Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 719

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : S. D.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance emploi du Canada (575260) datée du
27 février 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elyse Rosen
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 23 mai 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 24 mai 2023
Numéro de dossier : GE-23-900

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante a droit à des prestations parentales à compter du 29 janvier 2023.

Aperçu

[3] La belle‑fille de l’appelante n’était pas en mesure de s’occuper de ses enfants en raison de problèmes de toxicomanie et de santé mentale. La Société de l’aide à l’enfance (SAE) lui a retiré ses enfants, alors âgés de 8 mois et 7 ans. Ils ont été placés d’urgence chez l’appelante et son époux.

[4] L’appelante travaillait comme travailleuse de soutien dans un foyer de groupe. Elle a dû prendre un congé pour pouvoir s’occuper de ses petits‑enfants. Elle a demandé des prestations parentales d’assurance‑emploi.

[5] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) a conclu que les enfants n’avaient pas été placés chez l’appelante à des fins d’adoption. Elle a donc décidé que cette dernière ne satisfaisait pas aux conditions énoncées dans la loi pour avoir droit à des prestations parentales.

[6] L’appelante n’est pas d’accord avec la décision de la Commission. Elle dit avoir l’intention d’adopter ses petits‑enfants dès qu’ils deviendront légalement adoptables.

[7] Je dois décider si l’appelante a droit à des prestations parentales dans les circonstances.

Questions que je dois examiner en premier

Un document supplémentaire a été ajouté au dossier

[8] À l’audience, l’appelante m’a dit qu’elle s’était rendue au palais de justice pour obtenir des documents afin d’amorcer le processus d’adoption. Je lui ai donné la permission de m’envoyer ces documents après l’audience.

[9] Vingt minutes après la levée de l’audience, l’appelante a envoyé au Tribunal une copie de divers formulaires à déposer auprès de la Cour de justice de l’Ontario. Ces documents ont été désignés comme étant la page GD6.

[10] Je n’ai pas donné à la Commission l’occasion de présenter des observations (autrement dit, des arguments) sur la page GD6.

[11] Selon les Règles du Tribunal de la sécurité sociale, les décisions procédurales que je prends devraient assurer la simplicité, la rapidité et le caractère équitable du processus d’appelNote de bas de page 1. J’ai donc décidé dans cette optique de ne pas donner à la Commission l’occasion de présenter des observations sur la page GD6 pour les raisons suivantes :

  • Comme l’appelante a demandé la permission de présenter les documents pendant l’audience, il ne s’agit pas d’une preuve tardive.
  • La Commission a choisi de ne pas assister à l’audience. Si elle l’avait fait, elle aurait pu présenter des observations sur ces documents. Ce n’est pas juste pour l’appelante de retarder le déroulement du dossier en raison de la décision de la Commission de ne pas assister à l’audience.
  • La Commission ne serait pas surprise par les documents, étant donné que l’appelante avait déjà exprimé son intention d’adopter les enfants dès qu’elle le pourrait.
  • L’audience a eu lieu plus de 45 jours après que l’appelante a déposé son avis d’appelNote de bas de page 2. Donner à la Commission le temps de présenter des observations sur la page GD6 ne ferait que retarder davantage le dossier.

[12] Pour toutes ces raisons, j’ai décidé qu’il n’en découlerait aucune injustice pour la Commission si je ne lui donnais pas la possibilité de déposer des observations sur la page GD6. J’ai également décidé qu’il serait injuste de faire attendre l’appelante plus longtemps avant qu’une décision soit rendue relativement à son appel.

[13] La page GD6 fera donc partie du dossier.

Je n’ai pas compétence pour décider si l’appelante a droit à des prestations pour proches aidants

[14] Au même moment où les petits‑enfants de l’appelante lui ont été confiés, son père a emménagé chez elle pour qu’elle puisse s’occuper de lui. La Commission lui a donné des conseils contradictoires sur le type de prestations qu’elle devrait demander. Le dernier agent à qui elle a parlé lui a dit de ne pas demander de prestations pour les soins d’un adulte gravement malade (plus communément appelé prestations pour proches aidants). Elle n’a donc pas demandé de prestations pour proches aidants.

[15] L’appelante est sans revenu depuis le 2 décembre 2022. Elle affirme que si on ne lui avait pas dit de ne pas demander de prestations pour proches aidants, elle ne serait pas dans la situation financière qu’elle vit actuellement. Si je décide qu’elle n’a pas droit à des prestations parentales, elle aimerait que je détermine si elle a plutôt droit à des prestations pour proches aidants.

