Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1380

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : H. C.
Représentantes : Regini David
Jasmine Singh
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (530783) datée du 3 avril 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elyse Rosen
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 4 avril 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentantes de l’appelante
Date de la décision : Le 24 avril 2023
Numéro de dossier : GE-22-3805

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

[2] L’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite (comme ce terme est expliqué ci-après). Cela signifie que l’appelante est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi du 8 mars 2022 au 12 mai 2022 (la période de suspension)Note de bas de page 1.

[3] L’appelante a ensuite quitté volontairement son emploi. Elle n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’elle n’avait pas une raison acceptable selon la loi) au moment où elle l’a fait. Cela signifie qu’elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi après le 12 mai 2022.

Aperçu

[4] L’appelante travaillait au gouvernement du Canada (gouvernement).

[5] Le gouvernement a instauré une politique exigeant que tout le personnel soit vacciné et prouve son statut vaccinal avant une certaine date.

[6] L’appelante est autochtone. Elle a demandé une exemption de l’obligation de se faire vacciner pour des motifs religieux. Elle croit que la vaccination est interdite par le Créateur.

[7] Le gouvernement n’a pas accordé l’exemption qu’elle demandait. Il lui a donné jusqu’au 8 mars 2022 pour satisfaire aux exigences de la politique. On lui a dit que si elle ne se faisait pas vacciner et qu’elle n’avait pas prouvé son statut vaccinal, elle serait mise en congé sans solde (autrement dit, elle serait suspendue).

[8] L’appelante ne s’est pas fait vacciner. Elle a donc été suspendue à compter du 8 mars 2022. Elle a demandé des prestations d’assurance‑emploi.

[9] Après plusieurs semaines sans revenu et après avoir cherché en vain un autre emploi, elle a pris sa retraite pour recevoir sa pension. Elle dit qu’elle devait le faire pour pouvoir continuer à subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, qui vivent tous avec elle.

[10] La Commission affirme qu’elle ne peut pas lui verser de prestations d’assurance-emploi. Elle a décidé qu’elle avait été suspendue en raison de son inconduite, puis qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification.

[11] L’appelante soutient que le fait de ne pas suivre la politique en raison de ses croyances religieuses n’est pas une inconduite. Elle prétend qu’elle était une employée modèle. Elle affirme que sa demande d’exemption pour des motifs religieux était sincère. Elle croit que son employeur aurait dû l’accepter ou encore qu’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation en lui permettant de continuer à travailler de la maison.

[12] Elle affirme qu’elle a quitté son emploi seulement parce qu’elle n’avait pas d’autre choix. C’était la seule façon pour elle de pouvoir continuer à se nourrir et à se loger, ainsi que sa famille.

[13] Je dois décider si la Commission a prouvé que l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite. Je dois également décider si l’appelante a prouvé qu’elle n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

Question que je dois examiner en premier

Il n’y avait pas de décision de révision au dossier

[14] La compétence du Tribunal pour trancher un appel découle de la décision de révision de la CommissionNote de bas de page 2. Sans décision de révision, il ne peut y avoir d’appel devant le Tribunal.

[15] L’appelante a mentionné dans son avis d’appel qu’elle a été informée verbalement le 19 octobre 2022 que la Commission maintenait ses décisions initiales à la suite de sa demande de révision. Toutefois, il n’y avait aucune lettre de décision au dossier. De plus, il n’y avait pas de registre des appels confirmant qu’une décision avait été prise à l’égard de la demande de révision de l’appelante.

[16] Le Tribunal a demandé à la Commission de fournir une copie de la décision de révision ou d’expliquer pourquoi une lettre de décision n’avait pas été produite.

[17] La Commission a répondu qu’elle n’avait pas produit de lettre de décision. Elle a dit qu’il s’agissait d’une erreur, qu’elle corrigerait en demandant à l’agent de révision initial d’en produire une. Comme la Commission n’a pas confirmé qu’une décision avait été rendue, il n’était pas établi avec certitude si le Tribunal avait compétence pour trancher l’appel.

[18] Au moment de l’audience, le Tribunal n’avait pas encore reçu la lettre de décision. Donc, à l’ouverture de l’audience, j’ai dit à l’appelante que je n’avais peut-être pas compétence pour trancher son appel. J’ai quand même offert de poursuivre l’audience. J’ai dit à l’appelante que j’aurais besoin d’avoir la lettre de décision de la Commission et d’entendre son témoignage sur ce que la Commission lui avait dit pour pouvoir décider si j’avais compétence. L’appelante a accepté de procéder à l’audience.

