Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HZ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 302

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : H. Z.
Représentante ou représentant : G. G.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (501866) datée du 19 juillet 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 18 janvier 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Interprète
Date de la décision : Le 22 mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-2719

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel de H. Z.

[2] Il n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (il n’avait pas une raison acceptable selon la loi) quand il a décidé de démissionner. Des solutions raisonnables lui auraient évité de quitter son emploi. Il aurait pu essayer de régler la situation avec son employeur. Et il aurait pu faire plus de démarches pour trouver un autre emploi avant de quitter le sien.

[3] Comme son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas, la Loi sur l’assurance-emploi prévoit qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] C’est ce que la Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé.

Aperçu

[5] H. Z. (appelant) a travaillé dans une usine de fabrication pendant 16 ans. Il était préposé au nettoyage de 2016 jusqu’à ce qu’il quitte son emploi en janvier 2022.

[6] La Commission a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a conclu qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification. Par conséquent, elle ne lui a pas versé de prestations régulières d’assurance-emploi.

[7] L’appelant et la Commission sont d’accord qu’il s’agit d’un départ volontaire (c’est-à-dire d’une démission).

[8] Cependant, la Commission affirme que quitter son emploi n’était pas la seule solution raisonnable pour l’appelant.

[9] L’appelant n’est pas d’accord. Il affirme que son employeur l’exploitait, le harcelait et l’intimidait. Il dit que son employeur a modifié ses fonctions et ses heures de travail, et a réduit sa paie. Il ajoute que son employeur l’a aussi incité à démissionner. Il a cherché du travail avant de donner sa démission, mais n’en a pas trouvé. Il dit alors que quitter son emploi était la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui.

[10] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter volontairement son emploi (démissionner) à ce moment-là était la seule solution raisonnable.

Question en litige

[11] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[12] Pour répondre à cette question, je dois décider deux choses :

  • si l’appelant a quitté volontairement son emploi;
  • si c’est le cas, s’il était fondé à quitter son emploi quand il l’a fait.

Analyse

L’appelant a quitté volontairement son emploi

[13] Je considère que l’appelant a quitté volontairement son emploi.

[14] L’appelant et la Commission sont d’accord qu’il s’agit d’une démission. Et je n’ai aucune preuve du contraire.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à démissionner

[15] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il a décidé de démissionner.

[16] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[17] Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable au moment en question, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.

[18] L’appelant doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans les circonstancesNote de bas de page 3.

Circonstances entourant la démission de l’appelant

[19] L’appelant affirme que six des circonstances énumérées à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi existaient lorsqu’il a démissionnéNote de bas de page 4. Je vais examiner ces six circonstances.

Harcèlement

[20] Selon la Loi sur l’assurance-emploi, une personne est fondée à quitter volontairement son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas, compte tenu du harcèlement qu’elle subissait, de nature sexuelle ou autreNote de bas de page 5.

[21] Pour les raisons que je vais expliquer, j’estime que l’employeur n’a pas harcelé l’appelant.

[22] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas le « harcèlement ». Cependant, le harcèlement au travail est habituellement perçu comme des gestes ou des propos qui pourraient blesser mentalement, embarrasser ou isoler une personne en milieu de travail. Il s’agit souvent d’incidents répétés. Il peut aussi s’agir de comportements visant à intimider, à offenser, à dégrader ou à humilier une personne ou un groupe de personnesNote de bas de page 6.

[23] La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a déjà établi des « principes clés » pour évaluer s’il y a harcèlement en milieu de travailNote de bas de page 7 :

  • les personnes à l’origine du harcèlement peuvent agir seules ou en groupe et n’occupent pas nécessairement un poste de supervision ou de gestion;
  • le harcèlement peut prendre plusieurs formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et des menaces;
  • parfois, un seul incident suffit pour être considéré comme du harcèlement;
  • il faut se demander si la personne à l’origine du harcèlement savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pourrait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne ou lui causer toute autre blessure psychologique ou physique.

