Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AE c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 870

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. E.
Représentante ou représentant : Ayesha Jabbar
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (556 083) datée du 1er décembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 5 juin 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Personne de soutien de l’appelante
Interprète
Date de la décision : Le 13 juillet 2023
Numéro de dossier : GE-23-7

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de A. E.

[2] Je conclus que son employeur a porté atteinte à son droit d’être protégée contre toute discrimination dans le cadre de son emploi lorsqu’il l’a congédiée.

[3] Ainsi, la Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé qu’elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Autrement dit, elle n’a pas provoqué son chômage.

[4] Par conséquent, la Commission devrait lui verser des prestations d’assurance-emploi, à condition qu’elle remplisse toutes les autres conditions d’admissibilité à ces prestationsNote de bas page 1.

Aperçu

[5] A. E. (appelante) a perdu son emploi de préposée à l’entretien ménager chez un fournisseur de logements supervisés pour personnes âgées (l’employeur). Il s’agissait d’un emploi syndiqué.

[6] Son employeur a dit qu’il l’avait congédiée parce qu’elle avait falsifié des dossiers disant qu’elle avait terminé ses fonctions professionnelles alors qu’elle ne l’avait pas fait. Cela contrevenait aux politiques de l’employeur.

[7] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. Par conséquent, la Commission ne lui a pas versé de prestations régulières d’assurance-emploi.

[8] L’appelante affirme qu’il n’y a pas inconduite. Elle dit que son employeur a menti à la Commission. Elle effectuait toujours ses fonctions. Elle n’a jamais inventé de dossier. Elle affirme avoir fait l’objet de harcèlement et de discrimination de la part de son employeur; c’est la vraie raison pour laquelle il l’a congédiée. Elle a déposé un grief contestant son congédiement, qu’elle a gagné.

[9] Je dois décider si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

Documents envoyés au Tribunal après l’audience

[10] Lors de l’audience, l’appelante a déclaré avoir déposé un grief contestant la cessation de son emploi par son employeur. Ce grief a été réglé, et elle a gagné. La représentante de l’appelante a dit qu’elle n’avait pas envoyé l’entente à l’amiable au Tribunal parce qu’elle croyait que la section sur la confidentialité lui interdisait de le faire. Lorsque je lui ai posé la question, elle a dit qu’elle n’avait pas vérifié cela auprès de l’avocat du syndicat.

[11] J’ai dit à l’appelante que je pensais que le grief pouvait être pertinent dans le cadre de son appel en assurance-emploi. J’ai donc fixé une date limite pour qu’elle présente son grief si elle le voulait. J’ai aussi suggéré à sa représentante de parler à l’avocat du syndicat.

[12] J’ai dit qu’elles pouvaient se reporter à l’entente à l’amiable pendant l’audience.

[13] La représentante a envoyé l’entente à l’amiable au Tribunal avant la date limiteNote de bas page 2. Le Tribunal l’a envoyé à la Commission et lui a donné l’occasion de répondre.

[14] Je vais accepter le grief que l’appelante a envoyé au Tribunal après l’audience pour trois raisons :

  • Je lui ai donné l’occasion de l’envoyer.
  • Il est pertinent aux deux questions juridiques que je dois trancher, soit la raison pour laquelle son employeur l’a congédiée et la question de savoir si cette raison constitue une inconduite.
  • Ce ne serait pas injuste envers la Commission parce qu’elle a eu l’occasion de répondre.

[15] Je tiendrai donc compte du grief lorsque je rendrai ma décision.

Question en litige

[16] L’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[17] Pour répondre à cette question, je dois décider deux choses :

  • la raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi;
  • s’il s’agit d’une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

La raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi

[18] Je conclus que l’appelante a perdu son emploi parce que son employeur a fait preuve de discrimination à son égard.

[19] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit prouver au Tribunal que l’inconduite alléguée de la personne employée était la raison du congédiement et non une excuse pour la congédierNote de bas page 3. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 4.

Les ententes à l’amiable dans les affaires d’inconduite : ce que prévoit la loi

[20] L’appelante affirme que l’entente à l’amiable prouve que son employeur ne l’a pas congédiée pour la raison qu’il a indiquée à la Commission. Elle dit que l’employeur l’a congédiée pour une autre raison, qui n’est pas une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[21] La loi dit que je dois tenir compte de l’entente à l’amiable.

