Assurance-emploi (AE)

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Citation : YP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 204

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : Y. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (604447) datée du 20 septembre 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Manon Sauvé
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 4 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : L’appelant
La conjointe de l’appelant
Date de la décision : Le 10 janvier 2024
Numéro de dossier : GE-23-2863

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelant n’a pas fait de fausses déclarations au sens de la LoiNote de bas de page 1. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’imposer une pénalité.

Aperçu

[2] Depuis plusieurs années, l’appelant est propriétaire d’un centre de denturologie. Le personnel comprend quatre denturologistes et une adjointe administrative.

[3] Le 18 septembre 2021, l’adjointe administrative du centre quitte son emploi en raison d’un congé de maternité. Elle doit revenir au travail vers le mois d’octobre 2022.

[4] Pendant ce temps, la conjointe de l’appelant et une amie se partagent les heures de travail. À l’automne 2022, l’adjointe administrative informe l’appelant qu’elle ne reviendra pas au travail.

[5] L’appelant affiche le poste pour un emploi à temps plein. Au mois de novembre 2022, il engage une nouvelle adjointe administrative. Il met fin à l’emploi de sa conjointe et de son amie.

[6] Elles se présentent dans un centre de Service Canada, afin de s’informer de leur droit à présenter une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi. Elles comprennent qu’elles n’ont pas le droit de recevoir des prestations, parce qu’elles ne veulent plus travailler à temps plein. L’une est âgée de 77 ans et l’autre de 67 ans. Elles sont toutes deux retraitées. Elles ont dépanné l’appelant pendant le congé de maternité de l’adjointe administrative.

[7] La Commission ouvre une enquête. Elle semble soupçonner que les emplois sont fictifs.

[8] Après avoir recueilli des informations auprès de l’appelant, des deux employées, des services comptables de l’appelant, elle conclut que l’appelant a fait de fausses déclarations. Elle lui impose une pénalité de 8000 $.

[9] L’appelant présente une demande de révision. Il soutient ne pas avoir fait de fausses déclarations. Il y avait une fin de contrat pour les deux employées qui ne voulaient pas travailler à temps plein. Il s’agissait d’un travail temporaire dans l’attente du retour de l’adjointe administrative en congé de maternité.

[10] En révision, la Commission maintient sa décision concernant les fausses déclarations, mais diminue la pénalité à 3200 $.

Questions en litige

  1. Est-ce que l’appelant a fait deux fausses déclarations ?
  2. Si oui, est-ce que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire en imposant une pénalité de 3200 $ à l’appelant ?

Question en litige no 1 : Est-ce que l’appelant a fait deux fausses déclarations ?

[11] Lorsque la Commission soutient qu’une personne a fait une fausse déclaration sciemment, c’est elle qui doit en faire la preuveNote de bas de page 2. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Ainsi, il doit être plus probable que la personne a fait une fausse déclaration.

[12] La Commission doit démontrer que la personne a donné une réponse inexacte à une question très simpleNote de bas de page 3. Si elle le démontre, il y a un renversement du fardeau de preuve. C’est maintenant à la personne de fournir une explication raisonnable justifiant que la fausse déclaration n’a pas été faite volontairement.

[13] Pour interpréter le mot « sciemment », il faut utiliser un critère subjectif pour déterminer si la connaissance requise existe. « Il ne suffit pas de proclamer son ignorance pour échapper à des sanctions : il est permis de tenir compte du bon sens et de facteurs objectifs pour décider si un prestataire avait la connaissance subjective de la fausseté de ses déclarations »Note de bas de page 4.

[14] Dans la présente affaire, je retiens que l’appelant est propriétaire d’un centre de denturologie depuis plusieurs années. Une adjointe administrative prend en charge la gestion du centre pour soutenir quatre denturologistes.

[15] En 2021, l’adjointe administrative cesse de travailler en raison d’un congé de maternité. Devant les difficultés de recruter une remplaçante en période de pandémie, la conjointe de l’appelant et une amie se partagent le travail pendant le congé de maternité de l’adjointe. Elles doivent cesser de travailler lors de son retour.