[24] Je peux aussi vérifier si l’employeur semblait ignorer ou tolérer la conduite de la personne à l’origine du harcèlementNote de bas de page 8. Enfin, la loi précise que toute mesure raisonnable prise par un employeur ou une ou un supérieur afin de gérer et d’orienter le personnel ou le milieu de travail ne constitue pas du harcèlementNote de bas de page 9.

[25] À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il s’était senti harcelé et intimidé en raison de trois incidents au travail.

[26] Premièrement, en juillet 2021, il a dit à son employeur qu’il n’était plus disposé à faire des heures supplémentaires. Son employeur a accepté. L’appelant a mentionné à la Commission que ses heures supplémentaires avaient lieu de 6 h à 7 h le matin. Il a arrêté de les faire. Il voulait commencer une heure plus tard parce qu’il ne dormait pas bien et qu’il avait de la diarrhée.

[27] L’appelant dit que son employeur voulait tout de même qu’il commence à 6 h. Il pouvait toutefois partir une heure plus tôt chaque jour. Il croit qu’il s’agissait de harcèlement parce que son employeur n’a pas écouté son opinion. Et l’employeur a ajouté que s’il voulait commencer plus tard, il allait devoir retourner au meulage. C’était un travail difficile physiquement qu’il avait abandonné parce qu’il n’était plus capable de le faire.

[28] Deuxièmement, en novembre 2021, l’appelant est revenu d’un congé. Son employeur l’a affecté au meulage pendant un mois. L’appelant a donc partagé son temps entre ses deux fonctions (nettoyage et meulage). Il dit que les autres membres du personnel faisaient seulement un type de travail.

[29] Troisièmement, en décembre 2021, lorsqu’il a repris son emploi de préposé au nettoyage, son employeur a réduit ses journées de travail de 30 minutes. Il dit qu’il gagnait moins d’argent (6,25 % de moins) parce qu’il ne travaillait pas autant qu’avant. Il affirme qu’il n’a pas demandé à son employeur de diminuer ses heures. Cette situation a eu lieu environ un mois avant qu’il avise son employeur de sa démission.

[30] L’employeur a dit à la Commission que l’emploi de préposé au nettoyage commençait à 6 h et que l’appelant y avait été affecté en 2016 parce que le travail de meulage était devenu trop dur pour lui. La Commission affirme qu’aucune preuve médicale ne montre qu’il doit commencer à 7 h. Et le personnel de la santé lui avait dit que tout allait bien.

[31] L’employeur a dit avoir transféré l’appelant au meulage pour quatre semaines pendant qu’une autre personne était en formation pour faire ce travail. La Commission affirme que l’employeur s’est adapté à l’état de santé de l’appelant durant ses quatre semaines de meulageNote de bas de page 10. En effet, l’employeur lui permettait de travailler sept heures par jour au lieu de huit et le payait 1 $ de plus par heure.

[32] Enfin, l’employeur a déclaré à la Commission que le travail de l’appelant était [traduction] « excellent » et qu’il avait travaillé pour l’entreprise pendant de nombreuses années, alors l’objectif était de le garderNote de bas de page 11. En décembre 2021, l’employeur a diminué ses heures pour que le travail ne soit pas trop dur pour lui.

[33] J’accepte la preuve de l’appelant et la preuve de la Commission concernant les faits relatifs aux trois incidents. J’accepte la preuve de l’appelant parce qu’elle est restée la même au fil du temps : dans sa demande d’assurance-emploi, lors de ses appels téléphoniques avec la Commission (où son épouse a servi d’interprète) et lors de l’audience (où nous avons fait appel à un service d’interprétation professionnelle). Les propos de l’appelant au sujet des faits sont essentiellement identiques à ceux de l’employeur. J’accepte aussi la preuve de la Commission, car ce qu’elle a dit au sujet des faits a confirmé les propos de l’appelant à la Commission et au Tribunal.

