Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 196

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : H. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (613581) datée du 22 septembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Kristen Thompson
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 16 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 22 janvier 2024
Numéro de dossier : GE-23-2977

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’appelant a été congédié en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a perdu son emploi. L’employeur de l’appelant a déclaré qu’il a été congédié parce qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail.

[4] La Commission a accepté la raison du congédiement fournie par l’employeur. Elle a conclu que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, la Commission a décidé que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[5] L’appelant n’est pas d’accord. Il affirme qu’il n’y a pas eu inconduite parce que ses gestes n’étaient pas délibérés et il a agi en légitime défense. Il dit qu’il avait respecté la politique en faisant part de ses préoccupations à la direction.

Question en litige

[6] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] Pour répondre à la question de savoir si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois établir pourquoi l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois vérifier si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[8] Je considère que l’appelant a perdu son emploi parce que l’employeur affirme qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail.

[9] La Commission et l’employeur affirment que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail.

[10] L’appelant convient qu’il a perdu son emploi en partie parce que l’employeur affirme qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail. Il affirme que l’autre raison pour laquelle il a perdu son emploi est qu’il a déposé plusieurs griefs contre l’employeur.

[11] Dans sa demande de prestations, l’appelant indique avoir été congédié parce que l’employeur l’a accusé de violence ou de comportement inappropriéNote de bas page 2.

[12] L’appelant a déclaré avoir été congédié, en partie, parce que l’employeur affirme qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail. Il affirme que l’autre raison pour laquelle il a perdu son emploi est qu’il a déposé plusieurs griefs, dont un qui indique qu’il a été victime de violence ou de harcèlement au travail.

[13] L’employeur a produit un relevé d’emploi indiquant que l’appelant avait été congédiéNote de bas page 3.

[14] L’employeur a également émis une lettre de congédiement. Celle-ci dit que l’appelant a été congédié parce qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travailNote de bas page 4.

[15] Je considère que l’appelant a perdu son emploi parce que l’employeur affirme qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail. Je m’appuie sur la demande de prestations de l’appelant, ainsi que sur le relevé d’emploi et la lettre de congédiement émis par l’employeur. À l’audience, l’appelant a convenu qu’au moins une partie de la raison pour laquelle il a été congédié est parce que l’employeur affirme qu’il n’a pas respecté la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail.

La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite au sens de la loi?

[16] La raison du congédiement de l’appelant n’est pas une inconduite au sens de la loi.

[17] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 5. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 6. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas page 7.

[18] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une possibilité réelle qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas page 8.

[19] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 9.

[20] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’appelant était au courant de la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail et des conséquences du non-respect de cette dernière;
  • bien que l’appelant affirme avoir agi en légitime défense, son acte de violence va à l’encontre de la politique;
  • l’acte de l’appelant était voulu et délibéré;
  • l’appelant savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait perdre son emploi parce qu’il allait à l’encontre de la politique.

[21] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu inconduite parce que ses gestes n’étaient pas délibérés puisqu’il s’agissait de légitime défense. Il dit qu’il respectait la politique en faisant part de ses préoccupations à la direction.

[22] L’employeur a émis une lettre de congédiement datée du 4 juillet 2023. Elle dit que l’employeur a enquêté sur les événements du 27 juin 2023 et affirme qu’il y a eu une altercation physique entre l’appelant et un collègue de travail et que l’appelant a admis avoir frappé ce dernier. Elle dit aussi que le comportement de l’appelant a aggravé la situationNote de bas page 10.

[23] L’employeur a déclaré à la Commission qu’il avait mené une enquête sur les événements du 27 juin 2023. Il affirme que plusieurs témoins ont vu l’appelant et son collègue se donner des coups de poing. Il déclare n’avoir aucune tolérance pour la violence ou le harcèlement au travailNote de bas page 11.

[24] La politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement au travail dit ce qui suitNote de bas page 12 :
[traduction]

  • la politique s’applique à tous les membres du personnel;
  • la violence et le harcèlement en milieu de travail comprennent le recours à la force physique, les menaces de recours à la force physique, la violence verbale (jurons, insultes ou propos condescendants) et tout comportement qui rabaisse, gêne, humilie, irrite ou effraie;
  • l’employeur prendra toutes les mesures raisonnables pour protéger son personnel contre la violence et le harcèlement au travail;
  • les membres du personnel doivent signaler toute situation de violence ou de harcèlement en milieu de travail, ce qui comprend porter la question immédiatement à l’attention de la personne responsable de leur supervision;
  • l’employeur enquêtera sur toutes les plaintes de violence et de harcèlement au travail et y donnera suite;
  • les membres du personnel qui ne respectent pas la politique pourraient faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement;
  • l’employeur ne tolérera aucune forme de représailles contre une personne qui dénonce de la violence ou du harcèlement au travail.

[25] L’appelant a travaillé pour l’employeur pendant 17 ans comme opérateur de grue ou comme ouvrier.

[26] L’appelant indique que les événements suivants se sont déroulés le 27 juin 2023 :

  • L’appelant passait le balai.
  • Il a demandé à son superviseur si ses collègues pouvaient mettre les moulures de ciment sur le côté du lit au lieu de les jeter dans le lit, car cela faciliterait les choses pour ceux qui balaient.
  • Un collègue a approché l’appelant et son superviseur et a commencé à l’attaquer verbalement en lui lançant des jurons, en le traitant de paresseux et en lui disant qu’il ne faisait rien.
  • Le superviseur a dit à l’appelant de retourner travailler, alors il a commencé à partir.
  • Le collègue a ramassé une moulure, a poussé l’appelant au sol et lui a lancé la moulure.
  • Le collègue a frappé l’appelant à la tête et dans les côtes à plusieurs reprises.
  • L’appelant a dit au collègue d’arrêter de le frapper à plusieurs reprises.
  • Le collègue a empoigné la veste de l’appelant, alors il ne pouvait pas s’échapper.
  • L’appelant a poussé son collègue et lui a donné un coup de poing pour se défendre, parce qu’il lui faisait mal et qu’il ne le lâchait pas.
  • Un autre collègue est intervenu entre les deux et a mis fin à l’altercation.
  • Le superviseur de l’appelant était présent pendant l’attaque verbale et l’altercation physique, mais il n’est pas intervenu et a simplement dit à l’appelant de retourner travailler.

