Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1695

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : J. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Nikkia Janssen

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 7 mars 2023
(GE-22-2346)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 28 novembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-351

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, J. W. (prestataire), fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite : il n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeuse.

[3] Le prestataire soutient que la membre de la division générale était partiale.

[4] Le prestataire nie également avoir commis une inconduite. Il affirme que sa conduite ne constituait pas une inconduite parce que la politique de vaccination de son employeuse était illégale et déraisonnable. Il ajoute que pour qu’il y ait inconduite, il faut qu’il y ait un manquement à une obligation expresse ou implicite découlant du contrat de travail. Il soutient que, dans son cas, son contrat de travail n’exigeait pas la vaccination, donc qu’il n’a manqué à aucune obligation. Il fait également valoir qu’il n’y a pas pu avoir d’inconduite si son congédiement était illégal et si son employeuse aurait pu lui offrir des mesures d’adaptation.

[5] Le prestataire dit que la division d’appel devrait accueillir son appel. Il ajoute qu’elle devrait conclure qu’il n’y a pas eu d’inconduite et qu’il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Il affirme que la division générale aurait dû rendre cette décision dès le départ.

[6] La Commission recommande le rejet de l’appel du prestataire. La Commission affirme que, même si la division générale avait omis d’examiner certains faits, le prestataire avait tout de même commis une inconduite. Le résultat aurait donc été le même.

[7] Je rejette l’appel. La division générale n’avait pas le pouvoir d’examiner une grande partie des arguments présentés par le prestataire sur la question de savoir si une inconduite a été commise. Il n’y a pas non plus de preuve à l’appui des allégations de partialité formulées par le prestataire.

Questions en litige

[8] Voici les questions en litige dans le présent appel :

  1. a) La membre de la division générale était-elle partiale?
  2. b) La division générale a-t-elle omis d’examiner la légalité ou le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeuse du prestataire?
  3. c) La division générale a-t-elle mal interprété ce qu’est une inconduite?
  4. d) La division générale a-t-elle omis d’examiner si l’employeuse du prestataire pouvait modifier unilatéralement les conditions d’emploi du prestataire?

Analyse

[9] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si celle-ci a commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou un certain type d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

[10] Pour ce qui est des erreurs de fait, il faut que la division générale ait fondé sa décision sur une erreur qu’elle a commise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissanceNote de bas de page 2.

La membre de la division générale était impartiale

[11] Le prestataire laisse entendre que la membre de la division générale était partiale. Il dit : [traduction] « Je me demande à juste titre si les déclarations publiques [...] du 21 octobre 2021 du ministre fédéral de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes en situation de handicap m’empêchent d’exercer mon droit à un décideur impartialNote de bas de page 3? »

[12] Le prestataire laisse entendre qu’il existe une relation entre le Tribunal de la sécurité sociale et le ministre. Cependant, le Tribunal de la sécurité sociale est un tribunal administratif indépendant. Les membres de la division générale et de la division d’appel rendent des décisions entièrement indépendantes et impartiales. Les membres ne travaillent pas pour le ministère ou le ministre, et ne relèvent pas de l’un ou de l’autre.

[13] Les membres rendent leurs propres décisions en toute indépendance, sans aucune influence du ministre, d’autres politiciens, de la Commission, du ministère de l’Emploi et du Développement social, de la présidence ou de la vice-présidence du Tribunal, de l’équipe des services juridiques du Tribunal ou même d’autres membres du Tribunal.

[14] Une allégation de partialité est grave et ne doit pas être faite à la légère. Dans la décision Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, la Cour suprême du Canada a établi le critère de la crainte raisonnable de partialité. Elle a fait référence à l’opinion dissidente du juge de Grandpré à la Cour d’appel fédérale :

[…] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle, selon toute vraisemblance, que [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »Note de bas de page 4

[15] Le seuil pour satisfaire à ce critère est élevé. Comme les tribunaux l’ont déclaré, [traduction] « une allégation de partialité doit nécessairement être appuyée par des éléments de preuve substantiels et ne peut pas être fondée sur de simples soupçons, conjectures ou impressions d’une partie demanderesse »Note de bas de page 5. Le fait de simplement mentionner les déclarations du ministre et de laisser entendre que le ministre a influencé d’une façon ou d’une autre la membre de la division générale ainsi que le résultat relève d’une hypothèse. Aucune preuve n’appuie les allégations de partialité formulées par le prestataire ni ne permet de répondre à ce critère.

La division générale n’a pas omis d’examiner la légalité et le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeuse du prestataire

[16] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas examiné la légalité et le caractère raisonnable de la politique de vaccination de son employeuse. Cependant, les arguments concernant la légalité et le caractère raisonnable de la politique de vaccination d’un employeur ne sont pas pertinents pour trancher la question de l’inconduite.

