Assurance-emploi (AE)

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Citation : X c Commission de l’assurance-emploi du Canada et RR, 2024 TSS 266

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : X
Représentante ou représentant : Nick Asselin
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Partie mise en cause : R. R.

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (578748) datée du 28 avril 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Mylène Fortier
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 22 décembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentant de la partie appelante
Partie mise en cause
Date de la décision : Le 29 janvier 2024
Numéro de dossier : GE-23-1537

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de l’employeur est accueilli.

[2] Je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant dans cette affaire est l’employeur. Le prestataire occupait un emploi de camionneur pour l’employeur. Il a présenté une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 12 décembre 2022. Il a indiqué qu’il avait été congédié, mais que son employeur ne lui avait pas dit pourquoi.

[4] La Commission a examiné les raisons pour lesquelles le prestataire a perdu son emploi. Elle a décidé que le prestataire avait été congédié, mais que son congédiement n’était pas dû à son inconduite. Elle a donc décidé que le prestataire était admissible au bénéfice des prestations.

[5] L’employeur n’est pas d’accord. Il a affirmé au départ que le prestataire avait quitté volontairement son emploi. Puis, il a déclaré en audience qu’il est plutôt d’avis que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[6] Le prestataire soutient que son employeur lui a demandé de démissionner. Il dit qu’il a refusé et que c’est pour cela qu’il a été congédié.

Question que je dois examiner en premier

Documents reçus après l’audience

[7] Lors de l’audience, il a été entendu avec le prestataire que celui-ci allait fournir certains documents à l’appui de son témoignage.

[8] Il devait produire la copie du message texte reçu de son employeur qui prouve son congédiement. Le document a bien été reçu et porte la cote GD17.

[9] Il devait aussi produire les relevés de ses feuilles de travail. Il en a transmis quelques-unes. J’ai refusé d’accepter ces documents parce que je considère que les informations qu’elles contiennent ne sont pas pertinentes pour répondre aux questions en litige.

Questions en litige

[10] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. a) Est-ce que le prestataire a été congédié ou a-t-il quitté volontairement son emploi?
  2. b) Si le prestataire a perdu son emploi, l’employeur a-t-il prouvé son inconduite?
  3. c) Si le prestataire a quitté volontairement son emploi, disposait-il d’une justification prévue par la loi?

Analyse

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[11] J’estime que le prestataire a perdu son emploi parce qu’il a cessé de se présenter au travail à partir du 13 juillet 2022. Il a volontairement quitté son emploi. J’expliquerai maintenant comme j’en suis arrivée à cette conclusion.

[12] Le prestataire s’est présenté en personne dans un Centre de Service Canada le 11 novembre 2022. Il a demandé à obtenir un relevé d’emploi de son dernier employeur, car ce dernier lui avait demandé de démissionnerNote de bas de page 2.

[13] Le prestataire a alors expliqué qu’il avait commis une erreur au travail en oubliant d’abaisser la benne de son camion, accrochant un câble dans la cour d’une meunerie. Depuis cet accident, son employeur critiquait sa façon de travailler, sa conduite et son professionnalisme. Le prestataire a dit à la Commission qu’il avait en sa possession en message texte provenant de son employeur qui prouve qu’il a été congédié.

[14] La Commission a émis un relevé d’emploi le 7 novembre 2022 et a indiqué que la raison de la fin d’emploi était un congédiement ou une suspensionNote de bas de page 3.

[15] Le prestataire a déposé une demande de prestations le 12 décembre 2022. Il y a indiqué qu’il ne connaissait pas la raison pour laquelle il a été congédiéNote de bas de page 4.

[16] La Commission n’a pas réussi à joindre l’employeur afin de valider la raison de la fin d’emploi. Elle a décidé que le prestataire était admissible aux prestations parce que les raisons pour lesquelles il a perdu son emploi ne constituent pas une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[17] L’employeur a présenté une demande de révision. Il a produit une lettre dans laquelle il explique plusieurs situations problématiques en lien avec le prestataire, dont des accidents et une utilisation frauduleuse de la carte de crédit de l’entreprise. Il explique qu’il a voulu prendre une entente avec le prestataire pour obtenir le remboursement des dépenses, mais que celui-ci ne voulait pas discuter. Il ne s’est plus présenté au travail par la suiteNote de bas de page 5.

[18] La Commission n’a pas réussi à joindre l’employeur pour discuter de sa demande de révision.

[19] Elle a joint le prestataire qui a dit que c’est son employeur qui l’a congédié en raison d’un bris d’équipement. La Commission a maintenu sa décision selon laquelle il n’y avait pas eu inconduite de la part du prestataire.

[20] L’employeur a porté cette décision en appel au Tribunal.

[21] En audience, le prestataire a affirmé qu’il ne savait pas la raison pour laquelle il a été congédié. Il a dit que le 13 juillet 2022, son employeur l’a appelé et lui a demandé de venir porter les clés du camion. Il lui aurait aussi demandé verbalement de donner sa démission. Il aurait alors refusé.

