Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SM c  Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 718

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-
emploi du Canada (473647) datée du 20 mai 2022
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Lilian Klein
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 15 mars 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 18 mai 2023
Numéro de dossier : GE-22-2077

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Décision

[1] J’accueille l’appel du prestataire. La présente décision explique pourquoi.

[2] La question que je dois trancher porte sur la disponibilité du prestataire pour travailler. C’est la question que la Commission de l’assurance-emploi du Canada a réexaminée après avoir appris l’existence de sa maladie progressivement débilitante.

[3] Je juge que le prestataire était capable de travailler et disponible pour le faire, mais incapable de trouver un emploi convenable. En effet, un emploi n’est convenable que si l’état de santé et les capacités physiques d’une personne lui permettent de l’occuper.

Aperçu

[4] Le prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi le 29 septembre 2020. La Commission lui a versé 49 semaines de prestations régulières.

[5] Le prestataire a demandé des prestations de maladie de l’assurance-emploi un an plus tard, soit le 6 septembre 2021. Il a alors affirmé que sa capacité de travailler avait diminué depuis son diagnostic en mars 2021. Il a également demandé une pension du RPC, qui a été approuvée en octobre 2021.

[6] Le 22 novembre 2021, la Commission a téléphoné au prestataire pour s’informer de son diagnostic. Par la suite, elle est revenue en arrière et a converti ses prestations régulières en prestations de maladie parce qu’il n’aurait pas été capable de travailler. Le 5 mars 2022, elle a décidé qu’il pouvait recevoir 15 semaines de prestations de maladie du 3 janvier 2021 au 17 avril 2021. Elle a précisé qu’il devrait rembourser 10 000 $ en prestations régulières versées après cette date.

[7] Le 4 mars 2022, le prestataire a demandé qu’on révise la décision de remplacer ses prestations régulières par des prestations de maladie. La décision de révision est datée du 20 mai 2022. Il dit qu’il était capable de travailler à condition de pouvoir s’asseoir au lieu de se tenir debout. Il dit qu’il avait confondu les prestations régulières et les prestations de maladie.

[8] La Commission affirme maintenant que les prestations de maladie doivent commencer le 14 mars 2021 et qu’une inadmissibilité devrait être établie en date du 27 juin 2021. Elle dit que la question que je dois trancher porte sur les prestations de maladie.

Les questions que je dois examiner

[9] La question que je dois trancher porte-t-elle sur la disponibilité pour travailler ou sur les prestations de maladie?

[10] Le prestataire était-il capable de travailler et quand l’était-il?

[11] S’il était capable de travailler, a-t-il démontré qu’il était disponible pour travailler?

Analyse

Ma compétence

[12] J’ai la compétence de trancher une question seulement si la Commission l’a déjà réviséeNote de bas de page 1. Je dois donc voir ce qui se trouve dans la décision de révision pour établir la question en litige.

[13] Le prestataire affirme qu’il a demandé à la Commission de réviser sa décision de remplacer ses prestations régulières par des prestations de maladie parce que la Commission doutait de la disponibilité du prestataire. La décision de révision du 20 mai 2022 dit porter sur la « disponibilité pour travailler ».

[14] Cependant, dans ses observations pour le présent appel, la Commission affirme que sa décision de révision aurait dû dire qu’elle portait sur les « prestations de maladie ».

[15] Les parties contestent donc la question que je dois trancher.

[16] Pour les raisons suivantes, je juge qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la décision de révision me donne la compétence (le pouvoir) de trancher la question de la disponibilité :

  • La Commission n’a pas fourni sa décision initiale sur la disponibilité, mais elle a versé 49 semaines de prestations régulières. Elle doit donc avoir rendu une décision initiale sur la disponibilité.
  • La décision de la Commission de convertir rétroactivement les prestations régulières en prestations de maladie était fondée sur la disponibilité pour travailler. Elle a converti la demande, car elle doutait de la capacité du prestataire, ce qui fait partie du critère de disponibilité.
  • Le prestataire a expressément demandé que la Commission révise sa décision de convertir les prestations régulières en prestations de maladie. Sa demande ne mentionne pas le versement de prestations de maladie, comme le fait valoir la Commission.
  • La décision de révision est datée du 20 mai 2022. Elle porte sur une seule question : la disponibilité pour travailler. C’est la seule lettre de décision de révision au dossier.
  • Le dossier comprend une lettre de décision initiale datée du 5 mars 2022 sur les prestations de maladie, mais aucune lettre de décision de révision. Il n’y a aucun document indiquant que la Commission a communiqué verbalement au prestataire une décision de révision sur les prestations de maladie. Je peux seulement trancher une question qui a été révisée.
  • Dans ses observations, la Commission affirme qu’elle [traduction] « croit que la décision initiale [sur les prestations de maladie] devrait être modifiée » pour que ces prestations commencent le 14 mars 2021 au lieu du 3 janvier 2021. Elle a proposé une modification, ce qui n’est pas la même chose qu’une décision de révision. La Commission n’a pas assisté à l’audience. Ainsi, aucun autre élément n’appuie son argument voulant que j’examine la question des prestations de maladie.

