Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SN c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1427

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. N.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (516332) datée du
28 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Stuart O’Connell
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 7 avril 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 9 juin 2023
Numéro de dossier : GE-22-3600

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a perdu son emploi d’infirmier. Son employeur a déclaré que l’appelant avait été congédié pour les raisons suivantes :

  1. 1) il n’a pas consigné adéquatement les soins prodigués aux patientes et patients pendant une période de six jours (du 29 décembre 2021 au 3 janvier 2022);
  2. 2) il s’est présenté à une clinique (X) alors qu’on lui en avait expressément interdit l’accès en raison de sa non-conformité aux politiques concernant l’utilisation d’équipement de protection individuelle.

[4] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[5] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Preuve

La preuve de l’appelant

[6] À l’audience, l’appelant a témoigné sous serment, incluant les éléments ci-dessous.

Présence à la clinique

  • Son employeur lui a dit qu’il ne devait pas voir la clientèle de X, car il n’avait pas respecté les exigences relatives à l’équipement de protection individuelle. On ne lui a jamais dit qu’il ne pouvait pas se rendre à la clinique pour des raisons autres que de voir la clientèle.
  • Le personnel infirmier devait porter de l’équipement de protection individuelle pour s’occuper de la clientèle de la clinique. Il n’était cependant pas obligatoire de porter de l’équipement de protection individuelle lorsque les infirmières et infirmiers effectuaient des tâches qui n’impliquaient pas les patientes et les patients, comme du travail administratif à l’ordinateur de la clinique.
  • L’employeur l’envoyait à la clinique pour obtenir des fournitures au besoin. Et s’il n’y avait personne à la clinique pour voir une cliente ou un client, l’employeur lui téléphonait rapidement pour qu’il reçoive cette personne chez lui.
  • Lorsqu’il s’est rendu à la clinique, il l’a fait pour avoir accès à l’ordinateur qui s’y trouve, car le sien avait des problèmes et il voulait consulter une liste de clientes et de clients. Une personne du service des technologies de l’information de l’employeur lui avait conseillé de consulter l’information à la clinique. Pendant qu’il était là-bas, il ne s’est occupé d’aucun patient. Il a aussi rendu visite à un collègue.

Documentation des soins à la clientèle

  • Il y avait une pénurie de personnel infirmier dans son milieu de travail et certains clientes et clients ne recevaient pas les soins qu’ils méritaient.
  • Il travaillait souvent après la fin prévue de son quart de travail (parfois jusqu’à 2 h ou 3 h) pour prodiguer des soins à des clientes et clients malades.
  • Sa documentation des soins à la clientèle était parfois en retard, mais elle n’était pas inexistante.
  • Il a documenté les soins à la clientèle au cours de la période allant du 29 décembre 2021 au 3 janvier 2022 (ce qu’il a soumis à son superviseur au cours du mois de janvier).
  • L’employeur exploite un système de dossiers cliniques. L’appelant n’a pas saisi les renseignements sur les soins prodigués à la clientèle durant cette période de six jours dans le système de dossiers.

La preuve de la Commission

[7] La Commission a fourni les éléments de preuve ci-dessous, qu’elle a obtenus par l’entremise de l’employeur.

Présence à la clinique

  • Contrairement aux politiques de l’employeur, auxquelles il était assujetti, l’appelant n’avait pas utilisé d’équipement de protection individuelle approprié et n’avait pas suivi les modules de formation obligatoires sur la COVID-19.
  • Par conséquent, l’employeur a reçu un avis de son bailleur de fonds lui disant de relever l’appelant de ses fonctions de service à la clientèle de la clinique. Par la suite, la direction a informé l’appelant qu’il ne devait plus se présenter à X.
  • Le 10 mars 2022, malgré la directive de l’employeur de ne pas le faire, l’appelant s’est présenté à la cliniqueNote de bas de page 2.
  • L’appelant a nié avoir eu accès à l’équipement informatique de l’employeur lorsqu’il s’est rendu à la clinique et a déclaré s’être présenté là-bas dans le but de voir un ami et collègue.

Documentation des soins à la clientèle

[8] Les plaintes du bailleur de fonds de l’employeur ont donné lieu à une enquête interne dans laquelle on a conclu, entre autres, que l’appelant n’avait pas adéquatement documenté les soins prodigués à six patientes et patients du 29 décembre 2021 au 3 janvier 2022.

[9] L’appelant a admis qu’il n’a pas consigné les soins prodigués à ces patientes et patients dans le système de dossiers cliniques de l’employeur.

[10] L’employeur avait des politiques et des procédures internes en place concernant la documentation, y compris l’article 4.11.0, qui portait sur la documentation interprofessionnelle. L’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario établit des normes d’exercice pour la profession, et l’appelant devait également les respecter.

Analyse

[11] Pour décider si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois déterminer pour quelle raison l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[12] La Commission affirme que l’appelant n’avait pas utilisé d’équipement de protection individuelle approprié et que son employeur lui a ensuite interdit de se présenter à X. Malgré l’interdiction d’aller à la clinique, l’appelant s’y était néanmoins présenté. Cela constituait une inconduite et il s’agissait de l’une des raisons pour lesquelles l’employeur a mis fin à son emploi.

[13] L’appelant affirme qu’il avait seulement l’interdiction de voir la clientèle de la clinique. Cela est confirmé par son affirmation selon laquelle l’employeur lui a parfois demandé de s’y rendre pour se procurer des fournitures. De plus, l’employeur a dit à des patientes et à des patients de rendre visite à l’appelant chez lui.

