Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1031

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. P.
Représentante ou représentant : D. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (460422) datée du 25 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er septembre 2022
Personne présente à l’audience : Représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 17 octobre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1527

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataireNote de bas de page 1.

[2] Le prestataire n’a pas démontré qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. Cela signifie qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire a quitté son emploi saisonnier au sein d’une équipe de pavage routier. Il avait travaillé pendant quatre saisons pour la même entreprise sous la direction du même supérieur. Au cours des trois dernières saisons, il conduisait presque toujours une machine sur pneumatiques.

[4] Il a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi. Dans sa demande, il indique avoir quitté son emploi pour des raisons médicales ou de santé.

[5] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a examiné les raisons du départ du prestataire. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement (ou avait choisi de quitter) son emploi sans justification parce que sa démission ne constituait pas la seule solution raisonnable. Elle ne pouvait donc pas lui verser des prestations.

[6] Je dois décider si le prestataire a démontré qu’il n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[7] La Commission affirme qu’il avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. Il aurait pu obtenir des conseils médicaux au sujet de traitements et prendre un congé pour raisons médicales. Ou encore, il aurait pu chercher un autre emploi avant de démissionner. Enfin, si son supérieur le traitait injustement, il aurait pu se plaindre à un échelon supérieur ou demander l’aide de son syndicat.

[8] Le prestataire n’est pas d’accord. Il dit qu’il ne comprenait pas ses droits ni ne connaissait ses options. Il affirme qu’il n’a pas consulté de médecin parce qu’il ne savait pas qu’il pouvait prendre un congé pour raisons médicales. Il n’a pas déposé de plainte parce qu’il ne voulait pas que son supérieur ait des ennuis. Et comme le milieu du pavage est restreint, il s’inquiétait de ne pas pouvoir décrocher un autre emploi s’il se plaignait. Il ne savait pas que le syndicat pouvait l’aider.

[9] Il dit également que je devrais tenir compte de son expérience en tant que jeune homme des Premières Nations qui possède une neuvième année et dont les options d’emploi étaient limitées.

[10] Je dois décider s’il a quitté volontairement son emploi et n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

Questions que j’ai examinées en premier

Le prestataire n’était pas présent à l’audience

[11] Le 19 août 2022, j’ai accueilli la demande d’ajournement de son représentant afin qu’il puisse envoyer ses arguments écrits au Tribunal. Le prestataire n’a pas assisté à cette audience.

[12] Le représentant, qui est le père du prestataire, a affirmé que son fils était au courant de la tenue de l’audience. Mais il n’y a pas participé parce qu’il était contrarié par le processus et ce qu’il avait vécu.

[13] J’ai dit au représentant que j’avais examiné les documents d’appel et que j’avais des questions à poser au prestataire. J’ai fortement encouragé le représentant à tenter de convaincre son fils d’assister à la prochaine audience.

[14] L’audience a été reportée au 1er septembre 2022, et elle a eu lieu. Le représentant a assisté à l’audience, mais pas le prestataire.

[15] Une audience peut avoir lieu sans l’appelant s’il a reçu l’avis d’audienceNote de bas de page 2. Le représentant m’a dit que son fils était au courant de la tenue de l’audience, et je n’avais aucune raison d’en douter.

[16] Nous avons donc procédé à l’audience en l’absence du prestataire.

Question en litige

[17] Le prestataire est‑il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[18] Pour répondre à cette question, je dois d’abord vérifier s’il a quitté volontairement son emploi. Si tel est le cas, je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties s’entendent pour dire que le prestataire a volontairement quitté son emploi

[19] Je conclus que le prestataire a volontairement quitté son emploi.

[20] Il a décidé de quitter son emploi. C’est ce qu’il a écrit dans sa demande d’assurance-emploi et ce qu’il a dit à la CommissionNote de bas de page 3.

[21] Ce qu’il dit est appuyé par ce que son employeur a écrit sur son relevé d’emploiNote de bas de page 4. Son employeur a inscrit le code E (départ volontaire).

[22] Aucun élément de preuve ne va à l’encontre de ma conclusion à ce sujet.

Les parties ne s’entendent pas sur le fait que le prestataire avait une justification

[23] Les parties ne s’entendent pas sur le fait que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi lorsqu’il l’a fait.

[24] Selon la loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 5. Le fait d’avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à prouver que la personne était fondée à le faire.

[25] La loi explique ce qu’elle entend par « justification ». Elle prévoit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Elle précise qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances.

[26] Le prestataire doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait (autrement dit, il n’y avait pas d’autre solution raisonnable). Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 6.

[27] Pour décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances qui existaient lorsqu’il a démissionnéNote de bas de page 7. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 8. Je dois également tenir compte de toutes les autres circonstances soulevées par le prestataire.

Les circonstances qui existaient lorsque le prestataire a démissionné

[28] Le prestataire affirme que six circonstances énoncées dans la loi s’appliquent à lui. Il affirme ce qui suit :

  • il a été victime de discrimination au travail parce qu’il est membre des Premières NationsNote de bas de page 9;
  • les conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé ou sa sécuritéNote de bas de page 10;
  • les pratiques de son employeur étaient contraires à la loiNote de bas de page 11, en particulier aux lois sur la santé et la sécurité;
  • des modifications importantes ont été apportées à ses fonctionsNote de bas de page 12;
  • il avait avec son supérieur des relations conflictuelles dont la cause ne lui était pas essentiellement imputableNote de bas de page 13;
  • il a subi une pression indue de son supérieur pour qu’il quitte son emploiNote de bas de page 14.