[22] La simple existence d’une entente à l’amiable ne permet pas de décider si une personne employée a été congédiée pour inconduiteNote de bas page 5. Le Tribunal doit évaluer la preuve, y compris ce que dit l’entente à l’amiable, et rendre une décision.

[23] Avant qu’une entente à l’amiable puisse être invoquée pour contredire une conclusion antérieure d’inconduite, il doit y avoir des éléments de preuve qui contrediraient ce que l’employeur a dit au sujet de la raison pour laquelle il a congédié la personne employée pendant l’enquête de la Commission sur la questionNote de bas page 6.

[24] Enfin, le Tribunal n’est pas obligé de respecter ce que l’employeur, une partie appelante ou une autre partie dit au sujet des motifs invoqués pour congédier une personne employéeNote de bas page 7.

Ce que disent la Commission, l’appelante et l’entente à l’amiable

[25] La Commission a accepté la preuve que l’employeur lui a présentéeNote de bas page 8. Elle affirme que la preuve démontre que l’appelante n’a pas exercé ses fonctions. De plus, elle a falsifié sa feuille de travail quotidienne. Sa conduite était un manquement aux politiques de l’employeur et à son contrat de travail. La Commission soutient que l’appelante a commis une inconduite lorsqu’elle a signé pour confirmer qu’elle avait exercé ses fonctions alors que ce n’était pas le cas. Elle aurait dû savoir que faire une telle chose pouvait entraîner des mesures disciplinaires, y compris un congédiement.

[26] L’employeur a dit à la Commission qu’il avait reçu des plaintes de résidents. C’est ainsi que l’on a constaté que l’appelante n’exerçait pas ses fonctions. Cependant, l’employeur ne pouvait pas transmettre les plaintes à la Commission parce que cela serait une atteinte à la confidentialité des résidentsNote de bas page 9.

[27] Son employeur a utilisé le code M (congédiement ou suspension) sur le relevé d’emploi initialNote de bas page 10.

[28] Selon l’employeur, l’appelante a refusé de signer la lettre de licenciement lorsqu’il lui a demandé de le faire. Elle a expliqué qu’elle devait voir son avocat et faire traduire le documentNote de bas page 11.

[29] L’appelante a dit à la Commission que son employeur avait inventé l’information concernant la négligence de ses fonctions; autrement dit, son employeur mentaitNote de bas page 12. Dans sa demande de révision (remplie par sa représentante syndicale), elle a dit que sa contestation du licenciement se fondait sur des préoccupations relatives aux droits fondamentaux (harcèlement et discrimination)Note de bas page 13.

[30] À l’audience, l’appelante a eu recours à une interprète professionnelle pour témoigner parce que l’anglais n’est pas sa langue maternelle. Elle a déclaré que jusqu’au jour où elle a été congédiée, son employeur n’a jamais soulevé de problème concernant la négligence de ses fonctions ou le fait qu’elle falsifiait des déclarations. Elle a dit qu’il s’agissait de raisons [traduction] « inventées ».

[31] Elle a déclaré que, venant d’une culture arabe, les personnes âgées ont une certaine place dans la société. Elle a donc toujours traité les résidents avec compassion et respect. Elle a dit que son employeur ne lui a jamais imposé de sanction et lui avait donné de bonnes évaluations de rendement. Elle a formé quatre préposés à l’entretien au début. Elle était abasourdie lorsqu’on l’a congédiée. Il n’y a pas eu d’enquête. De plus, elle affirme que son employeur l’a congédiée après qu’elle a déposé une plainte auprès du directeur général au sujet d’une autre employée, qui l’appelait et lui envoyait des messages textes à répétition pour lui fournir des documents médicaux montrant qu’elle était en congé pour se rétablir de la COVID-19. L’appelante s’est plainte de ce [traduction] « harcèlement ».

