Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : GD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 779

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : G. D.
Représentante ou représentant : Sakuraba Celso
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (570420) datée du
10 mars 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Nathalie Léger
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 19 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’appelant
Date de la décision : Le 2 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-872

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelant a droit à des prestations de maladie de l’assurance-emploi à compter du début de sa demande.

Aperçu

[2] L’appelant s’est rendu au Brésil, où vit sa famille, pendant ses vacances d’hiver. Il devait reprendre son emploi au Canada le 15 janvier 2022. Malheureusement, pendant cette période, il a eu un accident qui l’a rendu gravement handicapé et incapable de revenir au CanadaNote de bas de page 1.

[3] Son père, agissant en son nom, a présenté une demande de prestations de maladie. La Commission de l’assurance-emploi a rejeté la demande parce que l’appelant se trouvait à l’étranger lorsque son accident s’est produit et qu’il est donc inadmissible au bénéfice des prestations.

[4] La représentante de l’appelante n’est pas d’accord. Elle soutient que l’appelant devrait bénéficier de l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi. Cet article permet à une partie prestataire qui se trouve à l’étranger de recevoir des prestations pendant qu’elle suit un traitement médical dans un établissement accrédité si ce traitement n’est pas immédiatement ou promptement disponible au Canada.

[5] Les faits dans la présente affaire ne sont pas contestés. Les parties conviennent que l’appelant a quitté le Canada pour prendre des vacances et qu’il serait revenu au Canada s’il n’avait pas eu son accident. Les parties conviennent également que l’appelant est traité dans un établissement médical accrédité par le gouvernement local et qu’il ne peut pas revenir au Canada pour recevoir son traitement dans sa région de résidence.

Question en litige

[6] L’appelant a-t-il prouvé qu’il remplit toutes les conditions pour se prévaloir de l’exception prévue à l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi?

Analyse

[7] La règle générale est qu’une partie prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il est à l’étrangerNote de bas de page 2. Toutefois, le Règlement sur l’assurance-emploi prévoit une liste limitée d’exceptions à cette règle généraleNote de bas de page 3. Celles-ci comprennent, par exemple, le fait d’être à l’étranger pour assister aux funérailles d’un membre de la famille, pour s’occuper d’un membre de la famille qui est malade, ou pour faire une recherche d’emploi.

[8] L’exception prévue à l’article 55(1)a), qui est en cause dans la présente affaire, est qu’une partie prestataire est admissible au bénéfice des prestations si :

  1. a) Elle se trouve à l’étranger pour suivre un traitement médical.
  2. b) Le traitement médical n’est pas immédiatement ou promptement disponible dans la région où le prestataire réside au Canada.
  3. c) Le traitement médical est fourni dans un établissement de soins qui est accrédité par l’autorité gouvernementale à l’étrangerNote de bas de page 4.

Observations de l’appelant

[9] La représentante de l’appelant soutient que nulle part dans la Loi sur l’assurance-emploi ou dans le Règlement sur l’assurance-emploi, il n’est dit qu’une personne doit quitter le Canada dans le seul but de se faire traiter à l’étranger pour que l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi s’applique. Elle soutient que la raison pour laquelle une partie prestataire a quitté le Canada n’est pas pertinente. Comme il n’est pas contesté que l’appelant suit un traitement dans un établissement accrédité à l’étranger, il devrait bénéficier de l’exception prévue par ce paragraphe.

[10] Il soutient également qu’il n’est pas contesté que l’appelant ne peut pas revenir au Canada en raison de son état de santéNote de bas de page 5. Par conséquent, cela signifie qu’aucun traitement médical n’est immédiatement ou promptement disponible pour lui au Canada.

[11] La représentante de l’appelant présente finalement la décision KI c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 6 comme ayant un pouvoir persuasif, même si elle reconnaît qu’elle n’est pas contraignante pour moi. Dans cette décision, le Tribunal a conclu qu’un prestataire qui devait recevoir un traitement médical à l’étranger pour un problème de santé qui s’est aggravé au cours d’un voyage à l’étranger satisfaisait aux exigences de l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi.

Observations de la Commission

[12] La Commission soutient que l’objectif premier de l’absence du Canada de l’appelant était de prendre des vacances et non de se faire soigner. Elle fait valoir qu’il ne répond donc pas à la première exigence de l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploiNote de bas de page 7. Aucune autre décision ni aucun élément ayant un pouvoir de persuasion n’est fourni à l’appui de cet argument.