[29] Le prestataire affirme aussi qu’au moment où il a quitté son emploi, sa santé mentale et physique s’était détériorée en raison de son travail.

[30] Enfin, le représentant du prestataire a fait valoir que je devrais tenir compte du fait que le prestataire a de la difficulté à trouver du travail parce qu’il est membre des Premières Nations et qu’il ne possède qu’une neuvième année.

Discrimination

[31] Le prestataire a soutenu avoir été victime de discrimination, de racisme et de haine au travail parce qu’il était membre des Premières Nations.

[32] Selon la Loi sur l’assurance-emploi, j’ai l’obligation d’examiner cet argument. Plus précisément, je dois décider s’il y a eu discrimination au sens d’une loi fédérale sur les droits de la personneNote de bas de page 15.

[33] Le critère juridique de discrimination au sens des lois sur les droits de la personne peut être compliqué. Il m’a été difficile d’énoncer le critère de discrimination, puis de l’appliquer aux faits, de façon brève et en utilisant un langage simple.

[34] Lorsqu’il est question du droit en matière de discrimination au Canada, il peut être utile de garder à l’esprit les trois grands éléments de base :

  • il n’est pas nécessaire que la discrimination soit intentionnelle;
  • le fait de traiter tout le monde de la même façon peut entraîner de la discrimination;
  • le droit en matière de discrimination est axé sur les résultats, c’est-à-dire qu’il met l’accent sur les effets ou les résultats négatifs pour une personne ou un groupe protégés par les lois sur les droits de la personne.

[35] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le prestataire a démontré qu’il est plus probable qu’improbable qu’il a été victime de discrimination en tant que membre des Premières Nations dans le cadre de son emploi. Par conséquent, j’en tiendrai compte quand je déciderai s’il était fondé à quitter son emploi au moment où il l’a fait.

Le droit en matière de discrimination

[36] Selon la Loi sur l’assurance-emploi, je dois établir si le prestataire a été victime de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[37] La LCDP interdit la discrimination dans l’emploi fondée sur le statut ou l’identité des membres des Premières NationsNote de bas de page 16.

[38] Le prestataire n’a pas à démontrer que son employeur (ou son supérieur) avait l’intention de faire preuve de discrimination à son égardNote de bas de page 17.

[39] Le critère de discrimination énoncé dans la LCDP comporte deux étapesNote de bas de page 18.

[40] Première étape : le prestataire doit démontrer que les trois éléments suivants étaient plus probables que le contraire :

  • il possède une caractéristique protégée par les lois sur les droits de la personne contre la discrimination;
  • il a subi un effet préjudiciable ou une perte;
  • la caractéristique protégée était un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable ou de la perte qu’il a subi, ou y était associée d’une manière quelconque.

[41] S’il le fait, il a prouvé qu’il y a eu discrimination à première vue. (En langage juridique, c’est ce qu’on appelle la discrimination prima facie.) Nous passons ensuite à la deuxième étape du critère.

[42] Deuxième étape : l’employeur a la possibilité de défendre ou de justifier la discriminationNote de bas de page 19. L’employeur doit démontrer qu’il ne disposait d’aucune autre solution raisonnable que d’agir de façon discriminatoire envers le prestataire. Pour ce faire, l’employeur doit démontrer que le fait de ne pas agir de façon discriminatoire entraînerait un risque grave pour la santé, un risque grave pour la sécurité ou un coût insoutenableNote de bas de page 20. Si l’employeur peut démontrer l’un de ces risques ou le coût insoutenable, il n’y a pas de discrimination contre le prestataire au sens de la LCDP.

La Commission ne prend pas position sur la discrimination dans l’affaire dont je suis saisi

[43] La Commission ne se prononce pas d’une manière ou d’une autre sur la question de savoir si le prestataire a été victime de discrimination au travail parce qu’il est membre des Premières Nations.

[44] La Commission affirme que s’il était maltraité au travail, il avait d’autres solutions raisonnables que de démissionnerNote de bas de page 21.

Critère de discrimination, partie 1 : le prestataire est protégé par la LCDP

[45] Le prestataire affirme qu’il est membre des Premières Nations.

[46] Je n’ai aucune raison de mettre en doute son affirmation.

[47] Le statut de membre des Premières Nations est une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la LCDPNote de bas de page 22.

[48] Le prestataire affirme qu’il était le seul travailleur des Premières Nations de son équipe.

[49] Je conclus qu’il devait savoir si l’un des autres travailleurs de son équipe était également membre des Premières Nations. Cela est logique compte tenu des circonstances et de ce qu’il a dit au sujet des antécédents des autres travailleurs. Il a passé de longues journées à travailler avec les membres de son équipe à faire du travail manuel. Les collègues parlent souvent entre eux de leurs origines et de l’identité de leur peuple, et plaisantent parfois sur ces sujets. Ils entendent les autres parler. Il a dit que certains de ses collègues étaient originaires de la Pologne et de la Mongolie et qu’ils se parlaient dans leur langue. Il va donc de soi qu’il le saurait si d’autres travailleurs étaient aussi membres des Premières Nations.