[19] À l’audience, l’appelante a déclaré que l’agent de la Commission avait expliqué sa décision au sujet de sa demande de révision lors d’une conversation en date du 19 octobre 2022. Elle a déclaré que l’agent avait clairement indiqué que la Commission maintenait ses décisions initiales.

[20] Après l’audience, le Tribunal a reçu une lettre de décision datée du 3 avril 2023 confirmant que les décisions initiales de la Commission sur l’inconduite et le départ volontaire étaient maintenues.

[21] À la lumière de ces éléments de preuve, il ne fait aucun doute qu’une décision a été prise au sujet de la demande de révision de l’appelante. Je conclus donc que j’ai compétence pour trancher l’appel de l’appelante.

Questions en litige

[22] L’appelante a-t-elle été suspendue pour inconduite?

[23] L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi sans justification?

Analyse

[24] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi s’il est suspendu de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 3.

[25] Je dois décider si l’appelante a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Pour ce faire, je dois trancher deux éléments. D’abord, je dois déterminer le motif pour lequel l’appelante a été suspendue. Je dois ensuite décider si la Loi considère ce motif comme une inconduite.

[26] La loi prévoit également que vous êtes exclu du bénéfice des prestations si vous quittez volontairement votre emploi et que vous n’êtes pas fondé à le faireNote de bas de page 4.

[27] Pour répondre à la question de savoir si l’appelante a quitté volontairement son emploi sans justification, je dois trancher deux éléments. Premièrement, je dois décider si l’appelante a quitté volontairement son emploi. Ensuite, je dois décider si elle était fondée à le faire.

Pourquoi l’appelante a-t-elle été suspendue?

[28] Les parties conviennent que l’appelante a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique gouvernementale de vaccination. Je n’ai été saisie de rien qui indiquerait un autre motif de sa suspension. J’accepte donc cela comme un fait.

[29] Dans ses observations écrites, l’appelante semble laisser entendre que sa suspension était en fait un congé volontaire. Elle invoque une décision du Tribunal pour justifier son argumentNote de bas de page 5. Elle n’a pas approfondi cet argument pendant l’audience.

[30] Je ne suis pas liée par la décision qu’elle mentionne (autrement dit, je n’ai pas à la suivre) et je ne considère pas qu’elle s’applique dans la présente affaire. D’après la preuve, il est évident à mon avis que l’appelante n’avait d’autre choix que d’accepter une suspension dans cette affaire. En outre, contrairement à la prestataire dans l’affaire qu’elle mentionne, elle n’avait aucune assurance d’être rappelée et elle ne l’a pas été. Je conclus donc qu’elle n’a pas pris de congé volontairementNote de bas de page 6.

La décision de l’appelante de ne pas se conformer à la politique est-elle une inconduite?

[31] Je conclus que la décision de l’appelante de ne pas se conformer à la politique du gouvernement est une inconduite, au sens où ce terme est utilisé dans la Loi.

Qu’est-ce qu’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi?

[32] La Loi ne précise pas ce que signifie une inconduite. Mais la jurisprudence (décisions des tribunaux judiciaires et administratifs) explique comment décider si une personne a été congédiée ou suspendue en raison d’une inconduite. Elle énonce le critère juridique (c’est-à-dire les faits à examiner et les questions à poser) pour décider si leur conduite constitue une inconduite au sens de la Loi.

[33] D’après la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée (c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle)Note de bas de page 7. L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 8. Le membre du personnel n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 9.

[34] Il y a inconduite si les employés savaient ou auraient dû savoir que leur conduite pouvait entraver l’exécution de leurs obligations envers leur employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’ils soient congédiésNote de bas de page 10.

[35] Selon la jurisprudence, le non-respect voulu de la politique d’un employeur constitue une inconduite au sens de la loi si l’employé savait ou aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié ou suspendu en conséquenceNote de bas de page 11.

[36] Lorsque la Commission soutient qu’un prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite, elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la personne a été suspendue en raison de son inconduiteNote de bas de page 12.

La décision de l’appelante de ne pas se conformer à la politique constituait-elle une inconduite?