[22] Il soutient également que son employeur l’a congédié par un message texte le 13 juillet 2022 et qu’il a conservé cette preuve. Il affirme qu’il n’a pas reçu de relevé d’emploi lorsque son emploi a pris fin.

[23] L’employeur a expliqué en audience que le prestataire a travaillé pour lui pendant environ 10 mois. Au cours de cette période, le prestataire aurait eu plusieurs accidents et causé des dommages importants au camion.

[24] Il a expliqué qu’il avait accepté le 31 aout 2021 de prêter son fardier au prestataire à l’extérieur des heures de travail, pour son utilisation personnelle. Le prestataire aurait renversé le fardier dans un fossé. Cela aurait nécessité un remorquage que l’employeur a dû payer. Il a affirmé que le prestataire devait le rembourser pour ces frais, mais qu’il ne l’a jamais fait. Il a déposé comme preuve des photos de l’accident ainsi qu’une facture de remorquageNote de bas de page 6.

[25] L’employeur a aussi affirmé qu’il avait accepté d’avancer le paiement des frais de cotisation du prestataire auprès de la Commission de la Construction du Québec en octobre 2021. Le prestataire lui aurait assuré qu’il allait le rembourser, mais il ne l’a pas fait.

[26] Il a aussi expliqué que le prestataire a causé des dommages importants chez un client le 8 mars 2022. Il aurait alors circulé avec son camion en omettant d’abaisser la benne, malgré la présence d’un détecteur de benne levé dans le camion. Cela a provoqué l’arrachement d’un fil et d’un poteau. Il a déposé des preuves de l’accidentNote de bas de page 7 ainsi que des photos des travaux qui ont été requis chez le clientNote de bas de page 8.

[27] L’employeur soutient également qu’il s’est aperçu en janvier 2022 que le prestataire a utilisé la carte de crédit de l’entreprise pour des fins personnelles à plusieurs reprises entre mai et décembre 2021. Il a déposé la copie de relevés de la carte de créditNote de bas de page 9. Il souligne qu’en décembre 2021, le prestataire n’était pas en emploi puisqu’il était mis à pied pendant l’hiver. Il lui a retiré la carte de crédit le 22 février 2022.

[28] L’employeur affirme qu’il y avait eu une entente verbale afin que le prestataire rembourse les dépenses personnelles ainsi que les frais de remorquage et de cotisation. Il soutient que le prestataire se disait d’accord, mais que ce dernier ne lui a rien remboursé à ce jour.

[29] L’employeur a expliqué que le 13 juillet 2022, il a demandé au prestataire de mettre par écrit cette entente quant aux sommes qu’il devait lui rembourser puisque celui-ci ne semblait pas vouloir respecter son engagement verbal. Le prestataire n’était pas d’accord pour mettre cette entente par écrit.

[30] Selon l’employeur, le prestataire ne se serait plus présenté au travail par la suite de telle sorte que ses effets personnels sont encore chez l’employeur.

[31] Je conclus que le prestataire a volontairement quitté son emploi et qu’il n’a pas été congédié.

[32] En effet, bien que l’employeur ait expliqué les nombreuses situations problématiques en lien avec le prestataire qui auraient pu justifier un congédiement, j’estime que la fin d’emploi est survenue au moment où le prestataire a cessé de se présenter au travail.

[33] J’accorde plus de poids à la version de l’employeur qu’à celle du prestataire parce que sa description des situations problématiques est corroborée par la preuve abondante au dossier.

[34] De plus, la version de l’employeur en audience est la même que celle qu’il a indiquée dans sa demande de révision. Le prestataire a refusé de prendre une entente de remboursement avec lui et ne s’est plus présenté au travailNote de bas de page 10. L’employeur n’a donc pas congédié le prestataire.

[35] La version du prestataire est quant à elle changeante et incohérente. En audience, il nie avoir utilisé la carte de crédit pour fins personnelles après novembre 2021. Toutefois, il a admis l’avoir fait avant cette date, mais avoir remboursé l’employeur. Il affirme que les remboursements ont été faits en déduisant des heures supplémentaires qu’il aurait faites. Il considère donc qu’il ne lui devait plus d’argent.

[36] Le prestataire ne peut préciser quand exactement il aurait remboursé son employeur ni comment étaient comptabilisés les heures supplémentaires et les remboursements. Il dit que cela se faisait verbalement avec l’employeur. Il dit n’avoir aucune preuve de ces remboursements.

[37] L’employeur soutient qu’il n’y a jamais eu de tels remboursements et qu’une telle façon de faire est illégale.

[38] Le prestataire a nié en audience avoir causé des bris sur le camion et a nié aussi certains des événements décrits par l’employeur ou en a minimisé les conséquences. Il a toutefois admis qu’il avait renversé le fardier dans le fossé.

[39] J’ai demandé au prestataire de fournir la copie du message texte de l’employeur qui prouverait qu’il avait été congédié, tel qu’il l’avait affirmé à la Commission.

