Assurance-emploi (AE)

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Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c BB, 2024 TSS 89

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Melanie Allen
Partie intimée : B. B.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 2 août 2023 (GE-22-4216)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 29 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-821

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimé (prestataire) travaille pour une entreprise de télécommunication. Il cesse de travailler du 6 juin 2021 au 19 février 2022, parce qu’il est congé parental. Pendant cette période, il reçoit des prestations du Régime québécois d’assurance parentale.

[3] Par la suite, le prestataire demande à recevoir des prestations d’assurance-emploi pour proche aidant, afin de soutenir sa mère. L’appelante (Commission) lui accorde 15 semaines de prestations d’assurance-emploi, soit du 20 février 2022 au 4 juin 2022.

[4] Le 5 juin 2022, le prestataire demande à recevoir des prestations de compassion pour être auprès de sa mère.

[5] La Commission refuse de lui verser des prestations de compassion parce qu’elle considère que le prestataire n’a pas accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pendant la période de référence, soit entre le 6 juin 2021 et le 4 juin 2022.

[6] Le prestataire demande à la Commission de réviser la décision. Il soutient que la période de prestations devrait commencer le 20 février 2022 qui correspond au début de sa période de prestations pour proche aidant et qu’il pouvait demander un autre type de prestations spéciales.

[7] Après avoir révisé la décision en date du 13 octobre 2022, la Commission lui accorde des prestations pour compassion. Il peut recevoir jusqu’à 26 semaines de prestations pour compassion à partir du 5 juin 2022 au taux de 595 $ par semaine.

[8] Le 12 décembre 2022, la Commission contacte le prestataire pour l’informer qu’elle doit infirmer sa décision puisqu’il s’agit d’une erreur de sa part. Le prestataire doit donc rembourser la totalité des prestations pour compassion. Le prestataire a porté en appel la décision en révision devant la division générale.

[9] La division générale a conclu que la Commission n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer sa propre décision de révision. Il n’y avait donc pas lieu de décider si le prestataire avait le droit de recevoir des prestations pour compassion.

[10] La permission d’en appeler a été accordée à la Commission. Elle soutient que la division générale a erré en droit.

[11] Je dois décider si la division générale a commis une erreur en concluant que la Commission n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer sa propre décision de révision.

[12] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[13] Est-ce que la division générale a commis une erreur en concluant que la Commission n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer sa propre décision de révision?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[14] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.Note de bas page 1

[15] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[16] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l'appel.

Est-ce que la division générale a commis une erreur en concluant que la Commission n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer sa propre décision de révision?

[17] La division générale a déterminé que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer sa propre décision de révision.

[18] La division générale a également déterminé que la Commission peut seulement procéder à un nouvel examen, selon l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), que si une erreur, qui n’est pas liée à la décision révisée, peut être décelée.

[19] Dans un cas d'application de l'article 52 de la Loi sur l’AE, un prestataire peut avoir agi et touché des prestations de bonne foi alors qu'on s'aperçoit par la suite qu'il ne rencontrait pas les critères de la Loi sur l’AE ou était inadmissible à recevoir ces prestations.

[20] Le législateur, dans l'intérêt public, a permis le réexamen de la demande de prestations. Mais par souci d'équité et de finalité, il a exigé que celui- ci s'effectue dans les trente-six (36) mois du moment où les prestations ont été payées ou sont devenues payables.

[21] La jurisprudence a établi que la seule restriction au pouvoir de réexamen de la Commission en vertu de l'article 52 de la Loi sur l'AE est le délai.Note de bas page 2 Par conséquent, la Commission peut réexaminer une demande en vertu de l’article 52, même s'il n'y a pas de faits nouveaux.

[22] En d'autres termes, la Commission peut retirer son approbation antérieure et exiger des prestataires qu'ils remboursent les prestations qui ont été versées en vertu de cette approbation.

[23] Le pouvoir conféré par l'art. 52 n'est pas limité au réexamen de décisions en tant que telles car il habilite la Commission à examiner de nouveau « toute demande » au sujet de laquelle des prestations ont été versées ou auraient dû l'être. Le réexamen d'une demande entraîne le réexamen du droit aux prestations.Note de bas page 3

[24] Je suis donc d’avis que la division générale a commis une erreur en droit en déterminant que la Commission ne pouvait retirer son approbation à la suite d’une décision en révision favorable au prestataire. Elle a également commis une erreur de droit en déterminant que la Commission peut seulement procéder à un nouvel examen, selon l’article 52, que si une erreur, qui n’est pas liée à la décision révisée est décelée.Note de bas page 4

[25] La division générale a également déterminé que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire puisqu’elle a simplement indiqué au prestataire qu’elle avait commis une erreur dans sa décision de révision. Elle n’a pas informé le prestataire de sa démarche ni des raisons pour lesquelles elle se serait trompée.

