Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 903

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelant : J. P.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentant : Daniel McRoberts

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 5 avril 2023 (GE-22-2076)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 22 août 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 26 septembre 2023
DATE DU RECTIFICATIF : Le 5 octobre 2023
Numéro de dossier : AD-23-397

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Décision

[1] L’appel est rejeté. accueilli en partie.

Aperçu

[2] L’appelant, J. P. (prestataire), un technologue en radiologie auprès des services de santé provinciaux, interjette appel de la décision de la division générale, qui a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (Commission), avait prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. En d’autres termes, elle a conclu qu’il avait fait quelque chose qui avait mené à son congédiement. Il ne s’était pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[3] La division générale a conclu qu’il y avait eu inconduite. En conséquence, le prestataire a été exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[4] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs et de fait et de droit. Il affirme qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il avait perdu son emploi. Son employeur l’a mis en congé, mais il ne l’a pas congédié.

[5] En ce qui concerne les erreurs de droit, le prestataire nie qu’il y ait eu inconduite. D’une part, son employeur n’a jamais qualifié ses gestes d’inconduite. D’autre part, son contrat de travail n’exigeait pas la vaccination. Son employeur a instauré unilatéralement une politique de vaccination à laquelle il n’a pas consenti. Il affirme donc qu’il n’y a pas d’inconduite s’il ne s’est pas conformé en tous points à une nouvelle politique avec laquelle il était en désaccord.

[6] Comme le prestataire nie qu’il y a eu inconduite, il demande à la division d’appel de conclure qu’il avait droit à des prestations d’assurance‑emploi.

[7] La Commission est d’accord pour dire que la division générale a commis une erreur de fait. Elle soutient toutefois que, malgré cette erreur, la conduite du prestataire continue de constituer une inconduite. La Commission demande à la division d’appel de corriger la conclusion de fait de la division générale selon laquelle il a été congédié.

[8] La Commission demande à la division d’appel de conclure que le prestataire a été suspendu de son emploi, pour l’application de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi), et de conclure qu’il est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Questions en litige

[9] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis des erreurs de fait?
  2. b) La division générale a‑t‑elle mal interprété ce que signifie l’inconduite?
  3. c) Si la réponse est « oui » à l’une ou l’autre des questions qui précèdent, comment devrait‑on corriger l’erreur?

Analyse

[10] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si cette dernière a commis des erreurs de compétence, de procédure ou de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas page 1.

La division générale a-t-elle commis des erreurs de fait?

[11] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de fait sur lesquelles elle a fondé sa décision.

Le prestataire n’a pas perdu son emploi

[12] Les parties s’entendent pour dire que la division générale a commis une erreur de fait sur la question de savoir si le prestataire a perdu son emploi.

[13] La preuve n’appuie pas la conclusion de la division générale, qui a conclu que le prestataire a perdu son emploi et que cela signifiait qu’il était exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi. L’ensemble de la preuve au dossier montre que l’employeur du prestataire l’a mis en congé. Par exemple, le relevé d’emploi mentionne un « congé autorisé »Note de bas page 2.

[14] La division générale a commis une erreur. Comme l’employeur du prestataire ne l’a pas congédié, il s’ensuit qu’il ne pouvait être exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[15] Toutefois, s’il a été mis en congé, il faut tout de même déterminer si le congé était attribuable à une inconduite. Dans l’affirmative, il en découlerait une inadmissibilité au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi. Je traiterai plus loin de la question relative au congé du prestataire.

Le prestataire a reçu une dose du vaccin

[16] Le prestataire soutient également que la division générale a commis une erreur de fait sur la question de savoir s’il avait été vacciné. Il cite le paragraphe 5 de la décision, où la division générale a écrit ce qui suit :

L’employeur de l’appelant affirme que ce dernier a été congédié parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination : il ne s’est pas fait vacciner.

[17] Le paragraphe 5 ne représente pas réellement les conclusions véritables de la division générale sur la question de savoir si le prestataire a effectivement été vacciné. Elle a réitéré ce qu’elle croyait être la thèse de l’employeur.

[18] En fait, la division générale a noté le témoignage du prestataire selon lequel il avait reçu une dose, mais qu’en raison d’une réaction indésirable et de son état de santé, il avait décidé de ne pas obtenir une deuxième dose. Le prestataire estimait que recevoir une deuxième dose mettait sa vie en danger. La division générale savait que le prestataire avait reçu une doseNote de bas page 3. Elle n’a donc pas commis d’erreur sur ce point.

La division générale a‑t‑elle mal interprété ce que signifie l’inconduite?

[19] Le prestataire soutient que la division générale a mal interprété ce que signifie l’inconduite. Il nie qu’il y ait eu inconduite dans son cas, même si son employeur l’avait mis en congé.

