livrée à une inconduite. Toutefois, elle ne conteste pas qu’elle a refusé consciemment et délibérément de recevoir les vaccins tout en sachant que son refus était contraire au décret en matière de S. P. que son employeur devait respecter.

25. Je conclus que sa décision de ne pas satisfaire aux exigences de l’employeur en matière de vaccination était délibérée.

L’appelante savait que le respect des exigences de l’employeur en matière de vaccination constituait un élément essentiel de son emploi.

26. La jurisprudence mentionne également que l’inconduite, dans le contexte de la Loi, désigne un comportement pouvant empêcher l’employé de s’acquitter de ses fonctions envers son employeur et que l’employé le savait. Cela signifie que la Commission a également le fardeau de prouver que l’appelante, par son comportement, a manqué à une partie importante et nécessaire de ses responsabilités professionnelles. La jurisprudence n’exige pas que la Commission démontre que le comportement est dangereux, criminel, trompeur ou contraire à l’éthique pour constituer une inconduite.

27. Dans cette situation, l’employeur était tenu par la loi de se conformer à un décret de la médecin hygiéniste de la province. Il a pris des mesures pour se conformer à ce décret, y compris l’instauration d’une politique à l’échelle de l’hôpital conforme au décret.

28. Selon le témoignage de l’appelante, au plus tard le 23 décembre 2021, elle a été informée qu’elle ne pouvait reprendre le travail à moins de fournir une preuve de vaccination à son employeur. On lui a dit que cette exigence avait été décrétée par la Dre Bonnie Henry, médecin hygiéniste de la province.

29. Je conclus que l’appelante savait que le défaut de se conformer au décret en matière de S. P. ne constituait pas une option pour l’employeur, car cela aurait été contraire à la Public Health Act.

30. Je conclus que le respect de la politique de l’employeur est devenu une partie nécessaire du travail de l’appelante. L’appelante savait que l’exigence de vaccination avait été imposée à son employeur en vertu de la loi.

L’appelante savait que ses gestes pouvaient entraîner son congédiement.

31. Enfin, la jurisprudence établit également que pour qu’un comportement soit une inconduite dans le contexte de la Loi, l’employé doit savoir que ses actes pourraient entraîner son congédiement.

32. Selon ce que l’appelante soutient, elle n’a jamais reçu de copie de la politique de l’employeur. En fait, elle a témoigné qu’elle a vu pour la première fois une copie de la politique de l’employeur lorsque la Commission l’a produite dans le cadre du présent processus d’appel.

33. Lors de chaque réunion ou discussion avec sa gestionnaire au sujet de la vaccination, elle a plutôt été informée que l’obligation de confirmer son statut vaccinal était conforme au décret en matière de S. P.

34. L’appelante soutient qu’il n’est précisé nulle part dans le décret en matière de S. P. que du personnel non vacciné serait – voire pourrait être – congédié pour défaut de se conformer. Elle a examiné le décret en matière de S. P. en ligne après avoir été informée par sa gestionnaire de l’exigence de vaccination. Il mentionne seulement que le personnel non vacciné n’était [traduction] « pas autorisé à travailler ».

35. Elle soutient également que le décret en matière de S. P. précise qu’il s’agissait d’une mesure temporaire. Elle ajoute qu’elle ne comprenait donc pas qu’une mesure permanente comme un congédiement était possible.

36. J’admets que l’appelante n’a jamais reçu la politique de l’employeur sur les exigences en matière d’immunisation contre la COVID-19 qui prévoyait expressément que [traduction] « des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement » constituaient une conséquence de la non-conformité.

37. J’admets également qu’elle avait compris que le seul document qu’elle devait respecter était le décret en matière de S. P.

38. Toutefois, à l’audience, J. B. a déclaré très franchement qu’au plus tard le 11 janvier 2022, elle savait que [traduction] « le congédiement était sur la table ». Bien qu’elle ne croyait pas que son employeur irait jusqu’à la congédier, elle a confirmé que lors de cette réunion, elle comprenait la « réalité » qu’elle pourrait bien être congédiée pour non-respect des exigences de vaccination du décret en matière de S. P.

39. Je conclus que la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que J. B. a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Au plus tard le 23 décembre 2021, elle savait qu’elle n’était pas autorisée à travailler à l’hôpital à moins de fournir une preuve de vaccination. Elle a compris que son employeur exigeait qu’elle fournisse une telle preuve.

40. De plus, il n’était pas clair au départ dans son esprit que le congédiement était possible. Elle a appris au plus tard le 11 janvier 2022 qu’elle pouvait être congédiée pour avoir refusé de fournir cette preuve à son employeur. Et elle a décidé de ne pas recevoir les vaccins nécessaires de toute façon.

Autres arguments

41. L’appelante a soulevé d’autres questions dans ses observations.

42. L’appelante affirme que la politique a violé son droit de prendre ses propres décisions au sujet de sa santé et de ce qui était le mieux pour son corps. Elle soutient que l’employeur a violé son droit au consentement éclairé.

43. Je ne suis pas d’accord. L’appelante était en mesure de décider si elle devait se faire vacciner ou non. Elle a pris la décision intentionnelle de ne pas le faire.

44. L’appelante affirme également que la politique de son employeur contrevenait à sa convention collective en adoptant des pratiques injustes et discriminatoires. Elle a également soulevé l’argument selon lequel la décision de l’employeur de la congédier portait atteinte à ses libertés en vertu de la Déclaration des droits.

45. La Cour fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si la politique de l’employeur était équitable ou si le congédiement d’un employé en vertu de cette politique était justifié ou raisonnableNote de bas de page 5. Le Tribunal ne peut pas non plus interpréter ou appliquer une convention collective. Le Tribunal doit se concentrer sur le comportement et les actions de l’appelante et non sur la conduite de l’employeurNote de bas de page 6.

46. La Cour fédérale a confirmé que la compétence du Tribunal se limite à « décider pourquoi le demandeur a été congédié de [son] emploi et si ce motif constituait une inconduite »Note de bas de page 7.

47. Les tribunaux judiciaires ont clairement affirmé que les prestataires disposent d’autres voies juridiques pour contester la légalité des gestes commis ou non par l’employeur. Par exemple, lorsqu’un membre du personnel visé par une convention collective croit que son employeur a contrevenu à celle-ci, il peut déposer un grief (ou demander à son syndicat de le faire) en vertu de la convention.

48. Je ne peux trancher que les questions qui sont prévues dans la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options au titre d’autres lois. Ces questions doivent être traitées par le tribunal judiciaire compétent ou par le Tribunal.

49. La Loi est un régime d’assurance. À l’instar des autres régimes d’assurance, les prestataires qui souhaitent toucher des prestations en vertu de ce régime doivent satisfaire aux conditions précisées de ce régimeNote de bas de page 8. Le rôle du Tribunal consiste à établir si l’appelante – la personne qui demande le paiement des prestations en vertu du régime d’assurance – a rempli les conditions requises. Elle doit respecter la loi et appliquer la LoiNote de bas de page 9.

Donc, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite? 

50. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, je suis d’avis que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Les gestes de l’appelante ont causé son congédiement. Elle a agi de façon voulue. Elle savait qu’elle risquait de perdre son emploi si elle refusait de se faire vacciner.

Conclusion

51. La Commission a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

52. C’est donc dire que l’appel est rejeté. Jillian Evans Membre de la division générale, section de l’assurance-emploi

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