Assurance-emploi (AE)

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Citation : SB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1909

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (559597) datée du 10 février 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Guillaume Brien
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 13 juin 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Témoin
Date de la décision : Le 4 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-717

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] Le prestataire n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il n’avait pas une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. Le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire a quitté son emploi le 20 août 2022 et a demandé des prestations d’assurance‑emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a examiné les raisons du prestataire pour quitter son emploi. Elle a conclu que ce dernier a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si le prestataire a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission affirme que le prestataire aurait pu consulter un médecin avant de quitter. Il aurait pu se trouver un autre emploi. Il aurait pu faire une plainte aux normes du travail. Il aurait pu prendre congé.

[6] Le prestataire n’est pas d’accord et affirme que la Commission n’a pas tenu compte de son état de santé physique et mentale, de son manque d’expérience et de qualifications, et de ses circonstances atténuantesNote de bas de page 1.

Question en litige

[7] Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire du prestataire. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur le fait que le prestataire a quitté volontairement son emploi

[9] J’accepte le fait que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

[10] Le prestataire reconnaît qu’il a quitté son emploi le 20 août 2022 en cessant de s’y présenter et en décidant de ne pas rappeler son employeur.

[11] Ce fait est donc tenu pour avéré.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi

[12] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

[13] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 2. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[14] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 3.

[15] Le prestataire est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas de page 4. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable. Pour prendre une décision, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand le prestataire a quitté son emploi.

Argument #1 : conditions de travail dangereuses pour la santé ou la sécurité

[16] En début d’audience, j’ai demandé au prestataire de m’expliquer ses motifs d’appel de la décision négative de révision de la Commission.

[17] En premier lieu, celui-ci m’explique qu’il n’est pas d’accord sur le fait que la Commission ait refusé sa demande de prestations, soi-disant parce qu’il n’a pas essayé de discuter avec le patron des problèmes de sécurité routière associés à son véhicule.

[18] Le prestataire m’explique qu’il avait deux patrons, F. le grand patron et son frère, P. Le prestataire m’a expliqué que F. n’était presque jamais là, et que c’était son frère qui s’occupait de régler les problèmes quotidiens. Le prestataire me dit avoir tenté de discuter de la situation avec P., et même lui avoir envoyé une lettre d’ultimatum pour régler les multiples problèmes mécaniques de son camion.

[19] Après avoir analysé le dossier et après avoir entendu le prestataire, les faits suivants ressortent du dossier :

  • Le prestataire a expliqué à la Commission, le 31 octobre 2022, que son camion de 40 pieds n’était pas sécuritaire. Il a dû demander à son employeur de le réparer à plusieurs reprises. Il dit qu’il a dû détacher sa remorque juste pour aller mettre de l’air dans ses pneus et il a même dû trouver un mécanicien une fois pour réparer les problèmes que l’employeur refusait de régler.Note de bas de page 5
  • Le dossier comporte le courriel d’ultimatum envoyé par le prestataire à son employeur. Ce courriel, daté du 14 juillet 2022, contient une liste de demandes de réparations devant être effectuées par l’employeur selon le prestataire. Le prestataire y inscrit que, pour sa propre sécurité, il ne fera plus de livraisons avec le véhicule si ces réparations de ne sont effectuées.Note de bas de page 6
  • Le 2 novembre 2022, l’employeur dit à la Commission qu’en effet, le camion a dû être réparé. L’employeur dit l’avoir réparé après avoir été mis au courant des réparations à effectuer, pendant la semaine qu’il n’avait pas beaucoup de travail.Note de bas de page 7
  • Le 16 novembre 2022, le prestataire confirme à la Commission que toutes les réparations avaient été faites comme demandé, sauf les pneus sur le camion. Il dit que les réparations aux lumières de soir avaient pris 3 semaines avant d’être faites. Il dit que toutes les lumières autour du camion ne fonctionnaient pas, sauf les clignotants.Note de bas de page 8
  • Lors d’une discussion avec la Commission durant la demande de révision, le prestataire dit que son patron trainait pour faire faire les réparations. Que c’est seulement après avoir envoyé la lettre d’ultimatum que l’employeur a décidé d’arranger son camion de livraison, mais qu’il n’avait pas tout arrangé les problèmes du camion avant que le prestataire ne quitte. Tout était dangereux et il n'était plus capable.Note de bas de page 9
  • Lors de l’audience, le prestataire m’a confirmé que tous les problèmes sur le camion avaient été réparés, sauf les problèmes de pneus et les lumières qui n’avaient jamais été réparées.