[16] Ma compétence (autrement dit, le pouvoir de décider) n’est déclenchée que lorsque la Commission a rendu une décision de réexamenNote de bas de page 3. L’appelante n’a demandé que des prestations parentales. Son droit à des prestations parentales est la seule question qui a été tranchée par la Commission. Par conséquent, ma compétence se limite à décider si l’appelante a droit à des prestations parentales. Je ne peux pas décider si elle a droit à des prestations pour proches aidants.

[17] Je dois donc me limiter à trancher la question de son droit à des prestations parentales.

[18] J’ai expliqué à l’appelante que si elle souhaite encore demander des prestations pour proches aidants, elle devrait communiquer avec la Commission. Je lui ai expliqué également que si elle souhaite que cette demande remonte à la date à laquelle son père est venu vivre avec elle, elle peut demander à la Commission d’antidater sa demande. Je ne tire aucune conclusion sur la question de savoir si l’appelante a un motif valable d’antidater une telle demande si elle en fait une.

Question en litige

[19] L’appelante a-t-elle droit à des prestations parentales?

Analyse

[20] Je conclus que l’appelante a droit à des prestations parentales à compter du 9 janvier 2023.

[21] Les prestations parentales visent à fournir un soutien financier à un prestataire pendant qu’il s’absente du travail pour prendre soin de son nouveau‑né ou d’un enfant placé chez lui en vue de son adoption (en conformité avec les lois régissant l’adoption dans la province où il réside)Note de bas de page 4.

[22] La Cour d’appel fédérale (CAF) a confirmé que déterminer si un enfant a été placé chez un prestataire en vue de son adoption est une question de fait qui doit être tranchée sur le fondement de la preuveNote de bas de page 5. Le fardeau incombe au prestataire. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’enfant a été placé chez lui en vue de son adoption.

[23] La CAF a également statué que le placement d’un enfant en vue de son adoption peut survenir dans diverses circonstances. Par conséquent, aucun document précis n’est requis pour prouver que le placement a été fait en vue d’une adoptionNote de bas de page 6.

[24] La Commission soutient que l’appelante n’a pas droit à des prestations parentales parce qu’elle n’a pas prouvé que ses petits‑enfants ont été placés chez elle en vue de leur adoption. Voici ses arguments :

  • L’appelante n’est pas crédible. Elle a d’abord dit à la Commission que le placement était temporaire, mais elle a ensuite mentionné qu’elle avait l’intention d’adopter les enfants. Elle n’a modifié son histoire qu’après avoir appris qu’elle ne pourrait pas obtenir de prestations si elle n’adoptait pas les enfants.
  • L’appelante n’a pas été en mesure de préciser le délai dans lequel l’adoption aurait lieu et a déclaré que les enfants ne sont pas encore adoptables. Elle n’a pas encore entamé les procédures d’adoption.
  • L’objectif réel du placement était de fournir des soins temporaires pendant que sa belle‑fille cherche à se faire soigner. L’objectif était d’éviter que les enfants soient placés en famille d’accueil pendant que leur mère tente de changer les circonstances qui ont mené à leur retrait.
  • Étant donné que le placement des enfants devait être temporaire, que les enfants ne sont pas encore adoptables et qu’aucune procédure d’adoption n’a été entamée, l’appelante ne satisfait pas aux conditions énoncées dans la loi pour avoir droit à des prestations parentales.

[25] À l’audience, l’appelante a donné le témoignage suivant :