[17] Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la Commission pour dire que la question dans le présent appel porte sur les prestations de maladie.

[18] Je conclus donc que j’ai seulement la compétence de trancher si le prestataire était disponible pour travailler du 3 janvier 2021 au 4 septembre 2021. C’est la question que je vais maintenant examiner.

Disponibilité pour travailler

[19] Selon la loi, une personne doit prouver qu’elle est capable de travailler et disponible pour le faire, mais incapable de trouver un emploi convenableNote de bas de page 2. Je vais d’abord examiner la capacité.

[20] Le prestataire déclare qu’il a appris en mars 2021 qu’il avait un problème de santé grave et dégénératif qui commençait à limiter sa mobilité. En septembre 2021, son problème de santé s’était aggravé. Il dit avoir alors demandé des prestations de maladie puisqu’il ne pouvait plus travailler régulièrement. Il fait valoir que c’est à ce moment-là qu’il a déclaré que sa capacité à travailler avait diminué depuis son diagnostic, à compter de mars 2021. Il dit que c’est pourquoi il a finalement demandé des prestations d’invalidité du RPC en septembre 2021.

[21] L’enquête de la Commission en novembre 2021 sur les prestations régulières qui avaient pris fin récemment a découlé des affirmations du prestataire sur son état de santé. Une « enquêteuse des services d’intégrité » lui a téléphoné. Il dit que l’appel provenait d’un numéro bloqué et qu’il croyait que c’était un coup montéNote de bas de page 3. Il a continué de douter de l’identité de son interlocutrice après le début des questions. Il dit que les comptes-rendus de leur conversation sont inexacts. Il avait des problèmes de mémoire à ce moment-là en raison des médicaments qu’il prenait.

[22] La Commission affirme que le prestataire n’était pas disponible pour travailler en février et en mars 2021 parce qu’il avait été hospitalisé. Cependant, il dit qu’en fait, il voulait dire qu’il était allé à l’hôpital pour des rendez-vous. Il nie avoir été hospitalisé.

[23] Le prestataire affirme qu’il n’a envoyé aucun document à l’appui à ce moment-là, car il ne savait pas s’il s’agissait d’une enquête réelle ou d’une arnaque. Il fait valoir qu’il n’a reçu aucune lettre de la Commission lui indiquant qu’elle convertissait ses prestations régulières en prestations de maladie. Il dit l’avoir découvert seulement lorsqu’il a reçu un avis de dette de 10 000 $ en mars 2022.

[24] J’ai fondé les conclusions ci-dessous sur la crédibilité du prestataire, qui a parlé de façon ouverte et directe de son état de santé et des limitations qui en découlent. Il était présent à l’audience en personne malgré les gros efforts qu’il a dû déployer et sa difficulté à marcher et à respirer. Sa voix était si faible que j’avais parfois de la difficulté à le comprendre.

[25] J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que l’agente de la Commission a eu des difficultés semblables au téléphone avec le prestataire le 22 novembre 2021. J’ai eu l’avantage de parler au prestataire en personne, ce qui est habituellement plus facile qu’au téléphone.

[26] Ce type d’obstacle à la communication pourrait expliquer pourquoi l’agente a conclu que le prestataire ne pouvait pas avoir été capable de travailler en raison de son diagnostic. Toutefois, il a soutenu tout au long de l’audience qu’il avait été disponible pour un « travail léger » qui tenait compte de ses limitations physiques. Selon les comptes-rendus de cet appel téléphonique, il y a eu peu de discussion sur ce qu’aurait été un travail convenable ou léger pour le prestataire.