[20] C’était un employé exceptionnel. Son employeur a salué son rendement. Il travaillait volontiers et sans relâche en première ligne, assurait les quarts de travail de collègues malades, ne prenait jamais de congé de maladie et suivait toutes les recommandations en matière d’équipement de protection individuelle pour se protéger et protéger les patientsNote de bas page 4.

Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que la politique de vaccination ne faisait pas partie de son contrat de travail

[21] Le prestataire nie qu’il y ait eu inconduite même si son employeur l’avait mis en congé. Il nie qu’il y ait eu inconduite parce que la politique de vaccination de son employeur ne faisait pas partie de son contrat de travail. Le prestataire soutient que son contrat de travail ne prévoyait nulle part l’obligation de se faire vacciner.

[22] Le prestataire s’appuie sur A.L. c Commission de l’assurance‑emploi du CanadaNote de bas page 5, une décision de la division générale. Cette affaire concernait une prestataire qui ne s’était pas fait vacciner en raison de ses préoccupations concernant la vaccination. La division générale a conclu qu’il n’y avait pas eu d’inconduite dans les circonstances de cette affaire parce qu’il n’y avait pas eu manquement à une obligation découlant du contrat de travail.

[23] La division d’appel a depuis infirmé la décision rendue dans l’affaire A.L. par la division généraleNote de bas page 6. Elle a conclu que la division générale avait outrepassé sa compétence en examinant le contrat de travail d’A.L. Elle a également conclu que la division générale avait commis des erreurs de droit, notamment en déclarant qu’un employeur ne pouvait pas ajouter de nouvelles conditions à la convention collective et qu’il n’y avait pas eu d’inconduite s’il n’y avait pas eu violation du contrat de travail.

[24] Plus important encore, la Cour fédérale a récemment rendu une décision sur la question de savoir s’il peut y avoir inconduite dans des circonstances factuelles semblables à celles du prestataire. La Cour fédérale a rendu une décision dans l’affaire Kuk c Canada (Procureur général)Note de bas page 7 après la tenue de l’audience dans la présente affaire. Je dois suivre les décisions des tribunaux.

[25] M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La politique de vaccination ne relève pas de la portée de son contrat de travail.

[26] La division générale a conclu que la Commission avait prouvé l’existence d’une inconduite. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle. M. Kuk a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel. Il a fait valoir que la division d’appel a conclu à tort qu’il avait manqué à ses obligations contractuelles en ne se faisant pas vacciner.

[27] La Cour a écrit :

[Traduction]

[34] […] Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nelson, il n’est pas nécessaire que la politique écrite d’un employeur existe dans le contrat de travail initial pour établir l’inconduite : voir les para 22 à 26. La politique écrite qui a été communiquée à l’employé peut constituer en soi un élément de preuve qui suffit à démontrer sa connaissance objective du fait « qu’il était réellement possible qu’il soit congédié » s’il ne se conformait à cette politique. Le contrat et la lettre d’offre du demandeur ne comprennent pas les modalités complètes, expresses ou implicites, de son emploi […] Il est bien reconnu en droit du travail que les employés ont l’obligation de respecter les politiques de santé et de sécurité mises en œuvre par leurs employeurs au fil du temps.

[…]

[37] De plus, contrairement à ce que le demandeur laisse entendre, le Tribunal n’est pas tenu de s’attarder aux dispositions contractuelles ni de décider si le prestataire a été congédié de façon justifiée selon les principes du droit du travail lorsqu’il examine une inconduite au sens de la [Loi sur l’assurance‑emploi]. Comme il a été mentionné précédemment, le critère de l’inconduite vise plutôt à établir si un prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) qui est contraire à ses obligations professionnelles.

(Mis en évidence par la soussignée.)

[28] La Cour fédérale a conclu que, pour qu’il y ait inconduite, il n’était pas nécessaire qu’il y ait eu violation du contrat de travail. Une inconduite pourrait survenir même en cas de violation d’une politique qui ne faisait pas partie du contrat de travail initial.

[29] La Cour fédérale a conclu qu’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que les arguments de M. Kuk concernant son contrat de travail n’avaient aucune chance raisonnable de succès. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Kuk.

[30] Dans une autre affaire, l’affaire NelsonNote de bas page 8, la demanderesse avait perdu son emploi par suite d’une inconduite au sens de la Loi. La Cour d’appel fédérale a conclu que, contrairement aux modalités de son emploi, Mme Nelson avait été vue en état d’ébriété en public dans la réserve.