[20] À l’audience, j’ai demandé au prestataire s’il avait déjà tenté de communiquer avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST). Celui-ci me répond que non :

  • Il dit qu’il n’était pas au courant qu’il pouvait communiquer avec eux au sujet des conditions de travail dangereuses. Il n’est pas du genre à lâcher un emploi, il a fait ce qui lui semblait le plus juste.
  • Il me dit aussi que la loi édicte que si les véhicules ne sont pas aux normes, qu’ils ne doivent même pas sortir de la cour.

[21] Après avoir entendu le prestataire, je détermine qu’il aurait été raisonnable pour lui de communiquer avec la CNESST au sujet de ses conditions de travail. Le fait que le prestataire dise qu’il n’était pas au courant qu’il pouvait communiquer avec la CNESST ne change pas le fait que ceci était une solution raisonnable pour lui. Nul n’est censé ignorer la loi, et plaider l’ignorance de la loi n’est pas un motif juridique acceptable pour faire défaut de se renseigner.

Argument #2 : Problème de santé mentale

[22] En audience, le prestataire m’explique que son deuxième motif d’appel est que la Commission n’aurait pas pris en compte la protection de sa santé mentale. Il dit que les problèmes de sécurité discutés ci-dessus lui causaient trop de stress et d’émotions. Il dit qu’il a dû quitter son travail avant de faire une autre dépression.

[23] Je remarque tout d’abord que le prestataire a fait une demande de prestations régulières, et non pas une demande de prestations pour maladie.

[24] Deuxièmement, une analyse du dossier démontre que :

  • Le 31 octobre 2022, le prestataire a dit à la Commission qu’il n’avait pas consulté de médecin avant de quitter son travail.Note de bas de page 10 Il n’a donc pas déposé de billet médical au dossier.
  • Le 2 novembre 2022, l’employeur a déclaré à la Commission qu’il n’était pas au courant des problèmes de santé mentale du prestataire.Note de bas de page 11
  • Dans sa demande de révision à la Commission, le prestataire a écrit que la Commission n’a pas voulu reconnaitre ses antécédents en santé mentale (dépression). Note de bas de page 12
  • Durant la demande de révision, le prestataire a confirmé qu’il souffrait un peu de dépression, mais s’il continuait son emploi, il allait encore plus déprimer. Il fallait préserver sa santé. Mais en quittant il n’avait pas consulté de médecin. Il dit que ça fait un an qu’il ne prend plus de médication, mais qu’il doit encore faire attention à sa santé.Note de bas de page 13
  • · En audience, le prestataire m’a confirmé qu’il n’a jamais discuté des problèmes de santé mentale avec son employeur. Il dit qu’il venait alors de lâcher sa médication. Il dit provenir d’une famille avec un père dur, qui lui a appris qu’un homme ne dévoile pas ses faiblesses.

[25] À l’audience, j’ai demandé au prestataire de m’expliquer pourquoi il n’avait jamais consulté un médecin avant de quitter son travail. Celui-ci m’a expliqué que :

  • Il trouve injuste que la Commission n’ait pas confiance en lui. Il se connait. La Commission fait confiance à un papier du médecin mais pas à la parole d’un être humain.
  • C’était difficile d’avoir un rendez-vous chez le médecin, les délais étaient très longs.
  • Demandé pourquoi il ne s’était pas présenté à l’urgence, le prestataire me dit qu’il a un médecin de famille… qu’il était dans une situation où il devait régler le problème rapidement… il ne voulait pas aller à l’hôpital pour avoir un papier du médecin.
  • Le prestataire me dit que deux ou trois semaines avant l’audience, il a consulté un médecin. Il est sorti de là avec un billet médical de dépression. Il me dit qu’il ne savait même pas lui-même qu’il était en dépression.