[37] Je conclus que la décision de l’appelante de ne pas respecter la politique est une inconduite. Elle a délibérément décidé de ne pas faire quelque chose que son employeur exigeait d’elle. Et elle savait que cette décision entraînerait sa suspension.

[38] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite dans cette affaire pour les raisons suivantes :

  • Le gouvernement a énoncé clairement qu’il s’attendait à ce que son personnel respecte sa politique de vaccination.
  • L’appelante connaissait la politique et comprenait ce que l’on exigeait d’elle.
  • Elle a demandé une exemption pour des motifs religieux, mais sa demande a été refusée.
  • Elle a eu plus de temps pour se conformer à la politique et a été avertie que si elle ne s’y conformait pas avant la date limite, elle serait suspendue.
  • Elle a délibérément choisi de ne pas se conformer à la politique, sachant quelle serait la conséquence.

[39] L’appelante reconnaît d’emblée qu’elle connaissait et comprenait la politique, qu’elle avait été informée qu’elle serait suspendue si elle ne s’y conformait pas et qu’elle avait pris la décision voulue de ne pas s’y conformer malgré les conséquences.

[40] Elle n’est toutefois pas d’accord pour dire que sa conduite constituait une inconduite.

[41] Voici sa position :

  • Compte tenu de son état de santé et de ses croyances religieuses, elle avait de bonnes raisons de refuser de se faire vacciner. Comme le gouvernement a refusé de l’exempter de l’application de la politique pour ces raisons, sa décision de ne pas se faire vacciner ne peut être considérée comme délibérée.
  • Le gouvernement a eu tort de refuser sa demande d’exemption et de la suspendre. Par l’entremise de son syndicat, elle a déposé deux griefs contestant la décision de refuser sa demande d’exemption et la décision subséquente de la suspendre.
  • La politique est déraisonnable, et le gouvernement lui-même n’a pas respecté bon nombre de ses modalités.
  • Le fait d’exiger que l’appelante soit vaccinée constituait un danger pour sa santé, car elle éprouve un certain nombre de problèmes de santé.
  • En la suspendant pour non-respect de la politique, le gouvernement n’a pas tenu compte de sa situation personnelle. Celle-ci se caractérise notamment par ses problèmes de santé, ses croyances religieuses, son statut de travail à domicile, par un traumatisme intergénérationnel et par sa position de vulnérabilité.
  • En raison de la décision du gouvernement de la suspendre, elle ne pouvait subvenir aux besoins de sa famille.
  • La Commission n’a pas tenu compte de tous les faits lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait été suspendue en raison d’une inconduite.

[42] Je n’ai pas le pouvoir de trancher bon nombre des questions soulevées par l’appelante.

[43] Le pouvoir du Tribunal de décider si la conduite d’un prestataire constitue une inconduite se limite à ce que dit la Loi et la jurisprudence qui l’explique.

[44] Les tribunaux ont bien établi que lorsque le Tribunal examine si le congédiement ou la suspension d’un prestataire découle de son inconduite, il ne peut examiner qu’une chose : si la conduite qui a mené au congédiement ou à la suspension était délibérée et si la personne savait ou aurait dû savoir qu’elle pourrait être congédiée ou suspendue en raison de cette conduite.

[45] La conduite de l’employeur ne constitue pas un élément dont le Tribunal peut tenir compte en vertu de la Loi lorsqu’il doit décider si un prestataire a été congédié ou suspendu en raison de son inconduiteNote de bas de page 13.

[46] Le Tribunal ne peut donc pas décider si l’employeur d’un prestataire aurait dû agir différemment, s’il a commis une erreur lorsqu’il l’a suspendu ou congédié, ou s’il aurait dû prendre des mesures d’adaptation (autrement dit, des arrangements raisonnables) pour luiNote de bas de page 14. Il appartient à d’autres instances (c’est-à-dire d’autres tribunaux ou organismes décisionnels) de décider si la conduite de l’employeur était fautive ou si les droits du prestataire en vertu d’autres lois, comme les lois relatives aux droits de la personne ou aux relations employeur-employé, ont été violés.

[47] La Cour fédérale a récemment confirmé les limites du pouvoir du Tribunal dans les affaires d’inconduite dans une affaire où le prestataire, M. Cecchetto, contestait la légitimité de la politique de vaccination de son employeurNote de bas de page 15.