[34] L’appelant et la Commission ne s’entendent pas sur la signification des trois incidents, autrement dit ce que les incidents démontrent.

[35] L’appelant affirme que les incidents démontrent des [traduction] « modalités de travail inéquitablesNote de bas de page 12 ». Il croit que son employeur l’a isolé, harcelé et intimidé. Le fait de l’avoir affecté au meulage pendant quatre semaines en novembre 2021 était [traduction] « de toute évidence une demande sans bonnes intentions qui exerçait sur lui une forte pressionNote de bas de page 13 ».

[36] La Commission affirme qu’aucune preuve ne montre que l’appelant était le seul à être touché par les règles concernant l’heure de début du travail. De plus, l’employeur a essayé de s’adapter à l’état de santé de l’appelant lorsqu’il lui a permis de travailler moins d’heures, pendant les quatre semaines de meulage et après.

[37] Selon la preuve que j’ai acceptée, je ne suis pas d’accord avec la signification que l’appelant donne aux trois incidents. J’estime que son employeur ne l’a ni harcelé ni intimidé. L’appelant n’a pas prouvé que son employeur a adopté des comportements visant à le blesser mentalement, à l’embarrasser ou à l’isoler. De plus, il n’a pas démontré que son employeur avait l’intention de l’intimider, de l’offenser, de le dégrader ou de l’humilier. Je conclus donc qu’il n’y a pas eu de harcèlement ou d’intimidation de la part de l’employeur.

[38] J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que son employeur a pris des mesures raisonnables pour gérer et orienter l’appelant et les autres membres du personnel. Les fonctions de l’appelant faisaient partie d’une chaîne de production. Il est donc logique que ses heures de travail devaient cadrer avec celles des autres, puisque chaque personne effectuait des tâches différentes au cours du processus.

[39] J’estime aussi qu’il est plus probable qu’improbable que son employeur a fait de son mieux pour s’adapter à l’état de santé de l’appelant, tout en tenant compte des exigences de production. Le plus grand changement que l’employeur a fait a eu lieu en 2016. Pour s’adapter à l’état de santé de l’appelant, l’employeur l’a transféré du travail de meulage à un travail de nettoyage qui était moins exigeant physiquement.

[40] Je comprends que l’appelant ne voit pas les choses ainsi. Il n’est pas d’accord avec les décisions de son employeur. De plus, il croit que son employeur aurait dû l’écouter et le consulter lorsqu’il a pris ces décisions. Cependant, le fait de ne pas être d’accord avec les décisions de son employeur concernant ses fonctions et ses heures de travail ne signifie pas que ce dernier l’a harcelé ou intimidé.

Conditions de travail dangereuses pour la santé

[41] La loi prévoit qu’une personne qui a des conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnableNote de bas de page 14.

[42] Pour les raisons que je vais expliquer, j’estime que les conditions de travail de l’appelant n’étaient pas dangereuses pour sa santé ou sa sécurité.

[43] Lorsqu’une personne affirme avoir quitté son emploi parce que ses conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, elle doit : a) fournir une preuve médicaleNote de bas de page 15; b) avoir tenté de régler le problème avec l’employeurNote de bas de page 16; c) avoir tenté de trouver un autre emploi avant de démissionnerNote de bas de page 17. Et avant de démissionner pour des raisons de santé, la personne doit informer son employeur ou la Commission des problèmes de santé qui l’amènent à mettre fin à son emploiNote de bas de page 18.

[44] Selon la loi, l’appelant est responsable de démontrer que son travail avait des effets néfastes sur sa santé. En général, toute partie appelante doit démontrer la présence d’un problème de santé précis et non d’un problème de santé général lié au stressNote de bas de page 19. La preuve médicale dont la partie appelante a besoin pour montrer qu’il y a un danger pour sa santé ou sa sécurité dépend des faits et des circonstances de l’affaire. Lorsqu’il est évident qu’un emploi est dangereux pour la santé de la partie appelante, je pourrais conclure que celle-ci était fondée à quitter son emploi même en l’absence de rapport ou de certificat médicalNote de bas de page 20.