  • Le 1er décembre 2022, elle a reçu un appel téléphonique urgent de la SAE selon lequel ses petits‑enfants couraient un risque dans leur milieu familial d’alors et qu’ils seraient retirés de celui‑ci immédiatement. On lui a dit qu’à moins qu’elle et son conjoint ne viennent les chercher, les enfants seraient placés en famille d’accueil.
  • Leur mère a été convaincue par la SAE de placer volontairement les enfants chez l’appelante et son époux et de se faire traiter pour ses problèmes de toxicomanie.
  • À ce moment‑là, le placement se voulait temporaire. On espérait que l’état de la mère des enfants s’améliore et qu’elle puisse remplir les conditions imposées par la SAE pour pouvoir récupérer ses enfants. On lui a accordé six mois pour satisfaire à ces conditions, notamment pour cesser de consommer.
  • L’appelante et son époux ont assumé la garde physique des enfants le 3 décembre 2022. L’appelante a dû prendre un congé pour s’occuper des enfants. On lui a dit que les enfants seraient sous sa garde pendant au moins six mois, le temps que leur mère prenne des mesures pour améliorer sa situation. La SAE réévaluerait ensuite la situation.
  • Lors d’une vidéoconférence tenue avec sa belle‑fille le 31 janvier 2023, l’appelante a réalisé que cette dernière serait incapable de cesser de boire et de respecter les conditions pour ainsi reprendre la garde de ses enfants. Elle n’était pas en traitement. Elle a également dit à l’appelante qu’elle devait d’abord penser à elle‑même et qu’elle n’était d’aucune utilité pour les enfants.
  • À la suite de cette vidéoconférence, l’appelante et son époux ont décidé d’adopter les enfants. Il était clair pour elle à ce moment‑là qu’il n’y avait pas d’autre option.
  • L’appelante n’a pas entamé de procédures d’adoption parce que la période de six mois accordée à sa belle‑fille pour cesser de consommer et améliorer sa situation ne s’est pas encore écoulée et que la SAE n’a pas encore réévalué la situation. Par conséquent, les enfants ne sont pas encore légalement adoptables.
  • Afin d’être prête lorsque les enfants deviendraient adoptables, l’appelante s’est rendue au palais de justice pour s’informer des prochaines étapes et a reçu les documents à remplir pour amorcer le processus. L’appelante a rempli les documents et a mentionné qu’elle les soumettra au cours des prochains joursNote de bas de page 7.
  • L’appelante avait été placée en famille d’accueil pendant son enfance. Ce fut une expérience terrible pour elle. Elle affirme qu’elle ne permettra sous aucun prétexte que ses petits‑enfants soient placés en famille d’accueil. Sa belle‑fille est manifestement incapable de s’occuper d’eux, et elle va les adopter et les élever à sa place. Elle considère que c’est une obligation. Elle espère que sa belle‑fille se rétablira assez pour assumer un certain rôle dans la vie de ses enfants, mais elle n’est de toute évidence pas en mesure d’assumer un rôle de parent à leur égard.

[26] D. S., une intervenante de prise en charge chez un proche parent de la SAE, a également témoigné à l’audience. Elle a dit ce qui suit dans son témoignage :

  • L’appelante s’est engagée, le 31 janvier 2023, à adopter ses petits‑enfants.
  • À l’heure actuelle, les enfants ne sont pas légalement adoptables, mais un processus a été entamé (elle a utilisé le terme « planification de la permanence »).
  • L’appelante est incapable de travailler. Il n’y a aucune place libre en garderie pour le plus jeune de ses petits‑enfants, qui est actuellement âgé de 14 mois. Elle aide l’appelante à tenter d’obtenir une place en garderie. Elle aidera l’appelante à obtenir une subvention pour le coût de la garderie une fois qu’elle aura obtenu une place. Cela pourrait prendre plusieurs mois.
  • Elle n’a jamais vu une prestataire qui prodigue des soins à titre de proche parent se voir refuser des prestations d’assurance‑emploi.

[27] Je ne suis pas d’accord avec la Commission pour dire que l’appelante n’est pas crédible. Le témoignage de l’appelante était sincère et compatible avec ce qu’elle a dit à la Commission.

[28] Contrairement à ce que la Commission affirme, je ne crois pas que l’appelante ait modifié son récit au sujet de ses intentions concernant l’adoption afin d’avoir droit à des prestations parentales. Je crois qu’au départ, elle n’avait pas l’intention d’adopter ses petits‑enfants. Le placement l’a prise par surprise et il n’était pas planifié. Elle a toutefois décidé d’adopter les enfants lorsqu’il est devenu évident à ses yeux que leur mère ne serait pas en mesure de surmonter ses problèmes et qu’elle serait incapable de les élever.

[29] De plus, compte tenu des antécédents de l’appelante, de son enfance troublée et de son expérience personnelle en matière de placement en famille d’accueil, je la crois lorsqu’elle dit qu’elle fera tout pour que cela n’arrive pas à ses petits‑enfants. Cela renforce sa déclaration selon laquelle elle est déterminée à les adopter et à les élever.

