Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 930

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. R.
Représentante ou représentant : S. R.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la
Commission de l’assurance-emploi du Canada
(569491) datée du 15 février 2023
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Lilian Klein
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
La personne qui représente l’appelante
Date de la décision : Le 6 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-652

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de la prestataire et je vais expliquer pourquoi.

[2] La prestataire a démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi. La loi prévoit que la nécessité de prendre soin d’un enfant est l’une des circonstances qui peuvent montrer qu’un départ est justifié. Elle a aussi démontré que son départ était la seule solution raisonnable au moment où il a eu lieu.

[3] Par conséquent, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[4] La prestataire, A. R., a quitté son emploi de superviseure à X pour aller travailler à X puisque l’horaire de ce nouvel emploi lui permettait de passer plus de temps avec son enfant aux besoins particuliers. Lorsque son emploi à X s’est terminé plus tôt que prévu, elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du départ de la prestataire. La Commission affirme que la prestataire a quitté volontairement son emploi (elle a choisi de démissionner) pour faire un travail saisonnier, ce qui ne justifie pas son départ. Elle ne lui verserait donc pas de prestations.

[6] Je dois décider si la prestataire a prouvé qu’elle était fondée à quitter son emploi à X (c’est-à-dire si elle avait une raison acceptable selon la loi pour le faire). Elle doit démontrer que quitter cet emploi à ce moment-là était la seule solution raisonnable dans son cas.

[7] La Commission affirme que la prestataire n’aurait pas dû quitter son emploi à X pour faire un travail saisonnier à X. Elle dit qu’au lieu de démissionner, la prestataire aurait dû demander un congé, attendre de trouver un emploi permanent de jour ou demander de l’aide à son époux pour s’occuper de l’enfant.

[8] La prestataire affirme qu’elle était fondée à quitter son emploi à X parce qu’elle rentrait chez elle trop tard pour donner l’attention nécessaire à son enfant aux besoins particuliers. L’emploi à X était mieux rémunéré et lui offrait de meilleures heures. Elle dit ne pas avoir compris que l’emploi était seulement saisonnier. Elle croyait qu’on lui offrait un poste qui ferait progresser sa carrière. Mais l’employeur n’a pas renouvelé son contrat.

Documents présentés après l’audience

[9] La prestataire a déposé les documents suivants après l’audience : l’évaluation et le diagnostic de son enfant, la demande de l’école pour qu’elle passe plus de temps avec son enfant et son courriel à X visant à demander un horaire qui répond à ce besoin. J’ai accepté que ces éléments de preuve étaient pertinents et je les ai transmis à la Commission, mais elle n’est pas intervenue à ce sujet.

Question que je dois examiner

[10] La prestataire est-elle exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a quitté volontairement son emploi à X sans justification?

[11] Pour répondre à cette question, je dois d’abord vérifier si la prestataire a quitté volontairement son emploi. Je dois ensuite décider si elle était fondée à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur le fait que la prestataire a quitté volontairement son emploi

[12] Je reconnais que la prestataire a quitté volontairement son emploi à X puisque la Commission et la prestataire s’entendent sur ce point et qu’il n’y a aucune preuve du contraire.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que la prestataire était fondée à quitter son emploi

[13] La Commission affirme que la prestataire n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi à X. La prestataire n’est pas d’accord.

[14] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[15] La loi explique ce que veut dire « être fondée à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.

[16] La prestataire est responsable de prouver que son départ était justifié. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 2. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 3.

[17] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances entourant le départ de la prestataireNote de bas de page 4. La loi présente des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 5. Une fois que j’aurai décidé si certaines circonstances s’appliquent à la prestataire, celle-ci devra démontrer qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 6.

Les parties ne sont pas d’accord sur les circonstances entourant la démission de la prestataire

[18] Les parties ne sont pas d’accord sur les circonstances présentes lorsque la prestataire a quitté son emploi. La Commission affirme qu’il faut voir si la prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat lorsqu’elle a quitté son emploi permanent à X pour un poste saisonnier à XNote de bas de page 7.

[19] La prestataire affirme que la question la plus importante était la nécessité de prendre soin de son enfant aux besoins particuliersNote de bas de page 8. Cependant, elle ne dit pas que c’était une raison pour cesser complètement de travailler. Elle dit avoir attendu de trouver un emploi où elle pourrait à la fois travailler et répondre aux besoins complexes de son enfant.