[13] La Commission soutient également que l’exception invoquée par l’appelant ne s’applique que lorsqu’une partie prestataire quitte le Canada pour suivre un traitement qu’elle ne pourrait pas autrement obtenir immédiatement dans sa région de résidence au CanadaNote de bas de page 8. Comme cela semble redondant par rapport à son premier argument, je dois déduire que la position de la Commission est que le traitement était immédiatement accessible à l’appelantNote de bas de page 9. Elle n’a fourni aucun élément de preuve à cet effet ni expliqué la situation d’une autre façon. Je prends donc cet argument avec de sérieuses réserves.

[14] Enfin, la Commission soutient que le Tribunal n’est pas lié par une décision rendue par un autre membre du Tribunal dans une affaire différente et que la décision présentée par la représentante de l’appelant peut être distinguée sur le plan factuel. Mais encore une fois, comme la Commission ne précise pas comment ni pourquoi cette décision devrait être distinguée de la situation de l’appelant, l’argument est pris avec de sérieuses réserves.

Analyse par le Tribunal

[15] La question à laquelle il faut répondre dans la présente affaire n’est pas tant une question de fait qu’une question de droit. Essentiellement, je dois décider quelle est l’interprétation correcte de l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi. Le principal point de désaccord entre les parties est le sens et l’importance des mots « […] pour l’un des motifs suivants : subir […] »qui figurent au début du paragraphe a).

[16] Les règles d’interprétation législative sont d’abord prévues par la Loi d’interprétationNote de bas de page 10. Ces règles sont complétées par des règles d’interprétation de common law qui ont été exprimées par la Cour suprême du Canada ou d’autres cours d’appel.

[17] L’acte d’interprétation a quatre principaux objectifs : déterminer l’intention véritable du législateur lorsqu’il adopte un article précis d’une loi. Pour ce faire, il faut examiner les termes utilisés dans l’article en question, dans le contexte de l’ensemble de la loi. La disposition examinée doit également être interprétée de façon équitable, large et libérale pour lui permettre d’atteindre son objetNote de bas de page 11.

[18] Pour faciliter la compréhension du raisonnement juridique qui suit, je pense qu’il est utile de reproduire le libellé exact de l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi :

Prestataires à l’étranger

55 (1) Sous réserve de l’article 18 de la Loi, le prestataire qui n’est pas un travailleur indépendant n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations du fait qu’il est à l’étranger pour l’un des motifs suivants :

    a) subir, dans un hôpital, une clinique médicale ou un établissement du même genre situés à l’étranger, un traitement médical qui n’est pas immédiatement ou promptement disponible dans la région où il réside au Canada, si l’établissement est accrédité pour fournir ce traitement par l’autorité gouvernementale étrangère compétente;

[19] L’article 55 du Règlement sur l’assurance-emploi prévoit une série d’exceptions à la règle générale prévue à l’article 37 de la Loi sur l’assurance-emploi. L’objet de l’article 55 est donc de lever l’inadmissibilité à laquelle les parties prestataires seraient normalement confrontées si elles étaient à l’étranger, mais seulement pour une liste limitée de situations, et généralement pour un nombre limité de jours.

  1. a) Interprétation et application de la première exigence

[20] Comme je l’ai mentionné plus haut, la première chose à faire dans l’interprétation d’une loi, c’est d’examiner les mots exacts utilisés par le Parlement. Le titre de l’article 55 est : « Prestataires à l’étranger ». Elle aide à déterminer l’objet de l’article 55. À mon avis, ces mots désignent un état de fait, et non une intention ou un désir.

[21] Quant aux mots « […] pour l’un des motifs suivants : subir […] », ils semblent faire référence à une intention. Le mot « motif » est défini dans le dictionnaire Le Robert comme : « Mobile d'ordre intellectuel, raison d'agir ». Bien que ces mots indiquent une intention ou une raison d’être à l’étranger, ils sont toujours accompagnés de verbes au présent, faisant donc référence à ce qu’une partie prestataire fait pendant qu’elle est à l’étranger, et non à la raison pour laquelle elle a quitté le Canada.