[32] J’ai examiné et pris en considération les modalités de l’entente à l’amiable. Voici celles qui fournissent des faits nouveaux (éléments de preuve) qui contredisent ce que la Commission dit au sujet de la raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploiNote de bas page 14 :

[traduction]

  • L’entente règle toutes les questions découlant de l’emploi de l’employée s’estimant lésée, de la fin de cet emploi et du grief.
  • L’employeur doit verser à l’employée s’estimant lésée 10 000 $ à titre de dommages-intérêts généraux non pécuniaires relativement aux allégations de harcèlement et de discrimination dont elle a fait l’objet en violation du Code des droits de la personne de l’Ontario, et non pour perte de revenu.
  • Le licenciement est annulé et l’employée s’estimant lésée est réputée avoir été mise à pied de façon permanente, et l’employeur produira un nouveau relevé d’emploi indiquant le licenciement permanent.
  • Les parties conviennent que le règlement respecte les dispositions de fond et de procédure de l’article 45.1 du Code des droits de la personne.

[33] L’employeur a remis à l’appelante le relevé d’emploi révisé, qu’elle a transmis au TribunalNote de bas page 15.

[34] La Commission affirme que le relevé d’emploi révisé ne modifie pas la preuve versée au dossier. L’appelante n’a présenté aucun fait nouveau qui montre que les éléments de preuve au dossier qui ont été présentés précédemment sont inexactsNote de bas page 16.

La conduite reprochée par l’employeur n’est pas la raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi

[35] La conduite reprochée par l’employeur n’était pas la raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi; il s’agissait d’une excuse.

[36] J’accepte la preuve de l’appelante sur cette question et je la préfère à celle de la Commission pour les raisons suivantes :

  • À l’audience, l’appelante a eu recours à une interprète professionnelle pour témoigner et, pour la première fois, elle a pu expliquer en détail les événements qui ont mené à son congédiement et pourquoi elle n’était pas d’accord avec la preuve que l’employeur a fournie à la Commission.
  • L’appelante a témoigné de façon franche et détaillée, et je n’ai aucune raison de douter de ce qu’elle a dit.
  • La preuve de l’appelante est cohérente, elle a dit la même chose à la Commission et au Tribunal et sa version des faits n’a pas changé au fil du temps.
  • L’employeur n’a pas fourni à la Commission les plaintes ou les déclarations présumées que l’appelante aurait falsifiées, ni aucune autre preuve documentaire qu’il n’avait lui-même créée pour confirmer et consigner le congédiement de l’appelante.
  • L’entente à l’amiable fournit de nouveaux éléments de preuve qui contredisent directement les éléments de preuve fournis par la Commission dans son enquête (et la position adoptée par la Commission à la suite de son enquête).
  • Je n’ai aucune raison de douter de l’authenticité de l’entente à l’amiable.
  • L’entente à l’amiable confirme la preuve de l’appelante et son argument, selon lesquels la cessation de son emploi par son employeur équivaut à de la discrimination selon le Code des droits de la personne de l’Ontario pour les raisons suivantes :
    • L’appelante a obtenu gain de cause dans le cadre de son grief.
    • Le règlement fait expressément référence au harcèlement, à la discrimination et au Code des droits de la personne et indique qu’il résout le grief que l’appelante a présenté pour ces motifs.
    • L’employeur a accepté de lui verser une somme d’argent importante — pour une affaire fondée sur le droit des droits de la personne — en dommages-intérêts généraux pour l’indemniser de la discrimination dont elle faisait l’objet.
    • Le règlement n’inclut pas la mention type [traduction] « aucune admission de responsabilité » visant à protéger l’employeur.

[37] Selon la preuve que j’ai acceptée, je conclus que la véritable raison pour laquelle elle a perdu son emploi était que son employeur a fait preuve de discrimination à son égard. Autrement dit, son employeur l’a congédiée pour des raisons qui portaient atteinte à son droit, garanti par le Code des droits de la personne de l’Ontario, d’être protégée contre toute discrimination dans le cadre de son emploi.

[38] Je conclus donc également que la Commission n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre la conduite reprochée à l’appelante et la perte de son emploiNote de bas page 17.

[39] Par conséquent, la Commission n’a pas prouvé que l’appelante a été congédiée pour inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[40] Je n’ai donc pas besoin de vérifier si la raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi est une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

Conclusion

[41] La Commission n’a pas prouvé que l’appelante a perdu son emploi pour une raison considérée comme une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[42] Cela signifie que l’appelante peut recevoir des prestations d’assurance-emploi, pourvu qu’elle remplisse toutes les autres conditions requises.

[43] J’accueille donc son appel.

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