Critère de discrimination, parties 2 et 3 : effets préjudiciables ou pertes liés au fait d’être membre des Premières Nations

[50] Je vais maintenant examiner les deuxième et troisième parties du critère juridique de discrimination. Le prestataire doit prouver qu’il a subi un effet préjudiciable ou une perte en matière d’emploi. Il doit ensuite prouver que le fait d’être membre des Premières Nations a été un facteur dans l’effet préjudiciable ou la perte, ou était associé d’une manière quelconque à celui-ci.

[51] Le prestataire affirme avoir subi trois effets préjudiciables ou pertes :

  • ses collègues l’ont exclu parce qu’il ne faisait pas partie de leur groupe ethniqueNote de bas de page 23;
  • son supérieur l’a rétrogradé trois fois pour redonner leur emploi à des travailleurs non membres des Premières Nations;
  • il a perdu son emploi parce que sa santé mentale s’est aggravée en raison de la discrimination et du racisme dont il était victime au travail.

[52] Je conclus que le prestataire n’a pas été victime de racisme ou de discrimination en raison de ce que, selon lui, ses collègues lui ont fait (le premier point). Il ne l’a pas prouvé.

[53] Il a donné un exemple. Il dit qu’on lui a fait sentir qu’il était à l’écart. Il dit que la plupart des membres de son équipe étaient polonais ou mongols. Il ne faisait pas partie de leur groupe très uni et ne comprenait pas les langues qu’ils parlaient. Il a dit que seule une personne issue d’une minorité pouvait bien comprendre.

[54] J’admets que le prestataire s’est senti laissé à l’écart. Il le croyait sincèrement, et je n’ai aucune raison de douter qu’il le croyait. Mais il pouvait le croire sincèrement même si ce n’était pas vraiment la réalité.

[55] Je n’admets pas que les autres travailleurs l’ont mal traité ou l’ont traité de manière inégale parce qu’il est membre des Premières Nations. Aucun élément de preuve n’étaye cette prétention.

[56] Je préfère le témoignage de son supérieur à ce sujet. Il affirme que le prestataire s’entendait avec tous les membres de l’équipe et qu’il n’y avait pas de problème de personnalitéNote de bas de page 24. Le supérieur a eu l’occasion d’observer le prestataire et ses collègues pendant des mois avant qu’il démissionne. Je ne vois aucune raison pour laquelle son supérieur mentirait à ce sujet.

[57] Je ne peux pas accepter la position du prestataire pour une autre raison, qui concerne le droit en matière de discrimination. Pour prouver la discrimination dans l’emploi fondée sur le racisme allégué de ses collègues, il lui faudrait démontrer que son employeur était au courant ou aurait dû être au courant du racisme et qu’il n’a pas pris de mesures pour y remédier. Rien de tel ne transparaît.

[58] Je traiterai ensemble le deuxième point (rétrogradation) et le troisième point (démission pour des raisons de santé mentale) parce qu’ils sont liés.

[59] J’examinerai d’abord la question de savoir si le supérieur du prestataire a été raciste envers lui et a fait preuve de discrimination directe ou intentionnelle à son égard. Je me pencherai ensuite sur la question de savoir si les décisions du supérieur concernant l’attribution du travail ont eu pour effet de traiter le prestataire de façon discriminatoire.

[60] Le prestataire affirme que son supérieur était raciste, qu’il le détestait et qu’il a fait preuve de discrimination à son endroit à maintes reprisesNote de bas de page 25. Il était le seul membre des Premières Nations de son équipe et il a reçu le pire traitement. Son supérieur était raciste envers les membres des Premières Nations, même s’ils travaillaient fort. Ses conditions de travail étaient discriminatoires et racistes. Il ne pouvait donc pas continuer à travailler et a choisi de démissionner plutôt que de se mettre en colère ou de continuer à subir des agressions mentales et [traduction] « presque de la haine » de la part de son supérieur.

[61] Le prestataire affirme que le fait d’être rétrogradé à plusieurs reprises et d’être maintenu sur l’épandeuse sur pneumatiques a eu un effet très négatif sur sa santé mentale. Il a donc démissionné lorsqu’il n’en pouvait plus.

[62] Son supérieur a dit à la Commission que le prestataire est un très bon gars et qu’il est excellent dans son travailNote de bas de page 26. Et si le prestataire n’aimait pas quelque chose, il le lui disait sans détour.

[63] Le représentant du prestataire a dit à la Commission que son fils et le supérieur avaient l’habitude de se faire l’accolade et que son supérieur veillait sur son fils. Il a également dit que le travail était la thérapie de son fils, que son supérieur ne comprenait pas et qu’ils se sont tous deux fâchés à la finNote de bas de page 27. Je crois ce qu’a affirmé le représentant parce qu’il l’a dit à la Commission lorsqu’il a participé à l’appel avec son fils. Son fils aurait pu le corriger si ce n’était pas vrai. Dans le contexte de l’appel téléphonique, cette affirmation n’a pas été faite simplement pour appuyer l’argument du prestataire pour justifier qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi. Et ce n’est pas le cas. Je conclus donc que ce que le représentant a dit est probablement vrai.

[64] Je conclus qu’il est plus probable que le contraire qu’il y a eu rupture de la relation entre le prestataire et son supérieur, et qu’il ne s’agit pas de racisme direct ou intentionnel. J’en suis arrivé à cette conclusion parce que je préfère le témoignage du supérieur à celui du prestataire. Le prestataire n’a pas témoigné à l’audience. J’ai examiné le dossier et il ne renfermait pas d’exemples précis de haine ou de racisme évident ou direct de la part de son supérieur. Rien ne prouve que son supérieur a tenu des propos racistes à son égard ou qu’il l’a traité de noms racistes. Et rien ne démontre que son supérieur avait des idées ou des opinions négatives, biaisées, préjudiciables ou stéréotypées au sujet des membres des Premières Nations.