[14] J’accepte l’affirmation de l’appelant selon laquelle on ne lui a pas dit qu’il ne pouvait pas se rendre à la clinique à toutes fins.

[15] L’avis du bailleur de fonds à l’employeur indiquait que l’appelant était [traduction] « relevé de ses fonctions de service à la clientèle de la cliniqueNote de bas de page 3 ». Il est probable que l’employeur ait communiqué cette affirmation à l’appelant, et non qu’il serait toujours interdit à celui-ci de se rendre à la clinique.

[16] Qu’il ait rendu visite à un collègue ou qu’il ait eu accès à l’ordinateur pour des raisons liées au travail, l’appelant n’a pas interagi avec la clientèle lorsqu’il s’est rendu à la clinique le 10 mars 2022. Il n’a donc pas enfreint la directive qui lui a été transmise par son employeur.

[17] Je conclus donc que l’appelant n’a pas commis l’acte reproché par la Commission, soit se présenter à X contrairement aux instructions de son employeur.

[18] Cependant, je suis d’avis que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il n’a pas consigné les renseignements sur la clientèle durant une période de six jours, contrairement aux exigences de son emploi. Cette omission était l’une des raisons de son congédiement, comme l’explique la lettre de cessation d’emploi datée du 1er avril 2022Note de bas de page 4.

[19] L’appelant admet qu’il était en retard dans la documentation des soins à la clientèle.

[20] Bien qu’il affirme avoir rempli certains documents au cours de la période de six jours, il a convenu à l’audience qu’il n’avait pas saisi cette information dans le système de dossiers cliniques de l’employeurNote de bas de page 5.

[21] L’enquête interne de l’employeur sur la question le confirme.

[22] Par conséquent, je conclus que l’appelant a commis l’omission alléguée par la Commission. Il n’a pas rempli les documents adéquats sur les soins à la clientèle pendant une période de six jours.

La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la loi?

[23] Selon la loi, la raison du congédiement de l’appelant est une inconduite.

[24] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 6. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 7. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 8.

[25] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 9.

[26] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 10.

[27] La Commission affirme que l’appelant n’a pas rempli les documents requis concernant les dossiers des patientes et patients, allant à l’encontre des politiques et procédures de l’employeur sur la documentation des soins aux patientes et patients, des politiques comme stipulées par les règlements provinciaux et fédéraux et des normes établies par l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’OntarioNote de bas de page 11. Le refus d’obéir ou de se conformer à ces normes constituait une inconduite, car l’appelant aurait dû savoir que ses gestes auraient pu entraîner la perte de son emploi.

[28] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu inconduite :

  • même s’il admet qu’il a accusé un retard, il dit avoir des preuves des documents qu’il a remplis du 29 décembre 2021 au 3 janvier 2022;
  • la Commission n’a pas produit la preuve de la documentation inadéquate des soins à la clientèle;
  • les retards à remplir les documents ont été causés par l’employeur (ou, du moins, ils l’ont été en partie), car il y avait une pénurie de personnel infirmier.

[29] Le système de santé de l’Ontario a subi d’énormes pressions au cours des dernières années en raison de l’épidémie de COVID-19. L’augmentation des besoins ces dernières années a été ressentie par bon nombre de travailleuses et travailleurs de la santé de l’Ontario.

[30] J’admets que l’appelant avait de bonnes intentions et qu’il a priorisé les besoins de santé immédiats des personnes dont il s’occupait, souvent en travaillant au-delà de ses heures de travail. Cependant, malgré ses motifs louables, l’appelant n’a pas respecté les politiques de son employeur en ce qui a trait à la documentation des soins aux patientes et patients, du moins pas du 29 décembre 2021 au 3 janvier 2022.

[31] Bien que la Commission n’ait fourni aucun document de politique de l’employeur, l’obligation de consigner adéquatement les renseignements sur les soins aux patientes et patients est une norme de l’industrie, comme en témoignent certaines des normes générales promulguées par l’organisme de réglementation du personnel infirmier de la province, le Collège des infirmières et infirmiers de l’Ontario, dont je prends noteNote de bas de page 12.

[32] La preuve montre qu’il y avait un système de dossiers cliniques en exploitation et que l’appelant n’a pas consigné les renseignements sur les soins aux patientes et patients durant la période de six jours (il nie cela) ou ne les a pas saisis dans le système de dossiers (il admet cela), même s’il fournissait des soins à la clientèle pendant cette période. L’une ou l’autre omission était suffisante pour aller à l’encontre des politiques et procédures de l’employeur régissant l’exercice clinique.

[33] Même si je comprends ce que ressent l’appelant, qui était surchargé de travail, une documentation adéquate des soins aux patientes et patients était une responsabilité fondamentale. Le fait de ne pas avoir saisi les renseignements sur les soins aux patientes et patients dans le système de dossiers internes de l’employeur a entraîné une documentation insuffisante des soins. De plus, bien s’il s’agissait d’une courte période, soit seulement six jours, cela contrevenait tout de même à une exigence de son emploi. L’appelant savait que son omission risquait de compromettre son emploi, surtout compte tenu de l’importance, sur le plan pratique, de la documentation complète et opportune de résultats en matière de santé des patientes et patients, des procédures internes de l’employeur pour le traitement des renseignements sur les soins aux patients (comme le système de dossiers) et des normes de l’industrie qui exigent la documentation de toutes les phases du processus de soins infirmiers, dont la préservation par tout le personnel était une attente de l’employeur.

[34] Le retard était délibéré, car il était attribuable au fait que l’appelant a priorisé certaines responsabilités de son emploi au détriment d’autres.

[35] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

Alors, l’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[36] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[37] La Commission a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[38] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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