[27] L’appelant affirme que si son superviseur avait diffusé la situation lorsqu’il a été attaqué verbalement par son collègue, l’altercation physique ne se serait pas produite.

[28] L’appelant n’est pas d’accord avec la déclaration de l’employeur selon laquelle son comportement a aggravé la situation. Il dit qu’il parlait de ses préoccupations à son superviseur. Il dit qu’il était raisonnable pour lui de demander à ses collègues de mettre les moulures de ciment sur le côté du lit.

[29] L’appelant affirme être au courant de la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail et des conséquences du non-respect de cette politique. Il dit avoir assisté à une rencontre annuelle en janvier 2023, au cours de laquelle l’employeur a passé en revue la politique avec les membres du personnel.

[30] L’appelant affirme qu’il n’a pas enfreint la politique. Il dit que ses gestes n’étaient pas délibérés. Il précise qu’il n’a pas commencé l’altercation et qu’il n’est pas allé au travail avec cette intention. Il affirme avoir seulement agi en légitime défense.

[31] L’appelant soutient qu’il était victime d’intimidation au travail depuis 2022. Il dit que l’intimidation a commencé parce que ses collègues l’ont accusé d’avoir écrit une lettre à la direction disant que ses collègues faisaient des singeries autour de la grue. Ils l’ont également accusé d’avoir appelé le ministère du Travail au sujet de la grue.

[32] L’appelant a présenté des rapports à son employeur, dont un grief, dans lequel il affirme que l’employeur ne lui a pas offert un environnement de travail exempt de harcèlement, en raison de la violence verbaleNote de bas page 13. Il explique que l’employeur a demandé aux membres du personnel de s’excuser auprès de l’appelant pour leurs commentaires abusifs, mais que les employés n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires et que le harcèlement a continué.

[33] L’appelant dit avoir demandé de l’aide à son médecin en raison de l’intimidation. Il a présenté une lettre de son médecin indiquant qu’il était incapable de travailler du 6 décembre 2022 au 3 janvier 2023 en raison de problèmes de santé mentaleNote de bas page 14.

[34] La Commission s’appuie sur une décision de la Cour d’appel fédérale. Dans la présente affaire, le prestataire a perdu son emploi après avoir giflé un collègue qui a insulté un membre de sa famille. La Cour a déclaré qu’il n’est pas pertinent de considérer que le prestataire a agi sur l’impulsion du moment ou parce qu’il a été provoqué. Elle a dit que le prestataire aurait dû savoir que sa conduite pouvait mener à son congédiementNote de bas page 15. Je pense que cette affaire peut être différenciée selon les faits, car le prestataire dans cette affaire n’a pas agi comme l’appelant pour assurer sa propre sécurité.

[35] Bien que je ne sois pas liée par les décisions du juge-arbitre, il y a une décision particulière où les faits sont très semblables à ceux de la présente affaire. Dans cette décision, le juge-arbitre a déclaré que la légitime défense, sans recours excessif à la force, n’est pas une inconduite. Dans la présente affaire, le prestataire a été frappé par son collègue et l’a frappé à son tour pour se défendre. Le juge-arbitre a déclaré que la décision de l’employeur selon laquelle le prestataire a enfreint une politique de tolérance zéro à l’égard des batailles ne permet pas de déterminer l’inconduite. Il affirme que le prestataire n’était pas l’agresseurNote de bas page 16. Je suis convaincue par cette décision et j’adopte son raisonnement.

[36] Je considère que l’appelant n’a pas respecté la politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement en milieu de travail, puisqu’il a poussé et frappé un collègue. L’appelant reconnaît s’être livré à cette conduite.

[37] Cependant, je considère que la Commission n’a pas prouvé qu’il y a eu inconduite, parce que les gestes de l’appelant n’étaient pas délibérés étant donné qu’il s’agissait de légitime défense. Il a seulement réagi dans le but de se défendre. Ce n’était pas un acte délibéré. Je m’appuie sur le témoignage de l’appelant, que je juge crédible et conforme au dossier d’appel. Mes conclusions sont fondées sur les éléments suivants :

  • L’appelant a tenté de mettre fin à l’altercation en disant à son collègue d’arrêter de le frapper.
  • L’appelant n’a pas été en mesure de s’éloigner de la situation, car son collègue avait empoigné sa veste.
  • L’altercation a eu lieu devant le superviseur de l’appelant, qui n’est pas intervenu.
  • Le superviseur de l’appelant n’est pas non plus intervenu lorsque l’appelant a été attaqué verbalement par son collègue avant l’altercation physique, ce qui semble aller à l’encontre de la politique de l’employeur de prendre toutes les mesures raisonnables pour protéger les membres de son personnel contre la violence et le harcèlement au travail.
  • L’appelant a agi en légitime défense, pour se protéger contre d’autres préjudices, puisque son employeur ne faisait rien pour le protéger.
  • Ses actions consistant à pousser et à frapper son collègue une fois ne constituaient pas un usage excessif de la force.

L’appelant a-t-il donc perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[38] Selon mes conclusions précédentes, je juge que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[39] La Commission n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[40] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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