[26] Je suis d’avis que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[27] Le processus de réexamen prévu à l’article 52 de la LAE comporte quatre étapes qui doivent être achevées dans les délais prescrits par la loi : i) la Commission doit décider d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire de réexaminer; ii) prendre la nouvelle décision; iii) calculer le montant à recouvrer ou à payer; et iv) aviser le prestataire de la décision.

[28] La preuve démontre que la Commission a accordé au prestataire des prestations pour compassion à partir du 5 juin 2022. Elle a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer, a pris la nouvelle décision, a calculé le montant à payer et a avisé le prestataire de la décision, oralement et par écrit, le 12 décembre 2022. Un avis de dette lui a été expédié le 17 décembre 2022. La Commission a respecté le délai de 36 mois prévu par la loi.

[29] La division générale a également commis une erreur en ne se prononçant pas sur le refus par la Commission de prolonger la période de prestations du prestataire et de lui verser des prestations de compassion.

[30] Je suis donc justifié d’intervenir.

Remède

[31] Le dossier devant la division générale étant complet, je suis en mesures de rendre la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.

[32] La jurisprudence a établi que la seule restriction au pouvoir de réexamen de la Commission en vertu de l'article 52 de la Loi sur l'AE est le délai. Par conséquent, la Commission peut réexaminer une demande en vertu de l’article 52, même s'il n'y a pas de faits nouveaux.

[33] Le pouvoir conféré par l'art. 52 n'est pas limité au réexamen de décisions en tant que telles car il habilite la Commission à examiner de nouveau « toute demande » au sujet de laquelle des prestations ont été versées ou auraient dû l'être. Le réexamen d'une demande entraîne le réexamen du droit aux prestations.

[34] La Commission a accordé au prestataire des prestations pour compassion à partir du 5 juin 2022. Elle a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer, a pris la nouvelle décision, calculé le montant à payer et avisé le prestataire de la décision, oralement et par écrit, le 12 décembre 2022. Un avis de dette lui a été expédié le 17 décembre 2022. La Commission a donc respecté le délai de 36 mois prévu par la loi.

[35] Cependant, la décision d’examiner à nouveau une demande en vertu de l'article 52 est une décision discrétionnaire. Cela signifie que bien que la Commission ait le pouvoir de demander la vérification d’admissibilité ou de réexaminer une demande, elle n'a pas à le faire.

[36] La loi prévoit que les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés de manière judiciaire. Cela signifie que lorsque la Commission décide de reconsidérer une demande, elle ne peut agir de mauvaise foi ou dans un but ou motif illégitime, tenir compte d'un facteur non pertinent ou ignorer un facteur pertinent ou agir de manière discriminatoire.

[37] La Commission a élaboré une politique pour l'aider à exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer des décisions en vertu de l’article 52 de la Loi sur l'AE.

[38] La Commission affirme que la raison de la politique est « d'assurer une application uniforme et équitable de l'article 52 de la Loi sur l'AE et d'empêcher la création de dettes lorsque le prestataire a été payé en trop sans qu'il y ait eu faute de sa part ». La politique prévoit qu'une réclamation ne sera réexaminée que lorsque survient l’une des situations suivantes:

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.

[39] Il n’y a aucun doute que les prestations de compassion ont été versées au prestataire contrairement à la structure de la Loi sur l'AE.Note de bas page 5

[40] Je suis d’avis que la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire suivant l’article 52 de la Loi sur l’AE. La Commission a tenu compte de tous les renseignements pertinents pour examiner de nouveau la demande du prestataire. Aucun nouveau fait pertinent n'a été fourni à l'audience de la division générale que le prestataire n'ait déjà fourni à la Commission. Rien n'indique que la Commission ait considéré des informations non pertinentes ou ait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire. La Commission a également agi dans un but légitime en réexaminant le droit du prestataire aux prestations.

[41] Malgré la sympathie que j’éprouve pour le prestataire, la loi ne permet pas de prolonger la période de prestations, et n’accorde pas à la division générale, ni la division d’appel, le pouvoir d’accorder une prolongation de cette période, et ce, indépendamment des circonstances particulières entourant la situation d’un prestataire.Note de bas page 6

[42] Il y a lieu d’accueillir l’appel de la Commission.

Conclusion

[43] L’appel est accueilli. La Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire et la prolongation de la période de prestations et le versement des prestations de compassion n’était pas possible.

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