[17] La Cour fédérale a conclu que la division générale et la division d’appel n’ont pas le pouvoir de traiter ce type d’arguments. Dans l’affaire Cecchetto, la Cour a écrit :

[46] Comme je l’ai mentionné précédemment, il est probable que le demandeur [Cecchetto] sera frustré par ce résultat, parce que mes motifs ne portent pas sur les questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. Il en est ainsi parce que bon nombre de ces questions débordent tout simplement le cadre de la présente affaire. Il n’est pas déraisonnable pour un décideur de ne pas tenir compte d’arguments de droit qui ne s’inscrivent pas dans la mission qui lui a été conférée par la loi.

[47] La division générale et la division d’appel [du Tribunal de la sécurité sociale] ont un rôle important à jouer au sein du système judiciaire, mais ce rôle est limité et précis. En l’espèce, ce rôle consistait à établir les raisons pour lesquelles le demandeur avait été congédié et à déterminer si ces raisons constituaient une « inconduite »...

[48] Malgré les arguments du demandeur, il n’y a pas de fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [citation omise]Note de bas de page 6.

(c’est moi qui souligne)

[18] Et plus récemment, la Cour fédérale a déclaré que la division générale et la division d’appel [traduction] « ne sont pas les instances appropriées pour décider si la politique [de l’employeur] ou le congédiement [de l’employé] étaient raisonnables »Note de bas de page 7.

[19] Par conséquent, la division générale n’a pas omis d’examiner la légalité ou le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeuse du prestataire.

La division générale n’a pas mal interprété ce qu’est une inconduite

[20] Le prestataire soutient que la division générale a mal interprété ce qu’est une inconduite. Il affirme qu’elle n’a pas reconnu qu’il y a inconduite seulement s’il y a un manquement à une obligation expresse ou implicite découlant du contrat de travail. Il dit également qu’il n’y a pas d’inconduite si le congédiement était illégal.

[21] Je conclus que la division générale n’a pas mal interprété ce qu’est une inconduite, car il est maintenant bien établi que la politique de vaccination de l’employeur ne doit pas nécessairement figurer dans le contrat de travail initial. Par conséquent, le contrat de travail du prestataire n’était pas pertinent pour trancher la question de l’inconduite. Il en allait de même pour la question de savoir si le prestataire avait été congédié injustement de son emploi et si l’employeur avait omis d’offrir à son personnel des options autres que la vaccination.

La division générale n’avait pas à examiner le contrat de travail initial du prestataire

[22] Le prestataire affirme que, dans l’affaire LemireNote de bas de page 8, la Cour d’appel fédérale a établi que pour qu’il y ait inconduite aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, la conduite doit « constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail ». Il dit que la division générale devait examiner son contrat de travail pour décider si la vaccination était ou non une obligation envers son employeuse. Si ce n’est pas le cas, il soutient que ses gestes ne peuvent pas être considérés comme une inconduite.

[23] Cependant, l’affaire Lemire n’aide pas le prestataire. M. Lemire n’avait pas contrevenu à son contrat de travail. Cependant, la Cour d’appel a tout de même conclu qu’il y avait eu inconduite. M. Lemire avait enfreint une politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail. Ce fait a été confirmé lorsque la Cour a écrit : « [...] L’employeur dispose d’une politique à ce sujet [...] Il [prestataire] était au courant de la politique »Note de bas de page 9. La Cour d’appel a de nouveau fait référence à la politique aux paragraphes 17, 18 et 20. La Cour a souligné que l’employeur avait en place une politique que M. Lemire a choisi d’ignorer.

[24] Il est également démontré dans d’autres affaires que les politiques d’un employeur n’ont pas à faire partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite :

  • Dans une affaire récente appelée Matti, la Cour fédérale a décidé qu’il n’était pas nécessaire que la politique de vaccination de l’employeur fasse partie de l’entente initiale, car [traduction] « l’inconduite peut être examinée relativement aux politiques mises en place après le début de la relation d’emploi »Note de bas de page 10.
  • Dans l’affaire KukNote de bas de page 11, l’appelant a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La politique ne faisait pas partie de son contrat de travail. La Cour fédérale a conclu que les exigences de vaccination de l’employeur n’avaient pas à faire partie du contrat de travail de M. Kuk. La Cour fédérale a jugé qu’il y avait eu inconduite parce que M. Kuk ne s’était pas conformé à la politique de vaccination de son employeur et qu’il était au courant des conséquences auxquelles il s’exposait s’il ne s’y conformait pas.
  • Dans l’affaire NelsonNote de bas de page 12, l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. L’affaire ne portait pas sur la vaccination. Mme Nelson a été vue en état d’ébriété en public dans la réserve où elle travaillait. L’employeur considérait cela comme une violation de son interdiction de consommer de l’alcool. Mme Nelson a nié que l’interdiction de consommer de l’alcool imposée par son employeur faisait partie des exigences de son contrat de travail écrit et même que sa consommation d’alcool avait eu une incidence sur son rendement au travail. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu inconduite. Le fait que la politique de l’employeur contre la consommation d’alcool ne fasse pas partie du contrat de travail de Mme Nelson n’était pas pertinent.
  • Dans l’affaire NguyenNote de bas de page 13 (citée dans l’affaire Lemire), la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu inconduite. M. Nguyen avait harcelé une collègue de travail au casino où ils travaillaient. L’employeur avait en place une politique contre le harcèlement. Toutefois, la politique ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen et ne faisait pas partie de son contrat de travail.
  • Dans l’affaire KareliaNote de bas de page 14, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il était toujours absent du travail. Ces nouvelles conditions ne faisaient pas partie du contrat de travail. Malgré cela, la Cour d’appel fédérale a décidé que M. Karelia devait s’y conformer, même s’il s’agissait de nouvelles conditions, sans quoi ses gestes constituaient une inconduite.