[30] Compte tenu de la preuve, je conclus que l’appelante a démontré qu’elle satisfait aux conditions énoncées dans la loi pour être admissible à des prestations parentales.

[31] Bien que les enfants n’aient pas été initialement placés avec elle et son conjoint en vue d’une adoption, le but du placement a changé le 31 janvier 2023. L’appelante et son époux ont décidé ce jour‑là d’adopter leurs petits‑enfants. Ils ont fait part de leurs plans à la SAE.

[32] Le témoignage de l’appelante à cet effet est corroboré par le témoignage de D. S. et par une lettre de la SAE datée du 23 février 2023 confirmant que l’appelante a l’intention d’adopter les enfants dès que la loi le permettraNote de bas de page 8.

[33] Le seul obstacle actuel à l’adoption des enfants est le pouvoir décisionnel que leur mère détient encore à leur égard. Par conséquent, ils ne sont pas encore légalement adoptables. Il pourrait en être ainsi pendant encore plusieurs mois. Cela dit, la SAE et l’appelante suivent un processus conformément aux lois d’adoption de l’Ontario.

[34] Suivant la loi en matière d’assurance‑emploi, l’appelante doit satisfaire à deux conditions pour avoir droit à des prestations parentales :

  1. i. les enfants doivent avoir été placés chez elle;
  2. ii. elle doit démontrer son intention de les adopter officiellement conformément aux lois régissant l’adoption en OntarioNote de bas de page 9.

[35] Au 31 janvier 2023, ces deux conditions étaient remplies.

[36] Contrairement à ce que soutient la Commission, il n’y a aucune obligation d’entamer une procédure officielle d’adoption pour avoir droit à des prestations parentales. Si les enfants ne sont pas encore adoptables, une intention claire de les adopter quand cela deviendra possible suffiraNote de bas de page 10.

[37] Je conclus donc que l’appelante a démontré qu’elle satisfait aux conditions pour avoir droit à des prestations parentales. Les enfants ont été placés chez elle et elle a démontré son intention de les adopter. Elle a confirmé cette intention à la SAE et a commencé à s’occuper de la paperasse nécessaire.

[38] Toutefois, l’appelante n’a pas droit à des prestations parentales à compter de la semaine où les enfants ont été placés chez elle. En effet, la loi prévoit que la période au cours de laquelle les prestations parentales peuvent être versées commence lorsque ces deux conditions sont rempliesNote de bas de page 11. Puisque l’appelante a formé l’intention d’adopter le 31 janvier 2023, elle n’a droit aux prestations parentales qu’à compter du 29 janvier 2023Note de bas de page 12.

[39] Je note que, dans sa demande, l’appelante a déclaré qu’elle demandait 13 semaines de prestations. C’est une erreur. Elle veut le nombre maximal admissible de semaines de prestations parentales auxquelles elle a droit en vertu de la loi. À l’heure actuelle, elle a l’intention de retourner travailler en octobre 2023, mais elle ne peut encore dire avec certitude si elle pourra le faire.

[40] En ce qui concerne la période allant du 2 décembre 2023, soit le dernier jour de travail de l’appelante, au 29 janvier 2023, l’appelante pourrait avoir droit à des prestations régulières. Elle a pris un congé pour s’occuper de membres de sa famille immédiateNote de bas de page 13.

[41] Il ressort clairement de la preuve que l’appelante était fondée à quitter son emploi et qu’elle n’avait d’autre solution raisonnable que de le faire. Les enfants lui ont été confiés d’urgence, le plus jeune enfant était un nourrisson de 8 mois à la date du placement, l’appelante a fait de sérieuses démarches pour trouver une place en garderie pour le plus jeune de ses petits‑enfants, mais aucune place n’était libre, il n’y a personne d’autre qui puisse s’occuper des enfants, le domaine dans lequel l’appelante travaille ne se prête pas au travail à distance et l’appelante n’a pas les moyens d’embaucher une gardienne à temps plein.

[42] Je suggère à l’appelante de discuter avec la Commission de la possibilité de traiter sa demande comme une demande de prestations régulières du 2 décembre 2023 au 29 janvier 2023. Elle voudra peut‑être fournir à la Commission une copie de la présente décision lorsqu’elle aura cette discussion.

Conclusion

[43] L’appel est accueilli.

[44] L’appelante a droit à des prestations parentales à compter du 29 janvier 2023.

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