[45] L’appelant a déclaré qu’au moment où il a démissionné, il était déprimé en raison des trois incidents survenus au travail. Il dormait mal et avait de la diarrhée. Il a dit qu’il pensait pouvoir se remettre de ces incidents. Mais il s’est rendu compte qu’il en était incapable parce qu’il ne savait pas ce qui se passerait après.

[46] Il a aussi déclaré qu’il a vu plusieurs fois son médecin de famille à cause de la diarrhée et qu’il lui a parlé de ses problèmes de sommeil. Il a précisé que sa mère a subi une chirurgie pour se faire enlever le rectum en mai 2021 à cause d’un cancer du côlon. Et il craignait d’être malade aussi en raison de sa diarrhée, malgré ses résultats de tests normaux. Son médecin ne lui a prescrit aucun médicament pour le sommeil. Il lui a suggéré de prendre des somnifères en vente libre. L’appelant affirme avoir essayé, mais il n’a pas vu d’amélioration.

[47] Lorsque j’ai interrogé l’appelant sur sa santé, il a dit être capable physiquement de faire du nettoyage. Et il n’avait aucun problème mental. Il est revenu sur ce qu’il a dit au sujet des trois incidents : ils lui ont causé beaucoup de stress parce qu’il était incertain de ce qui allait se passer après, et son employeur ne l’avait pas écouté.

[48] L’appelant n’a transmis aucun rapport médical à la Commission ou au Tribunal. Il n’avait aucune preuve d’un diagnostic précis, ni aucune preuve de raisons pour lesquelles son emploi était néfaste ou dangereux pour sa santé au moment de sa démission. Ce qu’il a décrit est un problème de santé général lié au stress.

[49] La Commission affirme que l’appelant n’a pas présenté de preuve médicale claire qui montrait qu’il avait dû quitter son emploi pour des raisons de santé.

[50] Je suis d’accord avec la Commission pour deux raisons.

[51] Premièrement, j’accepte la preuve de l’appelant selon laquelle il était capable physiquement et mentalement de faire du travail de nettoyage. Je n’ai aucune raison de douter de ses propos. Et rien ne donne à penser que son emploi était trop dangereux pour sa santé ou qu’il a dû démissionner pour des raisons de santé. De plus, la loi prévoit que le stress découlant d’un travail ne donne pas à une partie appelante une justification pour quitter son emploi.

[52] Deuxièmement, je juge qu’il est plus probable qu’improbable que certains des problèmes de stress et de sommeil de l’appelant provenaient de ses inquiétudes au sujet de sa santé, et non de son emploi. Je n’ai aucune raison de douter de son témoignage selon lequel il craignait d’avoir un cancer du côlon, comme sa mère. Même si ses tests étaient négatifs, il a dit que sa diarrhée lui faisait craindre d’avoir la même maladie.

[53] Je reconnais ce qu’il a dit au sujet de sa santé mentale et de son travail. Il a été incapable de se remettre du fait qu’il croyait se faire exploiter et être victime de violence. Et il avait peur de ce qui pouvait arriver au travail après. Mais je dois me concentrer sur les circonstances entourant sa démission, et non sur sa peur de ce qui se passerait dans l’avenir. J’ai conclu qu’il ne se faisait pas harceler ou maltraiter par son employeur au moment où il a décidé de démissionner – et pendant les mois qui ont précédé.

Relations conflictuelles avec une ou un supérieur

[54] La loi dit qu’une personne est fondée à quitter volontairement son emploi si son départ est la seule solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris de relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec une ou un supérieurNote de bas de page 21.

[55] Pour les raisons que je vais expliquer, j’estime qu’il n’existait pas de relations conflictuelles entre la direction (l’employeur) et l’appelant.

