Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c KK, 2024 TSS 23

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Nikkia Janssen
Partie intimée : K. K.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 3 juillet 2023 (GE-22-4079)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 29 novembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 8 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-715

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[2] K. K. a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées de l’assurance-emploi. La division générale a commis une erreur de droit en lui permettant de modifier son choix de prestations parentales prolongées pour passer aux prestations standards alors qu’elle avait déjà reçu des versements de prestations. La loi ne le permet pas. J’ai donc choisi de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Aperçu

[3] K. K. a demandé des prestations de maternité de l’assurance-emploi suivies de prestations parentales. Je vais donc l’appeler la prestataire.

[4] La Commission a versé des prestations de maternité à la prestataire et a commencé à lui verser des prestations parentales. Elle dit s’être rendu compte qu’elle avait accidentellement choisi l’option pour les prestations parentales prolongées. La prestataire dit qu’elle avait l’intention de demander des prestations parentales standards.

[5] Lorsqu’elle s’est rendu compte de son erreur, elle a communiqué avec la Commission et a demandé de passer aux prestations parentales standards. La Commission a refusé.

[6] Par la suite, la prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal, laquelle a accueilli son appel. La division générale a conclu que sa demande ne montrait pas clairement qu’elle avait choisi les prestations parentales prolongées. Elle avait donc le droit de modifier sa demande pour clarifier son choix. Autrement dit, la division générale lui a permis de modifier son choix pour obtenir des prestations standards.

[7] La Commission a fait appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas suivi les décisions des cours qu’elle était tenue de suivre. Je suis d’accord avec la Commission pour les raisons qui suivent.

Questions en litige

[8] Le présent appel soulève deux questions :

  • La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de respecter les décisions des Cours fédérales qu’elle devait suivre, notamment celle dans l’affaire Hull?Note de bas de page 1
  • Si la division générale a commis une erreur, comment devrais-je la corriger?

Analyse

[9] Les rôles de la division générale et de la division d’appel du Tribunal sont différents. Si la Commission démontre que la division générale a commis une erreur, j’ai le pouvoir d’intervenir et de corriger l’erreur de la division générale.Note de bas de page 2

[10] Dans le présent appel, je dois décider si la Commission a démontré que la division générale a fait ce qui suit :

  • elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur grave concernant un fait important (ce que j’appelle une « erreur de fait grave »)Note de bas de page 3.

[11] Si la Commission ne démontre pas que la division générale a commis une erreur, je dois rejeter son appel. Si la Commission démontre que la division générale a commis une erreur, je peux la corriger aussi simplement et rapidement que l’équité le permet.

La division générale n’a pas respecté les décisions des Cours fédérales qu’elle était tenue de suivre

[12] La Loi sur l’assurance-emploi prévoit deux types de prestations parentales. Une personne qui demande des prestations parentales doit choisir les prestations standards ou les prestations prolongées :

  • les prestations parentales standards : une personne reçoit 55 % de sa rémunération hebdomadaire assurable (jusqu’à concurrence d’un montant maximal) pendant un maximum de 35 semaines;
  • les prestations parentales prolongées : une personne reçoit 33 % de sa rémunération hebdomadaire assurable (jusqu’à concurrence d’un montant maximal) pendant un maximum de 61 semaines.

[13] C’est ce que la Loi sur l’assurance-emploi appelle un « choix ». Note de bas de page 4

[14] Une personne peut modifier son choix avant que la Commission lui verse des prestations parentales. Après le premier versement, la personne ne peut pas modifier son choix. Sur le plan juridique, son choix devient irrévocable.Note de bas de page 5

[15] Personne ne met en cause les réponses écrites de la prestataire ni la case qu’elle a cochée dans sa demande de prestations d’assurance-emploi.

  • Elle voulait recevoir des prestations parentales immédiatement après les prestations de maternité.Note de bas de page 6
  • Elle a choisi « option prolongée » comme type de prestations parentales.Note de bas de page 7

[16] Il n’est pas contesté non plus que la prestataire a commencé à recevoir les prestations parentales prolongées.