[65] Ma conclusion selon laquelle il y a eu rupture de la relation plutôt que racisme est étayée par ce que le père du prestataire a dit à la Commission. Je n’ai aucune raison de douter des observations du représentant et de son évaluation de la relation entre son fils et le supérieur. Celles-ci sont fondées en partie sur ce que son fils lui a dit. Et il n’est pas logique que le prestataire induise son père en erreur ou que son père induise la Commission en erreur pendant les appels téléphoniques.

[66] Je vais maintenant décider si les décisions du supérieur au sujet des affectations de travail étaient discriminatoires envers le prestataire parce qu’il est membre des Premières Nations.

[67] Le lieu de travail du prestataire était syndiqué. Mais rien ne prouve que son supérieur a respecté la convention collective, ou les règles syndicales sur l’ancienneté, lorsqu’il a attribué les tâches. Et rien ne prouve que le supérieur a suivi les règles ou la politique de l’employeur lorsqu’il a attribué les tâches.

[68] Je me concentrerai donc sur la question de savoir si les décisions du supérieur concernant l’attribution du travail au prestataire ont eu un effet préjudiciable sur le prestataire ou lui ont causé une perte.

[69] Le prestataire affirme que trois fois en 2020, lorsqu’un autre travailleur a démissionné, son supérieur l’a affecté au gros rouleau métallique. Il avait suivi une formation pour faire fonctionner le gros rouleau métallique. Il voyait le travail sur le gros rouleau métallique comme une « promotion » et un grand pas dans le milieuNote de bas de page 28.

[70] Il dit aussi avoir été « rétrogradé » à trois reprises. Chaque fois, son supérieur l’a rétrogradé du gros rouleau métallique vers la machine sur pneumatiques. Il a été rétrogradé lorsque le travailleur qui avait démissionné est revenu et que son supérieur lui a redonné son emploi.

[71] Précédemment, j’ai accepté l’affirmation du prestataire selon laquelle il était le seul membre des Premières Nations de son équipe. Cela signifie donc que son supérieur l’a rétrogradé trois fois et a réaffecté au gros rouleau métallique une personne qui n’était pas membre des Premières Nations.

[72] Son supérieur reconnaît que le prestataire a demandé de changer de rôleNote de bas de page 29. Il dit qu’il n’était pas en mesure de changer les personnes de postes. Il a dit au prestataire que cela pouvait se produire, mais qu’il ne savait pas quand. Il a expliqué qu’il a un calendrier et des objectifs de production à atteindre, et qu’il avait choisi des personnes pour accomplir certaines tâches parce qu’elles étaient capables d’accomplir ces tâches. Il avait aussi un budget qu’il devait respecter. Il a dit qu’il était normal que les personnes qui ont démissionné soient acceptées de nouveau. Il avait quitté l’employeur et était revenu.

[73] Le prestataire et son supérieur conviennent que le prestataire était un travailleur acharné et qu’il excellait dans son travail de conducteur d’épandeuse sur pneumatiques. Le prestataire a dit à la Commission que lorsqu’il a commencé à travailler pour l’employeur, son supérieur l’a transféré à son équipe. Comme ils avaient travaillé ensemble dans une autre entreprise, son supérieur savait déjà qu’il était un excellent travailleur.

[74] Je conclus que l’effet (ou le résultat) des décisions du supérieur concernant l’attribution du travail était discriminatoire envers le prestataire en raison de son statut de membre des Premières Nations. Des éléments de preuve indiquent que le prestataire avait de la difficulté à obtenir du travail parce qu’il était membre des Premières Nations et qu’il ne possédait qu’une neuvième année. Il avait occupé un emploi saisonnier. Son supérieur l’a rétrogradé à trois reprises, au profit de travailleurs qui n’étaient pas membres des Premières Nations. Les décisions de son supérieur ont donc eu pour effet de le désavantager dans son emploi en raison de son statut de membre des Premières Nations.

[75] Je conclus également que la décision de son supérieur a eu des effets négatifs sur la santé mentale du prestataire et que ces effets négatifs étaient liés à son statut de membre des Premières Nations.

[76] J’ai fondé cette conclusion sur des faits importants et des principes juridiques reconnus par les tribunaux au Canada dans des affaires portant sur les droits à l’égalité des peuples autochtones. J’ai tenu compte des contextes social, politique et juridique des peuples autochtones. Ce contexte englobe l’héritage de stéréotypes et de préjugés découlant du colonialisme, des déplacements de populations et du système des pensionnatsNote de bas de page 30.

Aucune défense ou justification au sens de la LCDP

[77] J’ai accepté l’explication donnée par le supérieur sur la façon dont il a attribué le travail et pourquoi il s’agissait de bonnes pratiques sur le plan économique et commercial, pour lui et pour l’entreprise. Mais les « bonnes pratiques commerciales » ne constituent pas une défense juridique ou une justification de la discrimination qui est reconnue par la LCDP.