[56] Un conflit de personnalité est une forme d’hostilité ou d’attitude qui, dans la plupart des cas, ne peut être détectée ou déterminée d’après ce qui s’est produit au cours d’un incident ou d’une querelleNote de bas de page 22. Il doit s’agir de situations indépendantes de la volonté des prestataires ou de situations dans lesquelles les prestataires n’y sont pour rienNote de bas de page 23.

[57] Une personne n’est pas fondée à quitter son emploi simplement parce qu’elle n’est pas d’accord avec les instructions d’une ou d’un supérieur ou avec le style de gestion du milieu de travailNote de bas de page 24.

[58] On a déjà établi que des personnes avaient été fondées à quitter leur emploi, parce que la direction critiquait constamment leur travail ou leur avait proféré des insultes verbales pendant trois ansNote de bas de page 25.

[59] On a déjà établi qu’une personne n’avait pas été fondée à quitter son emploi, parce que son employeur l’avait traitée de façon irrespectueuse. Toutefois, ses conditions de travail n’étaient pas insupportables au point où il lui aurait été impossible de continuer à travailler, même pendant une courte période où elle aurait pu chercher un autre emploiNote de bas de page 26.

[60] Je conclus que l’appelant n’a pas démontré qu’il avait des relations conflictuelles avec la personne de qui il relevait (ou toute personne de la direction). Rien ne prouve que l’employeur lui a proféré des insultes verbales ou qu’il lui a manqué de respect. Je ne vois aucune preuve de violence ou d’un conflit persistant entre l’appelant et son employeur.

[61] Je reconnais que l’appelant n’était pas d’accord avec les décisions de son employeur concernant les heures et les fonctions qui lui étaient attribuées. Cependant, même si ce désaccord était persistant et que l’appelant était incapable de s’en remettre, ce n’est pas une circonstance que l’on peut qualifier de relation conflictuelle au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Modification importante des fonctions et modification importante des conditions de rémunération

[62] Maintenant, je vais examiner deux circonstances en même temps, pour trois raisons :

  • les deux circonstances faisaient partie du même article de la Loi sur l’assurance-emploi;
  • les deux circonstances comprennent le mot « importante » et concernent une modification;
  • beaucoup de décisions du Tribunal ont examiné les deux circonstances ensemble.

[63] Je vais présenter ce que la loi dit au sujet des deux circonstances. Ensuite, je vais me pencher sur chaque circonstance séparément.

[64] La loi prévoit qu’une personne est fondée à quitter volontairement son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable compte tenu de la modification importante de ses conditions de rémunérationNote de bas de page 27. La loi prévoit aussi qu’une personne est fondée à quitter volontairement son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable compte tenu de la modification importante de ses fonctionsNote de bas de page 28.

[65] Pour les raisons que je vais expliquer, j’estime que l’employeur n’a pas apporté de modification importante aux fonctions de l’appelant. J’estime aussi que l’employeur n’a pas apporté de modification importante à la rémunération de l’appelant.

[66] Par « importante », on entend « quelque chose qui dépasse la normale » ou « des conditions d’emploi fondamentalement différentes et nouvellesNote de bas de page 29 ». Des modifications apportées au fil du temps peuvent représenter une modification importante au bout du compteNote de bas de page 30. La Loi sur l’assurance-emploi ne doit pas exclure une personne qui quitte son emploi parce qu’elle se faisait exploiterNote de bas de page 31.

[67] Des modifications mineures aux conditions de travail ne constituent pas une justification pour démissionnerNote de bas de page 32. Et une personne qui accepte les modifications, mais qui décide ensuite de démissionner n’est probablement pas fondée à quitter son emploiNote de bas de page 33.