[48] Dans son jugement, la Cour a expliqué que le Tribunal n’a pas le pouvoir de trancher bon nombre des questions juridiques et morales soulevées par M. Cecchetto au sujet de l’équité et de la validité de la politique de son employeur et de la décision qu’il a prise de le congédier. La Cour a confirmé que le Tribunal se limitait à décider pourquoi M. Cecchetto a été congédié de son emploi et si ce motif était une inconduite, car ce terme est utilisé dans la LoiNote de bas de page 16.

[49] Je dois respecter la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale quant à l’étendue de mes pouvoirsNote de bas de page 17. Je ne peux donc pas décider si le gouvernement a eu tort de refuser la demande d’exemption de l’appelante, de ne pas lui permettre de continuer à travailler de la maison non vaccinée, de ne pas tenir compte des répercussions que la vaccination pourrait avoir sur sa santé ou de la suspendre parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique.

[50] Comme je l’ai mentionné, d’autres instances pourraient être en mesure de décider de ces éléments et d’appliquer les solutions appropriéesNote de bas de page 18. Malheureusement, aussi frustrant que cela puisse être pour l’appelante, je ne peux pas. Je ne peux que décider si le gouvernement a imposé une exigence claire qu’il a communiqué à l’appelante, si elle ne s’est pas conformée volontairement à cette exigence et si elle a compris, ou aurait dû comprendre, que cela entraînerait sa suspension.

[51] Je conclus que la décision de l’appelante de ne pas se conformer aux attentes énoncées dans la politique était délibérée et qu’elle savait qu’elle serait suspendue en conséquence.

[52] Elle a déclaré ce qui suit à la Commission :

  • Elle comprenait la politique.
  • Elle savait ce que son employeur attendait d’elle.
  • Elle savait que le fait de ne pas faire ce qu’on attendait aurait pour conséquence une suspension.
  • Elle a tout de même pris la décision volontaire de ne pas se faire vacciner.

[53] Elle a confirmé ces faits lors de l’audience.

[54] L’appelante soutient que sa conduite n’était pas délibérée parce qu’elle n’avait d’autre choix que de refuser de se conformer à la politique pour des raisons de santé et en raison de ses croyances.

[55] En vertu de la Loi, l’absence de choix raisonnable n’est pas un facteur à prendre en considération lorsqu’un prestataire a perdu son emploi ou a été suspendu de son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 19.

[56] En outre, elle fait valoir qu’elle ne pensait pas que le gouvernement la suspendrait réellement. Elle se fonde sur les faits suivants pour étayer sa conviction qu’elle ne serait pas suspendue :

  • Elle était une employée modèle.
  • Elle travaillait de la maison depuis près de dix ans.
  • Son syndicat était en discussion avec le gouvernement au sujet de sa situation et tentait de lui faire changer d’avis au sujet de sa demande d’exemption.

[57] Je considère que c’est un vœu pieux. La politique énonce clairement les conséquences de la non-conformité. À la suite du refus de sa demande d’exemption, on lui a accordé plus de temps pour se conformer à la politique et on lui a dit qu’elle serait suspendue si elle ne le faisait pas avant la date limite. Elle dit avoir reçu une lettre à cet effet.

[58] Aucune preuve ne porte à croire que le gouvernement lui a donné une indication qu’il n’appliquerait pas la politique, qu’il réexaminerait sa demande d’exemption ou qu’il lui offrirait des mesures d’adaptation plutôt que de la suspendre.

[59] Dans les circonstances, j’estime qu’elle a cru de façon déraisonnable que le gouvernement ne ferait pas ce qu’il avait répété à maintes reprises, tant verbalement que par écrit, qu’il ferait. Si, comme elle le dit, elle ne savait pas qu’elle serait suspendue, d’après la preuve, je conclus qu’elle aurait certes dû le savoir.

[60] L’appelante soutient que la Commission n’a pas tenu compte de tous les faits lorsqu’elle a décidé qu’elle avait été suspendue en raison d’une inconduite. Cela importe peu. Il s’agit d’une audience de novo. Mon rôle consiste à examiner de nouveau l’affaire, y compris tous les nouveaux éléments de preuve que les parties choisissent de présenter. Je dois ensuite prendre ma propre décision quant à la façon dont la loi s’applique aux faits prouvés. Je n’ai pas à décider si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a pris sa décision.

[61] Si l’appelante estimait que des éléments de preuve supplémentaires étaient nécessaires pour trancher la question de son inconduite, c’était à elle de les présenter en appel.