[26] Après avoir entendu le prestataire, je détermine qu’une solution raisonnable pour lui aurait été de consulter un médecin afin d’obtenir un billet médical avant de quitter unilatéralement son emploi. Le prestataire n’est pas médecin et ne peut s’autodiagnostiquer validement. Le prestataire aurait pu aller à l’urgence si ses problèmes étaient urgents. Il m’a lui-même dit qu’il devait régler le problème rapidement. Avoir un médecin de famille n’est pas une entrave à aller à l’hôpital en cas d’urgence. Le fait que le prestataire ait obtenu un billet médical 2 ou 3 semaines avant l’audience, donc fin mai 2023, ne prouve pas que le prestataire était en dépression le 20 août 2022, 9 mois plus tôt, lorsqu’il a choisi de quitter volontairement son emploi et demander des prestations régulières d’assurance-emploi.

[27] Le 12 juin 2023, soit une journée avant son audience, le prestataire a soumis trois documents signés par son médecin de famille :   

  • Un premier billet médical, daté du 15 mars 2023, confirme que le prestataire est connu pour des douleurs chroniques et un trouble dépressif persistant. Ce dernier a été vu en septembre 2021 et ensuite en octobre 2022. Le médecin écrit qu’en écoutant sa description des symptômes en juin 2022 et juillet 2022, ‘il semble qu’il avait une phase dépressive. Cela aurait pu influencer fort probablement sa capacité à travailler.’Note de bas de page 14

    Je constate que le prestataire a consulté son médecin de famille presque 2 mois après avoir quitté son emploi. Le médecin n’a pas pu valider les symptômes du prestataire avant ni au moment de son départ. Le médecin emploie le conditionnel (‘il semble que’ et ‘aurait pu’) dans son billet médical.
  • Dans une lettre du 23 mai 2023, le même médecin de famille écrit : ‘je suis forcé d’admettre qu’il a possiblement présenté une rechute de symptômes dépressifs en juillet 2022.’Note de bas de page 15

    Encore une fois, cette lettre a été émise 9 mois après le départ volontaire du prestataire. L’emploi du conditionnel est toujours présent (‘possiblement’). Cette lettre ne saurait changer les faits au dossier.
  • Le prestataire a finalement soumis un Certificat médical du même médecin de famille, qui lui donne un diagnostic de trouble dépressif majeur et une incapacité totale, du 23 mai 2023 au 20 juin 2023.

    Cette lettre n’a rien à voir avec le présent dossier de départ volontaire du 20 août 2022. Cette lettre n’explique pas non plus pourquoi le prestataire ne pouvait pas consulter un médecin avant de quitter son emploi.

[28] Après avoir analysé les documents médicaux versés au dossier, je détermine que ceux-ci ne sauraient prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire était incapable de consulter un médecin avant de quitter son travail. Le prestataire a témoigné qu’il n’en était pas à son premier arrêt de travail pour dépression. Les billets médicaux mentionnés datent de plusieurs semaines après le départ volontaire, et les deux premiers utilisent le conditionnel pour décrire des symptômes possibles qui ne furent pas diagnostiqués par le médecin de famille au moment des faits. Si le prestataire était malade au moment du départ volontaire, il aurait dû demander des prestations de maladie.

[29] Je détermine donc qu’une solution raisonnable pour le prestataire aurait été de consulter un médecin afin d’obtenir un Certificat médical avant de quitter volontairement son emploi.

Argument #3 : méconnaissance de la loi

[30] Comme troisième et dernier motif d’appel, le prestataire m’explique n’avoir jamais abandonné de travail de sa vie. Il me dit qu’on ne lui a jamais donné de cours sûr comment lâcher un travail. Il dit qu’il a quitté son travail parce qu’il n’était plus capable.

[31] Comme discuté ci-haut, l’ignorance de la loi n’est pas un motif d’appel valable. Dans un dossier de départ volontaire, le prestataire doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que de quitter volontairement son emploi quand il l’a fait était la seule solution raisonnable. La loi s’applique à tous les prestataires de façon égale.

[32] Si le prestataire ne connaissait pas comment quitter son travail, il aurait été raisonnable pour lui d’appeler la Commission. Il aurait pu également appeler un avocat. L’obligation de se renseigner reposait sur ses épaules.

[33] Après avoir analysé le dossier en profondeur, je conclus qu’il existait plusieurs solutions raisonnables pour le prestataire au moment où il a décidé de quitter volontairement son emploi. Entre autres, il aurait pu contacter la CNESST. Il aurait pu consulter un médecin. Il aurait pu appeler la Commission ou appeler un avocat pour s’informer de ses droits.

Conclusion

[34] Je conclus que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations.

[35] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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