[68] Les tribunaux ont décidé que toute personne était fondée à quitter son emploi dans les situations suivantes où l’employeur :

[69] Les tribunaux ont décidé que toute personne n’était pas fondée à quitter son emploi dans les situations suivantes :

  • son salaire a été réduit de 12,5 %, mais elle a fait ses heures de travail pendant deux mois avant de démissionner sans avoir cherché un autre emploiNote de bas de page 40;
  • son nombre d’heures a été réduit à 16 heures pour une seule semaineNote de bas de page 41;
  • son horaire de travail est passé de 40 à 24 heures par semaine, après 15 ans chez son employeurNote de bas de page 42;
  • son salaire a été réduit de 5 ou 6 %Note de bas de page 43;
  • son milieu de travail a été restructuré lors d’une conjoncture économique difficile, et elle s’est fait offrir deux emplois moins prestigieux ainsi qu’un salaire inférieur (ou gelé)Note de bas de page 44.

[70] J’accepte la preuve de l’appelant selon laquelle son employeur a modifié ses fonctions et réduit sa rémunération. (J’ai réfléchi aux situations ci-dessus lorsque j’ai examiné si son employeur l’avait harcelé.) Aucun élément de preuve ne contredit les faits que l’appelant a rapportés à la Commission et au Tribunal. Son employeur a convenu qu’il avait modifié ses fonctions en novembre 2021. Il a expliqué que c’était en raison des exigences de production et de la situation du personnel. Il a aussi convenu qu’il avait réduit ses journées de travail d’une demi-heure à partir de décembre 2021. Il a expliqué que l’appelant avait demandé des journées plus courtes pendant qu’il occupait ses deux rôles en novembre 2021.

[71] J’estime que l’employeur n’a pas modifié ses fonctions de façon importante lorsqu’il l’a transféré au travail de meulage pendant quatre semaines parce que :

  • la modification était temporaire;
  • pendant cette période, il l’a laissé travailler une heure de moins par jour, tout en le payant davantage, car le meulage était difficile compte tenu de son état de santé;
  • l’appelant partageait son temps entre le meulage (la plupart de son temps) et le nettoyage, qui était plus facile.

[72] J’estime aussi que l’employeur n’a pas modifié sa rémunération de façon importante. Le retrait d’une demi-heure de travail par jour (6,25 % de son salaire) n’est pas considéré comme une modification « importante ». C’est la conclusion que je tire compte tenu du sens du mot « importante ». Je fonde aussi ma conclusion sur le fait que la modification est semblable aux situations où les tribunaux ont décidé qu’une personne n’était pas fondée à quitter son emploi.

Incitation indue par l’employeur à l’égard de l’appelant à quitter son emploi

[73] Selon la loi, une personne est fondée à quitter volontairement son emploi si son départ était la seule solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris d’une incitation indue par l’employeur à quitter son emploiNote de bas de page 45.

[74] Pour les raisons que je vais expliquer, j’estime que l’employeur n’a pas incité indûment l’appelant à démissionner.

[75] « Indu » signifie « excessifNote de bas de page 46 » ou à un niveau qui est plus que nécessaire, acceptable ou raisonnableNote de bas de page 47.

[76] Les tribunaux ont décidé qu’il y a eu incitation indue par un employeur dans les situations suivantes où il :

[77] J’accepte la preuve de l’appelant selon laquelle il a démissionné parce qu’il croyait que son employeur était injuste envers lui et qu’il était victime de violence. L’appelant était stressé en raison de son travail, de son impression d’injustice à son égard et de ses craintes face à ce qui pourrait lui arriver dans l’avenir.

[78] Il a ajouté que lorsqu’il a discuté de la situation avec son épouse, celle-ci était d’accord avec sa décision de démissionner. Je reconnais que c’est ce qu’il croyait. Je n’ai aucune raison d’en douter, et je n’ai aucune preuve du contraire.

[79] Cependant, je considère que l’appelant n’a pas prouvé que son employeur l’a incité indûment à démissionner. J’arrive à cette conclusion pour trois raisons.