[62] Dans tous les cas, la plupart des faits que, selon elle, la Commission n’a pas pris en compte n’ont aucune incidence sur la question de savoir si sa conduite constitue une inconduite au sens de la Loi. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte non plus des faits qui ne sont pas pertinents pour décider si l’appelante a volontairement négligé de respecter la politique et si elle savait ou aurait dû savoir que cela pouvait mener à sa suspension.

[63] Compte tenu, d’après la loi, de ce que je peux examiner pour décider s’il y a eu inconduite et compte tenu de la preuve, je conclus que la conduite de l’appelante répond à la définition d’inconduite en vertu de la Loi. Sa suspension a découlé de cette inconduite. Pour cette raison, elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de suspension.

[64] Je déciderai maintenant si elle est exclue du bénéfice des prestations à compter du 12 mai 2022 pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification.

L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi?

[65] J’admets que l’appelante a quitté volontairement son emploi. L’appelante affirme qu’elle a pris sa retraite le 12 mai 2022. La Commission est d’accord, et rien ne prouve le contraire.

L’appelante était-elle fondée à quitter volontairement son emploi?

[66] Je conclus que, compte tenu des circonstances dans lesquelles elle se trouvait, l’appelante était fondée à quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

Qu’est-ce qu’une justification en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi?

[67] Selon la loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 20. Le fait d’avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à prouver que l’appelante était fondée à le faire.

[68] La loi explique ce qu’elle entend par « est fondé à ». Elle mentionne que vous êtes fondé à quitter votre emploi si vous n’aviez pas d’autre solution raisonnable à ce moment-là.

[69] Pour décider si un prestataire était fondé à quitter son emploi, il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 21.

[70] Contrairement aux cas d’inconduite, la loi m’invite dans la présente affaire à examiner la conduite de l’employeur et à décider si l’appelante n’avait d’autre choix que de faire ce qu’elle a faitNote de bas de page 22.

[71] C’est à un prestataire de prouver qu’il avait une justification. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 23.

La situation de l’appelante établit-elle qu’elle avait une justification?

[72] J’ai tenu compte de toutes les circonstances qui existaient lorsque l’appelante a décidé de prendre sa retraite. Je conclus qu’elles établissent une justification pour sa décision.

[73] L’appelante a déclaré que sa suspension l’a mise dans une situation financière impossible. L’argent de la Sécurité de la vieillesse et du Régime de pensions du Canada qu’elle recevait après sa suspension constituait sa seule source de revenus. Cet argent était insuffisant pour qu’elle puisse couvrir ses frais de subsistance de base et ceux de sa famille. Elle soutient plusieurs membres de sa famille, qui vivent tous avec elle. Aucun d’entre eux n’est en mesure de travailler et de contribuer aux dépenses du ménage.

[74] Elle a essayé de chercher un autre travail. Après plusieurs semaines à tenter sans succès de trouver un autre emploi, elle a choisi de prendre sa retraite pour avoir accès à sa pension, payer ses factures et s’occuper de sa famille.

[75] L’appelante soutient que plusieurs des circonstances que je dois expressément prendre en compte en vertu de la loi lorsqu’il s’agit d’une justification ont contribué à sa décision de prendre sa retraite. Ce sont les suivantes :

[76] Compte tenu de la preuve au dossier, je ne peux conclure que l’une ou l’autre de ces circonstances particulières existait dans cette affaire.

i. Discrimination fondée sur la religion

[77] La LCDP protège contre la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs, y compris la religion.

[78] La notion de religion comprend généralement : Note de bas de page 28

  • un système spécifique de foi spirituelle et de culte
  • une croyance en un pouvoir divin, surhumain ou contrôlant
  • une croyance qui favorise un lien avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de la foi spirituelle.

[79] L’appelante a déclaré qu’elle suit un ensemble de croyances qui la relie à un pouvoir divin qu’elle appelle le Créateur. Elle a affirmé qu’elle est sincère dans ses croyances. Elle croit que le Créateur lui interdit de recevoir tout ce qui n’est pas sacré dans son corps. Elle a déposé un affidavit à cet effet lorsqu’elle a demandé une exemption en vertu de la politique.