[17] La division générale a décidé que la demande d’assurance-emploi de la prestataire ne montrait pas clairement qu’elle avait choisi les prestations parentales prolongées.Note de bas de page 8 Elle a conclu que la prestataire n’avait pas fait un choix délibéré de recevoir des prestations prolongées.Note de bas de page 9 Compte tenu de sa date de retour au travail, du nombre de semaines de prestations qu’elle avait demandé, de ses documents et de son témoignage, la division générale a décidé qu’elle avait accidentellement choisi les prestations prolongées.Note de bas de page 10

[18] La division générale a décidé qu’elle devrait pouvoir modifier sa demande pour refléter son véritable choix de recevoir des prestations standards.Note de bas de page 11 Autrement dit, la Commission devrait remplacer son choix par les prestations standards.

[19] Cependant, la division générale ne pouvait tirer cette conclusion qu’en omettant de suivre les décisions de cours qu’elle était tenue de suivre, notamment la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hull. De plus, la division générale a commis une erreur de droit, car elle n’a pas suivi les décisions des Cours fédérales concernant le choix des prestations parentales de l’assurance-emploi.

[20] La division générale et la division d’appel du Tribunal doivent suivre les décisions des Cours fédérales qui interprètent la Loi sur l’assurance-emploi, à moins qu’elles puissent démontrer qu’elles ont une bonne justification factuelle ou juridique. En termes juridiques, les décisions des Cours fédérales lient le Tribunal à moins que le Tribunal puisse distinguer les faits de l’appel qu’il tranche. La division générale commet une erreur de droit si elle ne suit pas une décision des Cours fédérales qu’elle est tenue de suivre.  

[21] En ce qui concerne le choix des prestations parentales, Hull est la principale décision des Cours fédérales à suivre. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a décidé que le mot « choix », à l’article 23(1.1) de la Loi sur l’assurance-emploi, correspond à ce qu’une partie prestataire a choisi dans son formulaire de demande.Note de bas de page 12 Elle a également décidé qu’en vertu de l’article 23(1.2) de la Loi, une fois que la partie prestataire a choisi un type de prestations parentales dans son formulaire et qu’elle a reçu son premier versement, il est impossible pour la Commission, la division générale et la division d’appel de révoquer ou de modifier son choix.Note de bas de page 13

[22] Les Cours fédérales ont suivi Hull dans toutes les affaires qu’elles ont tranchées après celle-ci.Note de bas de page 14 Dans l’affaire Variola, la Cour fédérale a ajouté un point important qui est pertinent pour l’appel de la prestataire. Le Tribunal ne peut pas tenir compte du contexte dans lequel une partie prestataire a fait son choix, cela comprend le stress qu’elle a pu subir, son état émotionnel, sa santé et même son intention de choisir un type particulier de prestations.Note de bas de page 15

[23] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit en omettant de suivre les décisions des Cours fédérales qu’elle était tenue de suivre.Note de bas de page 16 La Commission affirme que la division générale a mal appliqué l’affaire Hull : elle n’a pas respecté ce que prévoit cette décision en ce qui a trait au terme « choix ». Elle affirme également que la division générale n’a pas suivi l’affaire Johnson lorsqu’elle a modifié le choix de la prestataire.

[24] La prestataire affirme que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit ou de fait grave.Note de bas de page 17 La division générale avait le pouvoir de décider du type de prestations parentales qu’elle avait choisi de recevoir, en fonction de tous les éléments de preuve pertinents. C’est ce qu’elle a fait dans son cas. La division générale a posé toutes les questions qu’elle souhaitait poser. La prestataire y a répondu honnêtement et sans hésitation. La division générale a examiné attentivement les documents et a respecté la loi.

[25] La prestataire s’appuie également sur les décisions du Tribunal, dans lesquelles il dit avoir le pouvoir d’examiner toutes les circonstances pertinentes et de décider quel type de prestations une personne a effectivement choisi.Note de bas de page 18

[26] J’ai examiné les arguments de la prestataire, mais je suis d’accord avec la Commission.

