Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : YS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1779

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : Y. S.
Représentant : Karl Sadowski
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (595594) datée du 1er juin 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Angela Ryan Bourgeois
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 11 septembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-1722

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante est infirmière autorisée. Elle a été congédiée de son emploi le 22 octobre 2021Note de bas de page 2.

[4] Son employeur a déclaré à la Commission que l’appelante avait été congédiée pour non-respect de sa politique de vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 3.

[5] L’appelante convient qu’elle ne s’est pas fait vacciner. Elle savait que cela allait à l’encontre de la politique de son employeurNote de bas de page 4. Elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi parce que chaque personne a des droits concernant l’autonomie corporelleNote de bas de page 5.

[6] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que l’appelante était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[7] L’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi prévoit qu’une partie prestataire ne peut pas obtenir des prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison de son inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas de page 6.

[9] Je dois trancher ces deux questions : pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi? La raison correspondait-elle à une inconduite selon la loi?

La raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi

[10] Personne ne conteste ce qui suit :

  • L’employeur avait une politique de vaccination.
  • La politique de vaccination prévoyait que les personnes employées devaient fournir la preuve indiquant qu’elles avaient reçu le vaccin contre la COVID-19. Si elles ne le faisaient pas, elles seraient congédiées.
  • Il y avait des exceptions à la politique de vaccination.
  • L’appelante était au courant de la politique. Elle a demandé une exemption. L’employeur a rejeté sa demande.
  • L’appelante ne s’est pas fait vacciner. Cela allait à l’encontre de la politique de vaccination.
  • L’appelante savait qu’elle serait congédiée si elle ne se faisait pas vaccinerNote de bas de page 7.
  • L’employeur a congédié l’appelante parce qu’elle est allée à l’encontre de sa politique de vaccination.
  • Le syndicat de l’appelante a déposé un grief en son nomNote de bas de page 8.

[11] J’estime que l’appelante a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeurNote de bas de page 9. Cela allait à l’encontre de la politique de vaccination de l’employeur. Celui-ci l’a donc congédiée.

Ce que signifie l’inconduite selon la loi

[12] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 10.

[13] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Cependant, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si le congédiement de l’appelante est le résultat d’une inconduite selon la Loi. La jurisprudence établit le critère juridique relatif à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[14] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 11. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 12. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 13.

[15] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 14.

Ce que dit la Commission

[16] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantesNote de bas de page 15 :

  • L’employeur avait une politique de vaccination.
  • L’appelante était au courant de la politique de vaccination obligatoire de l’employeur, des dates limites et des conséquences si elle ne s’y conformait pas.
  • L’appelante ne s’est pas fait vacciner, bien que sa demande d’exemption ait été rejetée.
  • L’appelante a choisi de ne pas se conformer à la politique avant la date limite en raison de ses croyances.
  • L’appelante savait qu’elle serait congédiée si elle ne respectait pas la politique de vaccination de l’employeur.

Ce que dit l’appelante

[17] L’appelante affirme qu’elle ne voulait pas se faire vacciner parce qu’elle craignait que la vaccination nuise à sa santéNote de bas de page 16. Lorsqu’elle a parlé à sa gestion, on lui a dit qu’elle devait se faire vacciner, sans quoi elle serait congédiéeNote de bas de page 17.

[18] L’appelante fait valoir ce qui suitNote de bas de page 18 :

  • Elle a travaillé pour l’employeur pendant environ 23 ans. Elle travaillait dur et ses antécédents de travail étaient irréprochables.
  • L’employeur lui a offert des mesures d’adaptation au plus fort de la pandémie.
  • Elle a été congédiée parce qu’elle a exercé son droit à l’autonomie corporelle et qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur. Cela ne constitue pas une inconduite selon la loi. L’employeur n’avait pas de motif valable pour la congédier.
  • Le non-respect de la politique de l’employeur ou une rupture de contrat ne l’exclut pas du droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi.
  • Il n’y avait pas d’obligation implicite de se faire vacciner au moment de son embauche, et il ne s’agit pas d’une condition d’emploi sérieuse.
  • L’appelante n’avait aucune obligation résultant du contrat de travail ni d’autre obligation juridique (que ce soit par l’entremise de la convention collective ou de la loi) de se faire vacciner.
  • L’employeur n’est pas autorisé à incorporer arbitrairement et unilatéralement de nouvelles conditions au contrat de travail. Par conséquent, la non-conformité de l’appelante était un congédiement déguisé.
  • Elle poursuit sa contestation de la modification apportée par l’employeur à son relevé d’emploi; si le relevé est corrigé, il modifiera son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.

Les agissements de l’appelante ont mené à son congédiement

[19] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination qui prévoyait que les personnes employées qui ne fournissaient pas de preuve de vaccination seraient congédiées.
  • L’appelante était au courant de la politique.
  • Elle a choisi de ne pas se faire vacciner. Elle a choisi de ne pas respecter la politique.
  • Sa décision de ne pas respecter la politique était un geste conscient, délibéré et intentionnel.
  • Elle savait qu’elle serait congédiée si elle ne respectait pas la politiqueNote de bas de page 19.

Décisions récentes de la jurisprudence

[20] J’ai examiné toutes les affaires mentionnées par les parties.