[80] Elle dit qu’en raison de ses croyances, elle n’utilise pas de médicaments occidentaux conventionnels. Elle donne en exemple une situation dans laquelle un pneumologue avait trouvé des ganglions sur ses poumons. Elle a choisi de les traiter par l’entremise d’un guérisseur traditionnel plutôt que de prendre des médicaments occidentaux, parce que cette dernière option va à l’encontre de ses croyances religieuses.

[81] Elle dit avoir refusé de se faire vacciner parce qu’elle croit sincèrement que la vaccination va à l’encontre de ses croyances et de ce que le Créateur attend d’elle. En l’obligeant à se faire vacciner, son employeur la contraignait à renoncer à ses croyances afin de conserver son emploi et de continuer à être rémunérée. Elle soutient qu’il s’agit de discrimination. Selon elle, plutôt que de la suspendre parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner, le gouvernement aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation et lui permettre de travailler de la maison.

[82] La Commission soutient qu’elle n’a pas réussi à démontrer que sa religion dicte qu’elle ne peut pas être vaccinée. Je ne suis pas d’accord.

[83] Le témoignage de l’appelante au sujet de ses croyances religieuses était clair et crédible. Cela est conforme à ce qu’elle a inscrit dans l’affidavit qu’elle a fait sous serment au moment où elle a demandé une exemption en vertu de la politique. Cela concorde également avec les autres documents au dossier, y compris ceux à l’appui de sa demande de révision et de son avis d’appel.

[84] Compte tenu de la preuve, je suis convaincue que l’appelante croit vraiment que se faire vacciner entre en conflit avec son ensemble de croyances et avec ce qui constitue, selon elle, les directives du Créateur.

[85] Toutefois, cela ne me permet pas de conclure qu’il y a eu discrimination en vertu de la LCDP. Pour tirer une telle conclusion, je devrais être convaincue que la décision du gouvernement d’exiger que l’appelante soit vaccinée n’était pas une exigence professionnelle justifiée (en d’autres termes, une condition de travail nécessaire) et que l’appelante n’avait pas fait l’objet de mesures d’adaptation tant que celles-ci n’imposent pas une contrainte excessive (en d’autres termes, un niveau d’accommodement auquel il serait juste ou raisonnable de s’attendre)Note de bas de page 29.

[86] Le gouvernement n’était pas une partie à cette instance, n’était pas présent à l’audience et n’a pas eu l’occasion de présenter des témoignages. D’après la preuve dont je dispose, je sais que le gouvernement n’a pas accepté que l’appelante soit exemptée de l’application de la politique de vaccination.

[87] La politique de vaccination du gouvernement n’est pas en soi discriminatoire. Cela s’explique par le fait qu’elle était destinée, et jugée nécessaire, pour protéger la santé et la sécurité publiques. Sans bien comprendre pourquoi le gouvernement a pris les décisions qu’il a prises concernant l’application de la politique à l’appelante, je ne suis pas convaincue qu’il y ait eu de la discrimination dans cette affaire.

[88] Cela dit, je considère que la croyance religieuse sincère de l’appelante selon laquelle elle ne pourrait pas être vaccinée est une circonstance qui crée une justification dans la présente affaire, comme je l’expliquerai plus loin.

ii. Conditions de travail dangereuses pour la santé et la sécurité

[89] L’appelante a déclaré qu’elle éprouve de nombreux problèmes de santé différents. Elle est atteinte d’une maladie obstructive cardio-pulmonaire, de fibromyalgie, de problèmes auditifs, d’arthrite et du syndrome de Sjogren.

[90] Toutefois, elle n’a fourni aucune preuve que la vaccination constituerait un danger pour sa santé ou une autre contre-indication en raison de ses problèmes de santé.

[91] En l’absence d’éléments de preuve, je ne peux conclure que l’imposition d’une exigence de vaccination constituait un danger pour sa santé ou sa sécurité.

iii. La nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent

[92] L’appelante a déclaré qu’elle s’occupe de trois de ses enfants adultes, de deux petits-enfants et d’un arrière-petit-enfant, qui vivent tous avec elle. Selon elle, ils sont tous atteints de divers maux, dont des handicaps physiques et psychologiques et des problèmes de mobilité. Elle fait les courses et cuisine pour eux et les accompagne à des rendez-vous médicaux.

[93] Toutefois, cet article de la loi concerne les soins physiques prodigués à un enfant ou à un membre de la famille.