[16] L’adjointe informe l’appelant qu’elle quitte son emploi. Elle ne reviendra donc pas travailler après son congé de maternité. L’appelant doit donc procéder à l’embauche d’une nouvelle adjointe. Il s’est entendu avec sa conjointe et son amie que le contrat se termine lors d’un retour de l’adjointe, mais en raison de sa démission, ce sera lors de l’embauche de la nouvelle adjointe.

[17] La nouvelle adjointe est finalement embauchée au mois de novembre 2022. La conjointe de l’appelant cesse de travailler.  L’amie termine quelques semaines plus tard, afin de former la nouvelle adjointe. Elles ont toujours été claires : elles ne veulent pas travailler à temps plein. Elles ont respectivement 77 et 67 ans.

[18] Une demande est acheminée au comptable du centre, afin qu’il émette deux cessations d’emploi. Sur le relevé, il y est indiqué manque de travail/fin de contrat. La conjointe de l’appelant ainsi que son amie s’informent à la Commission pour savoir si elles peuvent recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[19] Le comptable qui s’occupait des affaires du centre a quitté son emploi. Il est remplacé par une nouvelle comptable. Cette dernière remplit les relevés d’emploi en indiquant : manque de travail/fin de contrat.

[20] Le 9 janvier 2023, la Commission communique avec la comptable qui a rempli les relevés d’emploi. Cette dernière l’informe qu’elle a commencé à travailler le 8 novembre 2022. Elle ne connait pas tous les détails. Elle confirme que la conjointe de l’appelant et son amie ont travaillé en 2022. Également, il y aurait une erreur sur le relevé d’emploi d’une employée. Elle devra faire les corrections.

[21] Le 9 janvier 2023, la Commission communique avec la conjointe de l’appelant pour obtenir des informations concernant son emploi. Elle travaillait combien d’heures, quelles étaient ses tâches…

[22] Toujours le 9 janvier 2023, la Commission tente de rejoindre l’appelant sans succès.

[23] Le 10 janvier 2023, la Commission communique avec l’amie de la conjointe. Elle s’informe sur le lien entre cette dernière et l’appelant ou sa conjointe. Elle lui pose des questions concernant ses tâches de travail, si elle paie une pension lorsqu’elle demeure chez le couple.

[24] Je constate que les questions de la Commission visent à déterminer si l’amie est une personne liée. Et si les postes ont réellement existé.

[25] Le 10 janvier 2023, elle communique de nouveau avec la conjointe de l’appelante. Les questions portent principalement sur le fonctionnement du centre et les tâches de l’appelante.

[26] Le 10 janvier 2023, la Commission communique de nouveau avec la nouvelle comptable. Elle lui demande si la conjointe de l’appelant a travaillé en 2021. En fait, elle veut obtenir des informations sur l’entreprise.

[27] Le 10 janvier 2023, la Commission communique encore une fois avec la conjointe de l’appelant. Cette fois-ci, elle décide de transmettre à l’Agence du revenu du Canada le dossier de l’entreprise pour déterminer si les heures effectuées par la conjointe de l’appelant et son amie sont des heures assurables.

[28] Le 11 janvier 2023, la Commission communique avec l’amie de la conjointe. Elle l’informe que ses heures de travail sont certainement assurables, mais elle n’est pas admissible parce qu’elle n’est pas disponible pour travailler à temps plein.

[29] Le 12 janvier 2023, la Commission demande à la nouvelle comptable les chèques de payes. Elle lui demande de transmettre au moins un chèque émis par elle pour un fournisseur.

[30] Je comprends des nombreuses demandes de la Commission qu’elle cherche à déterminer si l’entreprise existe et si les personnes ont réellement travaillé à cet endroit. Il n’est pas encore question du motif de la fin d’emploi de la conjointe de l’appelant et de son ami.

[31] Je constate que la Commission va poursuivre ses communications avec l’appelant, la conjointe de l’appelant et l’amie.

[32] Le 23 janvier 2023, la Commission communique avec la nouvelle comptable. Elle insiste pour obtenir des documents. La nouvelle comptable déclare qu’elle n’a pas l’autorisation de transmettre les documents.