[25] En plus des affaires Matti et Kuk, deux autres décisions abordent la question de l’inconduite. Ces deux décisions s’inscrivent dans le contexte des politiques de vaccination. Dans les affaires CecchettoNote de bas de page 15 et MilovacNote de bas de page 16, la vaccination ne faisait pas partie de la convention collective ou du contrat de travail des appelants. Malgré cela, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait inconduite lorsqu’une partie appelante ne respectait pas les politiques de vaccination de son employeur.

[26] Comme les tribunaux l’ont toujours maintenu, le rôle de la division générale est limité lorsqu’il s’agit d’évaluer l’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Ce rôle consiste à évaluer si ce qu’une personne employée a fait ou n’a pas fait constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Autrement dit, la personne employée a-t-elle intentionnellement commis un acte (ou omis de commettre un acte) contraire à ses obligations professionnellesNote de bas de page 17?

[27] Tant que la division générale applique ce critère, elle n’interprète pas mal ce qu’est une inconduite, même si la conduite du prestataire était liée à une politique qui ne faisait pas partie des obligations de son contrat initial.

[28] Dans la présente affaire, la division générale a appliqué ce critère. Elle a examiné si le prestataire avait commis un acte qui allait à l’encontre de la politique de son employeuse. Elle a également examiné s’il était au courant des conséquences auxquelles il s’exposait s’il ne respectait pas la politique de son employeuse. Enfin, elle a évalué si cette conduite a eu lieu. La division générale a bien interprété ce qu’est une inconduite. Elle a appliqué ce critère pour décider si le prestataire avait commis une inconduite.

La division générale n’avait pas à examiner si le congédiement du prestataire était légal

[29] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas examiné si son employeuse l’avait congédié injustement de son emploi. Il affirme que lorsqu’un congédiement est illégal, il n’y a pas d’inconduite.

[30] Je conclus que la division générale n’a pas omis d’examiner la question du congédiement injustifié, car elle n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La division générale n’a pas le pouvoir de décider si une partie prestataire a été congédiée injustement. Cette question relève d’une autre instanceNote de bas de page 18.

[31] Cela ne veut pas dire que le prestataire n’a pas d’autres options. Toutefois, tout recours qu’il pourrait avoir contre son employeuse pour un congédiement injustifié se trouve ailleurs. Il peut consulter un service juridique pour obtenir des conseils sur la meilleure façon de procéder.

La division générale n’avait pas à examiner si l’employeuse aurait pu offrir des mesures d’adaptation au prestataire

[32] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas examiné si son employeuse aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation, par exemple en lui proposant des options autres que la vaccination ou des solutions de rechange à la vaccination. De cette façon, il n’aurait pas eu à se faire vacciner.

[33] Je conclus que la division générale n’a pas omis d’examiner cette question parce que l’obligation d’un employeur d’offrir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 19.

La division générale n’a pas omis d’examiner si l’employeuse pouvait modifier unilatéralement les conditions d’emploi du prestataire

[34] Contrairement aux arguments avancés par le prestataire, la division générale n’a pas omis d’examiner si l’employeuse pouvait modifier unilatéralement les conditions d’emploi pour exiger la vaccination. La division générale n’avait pas à examiner cette question. Il ne s’agissait pas d’une question pertinente dont la division générale devait tenir compte lorsqu’elle a décidé si le prestataire avait commis une inconduite.

[35] Le prestataire soutient que son employeuse n’avait pas le droit de modifier les conditions de son emploi en mettant en place de nouvelles politiques. Donc, il dit que si son contrat initial n’exigeait pas la vaccination, il ne devrait pas avoir à se faire vacciner contre sa volonté.

[36] Toutefois, comme je l’ai mentionné plus haut, la question concernant le contrat de travail du prestataire n’était pas pertinente. Un employeur peut mettre en place de nouvelles politiques. Il n’est pas nécessaire que ces politiques fassent partie du contrat de travail pour qu’il y ait inconduite.

Conclusion

[37] L’appel est rejeté.

[38] La division générale n’a pas commis d’erreur qui correspond aux moyens d’appel permis.

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