[78] Après avoir examiné les documents, je conclus que l’employeur n’avait aucun moyen de défense ou justification au sens de la LCDP pour la discrimination dont le prestataire a été victime. Je tire cette conclusion parce que rien ne prouve que le fait d’affecter le prestataire de façon permanente au gros rouleau métallique aurait créé un risque pour la santé, un risque pour la sécurité ou un coût insoutenable pour son employeur. Le fait que le supérieur ait promu le prestataire à cette machine à trois reprises m’indique qu’il n’y avait aucune justification juridique pour le rétrograder et l’empêcher de travailler sur cette machine.

Les autres arguments du prestataire concernant la discriminationNote de bas de page 31

[79] Le prestataire a présenté d’autres arguments concernant la discrimination, et je dois les examiner.

[80] Le représentant du prestataire a fait valoir que le fait de l’affecter de nouveau à l’épandeuse sur pneumatiques était discriminatoire parce que l’employeur l’a fait sans justification ou motif valable. Il s’agissait également d’un congédiement déguisé. Enfin, il est indicateur d’une discrimination systémique envers les employés qui sont membres des Premières Nations.

[81] Je ne suis pas d’accord avec cet argument.

[82] La discrimination a une signification juridique particulière dans les lois sur les droits de la personne. Le critère juridique de discrimination est différent des critères juridiques du congédiement injuste (ou injustifié) et du congédiement déguisé en droit du travail. Je ne peux appliquer que la Loi sur l’assurance-emploi à la situation du prestataire, et non le droit du travail.

[83] Rien ne me permet de conclure que l’employeur fait systématiquement preuve de discrimination à l’égard des membres des Premières Nations. Le prestataire n’a présenté aucun élément de preuve sur l’effet des pratiques d’emploi de l’employeur sur les membres des Premières Nations en tant que groupe. La preuve du prestataire concernait sa situation. Elle concernait également les décisions qu’une personne, son supérieur, a prises au sujet de l’attribution du travail à une équipe de pavage.

[84] Le représentant du prestataire a dit que je ne devrais pas croire ce que le directeur des opérations a dit à la CommissionNote de bas de page 32. Je suis d’accord avec le représentant pour deux raisons. Premièrement, il n’avait pas une connaissance directe de la situation du prestataire. Deuxièmement, le supérieur, qui avait une connaissance directe de la situation, a affirmé que certaines des choses que le directeur des opérations avait dites à la Commission n’étaient pas vraies. Je n’ai donc accordé aucun poids à la preuve du directeur des opérations.

[85] Le représentant du prestataire a également dit que je ne devrais pas croire ce que le supérieur a dit à la Commission. Il a fait valoir que le supérieur a pris soin de ne pas accepter la responsabilité à l’égard de la discrimination envers le prestataire. Il a aussi soutenu qu’il était clair que le supérieur et son patron avaient convenu de faire preuve de discrimination en lui enlevant trois fois son travail sur le gros rouleau métallique.

[86] Je ne suis pas d’accord. Ces arguments ne sont pas étayés par la preuve.

[87] Précédemment, j’ai conclu que le supérieur n’avait pas intentionnellement fait preuve de discrimination envers le prestataire. J’accepte l’explication du supérieur quant à la façon dont il a attribué le travail. J’estime qu’il est logique qu’il affecte le prestataire à l’épandeuse sur pneumatiques s’il est excellent dans ce poste. En tant que gestionnaire, il était judicieux de le faire sur le plan commercial. Rien n’indique que le patron du supérieur a joué un rôle dans l’attribution du travail au prestataire. Et il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le supérieur et son patron travaillent ensemble pour planifier la façon d’éloigner le prestataire du gros rouleau métallique.

[88] Mes conclusions sont étayées par l’argument du prestataire. Il affirme que son supérieur a continué de l’affecter à l’épandeuse sur pneumatiques parce que la prime du supérieur était liée à la qualité du travail effectué par son équipeNote de bas de page 33. Je n’ai aucune raison de douter de ses propos. Aucun élément de preuve ne va à l’encontre de cette affirmation. Et ce qu’il a dit semble logique dans les circonstances de l’affaire.

[89] Le supérieur et son patron pourraient finir par perdre de l’argent si le supérieur retirait le prestataire de l’épandeuse sur pneumatiques. Comme le prestataire a fait un excellent travail sur l’épandeuse sur pneumatiques, son supérieur a fait plus d’argent. Il est donc logique que le supérieur veuille le garder sur l’épandeuse sur pneumatiques.

Résumé des conclusions sur la discrimination

[90] J’ai tiré trois conclusions au sujet de la discrimination dans la présente section :

  • les décisions du supérieur concernant l’attribution du travail ont empêché le prestataire d’être promu de façon permanente au travail sur le gros rouleau métallique, ce qui constitue de la discrimination envers lui en raison de son statut de membre des Premières Nations;
  • l’attribution du travail par son supérieur a eu une incidence négative sur la santé mentale du prestataire, ce qui constitue de la discrimination envers lui en raison de son statut de membre des Premières Nations;
  • l’employeur n’a aucun moyen de défense ni justification pour expliquer la discrimination.

Les conditions de travail constituent un danger pour la santé et la sécurité, et les pratiques de l’employeur sont contraires à la loi

[91] Dans la présente section, je traiterai des points deux et trois de la liste des circonstances que j’ai dressée plus haut. Le deuxième point porte sur les conditions de travail qui constituent un danger pour la santé et la sécurité. Le troisième point porte sur les pratiques de l’employeur qui sont contraires à la loi.