[80] Premièrement, l’appelant n’a pas fourni d’explication raisonnable pour laquelle son employeur aurait voulu qu’il démissionne. À l’audience, je l’ai interrogé à ce sujet. Il a dit qu’il avait une explication. Il a mentionné que son employeur croyait probablement pouvoir tout faire et qu’il ne pouvait pas se défendre parce que son anglais n’était pas bon. Enfin, il a ajouté que son employeur voulait peut-être qu’il démissionne pour ne pas avoir à lui verser l’argent découlant de ses 16 ans d’emploi (c’est-à-dire une indemnité de départ).

[81] Deuxièmement, je préfère la preuve de l’employeur à ce sujet. L’employeur a dit à la Commission que l’appelant était un travailleur apprécié et qu’il voulait le garder. Selon moi, c’est logique dans les circonstances : il était un employé de longue date, un bon travailleur et il savait accomplir différentes tâches.

[82] Troisièmement, les actions de son employeur ne me montrent pas que celui-ci a incité indûment l’appelant à démissionner. L’employeur et l’appelant affirment tous deux qu’il a obtenu un congé à l’automne 2021 pour aller dans son pays d’origine. L’employeur ne l’a pas congédié quand il a eu besoin de prendre congé. J’ai aussi constaté que son employeur ne l’a pas harcelé et qu’il n’y avait pas de relations conflictuelles entre eux.

[83] Enfin, selon la preuve que j’ai acceptée, je conclus que l’employeur n’a pas incité l’appelant de façon excessive, déraisonnable, injustifiée ou inacceptable à démissionner.

Conclusion sur les circonstances entourant la démission de l’appelant

[84] J’ai établi que l’appelant n’a pas prouvé que je dois garder à l’esprit une circonstance particulière prévue à l’article 29(c) pour décider s’il était fondé à quitter son emploi au moment de sa démission.

[85] Toutefois, je vais examiner toutes les circonstances dans leur ensemble pour décider si des solutions raisonnables lui auraient évité de démissionner au moment où il a pris cette décision. Autrement dit, je vais examiner les circonstances comme un tout.

Des solutions raisonnables autres que la démission s’offraient à l’appelant

[86] La loi dit que je dois voir si des solutions raisonnables auraient évité à l’appelant de quitter son emploi lorsqu’il a démissionné. Je dois tenir compte de toutes les circonstances présentes à ce moment-là.

[87] Si l’appelant avait des solutions raisonnables autres que la démission, la loi dit qu’il n’était pas fondé à quitter son emploi. Il serait alors exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[88] Lorsque j’examine si des solutions raisonnables s’offraient à lui, je dois garder à l’esprit l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi, qui est d’indemniser les personnes dont l’emploi s’est involontairement terminé et qui se retrouvent sans travailNote de bas de page 52. Généralement, toute personne a le devoir d’essayer de régler ses différends avec son employeur ou de faire des démarches pour trouver un autre emploi avant de décider de quitter le sienNote de bas de page 53.

[89] La Commission fait valoir que l’appelant n’a pas épuisé toutes les solutions raisonnables avant de démissionnerNote de bas de page 54. Elle affirme qu’il aurait pu :

  • discuter de ses inquiétudes avec son employeur;
  • demander de changer de gestionnaire;
  • discuter de ses inquiétudes avec le personnel de la santé;
  • trouver un nouvel emploi.

[90] L’appelant a déclaré avoir rencontré la personne de qui il relevait ainsi qu’une personne des ressources humaines pour discuter des heures supplémentaires en juillet 2021. Mais il a senti qu’on ne l’écoutait pas, qu’on l’exploitait et qu’on l’intimidait. Il a dit que son employeur faisait ce qu’il voulait et n’acceptait rien d’autre. L’appelant n’a donc pas parlé de sa décision de démissionner à la personne de qui il relevait.

[91] L’appelant a déclaré qu’il ne pouvait pas demander de changer de gestionnaire. La personne à la tête de l’entreprise familiale prenait toutes les décisions.