[27] La division générale a examiné en détail la façon de distinguer les faits du cas de la prestataire de ceux qui se trouvent dans Hull. Elle a conclu que l’affaire se distinguait en effet au niveau des faits et des questions de droit.Note de bas de page 19

[28] Cependant, la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé qu’il était possible de distinguer le cas de la prestataire de celui de Hull. La division générale aurait dû suivre les décisions des Cours fédérales interprétant l’article de la Loi sur l’assurance-emploi qui porte sur le choix de prestations parentales. La division générale n’avait aucun fondement factuel ou juridique valide permettant de distinguer le cas de la prestataire de celui dans l’affaire Hull. Elle n’aurait pas dû interpréter le terme « choix » comme signifiant un « choix délibéré ». Elle n’aurait pas dû décider que la prestataire a choisi accidentellement (c’est-à-dire qu’elle n’a pas choisi délibérément) les prestations prolongées en fonction de sa preuve. De plus, elle n’aurait pas dû fonder sa décision sur la situation personnelle de la prestataire au moment où elle a fait son choix ou après s’être rendu compte de son erreur.Note de bas de page 20  

[29] La division générale a commis une autre erreur de droit. Elle avait tort de dire que la décision Hull exige que la Commission examine la demande de prestations parentales dans son ensemble.Note de bas de page 21 Elle a précisé que la Commission doit mener une enquête et décider si le choix d’une personne correspond au reste des renseignements qu’elle a fournis dans sa demande.

[30] Cependant, la décision Hull précise qu’il incombe à la Commission de décider si une personne est admissible aux prestations parentales, et non de réviser son choix.Note de bas de page 22 Elle laisse entendre qu’il serait utile, d’un point de vue pratique, que la Commission envoie un relevé à chaque prestataire avant de verser le premier paiement de prestations parentales.Note de bas de page 23 Enfin, elle dit que le régime d’assurance-emploi donne à une partie prestataire une période pour vérifier et modifier son choix de prestations parentales, ce qu’elle peut faire en ligne dans son compte d’assurance-emploi.Note de bas de page 24 Ces trois parties de la décision Hull donnent fortement à penser que la prestataire, et non la Commission, était responsable de vérifier son choix.

[31] La division générale a donc commis deux erreurs de droit dans sa décision. Elle n’a pas suivi les décisions des Cours fédérales qu’elle devait suivre, notamment la décision Hull. De plus, elle a mal interprété la décision Hull en disant que la Commission doit enquêter sur le choix d’une personne et le vérifier.

[32] Comme j’ai conclu que la division générale a commis des erreurs de droit, je n’ai pas à vérifier si elle a également commis des erreurs de fait graves. Je peux maintenant décider comment corriger les erreurs juridiques.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[33] La Commission et la prestataire conviennent que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. La loi donne à la division d’appel le pouvoir de le faire.Note de bas de page 25

[34] Je suis d’accord avec les parties. C’est le genre de cas où je devrais substituer ma propre décision. Les faits que je dois examiner (aux termes de la loi applicable) ne sont pas contestés. La Commission et la prestataire ont eu toutes les chances de présenter leur preuve à la division générale. Les articles de la loi qui portent sur le choix des prestations parentales sont clairs. Je vais donc appliquer la loi aux faits pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[35] Je n’ai qu’une seule conclusion raisonnable à tirer.Note de bas de page 26

[36] Dans sa demande d’assurance-emploi, la prestataire a indiqué qu’elle voulait recevoir des prestations parentales prolongées. La Commission a commencé à lui verser ces prestations. Elle a ensuite demandé à la Commission de modifier son choix.

[37] Compte tenu des faits non contestés et de la loi que j’ai examinée ci-dessus, je conclus que la prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. Je n’ai pas le pouvoir de conclure que son choix était invalide ni de modifier son choix. Peu importe qu’elle ait fait une erreur dans sa demande ou qu’elle avait l’intention de choisir un autre type de prestations. Je ne peux pas non plus tenir compte d’autres circonstances personnelles.

[38] Je compatis avec la prestataire. Je n’ai aucun doute qu’elle a fait une erreur dans sa demande, ce qui a entraîné des difficultés – notamment d’ordre financier – pour sa famille. Toujours est-il que je dois appliquer la loi; je ne peux pas la modifier.Note de bas de page 27 Je ne peux donc pas rendre ma décision en me fondant sur l’équité, la compassion ou les difficultés financières que la prestataire a pu subir.

Conclusion

[39] J’accueille l’appel de la Commission.

[40] Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées, et ce choix était irrévocable.

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