[92] Le prestataire affirme qu’il était fastidieux, stressant et dangereux de conduire l’épandeuse sur pneumatiques presque sans arrêt pendant trois ansNote de bas de page 34. Il travaillait de longues heures, n’était pas en mesure de prendre de pauses-café et ne pouvait pas prendre de pauses pour urinerNote de bas de page 35.

[93] Je conclus que le prestataire n’a pas démontré que ses conditions de travail constituaient un danger pour sa santé ou sa sécurité. Il n’y a aucune preuve à l’appui de sa croyance qu’il existait un risque pour sa santé et sa sécurité.

[94] Son représentant a affirmé qu’à un moment donné l’employeur avait renvoyé le prestataire chez lui parce qu’il avait fait trop d’heures de travailNote de bas de page 36. Cela m’indique que l’employeur était conscient des problèmes de santé et de sécurité, et qu’il a pris des mesures pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

[95] Je conclus donc que les conditions de travail de l’employeur n’ont pas créé de risque pour la santé ou la sécurité.

[96] Outre la discrimination (dont j’ai traité ci-dessus), le prestataire n’a pas démontré que les pratiques de son employeur étaient contraires à la loi.

[97] Il affirme qu’il n’avait pas de pauses-café ni de pauses pour aller aux toilettes lorsqu’il travaillait sur la machine sur pneumatiques, et que les heures étaient longues. Mais il n’a fait référence à aucune loi ou norme.

[98] Je conclus donc également qu’il n’a pas prouvé qu’il est plus probable qu’improbable que les pratiques de son employeur étaient contraires à la loi.

Modification importante des tâches

[99] Le prestataire a été promu au grand rouleau métallique à trois reprises. Mais chaque fois, il a été rétrogradé et est retourné travailler sur l’épandeuse sur pneumatiques. J’ai examiné plus haut la preuve à ce sujet.

[100] Mais j’estime qu’il ne s’agissait pas d’une modification importante de ses tâches. Aucune preuve n’étaye ce fait.

[101] Les deux emplois consistent à faire fonctionner de la machinerie de pavage lourde. Les deux sont des emplois hautement spécialisés et exigeants physiquement. Le prestataire a reçu une formation pour travailler sur les deux machines.

[102] Rien ne démontre que la conduite du gros rouleau métallique et de la machine sur pneumatiques relève de différentes catégories d’emploi dans la convention collective.

Relations conflictuelles avec son supérieur et incitation indue à quitter son emploi

[103] Je traiterai des points cinq et six de la liste susmentionnée sous la présente sous-rubrique parce que ces circonstances sont étroitement liées au présent appel. Le point 5 porte sur les relations conflictuelles avec son supérieur, dont la cause ne lui était pas essentiellement imputable. Le point 6 porte sur l’incitation indue par son supérieur à quitter son emploi.

[104] Chaque mois de la saison 2021, il a demandé un transfert, car le fait de le maintenir en poste constituait une question de sécuritéNote de bas de page 37. Il a prévenu son supérieur à trois reprises qu’il devait laisser la machine sur pneumatiques pour préserver sa santé mentale parce que celle-ci se détériorait et qu’il avait des crises de colère en raison de sa situation au travail.

[105] Le prestataire affirme que son supérieur a rendu intolérables les deux derniers mois de son emploi. J’ai examiné les raisons pour lesquelles ils étaient insupportables lorsque j’ai examiné la discrimination plus haut. Il a écrit que [traduction] « […] de travailler dans ces conditions discriminatoires et racistes faisait qu’il m’était mentalement et émotionnellement insupportable de continuer à y travaillerNote de bas de page 38 ».

[106] Le jour où il a démissionné, tout a explosé et il n’a vu d’autre solution que de démissionnerNote de bas de page 39. Ce jour-là, son supérieur a remis en question une chose qu’il avait faite la veille.

[107] J’admets que le prestataire était contrarié et en colère, et que sa santé mentale s’était détériorée au moment où il a démissionné. J’admets aussi que ses conditions de travail en étaient la cause. Il n’a envoyé au Tribunal aucune preuve médicale. Mais aucun élément de preuve ne va à l’encontre de ce qu’il a dit sur sa santé mentale.

[108] Le représentant du prestataire soutient que le supérieur et son patron ont exercé des pressions indues de deux façonsNote de bas de page 40. D’abord, ils l’ont forcé à quitter son poste sur le grand rouleau métallique à trois reprises, ce qui était injuste, discriminatoire et constituait un congédiement déguisé. Et ils l’ont fait en sachant que le prestataire avait menacé de démissionner trois fois parce qu’il voulait retourner sur le rouleau. Deuxièmement, avant qu’il démissionne, son supérieur lui a crié que s’il n’aimait pas travailler pour l’employeur, il pouvait partir. Le prestataire affirme qu’il s’agissait d’un abus vicieux et d’un abus de pouvoir de la part de l’employeur.

[109] Les relations conflictuelles avec un supérieur doivent être prises en compte lorsqu’il s’agit d’une situation indépendante de la volonté du prestataire ou à laquelle le prestataire n’y est pour rienNote de bas de page 41.

[110] Je conclus que le prestataire n’a pas démontré qu’il y avait des relations conflictuelles dont la cause ne lui était pas essentiellement imputable. J’ai examiné la preuve dont je disposais. Je conclus que la preuve démontre qu’il est plus probable qu’improbable qu’il y a eu entre eux rupture de la relation qui leur était imputable à tous les deux à parts égales.