[92] L’appelant a aussi déclaré qu’il n’y avait pas de congé de maladie possible dans l’entreprise. Et comme il était capable physiquement et mentalement de faire le travail de nettoyage, il n’a pas dû parler de sa situation au personnel de la santé avant de démissionner.

[93] Enfin, l’appelant a déclaré qu’il a cherché du travail pendant un mois avant d’annoncer à son employeur qu’il démissionnait. Il a dit que, comme il ne maîtrise pas bien l’anglais, il a seulement appelé de trois à cinq restaurants où l’on parlait sa langue. Les emplois qui y étaient offerts exigeaient tous des heures supplémentaires, alors il n’était pas intéressé.

[94] J’accepte le témoignage de l’appelant. Je n’ai aucune raison d’en douter. Il a été honnête et a répondu à mes questions directement. Et je n’ai aucune preuve du contraire.

[95] Selon le témoignage de l’appelant au sujet de l’entreprise et des processus décisionnels, un changement de gestionnaire n’était pas une option raisonnable.

[96] Selon le témoignage de l’appelant, je constate qu’il était capable de faire son travail. Il le croyait aussi. Il n’était donc pas raisonnable pour lui de demander au personnel de la santé s’il pouvait quitter son emploi.

[97] J’estime que les deux autres solutions proposées par la Commission étaient raisonnables pour l’appelant. En effet, la principale raison qui l’a amené à démissionner était son impression ou sa croyance selon laquelle, dans les circonstances, son employeur l’exploitait, le harcelait, l’intimidait et lui faisait violence.

[98] Je n’ai aucun doute qu’il avait cette impression. Mais son impression ne reflète pas nécessairement la réalité. J’ai déjà conclu que l’appelant n’a pas prouvé que les circonstances énoncées dans la Loi sur l’assurance-emploi s’appliquaient à lui. Maintenant, je juge que compte tenu de l’ensemble des circonstances présentes, les deux solutions suivantes n’étaient pas déraisonnables.

[99] Premièrement, il aurait été raisonnable qu’il fasse des efforts pour régler la situation qui, selon lui, l’a amené à démissionner. Dans les circonstances, je considère qu’il avait l’obligation de discuter avec son employeur. Si l’employeur avait accepté de discuter avec lui, l’appelant aurait pu lui dire qu’il envisageait de démissionner. Il aurait pu lui expliquer les raisons de son choix. Et il aurait pu voir si son employeur était prêt à collaborer avec lui pour régler les problèmes.

[100] Deuxièmement, je juge qu’il aurait été raisonnable pour l’appelant, dans les circonstances, de faire plus de démarches pour trouver un autre emploi avant de démissionner. Appeler de trois à cinq employeurs en un mois n’était pas suffisant. Même s’il trouvait son emploi stressant, ses fonctions n’étaient ni dangereuses pour sa santé ni intolérables. Il n’était pas victime de harcèlement ou d’intimidation. Son employeur n’avait pas modifié de façon importante ses fonctions ou sa rémunération. J’estime donc qu’il était raisonnable pour lui de continuer à travailler et de faire plus de démarches pour trouver un nouvel emploi.

[101] Compte tenu de la preuve que j’ai acceptée, je conclus que l’appelant avait deux solutions raisonnables qui lui auraient évité de quitter son emploi au moment où il a décidé de démissionner. Autrement dit, il n’a pas prouvé que son départ était la seule solution raisonnable dans les circonstances.

Conclusion

[102] J’ai établi que l’appelant a démissionné.

[103] J’ai aussi établi que, compte tenu de toutes les circonstances présentes, des solutions raisonnables autres que la démission s’offraient à lui à ce moment-là.

[104] Par conséquent, il n’était pas fondé à quitter son emploi conformément à la Loi sur l’assurance-emploi. Il est alors exclu du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi.

[105] C’est ce que la Commission a décidé.

[106] Je dois donc rejeter l’appel.

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