[27] J’accorde également moins d’importance aux arguments de la Commission pour les raisons suivantes :

  • La Commission affirme que le prestataire a déclenché la conversion des prestations régulières en prestations de maladie. Le prestataire le nie et j’accepte ses propos. Je juge qu’il est plus probable qu’improbable qu’il n’a pas demandé quelque chose qui provoquerait un endettement, surtout au moment où il avait reçu un diagnostic accablant. J’admets qu’il a agi de bonne foi et qu’il a essayé de s’assurer que les renseignements dans ses documents étaient exacts.
  • Les comptes-rendus de la conversation avec la Commission laissent croire que la date de demande au RPC sur laquelle la Commission s’est peut-être fondée, du moins en partie, pour évaluer la capacité de travailler n’était pas la bonne (2020 plutôt que 2021). L’agente a cité les deux années. Le prestataire affirme avoir demandé des prestations du RPC en septembre 2021. La Commission affirme que cette demande a été approuvée en octobre 2021. Il est plus probable qu’improbable qu’en faisant remonter le début des limitations physiques à 2020, la Commission a établi de façon erronée le moment où le prestataire n’a plus été capable de travailler.
  • J’ai remarqué les déclarations contradictoires du prestataire pendant cette conversation téléphonique. Il conteste la façon dont la Commission les a documentées. La Commission ne m’a pas fourni l’enregistrement de l’appel, alors je ne peux pas vérifier si le résumé est exact. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il faut replacer les contradictions du prestataire dans le contexte de sa prise de médicaments et de sa confusion au sujet des questions. Par conséquent, je priorise son témoignage à l’audience en personne, qui a été cohérent et fourni sous serment.
  • L’agente de la Commission a suggéré qu’il faudrait communiquer avec la travailleuse sociale ou le travailleur social du prestataire. On peut donc penser que l’agente s’est rendu compte que la conversation déroutait le prestataire et qu’il avait de la difficulté à se souvenir des dates et des faits importants. La Commission n’a pas mentionné si elle avait parlé à la travailleuse sociale ou au travailleur social et, dans l’affirmative, ce qui en avait résulté.

[28] C’est en raison de ces irrégularités et omissions que j’ai accordé plus d’importance aux arguments du prestataire sur les questions qui suivent.

Le prestataire pouvait-il travailler à compter du 3 janvier 2021?

[29] Je juge qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire était capable de travailler à compter du 3 janvier 2021. La Commission n’a pas fourni ses déclarations de prestations, mais elle ne conteste pas le fait qu’il a déclaré sa capacité lorsqu’il a présenté ses déclarations toutes les deux semaines. Il doit avoir convaincu la Commission sur ce point, sinon elle ne lui aurait pas versé de prestations régulières.

[30] La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle a choisi de convertir les prestations à partir du 3 janvier 2021, alors qu’elle savait que le diagnostic du prestataire remontait seulement à mars 2021. Comme je l’ai déjà mentionné, cela donne à penser que la Commission a fait remonter sa difficulté de travailler à octobre 2020, même si le prestataire a répété souvent qu’il pouvait encore travailler.

[31] J’accepte le témoignage sous serment du prestataire selon lequel il était capable de travailler de janvier à mars 2021, qu’il a eu des rendez-vous à l’hôpital et qu’il n’a pas été hospitalisé. J’admets que ses médicaments l’ont peut-être empêché de se souvenir des dates exactes.

Le prestataire était-il capable de travailler du 5 mars 2021 à la fin de sa période de prestations?

[32] Je juge qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire était toujours capable de travailler après son diagnostic de mars 2021, s’il pouvait travailler assis au lieu de debout. J’accepte son témoignage selon lequel son état de santé ne l’a pas empêché de travailler en tenant compte des limitations physiques du 5 mars 2021 à la fin de sa période de prestations régulières en septembre 2021. La Commission a écarté cette possibilité, mais je l’admets.

[33] Maintenant que j’ai admis sa capacité de travailler, je vais appliquer le critère de disponibilité.

[34] J’utilise le critère ci-dessous parce que la Commission a déclaré le prestataire inadmissible aux prestations régulières au titre d’un article de loi précis qui porte sur la disponibilitéNote de bas de page 4. La Commission n’a présenté aucune observation sur la question de savoir si le prestataire a fait des démarches habituelles et raisonnables pour trouver du travail. Elle n’a donc pas démontré qu’elle a déclaré le prestataire inadmissible aux prestations régulières au titre de l’article de loi qui traite de ces démarchesNote de bas de page 5.