[20] La prestataire affirme que le personnel de l’école lui a dit qu’elle devait passer plus de temps avec sa fille de cinq ans pour faire face à ses retards de développement et à son autisme. Cependant, son emploi à X l’obligeait souvent à rester tard au travail, après minuit, pour fermer le commerce. Elle ne pouvait donc pas mettre son enfant au lit, malgré son incapacité de s’endormir sans sa mère.

[21] Après l’audience, la prestataire a présenté une preuve du diagnostic de son enfant et les conseils du personnel de l’école, qui lui demandait de passer plus de temps avec sa fille et de la faire dormir plus longtemps. La prestataire a donc réussi à fournir les éléments de preuve qui manquaient initialement.

[22] Lorsque j’ai offert à la Commission la possibilité d’intervenir au sujet des nouveaux éléments de preuve, elle n’a pas répondu. Elle n’a soulevé aucun doute quant à la fiabilité ou à la pertinence de ces documents.

[23] Les circonstances au moment où la prestataire a quitté son emploi étaient les suivantes : ses heures de travail ne lui permettaient pas d’accorder l’attention nécessaire à son enfant aux besoins particuliers. L’employeur de la prestataire (X) n’a pas pu lui offrir un horaire de jour, alors elle a trouvé un autre emploi qui lui permettrait de passer plus de temps avec son enfant.

[24] La prestataire affirme qu’avant de démissionner, elle a trouvé un autre emploi dont la rémunération et les heures étaient meilleures et où on lui assurait un avancement de carrière. Elle dit qu’elle ne s’est pas rendu compte qu’il s’agissait d’un travail saisonnier lorsqu’elle a postulé sur le portail des carrières de X et que les documents d’embauche ne le mentionnaient pas non plusNote de bas de page 9.

[25] Je remarque que la raison pour laquelle la prestataire a quitté son emploi, c’est-à-dire pour mieux prendre soin de son enfant, fait partie de la liste des circonstances qui pourraient montrer qu’elle était fondée à quitter son emploiNote de bas de page 10. Elle n’a pas aussi à démontrer qu’elle était fondée à le faire en ayant l’assurance raisonnable d’un autre emploi.

[26] Même si la nécessité de prendre soin de son enfant était la raison de sa démission, la prestataire doit quand même démontrer que son départ était la seule solution raisonnable à ce moment-là.

[27] Il ne s’agit pas de savoir s’il était raisonnable pour la prestataire de démissionner étant donné sa situation difficile, mais plutôt si quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 11. Je vais maintenant examiner cette question.

Le départ de la prestataire était la seule solution raisonnable

[28] J’estime que la prestataire n’avait pas d’autre solution que de quitter volontairement son emploi à X pour répondre aux besoins particuliers de son enfant.

Que dit la Commission?

[29] La Commission affirme que la prestataire avait les solutions raisonnables suivantes qui lui auraient évité de quitter son emploi :

  • Elle aurait pu demander un congé pour [traduction] « régler la situation avec sa fille » et retourner à X après la fin de son emploi saisonnier à X.
  • Elle aurait pu continuer à travailler à X jusqu’à ce qu’elle trouve un poste permanent de jour.
  • Son époux aurait pu [traduction] « s’occuper de sa fille » en soiréeNote de bas de page 12.

[30] La Commission affirme que la prestataire a pris le risque de se retrouver au chômage lorsqu’elle a quitté son emploi garanti à X. Les prestataires d’assurance-emploi ne doivent pas prendre ce risqueNote de bas de page 13. La Commission se demande si la prestataire a essayé d’obtenir un horaire de jour à X avant de démissionner pour occuper un emploi saisonnier. Selon la Commission, rien ne montre [traduction] « la raison pour laquelle la prestataire était pressée de quitter son emploi au moment de son départNote de bas de page 14 ».

Que dit la prestataire?

[31] La prestataire affirme que son départ était la seule solution raisonnable parce que ses heures de travail l’empêchaient d’accorder à son enfant l’attention nécessaire en soirée. Elle dit que sa fille requiert plus d’attention en raison de ses retards de développement et de son autisme. Elle fait valoir que le personnel de l’école lui a dit qu’elle devait passer plus de temps avec son enfant, surtout au coucher.

[32] La prestataire affirme avoir demandé une semaine de travail de 40 heures à la direction régionale de X pour qu’elle puisse être auprès de sa fille plus tôt le soir. Elle dit qu’elle devait souvent fermer le commerce tard la nuit et qu’elle rentrait chez elle après minuit.