[31] Mme Nelson a fait valoir que la division d’appel a commis une erreur en concluant que l’interdiction de consommer de l’alcool imposée par son employeur était une condition d’emploi liée à ses fonctions. Elle a soutenu qu’il n’y avait aucun lien rationnel entre sa consommation d’alcool et son rendement au travail, d’autant plus qu’elle avait consommé de l’alcool en dehors des heures de travail et que rien n’indiquait qu’elle s’était présentée au travail en état d’intoxication ou avec les facultés affaiblies. Elle a nié qu’une condition explicite ou implicite de son contrat de travail ait interdit la consommation d’alcool dans la réserve.

[32] La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit : « […] il n’importe guère à mon avis que l’interdiction de consommer de l’alcool de l’employeur ne soit qu’une condition d’emploi prévue dans ses politiques et qu’elle ne soit pas stipulée dans le contrat de travail […] »Note de bas page 9.

[33] Dans l’affaire NguyenNote de bas page 10, M. Nguyen a harcelé un collègue de travail au casino où ils travaillaient. L’employeur avait une politique concernant le harcèlement. Toutefois, la politique ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen. Elle ne faisait pas partie non plus du contrat de travail de M. Nguyen. Malgré cela, la Cour d’appel a conclu que M. Nguyen avait commis une inconduite.

[34] Dans une autre affaire, intitulée KareliaNote de bas page 11, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il était toujours absent du travail. Ces nouvelles conditions ne s’inscrivaient pas dans le contrat de travail. Malgré tout, la Cour d’appel a décidé que M. Karelia devait s’y conformer, sans quoi il y avait inconduite.

[35] Une autre affaire, appelée Cecchetto,Note de bas page 12 concernait également la vaccination. M. Cecchetto avait fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination qui n’existait pas auparavant, que son employeur avait imposée unilatéralement et avec laquelle il n’était pas d’accord, ne constituait pas une inconduite.

[36] La Cour fédérale était au courant de la preuve et de l’argument de M. Cecchetto. Personne n’a contesté le fait que la politique de vaccination de l’employeur ne faisait pas partie du contrat de travail de M. Cecchetto. (En fait, l’employeur n’avait pas sa propre politique de vaccination, mais il suivait les règles établies par une directive provinciale en matière de santé.)

[37] La Cour fédérale a conclu que les arguments de M. Cecchetto ne permettaient pas d’infirmer la décision de la division d’appel dans cette affaire. En d’autres termes, la Cour a admis que l’employeur pouvait instaurer une politique exigeant la vaccination même si elle ne faisait pas partie du contrat initial. Elle a conclu qu’il y avait inconduite si les employés omettaient sciemment de se conformer à cette politique et qu’ils étaient conscients des conséquences qui en découleraient.

[38] Il ressort clairement de ces décisions qu’il n’est pas nécessaire que la politique d’un employeur fasse partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite. Comme les tribunaux l’ont toujours affirmé, le critère de l’inconduite consiste à déterminer si le prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte), qui va à l’encontre de ses obligations professionnelles. Il s’agit d’un critère très étroit et précis pour déterminer s’il y a eu inconduite.

[39] Donc, dans le cas du prestataire, il importait peu que la politique de vaccination n’ait pas fait partie de son contrat de travail. Même s’il avait déjà reçu une dose, on s’attendait tout de même à ce qu’il respecte la politique en tous points en se faisant donner deux doses. La décision volontaire du prestataire de ne pas se conformer à la politique de son employeur constituait une inconduite aux fins de la Loi.

Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite – son employeur n’a pas qualifié ses actes d’inconduite

[40] Le prestataire soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que son employeur ne considérait pas ses actes comme étant une inconduite. En fait, son employeur a décrit le motif de sa cessation d’emploi comme étant un [traduction] « congé non disciplinaire ».

[41] Toutefois, le nom que l’employeur a donné à la séparation n’est pas déterminant quant à la question de savoir s’il y a eu inconduite. Une évaluation objective doit avoir lieu.

[42] La division générale devait évaluer objectivement les circonstances et se demander si le « prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié »Note de bas page 13.

[43] Le fait pour la division générale de ne pas s’en remettre à la décision de l’employeur selon laquelle il s’agissait d’un « congé non disciplinaire » ne constituait pas une erreur. Bien que la division générale ait conclu à tort que l’employeur avait congédié le prestataire, elle a néanmoins appliqué le critère approprié pour déterminer s’il y avait inconduite.

Conclusion

[44] L’appel est accueilli en partie.

[45] La division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire avait perdu son emploi. Il ressort de la preuve que l’employeur du prestataire l’a mis en congé. Il ne pouvait donc être exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[46] Toutefois, l’employeur du prestataire l’a mis en congé parce qu’il ne s’était pas conformé en tous points à sa politique de vaccination. Pour l’application de la Loi, il s’agissait d’une inconduite. Cela signifie que le prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi pendant la durée de sa suspension.

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