[94] L’appelante n’a pas pris sa retraite pour être présente physiquement à la maison pour s’occuper de sa famille. Elle était déjà à la maison pour s’occuper d’eux lorsqu’elle a pris sa décision de prendre sa retraite. Et avant même sa suspension, elle travaillait de la maison.

[95] L’appelante a expliqué qu’elle devait prendre sa retraite pour avoir accès à sa pension afin d’avoir les moyens de s’occuper de sa famille. Ce n’est pas une situation que cet article de la loi vise.

[96] Toutefois, j’estime néanmoins qu’il s’agit d’une circonstance pertinente à prendre en considération lorsque je décide si l’appelante était fondée à prendre sa retraite lorsqu’elle l’a fait. J’aborderai cette question plus en détail lorsque je déciderai si l’appelante n’avait d’autre solution raisonnable que de prendre sa retraite, ci-après.

iv. Modifications importantes des fonctions

[97] Cet article de la loi porte sur les changements apportés aux tâches et aux responsabilités d’un employé.

[98] Je conclus que l’adoption d’une politique visant à protéger la santé et la sécurité du personnel ne constitue pas un changement des tâches au sens du présent article de la loi.

L’appelante avait-elle une solution raisonnable autre que de prendre sa retraite lorsqu’elle l’a fait?

[99] Compte tenu des circonstances dans lesquelles elle se trouvait, je conclus que l’appelante n’avait d’autre solution raisonnable que de prendre sa retraite pour avoir accès à sa pension.

[100] L’appelante a déclaré que dès qu’elle a été suspendue, elle a commencé à chercher un autre emploi. Elle dit qu’elle cherchait du travail à distance. Cela s’explique par le fait que ses problèmes de santé exigeaient qu’elle travaille de la maison. En outre, elle n’était pas prête à se faire vacciner compte tenu de ses croyances religieuses. De plus, la plupart des employeurs exigeaient la vaccination s’il s’agissait d’un emploi en présentiel.

[101] Je suis convaincue, compte tenu de la preuve concernant son état de santé et du fait que le gouvernement lui avait offert une mesure d’adaptation lui permettant de travailler à domicile en raison de son état de santé, que seul le travail à distance aurait été convenable dans sa situation.

[102] La Commission affirme que l’appelante disposait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait. Plus précisément, elle mentionne que l’appelante aurait pu :

  • se conformer à la politique et reprendre son emploi
  • rester en congé en attendant l’issue de ses griefs.

[103] Je ne vois pas ces solutions de rechange raisonnables dans les circonstances.

[104] L’appelante a été placée dans la situation impossible de rester en congé et d’être incapable de nourrir sa famille et de garder un toit au-dessus de leur tête, ou de renoncer à ce que représentaient, d’après la preuve dont je dispose, des croyances religieuses sincères en se faisant vacciner.

[105] De toute évidence, prendre sa retraite constituait un dernier recours dans les circonstances dans lesquelles elle se trouvait.

[106] Elle a respecté les modalités de la politique en demandant une exemption. Elle a rempli l’affidavit requis. Elle a déclaré qu’elle avait expliqué ses croyances à ses supérieurs et qu’elle les avait suppliés de tenir compte des raisons pour lesquelles elle refusait de se faire vacciner.

[107] Elle a pris toutes les mesures à sa disposition pour contester le refus du gouvernement de sa demande d’exemption et sa décision de la suspendre. Elle a notamment demandé l’aide de son syndicat et déposé des griefs en vertu de sa convention collective.

[108] L’appelante affirme qu’elle a cherché du travail avec diligence depuis sa suspension, mais qu’elle n’a pas été en mesure de trouver un emploi. Je la crois, et je n’ai aucune preuve du contraire.

[109] À la lumière de la preuve, je conclus que l’appelante a prouvé qu’elle avait épuisé toutes les solutions de rechange raisonnables dans les circonstances. Elle était fondée à prendre sa retraite lorsqu’elle l’a fait. C’était la seule façon pour elle de rester fidèle à ses croyances religieuses sincères et de continuer à soutenir sa famille.

Conclusion

[110] Je conclus que l’appelante a été suspendue en raison de son inconduite. Pour cette raison, elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de suspension.

[111] Je conclus que l’appelante était fondée à prendre sa retraite le 12 mai 2022. Pour cette raison, elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations après le 12 mai 2022.

[112] Par conséquent, l’appel est accueilli en partie.

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