[21] Dans la décision AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1428, une membre de la division générale du Tribunal a décidé que la prestataire n’avait pas été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite alors qu’elle est allée à l’encontre de la politique de vaccination de l’employeur. La membre du Tribunal a conclu que la prestataire avait le droit de choisir d’accepter ou non un traitement médical et que même si l’exercice de ce droit allait à l’encontre de la politique de l’employeur, il ne s’agissait pas d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[22] Je ne vais pas suivre la décision de la division d’appel. Voici pourquoi :

  • Je ne suis pas d’accord avec son raisonnement. Mon rôle n’est pas d’examiner la question de savoir si l’employeur était autorisé à adopter la politique ou si elle était équitable. Je dois me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et vérifier s’il s’agit d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.
  • La décision AL n’est pas contraignante pour moi parce qu’elle a été rédigée par ma collègue de la division générale.
  • Une décision récente de la Cour fédérale, intitulée Milovac c Procureur général du Canada, 2023 CF 1120, va à l’encontre de la logique exposée dans la décision AL. Je dois suivre les décisions de la Cour fédérale lorsque les faits sont semblables, ce qui est le cas dans la présente affaire.

[23] Dans l’affaire Milovac, la Cour fédérale a convenu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite parce qu’il connaissait la politique de vaccination de l’employeur et les conséquences qui découleraient du refus de s’y conformer. La Cour affirme que la question de savoir si la politique de l’employeur était injuste ou allait à l’encontre de la convention collective ou de la Charte canadienne des droits et libertés ne relevait pas de la compétence du Tribunal.

La politique et le contrat de travail

[24] L’appelante fait valoir que la politique n’était ni juste ni obligatoire pour elle. Elle a présenté divers arguments concernant le droit de l’employeur d’adopter la politique et de modifier les conditions de son contrat de travail. Elle dit avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé.

[25] Cependant, le critère juridique relatif à l’inconduite ne m’oblige pas à considérer le fondement de la politique ni à décider s’il était raisonnable pour l’employeur d’imposer cette obligation ou d’adopter cette politique. Se demander si la politique est raisonnable met l’accent sur le comportement de l’employeur, et non sur les faits et gestes de la personne qu’il emploie. Je dois examiner la conduite de cette dernière, et non celle de l’employeurNote de bas de page 20.

[26] Je me concentre sur la Loi sur l’assurance-emploi. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelante, par l’entremise de son syndicat par exemple. Il ne m’appartient pas de trancher la question de savoir si l’employeur aurait dû accueillir la demande d’exemption de l’appelante, de me prononcer sur la décision de l’employeur concernant la demande d’exemption et de décider si la politique a enfreint la convention collective ou d’autres loisNote de bas de page 21. Je ne peux seulement évaluer une chose : si ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[27] Toutefois, le comportement d’un employeur pourrait être important pour décider si les agissements de l’appelante étaient délibérés. Par exemple, si l’employeur n’a pas informé l’appelante de la politique ou ne lui a pas donné le temps de s’y conformer, il se peut que la non-conformité ne soit pas délibérée. Cependant, comme je l’ai constaté ci-dessus, les agissements de l’appelante étaient délibérés. Elle connaissait la politique, elle a eu le temps de s’y conformer et elle connaissait ou aurait dû connaître les conséquences de son choix de ne pas se conformer. Il est bien établi qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 22.

Antécédents de travail, cotisations à l’assurance-emploi et relevé d’emploi de l’appelante

[28] L’appelante a affirmé qu’elle devrait être admissible aux prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a travaillé pendant plus de 23 ans et qu’elle n’a jamais touché de prestationsNote de bas de page 23.

[29] La Commission affirme que le fait de verser des cotisations à l’assurance-emploi ne donne pas en soi le droit de recevoir des prestations.

[30] La Commission a raison. Les personnes qui versent des cotisations à l’assurance-emploi ne sont pas toutes admissibles aux prestations. Comme dans le cadre des autres régimes d’assurance, les parties prestataires doivent quand même remplir toutes les conditions d’admissibilité. Dans la présente affaire, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[31] L’appelante affirme qu’elle conteste la modification apportée par l’employeur à son relevé d’emploi. Ce qu’elle veut dire par là n’est pas clair. Il n’y a qu’un seul relevé d’emploi au dossier, et il ne s’agit pas d’un relevé d’emploi modifiéNote de bas de page 24.

[32] Quoi qu’il en soit, le relevé d’emploi est une partie seulement de la preuve dont je dispose. La preuve la plus importante est que l’appelante admet qu’elle savait qu’elle serait congédiée si elle ne se conformait pas à la politique de vaccination, puis qu’elle a choisi de ne pas s’y conformerNote de bas de page 25. Il s’agit d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi, peu importe ce que dit le relevé d’emploi.

L’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite

[33] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[34] En effet, les gestes posés par l’appelante ont mené à son congédiement. Elle a agi délibérément. Elle savait que le refus de se faire vacciner allait à l’encontre de la politique de l’employeur et était susceptible de lui faire perdre son emploi. Elle a tout de même choisi de ne pas se faire vacciner.

Conclusion

[35] La Commission a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[36] L’appel est rejeté.

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