[33] Le 25 janvier 2023, la Commission rejoint l’appelant. Les questions visent à déterminer le rôle de chacun dans l’entreprise. Elle veut également obtenir les documents de la compagnie.

[34] Il s’en suit des discussions entre la Commission et la nouvelle comptable, la conjointe de l’appelant, l’appelant et l’amie de la conjointe.

[35] Après avoir lu les informations recueillies par la Commission, je ne sais pas encore quels sont les objectifs. Est-ce de démontrer qu’il s’agit d’une entreprise fictive, de travailleurs fictifs, l’implication des 4 personnes dans l’entreprise ? On pourrait qualifier le processus de partie de pêche. En effet, selon les notes, les personnes ne savent pas vraiment les raisons de toutes ces questions.

[36] À ce sujet, la Commission soutient que l’appelant savait qu’il s’agissait de fausses déclarations, puisqu’il a demandé la révision concernant la pénalité pour avoir fait de fausses déclarations.

[37] Je comprends la position de la Commission. Cependant, je ne suis pas totalement d’accord avec son interprétation. En fait, après plusieurs contacts téléphoniques entre le mois de janvier et février où il n’est pas question de fausses déclarations sur le relevé d’emploi, la Commission a rendu une décision le 12 juin 2023 concernant les fausses déclarations. J’y reviendrais.

[38] Le 13 février 2023, dans le cadre de son enquête, la Commission demande à la comptable si on lui a demandé d’indiquer un manque de travail. Selon les notes de la Commission, elle répond : « Elle avait une note sur son bureau mentionnant que l’employeur avait appelé et qu’elle devait faire les relevés d’emploi avec comme raison une fin de contrat ».Note de bas de page 5

[39] Toujours selon les notes, la nouvelle comptable répète à plusieurs reprises qu’elle ne sait pas la réponse, parce qu’elle est nouvelle. Elle pense des choses, mais elle n’est pas certaine.

[40] Et là, l’enquête de la Commission prend un tournant. Elle soutient que l’appelant a fait de fausses déclarations, parce qu’il a indiqué « manque de travail/fin de contrat », alors qu’il y avait encore du travail, puisqu’il a engagé une nouvelle personne à temps plein.  

[41] Le 3 avril 2023, la Commission discute avec la nouvelle comptable, elle réitère que de mémoire, il s’agissait d’une fin de contratNote de bas de page 6. Encore une fois, la nouvelle comptable ne sait pas vraiment ce qui s’est passé.

[42] Le 12 juin 2023, la Commission impose une pénalité de 8000 $ à l’appelant pour avoir fait de fausses déclarations.

[43] Selon la Commission, l’appelant a fourni de faux renseignements sur le relevé d’emploi. Il savait que les employées seraient remplacées par une employée à temps plein. Il voulait permettre aux deux employées de recevoir des prestations d’Assurance-emploi.

[44] La Commission a maintenu sa décision dans le cadre de demande de l’appelant concernant les fausses déclarations. Toutefois, elle a diminué la pénalité à 3200 $.

[45] Dans le cadre du présent appel, la Commission soutient que c’est la présence de versions contradictoires qui doivent être tranchées en acceptant la preuve qui est raisonnable, fiable et crédible en regard des circonstances. La Commission a considéré les versions des parties comme n’étant pas crédible et se contredisant.

[46] Elle fait référence à sa demande d’obtenir la feuille du compte bancaire personnelle ou de l’entreprise. L’appelant a refusé de faire parvenir les chèques à la Commission. Sa conjointe a indiqué qu’il ne connaissait rien à la paperasse.

[47] Toujours dans ses observations, la Commission maintient que l’appelant a fait de fausses déclarations, parce qu’il a indiqué un manque de travail sur les relevés d’emploiNote de bas de page 7.

[48] Pourtant, la Commission affirme que la comptable a précisé qu’il s’agissait d’une fin de contrat.Note de bas de page 8

[49] Pour sa part, l’appelant réitère qu’il avait une entente avec sa conjointe de 77 ans et l’amie de cette dernière de 67 ans, afin de remplacer l’adjointe administrative en congé de maternité. Leur contrat se terminait lors du retour de cette dernière.