[35] Selon le critère de disponibilité, le prestataire devait prouver les trois choses suivantesNote de bas de page 6 :

  1. i. Il voulait retourner au travail aussitôt qu’un emploi convenable lui serait offert.
  2. ii. Il a fait assez de démarches pour trouver un emploi convenable.
  3. iii. Il n’a pas établi de conditions personnelles qui pourraient indûment limiter ses chances de retourner au travail.

[36] Lorsque j’examine chacun de ces éléments, je dois aussi examiner l’attitude et la conduite du prestataireNote de bas de page 7.

Vouloir retourner travailler

[37] J’accepte le témoignage sous serment du prestataire selon lequel il voulait retourner travailler aussitôt qu’un emploi convenable lui serait offert. J’ai déjà jugé que ce témoignage était crédible.

[38] Le prestataire travaillait auparavant. Le fait de vouloir continuer à travailler malgré ses limitations physiques témoigne d’une solide éthique de travail. J’ai accordé de l’importance à cet élément puisque la jurisprudence pertinente dit que l’attitude et la conduite sont importantes pour décider de la disponibilité.

Démarches pour trouver un emploi convenable

[39] J’estime que le prestataire a fait assez de démarches pour trouver un emploi convenable, car, pour lui, un emploi convenable excluait un emploi exigeant une position debout ou des déplacements.

[40] La Commission n’a pas démontré avoir examiné ce qu’était un travail convenable pour le prestataire. Elle semble avoir conclu qu’il n’était disponible pour aucun travail en raison de ses limitations physiques.

[41] La loi dit qu’un travail est convenable seulement si la santé et les capacités physiques du prestataire lui permettent de se rendre au lieu de travail et d’effectuer le travailNote de bas de page 8.

[42] Le prestataire dit qu’en mars 2021, il a dû commencer à limiter sa recherche à un emploi où il pouvait rester assis. Il dit qu’un emploi convenable pour lui comprenait un travail de bureau comme la saisie de données. Il avait déjà fait ce genre de travail. Dans son dernier emploi, il était préposé de vestiaire et devait se tenir debout souvent.

[43] Le prestataire soutient donc que ses démarches tenaient compte de ses limitations physiques. Il dit avoir fait appel à une agence de placement pour sa recherche d’emploi. Selon moi, le fait d’avoir oublié le nom de l’agence ne nuit pas à la fiabilité de son témoignage étant donné le temps écoulé depuis et la crédibilité générale du prestataire.

[44] J’estime que faire affaire avec une agence de placement qui comprenait ses limitations et pouvait le jumeler à des employeurs qui le soutiendraient était probablement la meilleure façon pour le prestataire de trouver un emploi convenable. Son recours à l’agence montre qu’il a cherché du travail malgré les restrictions sur le type d’emploi qu’il pouvait accepter.

[45] J’estime donc que le prestataire a fait assez de démarches pour trouver un emploi convenable pour lui. L’existence de limitations physiques n’empêche pas nécessairement une personne d’occuper tout emploi.

Limiter indûment ses chances de retourner travailler

[46] Le prestataire n’a pas établi de conditions personnelles sur les emplois qu’il accepterait, ce qui aurait limité indûment ses chances de travailler.

[47] L’existence de limitations physiques qui s’appliquent au type d’emploi qu’une personne peut exercer n’est pas une condition personnelle, pourvu que la personne n’établisse pas de restrictions supplémentaires qui l’empêchent d’être disponible pour tout travailNote de bas de page 9.

[48] Le prestataire avait des limitations physiques qui l’obligeaient à s’asseoir pour travailler. Il dit qu’il aurait pu exercer un travail qui en tenait compte. De plus, ces emplois existent habituellement. Il n’a donc pas limité indûment ses chances de retourner travailler en se concentrant uniquement sur les emplois qu’il pouvait occuper.

Le prestataire était-il donc capable de travailler et disponible pour le faire?

[49] Selon mes conclusions sur les trois éléments ci-dessus, j’estime que le prestataire a démontré qu’il était capable de travailler et disponible pour le faire, mais incapable de trouver un emploi convenable.

Conclusion

[50] Comme le prestataire a démontré qu’il était capable de travailler et disponible pour le faire du 3 janvier 2021 au 4 septembre 2021, il n’est pas inadmissible aux prestations régulières qui lui ont été versées pendant ces mois. Comme il n’a pas reçu de trop-payé, il n’a pas de dette à rembourser. C’est pourquoi j’accueille l’appel du prestataire.

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