[111] Son supérieur et lui n’étaient pas d’accord au sujet de l’affectation du prestataire. Il a demandé à maintes reprises d’être muté, et son supérieur ne cessait de lui dire qu’il avait besoin de plus de temps pour le faire. Mais rien ne montre que son supérieur l’a provoqué ou critiqué injustement de façon continue, ou qu’il tentait de l’amener à démissionner. Précédemment, j’ai accepté le fait que son supérieur avait de bonnes choses à dire au sujet du prestataire en tant que personne et en tant que travailleur.

[112] J’admets que le supérieur était contrarié par le prestataire et lui a dit qu’il pouvait démissionner s’il n’aimait pas les décisions du supérieur ou l’emploi. Selon le témoignage du prestataire, son supérieur le lui a dit une fois, parce qu’il était contrarié et en colère.

[113] Mais le prestataire affirme également qu’il a menacé de démissionner trois fois parce qu’il était contrarié. Cela concorde avec ma conclusion dans la section sur la discrimination (plus haut) selon laquelle il y a eu rupture de la relation entre le prestataire et son supérieur.

[114] Le prestataire a également fait valoir que le supérieur a reçu une prime parce qu’il faisait tellement bien son travailNote de bas de page 42. J’ai accepté ce fait dans la section sur la discrimination (plus haut). Par conséquent, il ne serait pas logique que le supérieur contrarie le prestataire ou tente de le faire démissionner s’il risquait de perdre de l’argent.

[115] Donc, compte tenu de cet élément de preuve, je conclus également qu’il n’a pas démontré que son supérieur a exercé sur lui des pressions indues pour qu’il quitte son emploi.

[116] Mes conclusions dans la présente section ne vont pas à l’encontre de ma conclusion selon laquelle le prestataire a été victime de discrimination en emploi en raison des décisions de son supérieur. Son supérieur n’a pas intentionnellement ou directement fait preuve de discrimination envers lui. La discrimination n’est donc pas une forme de relations conflictuelles.

Le prestataire disposait d’autres solutions raisonnables

[117] Selon la loi, je dois décider si le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Et quand j’examine la question, je dois tenir compte des circonstances qui existaient au moment où il a quitté son emploi.

[118] Je conclus que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait après avoir tenu compte des circonstances, prises individuellement et dans leur ensemble, qui existaient lorsque le prestataire a démissionné :

  • il a été victime de discrimination au travail en lien avec son statut de membre des Premières Nations;
  • sa santé mentale et physique s’était détériorée en raison de son emploi;
  • il a de la difficulté à trouver du travail parce qu’il est membre des Premières Nations et ne possède qu’une neuvième année.

La position de la Commission et celle du prestataire

[119] La Commission affirme que le prestataire avait les autres solutions raisonnables suivantesNote de bas de page 43 :

  • il aurait pu consulter un médecin pour obtenir des conseils médicaux au sujet de traitements ou prendre un congé pour raisons médicales;
  • il aurait pu chercher du travail avant de démissionner puisqu’il était insatisfait de sa situation professionnelle pendant deux ans ou plus;
  • il aurait pu se plaindre au patron de son supérieur d’avoir été traité injustement et de façon discriminatoire par son supérieur;
  • il aurait pu s’adresser à son syndicat parce qu’il avait été traité injustement et de façon discriminatoire par son supérieur.

[120] Le prestataire n’est pas d’accord. Il affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable pour les raisons suivantesNote de bas de page 44 :

  • il ne savait pas qu’il pouvait demander un congé pour raisons médicales et son employeur ne lui a jamais dit qu’il pouvait le faire, il n’avait pas de médecin et se sentait en bonne santé et apte à occuper n’importe quel emploi, sauf celui qu’il avait;
  • il n’a pas cherché de travail parce qu’il voulait vraiment conserver son emploi et qu’il n’avait pas l’intention de démissionner lorsqu’il l’a fait, il a agi sous l’impulsion du moment;
  • il ne voulait pas se plaindre au patron de son supérieur parce qu’il ne voulait pas que son supérieur ait des ennuis, et le prestataire avait peur de subir des conséquences négatives parce que le milieu du pavage est restreint;
  • même s’il savait qu’il versait des cotisations syndicales, il ne savait pas que son syndicat pouvait l’aider et n’était jamais allé à une réunion syndicale.

[121] Le représentant du prestataire a fait valoir que le prestataire n’a pas la capacité de s’exprimer en son propre nom en milieu de travail.

Se plaindre au patron

[122] Je conclus qu’une plainte au patron de son supérieur n’était pas une solution raisonnable pour les motifs que donne le prestataire. Même si son supérieur a dit à la Commission que le prestataire aurait pu se plaindre à son patron, je préfère le témoignage du prestataire. Il craignait de subir des conséquences négatives dans le milieu restreint du pavage. Il est logique que la peur l’ait empêché de se plaindre.

Obtenir des conseils médicaux

[123] J’estime que la consultation d’un médecin ou d’un autre professionnel de la santé pour obtenir des conseils était une solution raisonnable. Il dit avoir quitté son emploi pour des raisons médicales ou de santéNote de bas de page 45. Il avait vraiment besoin d’une pause de l’épandeuse sur pneumatiques. Il a prévenu son supérieur à trois reprises qu’il démissionnerait parce que sa santé mentale commençait à se détériorer. Il avait des accès de colère en raison de sa situation au travail. Il la décrit comme une question de sécurité pour lui et ses collègues.