[22] De plus, lorsque l’on examine toutes les autres exceptions énumérées aux paragraphes b) à f) de l’article 55(1) du Règlement sur l’assurance-emploi, on remarque que, contrairement au paragraphe a), ils utilisent toutes des mots d’action (verbes) pour qualifier les raisons pour lesquelles une partie prestataire serait à l’étranger. Par exemple, les termes suivants sont utilisés : « assister […] aux funérailles » au paragraphe b), « accompagner […] un proche parent » au paragraphe c), ou « assister à une véritable entrevue d’emploi » au paragraphe e).

[23] Autrement dit, ce n’est pas la raison pour laquelle une personne a quitté le Canada qui est importante, mais ce qu’elle fait pendant qu’elle est à l’étranger. Dans ce contexte, l’expression « […] pour l’un des motifs suivants : subir […] » doit désigner le fait de se préparer à recevoir (ou de recevoir) des traitements médicaux à l’étranger et non la raison pour laquelle la personne a quitté le Canada.

[24] Enfin, lorsqu’on compare la version française et la version anglaise de ce paragraphe, on constate que la version anglaise est plus large que la version française. En français, le début du paragraphe a) se lit comme suit : « subir […] un traitement médical […] », qui peut se traduire par : « undergo […] a medical treatment ». Il est d’emblée évident que dans la version française du texte, il n’y a aucune mention de but, d’intention ou d’objectif. Le mot « subir » est un mot d’action, et non d’intention.

[25] Lorsque les dispositions d’une loi bilingue sont toutes les deux sans ambiguïté, mais qu’une version est plus large que l’autre, il faut trouver le sens commun qui existe dans les deux versions et ne pas tenir compte de ce qui est différentNote de bas de page 12. Ce qui est commun aux versions française et anglaise de ce paragraphe, c’est que si une partie prestataire est à l’étranger et subit un traitement médical, elle pourrait bénéficier de l’exception si toutes les autres conditions sont remplies. La notion de motif n’est pas commune aux deux versions et doit donc être ignorée.

  1. ii) Interprétation et application de la deuxième condition

[26] Comme nous l’avons vu au paragraphe 7 ci-dessus, pour se prévaloir de l’exception, le prestataire doit également démontrer que le traitement médical dont il a besoin n’est pas immédiatement ou promptement disponible dans sa région de résidence au Canada.

[27] Les mots « immédiatement et promptement disponible » indiquent un élément d’urgence et de facilité d’accèsNote de bas de page 13. S’il est difficile d’accéder au traitement médical ou s’il faut passer par un processus long et ardu, il ne répond pas à ce critère.

[28] Sur ce point, je trouve convaincant le raisonnement de mon collègue dans l’affaire KI c Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 14. Je crois qu’il faut évaluer chaque cas en fonction de la situation particulière à laquelle fait face la partie prestataire, de l’étendue du traitement médical nécessaire, des solutions de rechange qui s’offrent à elle et de la gravité de son problème de santé. Ce n’est qu’en tenant compte de tous ces éléments qu’il est possible de décider si le traitement peut être considéré comme étant immédiatement et promptement disponible dans la région où elle réside au Canada.

[29] En raison des circonstances exceptionnelles de l’appelant, où il ne peut ni communiquer ni revenir au Canada, il devient évident qu’aucun traitement médical au Canada ne peut lui être facilement et immédiatement accessible. Même si un tel traitement était offert, il ne pourrait pas y avoir accès en raison de son état de santé. Il faudrait beaucoup de planification pour le transférer au Canada, et même à ce moment-là, il faudrait qu’il voyage trop loin et pendant trop de temps pour y avoir accès. Par conséquent, je conclus que les traitements médicaux nécessaires ne sont pas immédiatement et promptement disponibles dans sa région de résidence au Canada.

Conclusion

[30] L’appelant a démontré avec succès qu’il peut bénéficier de l’exception prévue à l’article 55(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi parce que, pour la période pour laquelle il demande des prestations de maladie, il suivait des traitements médicaux dans un établissement médical reconnu, et ces traitements n’étaient pas immédiatement et promptement disponibles dans sa région de résidence au Canada.

[31] L’appel est accueilli. L’appelant a droit à des prestations de maladie de l’assurance-emploi à compter du début de sa demande.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.