[40] Il a déposé cette preuve après l’audience. Cependant, je note que ce message ne prouve aucunement que l’employeur l’ait congédié. L’employeur lui demande plutôt de venir porter les clés du camion et de prendre ses effets personnels qui sont dans le camionNote de bas de page 11. La date de ce message n’est pas visible.

[41] Le prestataire semble avoir répondu à ce message de l’employeur le 27 juillet 2022, mais sa réponse n’est pas visible.

[42] Cette preuve ne me convainc pas que le prestataire a été congédié. De plus, la raison pour laquelle le prestataire dit qu’il aurait été congédié est floue. Il ne peut expliquer clairement pourquoi il aurait été congédié en juillet 2022 pour un événement survenu en mars 2022.

[43] Pour toutes ces raisons, j’estime que la crédibilité du prestataire est grandement affectée.

[44] Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que c’est le prestataire qui a mis fin à l’emploi parce qu’il ne s’est plus présenté au travail après le 13 juillet 2022. Il n’est jamais retourné chercher ses effets personnels.

[45] Puisque je conclus que le prestataire n’a pas été congédié, mais qu’il a plutôt quitté volontairement son emploi, je n’ai pas à analyser si la cause de son congédiement est reliée à son inconduite.

[46] Je dois maintenant décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi.

Le prestataire était-il fondé à quitter son emploi?

[47] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 12. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[48] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 13.

[49] Le prestataire est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 14.

[50] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand le prestataire a quitté son emploi. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 15.

[51] Une fois que j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent au prestataire, celui‑ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 16.

Les circonstances présentes quand le prestataire a quitté son emploi

[52] Les déclarations et le témoignage du prestataire laissent entendre qu’il croit que certaines des circonstances énoncées dans la loi peuvent s’appliquer. J’examinerai ces circonstances précises dans les sections qui suivent.

Incitation indue à quitter son emploi

[53] Selon la loi, l’incitation indue par un employeur à l’égard d’une personne à quitter son emploi est une circonstance à prendre en considérationNote de bas de page 17.

[54] J’estime que le prestataire n’a pas démontré que son employeur l’a incité à démissionner.

[55] Son témoignage à cet effet est peu crédible et n’est pas appuyé par la preuve au dossier. Le prestataire affirme tantôt avoir été forcé à démissionner en raison d’un événement survenu en mars 2022, soit plusieurs mois avant la fin de l’emploi. Puis il affirme ne pas savoir pourquoi son employeur lui demandait de démissionner.

[56] Lorsqu’il lui est demandé de préciser comment son employeur lui a demandé de démissionner, ses explications sont vagues et il affirme qu’il ne s’en souvient plus.

[57] J’accorde plus de poids au témoignage de l’employeur. Sa version est crédible et est la même que celle qu’il a donnée à la Commission.

[58] L’employeur ne désirait pas que le prestataire démissionne, car il espérait se faire rembourser en le conservant à l’emploi.

[59] Je conclus que cette circonstance n’existait pas au moment de la fin d’emploi et je n’en tiendrai pas compte dans mon analyse.

[60] Aucune autre circonstance à prendre en considération n’a été mentionnée par le prestataire.

Le prestataire avait d’autres solutions raisonnables

[61] Je dois maintenant examiner si le départ du prestataire était la seule solution raisonnable à ce moment-là.

[62] Le prestataire affirme qu’il a été forcé à démissionner, mais comme décrit plus haut, il n’a pas démontré l’existence de cette circonstance.

[63] Le prestataire n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi.

[64] La Commission n’a pas discuté de cet élément dans son argumentaire.

[65] Je conclus que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[66] Une solution raisonnable aurait été de discuter et de prendre une entente avec son employeur avant de décider de quitter son emploi. Le prestataire a refusé de le faire et n’a plus donné signe de vie à son employeur.

[67] Le prestataire aurait pu contacter la Commission des nomes de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) afin de se renseigner sur ses droits.

[68] Le prestataire a dit à la fin de l’audience qu’il croyait l’avoir fait et qu’il croyait que l’audience était justement en lien avec les normes du travail.

[69] J’accorde peu de poids à cette affirmation étant donné que le prestataire a communiqué avec la Commission à plusieurs reprises ainsi qu’avec le Tribunal.

[70] J’estime qu’il est peu probable que le prestataire ait confondu la CNESST avec la Commission de l’assurance-emploi et avec le Tribunal.

[71] Finalement, le prestataire aurait pu s’assurer d’avoir un autre emploi avant de laisser le sien afin d’éviter de se placer en situation de chômage.

[72] L’objectif de la Loi est l’indemnisation des personnes dont l’emploi s’est involontairement terminé et qui se retrouvent sans travail.Note de bas de page 18 Ce n’est pas le cas ici. L’emploi du prestataire ne s’est pas terminé de façon involontaire. Il n’a pas démontré qu’il a tout fait pour conserver cet emploi ni qu’il était fondé à quitter cet emploi.

[73] Je conclus que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi, pour les raisons mentionnées précédemment.

[74] Par conséquent, n’était pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[75] Je conclus que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations.

[76] Par conséquent, l’appel de l’employeur est accueilli.

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