[33] Dans ses observations présentées après l’audience, la prestataire a fourni la preuve qu’elle avait fait sa demande à la direction régionale. Elle affirme que X a refusé de s’adapter à ses besoins à moins qu’elle accepte d’être rétrogradée d’un poste de supervision à un poste régulier.

[34] La prestataire affirme qu’avant de démissionner, elle a cherché de nombreux emplois différents pour s’assurer de ne pas se retrouver sans emploi. Elle dit que X lui a offert un poste à temps plein mieux rémunéré, des heures de jour et une assurance d’avancement de carrière.

Mes conclusions

[35] Étant donné les circonstances entourant la démission de la prestataire et la preuve qu’elle a fournie, je conclus que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

[36] Je reconnais la pertinence et la fiabilité de la preuve de la prestataire. Cette preuve correspond à son témoignage sous serment, lequel est resté cohérent tout au long de l’audience. Sa preuve est crédible.

[37] La preuve de la prestataire montre qu’elle a envoyé un courriel à la direction régionale de X pour demander d’avoir un horaire de jour qui ne dépasserait pas 40 heures par semaine. J’accorde plus d’importance à cette preuve qu’aux réponses contradictoires que la Commission a reçues de X.

[38] La contradiction vient du fait que la Commission n’a pas parlé aux responsables avec qui la prestataire faisait affaire. Elle a parlé à une personne de la paie. Tout ce que cette personne a pu dire était que la prestataire [traduction] « a démissionné pour occuper un autre emploi. Il n’y a aucun autre renseignement au dossierNote de bas de page 15. »

[39] La Commission s’est aussi appuyée sur une conversation avec le gérant responsable de la prestataire (B.), qui a dit qu’elle ne lui avait pas demandé de changer d’horaireNote de bas de page 16. Cependant, il a précisé qu’il avait été en congé et qu’il était revenu seulement deux semaines avant le départ de la prestataire. Il a ajouté que les demandes de modification d’horaire devaient être présentées à la direction, et non à lui.

[40] C’est pourquoi j’accorde plus d’importance à la preuve de la prestataire qu’à ce que B. a dit à la Commission. La prestataire n’avait aucune raison de faire sa demande à B., alors que celle-ci avait déjà été rejetée et qu’il n’était pas la bonne personne pour l’examiner. Je juge que ses commentaires ne sont pas fiables, y compris les suppositions selon lesquelles B. aurait pu approuver un changement d’horaire.

[41] La preuve de la prestataire montre qu’elle s’est acquittée de l’obligation que lui impose la loi de demander des mesures d’adaptation à son employeur avant de démissionner.

[42] Je considère aussi que la prestataire s’est acquittée de son obligation d’essayer de trouver un autre travail avant de quitter son emploi à X, comme solution de rechange raisonnable à son départ. Elle l’a démontré par ses démarches visant à obtenir un emploi à X, même si elle avait mal compris les limites de cet emploi.

[43] Compte tenu des obligations particulières de la prestataire envers son enfant et des éléments de preuve maintenant disponibles, je ne suis pas d’accord avec les suggestions de la Commission concernant les solutions raisonnables qui auraient pu éviter à la prestataire de démissionner.

[44] Premièrement, demander un congé à X n’était pas une solution raisonnable puisque les besoins particuliers de l’enfant n’étaient pas limités dans le temps. Ils étaient perpétuels. Un congé n’aurait rien changé à cette situation.

[45] Deuxièmement, la preuve de la prestataire montre qu’il était urgent qu’elle démissionne parce que le bien-être de son enfant était compromis. Elle ne pouvait donc pas rester à son emploi à X, en attendant qu’un emploi parfait pour elle lui soit offert. Elle a tout de même attendu de trouver un travail à X avant de quitter son emploi.

[46] Troisièmement, la suggestion selon laquelle l’époux de la prestataire aurait pu s’occuper de son enfant minimise les défis auxquels sont confrontés les parents d’enfants aux besoins particuliers. La preuve montre que l’absence continue de la mère était mauvaise pour l’enfant.

[47] Je ne pense pas qu’une rétrogradation à X était une solution raisonnable non plus, car les fonctions de la prestataire auraient beaucoup changé et son salaire aurait diminué.

[48] Par conséquent, comme le départ de la prestataire de son emploi à X était la seule solution raisonnable, elle a démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi au moment où elle a décidé de le faire.

Conclusion

[49] La prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations parce que quitter son emploi à X était la seule solution raisonnable dans son cas.

[50] C’est pourquoi j’accueille l’appel de la prestataire.

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