[50] La preuve démontre qu’elle a démissionné de son poste. La conjointe a cessé de travailler au mois de novembre 2022, lors de l’embauche de la nouvelle adjointe. Son amie est demeurée en poste jusqu’au mois de janvier 2023 pour soutenir la nouvelle adjointe. Entre-temps, le centre a été vendu à la fille de l’appelant.

[51] Après avoir pris en compte la preuve au dossier, les témoignages et les observations des parties, je suis d’avis que la Commission n’a pas démontré que l’appelant a fait de fausses déclarations.

[52] L’appelant a toujours déclaré qu’il avait une entente avec sa conjointe et une amie de cette dernière pour effectuer des tâches au centre. Elles se sont partagé le travail pendant le congé de maternité de l’adjointe administrative. Elles devaient cesser de travailler, lors du retour de cette dernière. Elles n’ont jamais eu l’intention de travailler à temps plein. Elles ont 77 ans et 67 ans.

[53] Leur travail a pris fin au moment de l’embauche de la nouvelle adjointe. Il s’agit de l’entente que les parties avaient depuis le début. L’appelant a demandé d’indiquer fin de contrat sur le relevé d’emploi. Pour lui, il s’agissait d’une fin de contrat, puisqu’elles avaient été engagées à temps partiel pendant le remplacement.

[54] D’ailleurs, la nouvelle comptable a déclaré dès le début à la Commission que l’appelant a demandé d’indiquer fin de contrat. Elle a inscrit un manque de travail/fin de contrat. J’estime qu’on ne peut pas conclure à de fausses déclarations, parce que la nouvelle comptable a inscrit deux motifs. En fait, elle a suivi les règles indiquées par la Commission concernant une fin de contrat, il faut indiquer A dans la case 16.

[55] Ainsi, ce n’est pas suffisant pour conclure que l’appelant a fait de fausses déclarations, parce que la nouvelle comptable a indiqué les deux motifs à la case A. La question du motif de la fin d’emploi est simple, mais la réponse n’est pas fausse comme le prétend la Commission. Il y a bel et bien une fin de contrat entre les parties.

[56] Il était tout à fait légitime de la part de la conjointe et de l’amie de présenter une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi. C’est la Commission qui décide si elles répondent aux critères. Visiblement, elle a décidé qu’elles ne répondaient pas aux exigences de la Loi, parce qu’elles n’étaient pas disponibles à travailler à temps pleinNote de bas de page 9.

[57] Concernant les contradictions soulevées par la Commission, pour démontrer que les personnes impliquées ne sont pas crédibles, ils ne m’ont pas convaincu. En effet, elles ont reçu plusieurs appels de la part de la Commission pendant une courte période. Ce sont des personnes âgées et retraitées et une nouvelle comptable qui ont fourni les renseignements autant qu’elles sachent. Chacune a maintenu sa version des faits. Et ce n’est pas parce que l’appelant a déclaré à la Commission qu’il refusait de transmettre les documents et que sa conjointe prétend qu’il ne s’y connait pas en documents qu’ils ne sont pas crédibles et que les déclarations sont fausses. Même si elles ont fourni des informations différentes, cela n’est pas suffisant pour démontrer que de fausses déclarations ont été faites.

[58] En effet, l’appelant, sa conjointe, l’amie de cette dernière ainsi que la nouvelle comptable sont crédibles, lorsqu’ils affirment qu’il s’agissait d’une fin de contrat. Ce ne sont pas de fausses déclarations.

[59] Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la Commission que l’appelant a fait de fausses déclarations.

Question en litige no 2. Si oui, est-ce que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire correctement en imposant une pénalité de 3200 $ à l’appelant ?

[60] Étant donné que j’ai conclu que l’appelant n’a pas fait de fausses déclarations, il n’y a pas lieu de lui imposer une pénalité. Je n’ai donc pas à examiner si la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire correctement.

Conclusion

[61] La Commission n’a pas démontré que l’appelant a fait de fausses déclarations. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’imposer une pénalité.

[62] L’appel est accueilli.

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