[124] D’après ce qu’il a écrit, je conclus qu’au moment où il a démissionné son emploi avait un effet très négatif sur sa santé mentale. Et même s’il n’avait pas de médecin de famille, il aurait pu essayer de se rendre à une clinique sans rendez-vous ou à l’urgence d’un hôpital. Ou il aurait pu utiliser un service téléphonique de télésanté ou de situation de crise pour obtenir un aiguillage. Rien n’indique qu’il a essayé l’une ou l’autre de ces options.

[125] Son représentant a fait valoir que le prestataire se sentait en bonne santé et apte à occuper n’importe quel emploi, sauf celui qu’il avait. Mais il n’a pas fait référence à des preuves à l’appui de ses prétentions, et je n’ai trouvé aucune preuve. Je n’accepte donc pas cet argument.

Chercher un autre emploi

[126] Je conclus que la recherche d’un autre emploi était une autre solution raisonnable pour le prestataire. Selon le prestataire, il s’était fait refuser une mutation pendant toute la saison, même s’il l’avait demandé chaque mois. Et ses conditions de travail n’avaient fait qu’empirer avec le tempsNote de bas de page 46.

[127] Je conclus que si son travail le contrariait et le mettait en colère, qu’il ne voulait pas se plaindre et ne savait pas ce que faisait le syndicat, la recherche d’un autre emploi était la chose raisonnable à faire. Il n’a fourni aucune preuve pour expliquer pourquoi il aurait été déraisonnable de chercher un autre emploi dans les circonstances.

[128] Il aurait pu chercher un autre emploi dans le milieu du pavage. Il avait travaillé pour au moins une autre entreprise de pavage, il connaissait le milieu et possédait des compétences professionnelles et de l’expérience dans le domaine. Et il était un excellent travailleur. Son supérieur l’a affirmé.

[129] Ou encore, il aurait pu chercher un autre emploi à l’extérieur dans un secteur autre que le pavage. Son représentant affirme qu’il possédait aussi une expérience considérable dans le domaine de la construction, et je n’ai aucune raison d’en douterNote de bas de page 47. Et son représentant affirme qu’il aurait pu chercher du travail. Mais il a choisi de ne pas le faire parce qu’il voulait conserver son emploi et souhaitait que les choses s’arrangent à son emploiNote de bas de page 48.

[130] Je conclus donc que la preuve démontre que la recherche d’autres emplois était une solution raisonnable autre que de démissionner quand il l’a fait.

Demander l’aide du syndicat

[131] Je conclus qu’une demande d’aide au syndicat aurait été une autre solution raisonnable.

[132] Le prestataire savait que le syndicat existait. Mais il dit qu’il ne savait pas que celui-ci pouvait l’aider. Il était insatisfait au travail depuis au moins deux ans et croyait être victime d’injustice, de discrimination et de racisme. Pendant ce temps, il aurait pu se renseigner davantage sur ses droits et sur le syndicat. Il aurait pu poser des questions à d’autres travailleurs. Il aurait pu appeler le ministère du Travail, une commission des droits de la personne ou un service de conseils juridiques, ou chercher des réponses sur Internet, toutes ces solutions ayant pu le diriger vers son syndicat pour obtenir de l’aide.

[133] Je n’accepte pas l’argument de son représentant selon lequel le prestataire n’était pas en mesure de demander l’aide du syndicat. Il a soutenu que le prestataire ne possédait qu’une neuvième année et qu’il ne pouvait pas se défendre en milieu de travail. Mais rien ne prouve qu’il ne pouvait pas se défendre. Le représentant n’a pas présenté de preuve à l’appui de cet argument, et je n’ai pas eu l’occasion de poser des questions au prestataire sur cette question.

[134] Enfin, son représentant affirme avoir suggéré une fois à son fils de contacter son syndicatNote de bas de page 49. Je n’ai aucune raison de mettre en doute cette affirmation. Le fait que son père, sur lequel le prestataire s’appuie pour obtenir des conseils et le représenter, a suggéré de faire appel au syndicat me confirme qu’il s’agissait d’une autre solution raisonnable dans les circonstances.

Conclusion sur les autres solutions raisonnables

[135] Compte tenu de la situation du prestataire, je conclus qu’il avait les solutions de rechange raisonnables suivantes plutôt que de démissionner quand il l’a fait :

  • consulter un médecin ou un autre professionnel de la santé pour obtenir des conseils;
  • chercher un autre emploi;
  • demander l’aide du syndicat.

[136] Je conclus que la preuve démontre que le prestataire était capable de donner suite à ces autres solutions, mais ne l’a pas fait. Précédemment, j’ai accepté le témoignage de son supérieur selon lequel il le respectait parce que si le prestataire n’aimait pas quelque chose, il le lui disait sans détour. Le prestataire avait déjà changé d’entreprise dans le secteur du pavage une fois. Il a été en mesure de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi en ligne lorsqu’il ne travaillait pas. Et sa demande d’assurance-emploi, qu’il a remplie, est bien écrite et fait référence à des concepts comme le racisme et la discrimination.

[137] Par conséquent, le prestataire n’était pas fondé à démissionner lorsqu’il l’a fait parce qu’il avait d’autres solutions raisonnables.

Conclusion

[138] Comme j’ai conclu que le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[139] Par conséquent, son appel est rejeté.

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