Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DA c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 26

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. A.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Angèle Fricker

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 8 juin 2023
(GE-23-740)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 28 novembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de la défenderesse
Date de la décision : Le 9 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-694

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Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant (prestataire) a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

Aperçu

[2] Le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. L’employeur ne lui a pas accordé d’exemption. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission de l’assurance-emploi du Canada) a conclu que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations d’assurance-emploi. Après révision, la Commission a maintenu sa décision. Le prestataire a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu de son emploi après avoir refusé de suivre la politique de l’employeur. Il n’a pas obtenu d’exemption. La division générale a jugé que le prestataire savait que l’employeur allait probablement le suspendre dans ces circonstances. Elle a conclu que le prestataire avait été suspendu en raison d’une inconduite.

[5] La division d’appel a accordé au prestataire la permission de faire appel. Le prestataire soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et qu’elle a commis une erreur de droit en concluant qu’il avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et si elle a commis une erreur de droit en concluant que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[8] La Cour d’appel fédérale a établi que lorsque la division d’appel instruit des appels conformément à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social , le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loiNote de bas de page 1.

[9] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel pour les décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieureNote de bas de page 2.

[10] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l’appel.

La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[11] Le prestataire affirme qu’il n’a pas été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Il soutient que la politique est illégale en ce sens qu’elle contrevient à la loi et contredit explicitement sa convention collective.

[12] Le prestataire soutient qu’il n’a pas manqué à une obligation explicite ou implicite découlant de sa convention collective. C’est son employeur qui a enfreint la convention en imposant unilatéralement une politique illégale.

[13] Le prestataire soutient aussi que l’employeur ne satisfait pas au critère de la décision KVP et qu’il n’a pas appliqué sa politique de façon uniforme.

[14] Le prestataire ajoute que la membre de la division générale a utilisé des gabarits avec les mêmes paragraphes dans bon nombre de ses décisions et que cela l’a empêchée d’aborder tous ses arguments. Il soutient que cela soulève aussi une question d’équité Note de bas de page 3.

[15] La division générale devait décider si le prestataire avait été suspendu en raison d’une inconduite.

[16] La preuve démontre que l’employeur a empêché le prestataire de travailler même s’il y avait du travail. Le prestataire a reconnu que le congé lui avait été imposé et qu’il aurait continué à travailler n’eût été la politique. Le prestataire a perdu temporairement son emploi. Il a donc été suspendu au titre de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[17] Il est bien établi que la division générale n’est pas liée par la façon dont un employeur ou la Commission qualifie les raisons de la perte temporaire d’un emploi. Il appartenait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire et de faire sa propre évaluation sur la question de l’inconduite.

[18] Il n’était donc pas nécessaire que la division générale juge si l’employeur avait suivi sa procédure disciplinaire habituelle. La procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente pour décider d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 4.

[19] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à son sens habituel. Une personne peut être exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elle a fait quelque chose de [traduction] « malNote de bas de page 5 ».

[20] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[21] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de décider si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant le prestataire de façon injustifiée. La division générale doit plutôt décider si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension.

[22] Selon la preuve, la division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu parce qu’il avait refusé de suivre la politique. Il avait été informé de la politique de l’employeur et avait eu le temps de s’y conformer. Il n’a pas obtenu d’exemption. Le prestataire a refusé intentionnellement de suivre la politique, ce qui était délibéré. Il s’agit de la cause directe de sa suspension.

[23] La division générale a conclu que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[24] La division générale a tenu compte du fait que la politique indiquait que toute personne ne respectant pas la politique serait placée en congé sans solde jusqu’à ce qu’elle soit entièrement vaccinée ou jusqu’à ce qu’une demande de mesures d’adaptation soit approuvéeNote de bas de page 6.

[25] La division générale a aussi tenu compte du fait que le prestataire avait reçu la lettre du 14 décembre 2021. Celle-ci précisait qu’à compter du 10 janvier 2022, si le prestataire ne confirmait pas son statut vaccinal, il serait placé en congé sans solde. On a demandé au prestataire de se présenter au bureau pour lui remettre ce dernier avertissement en mains propres. Il a refusé de signer l’avertissement. Il ne voulait pas confirmer son statut vaccinalNote de bas de page 7.

[26] Un bulletin d’information à l’intention du personnel daté du 4 janvier 2022 réitérait que les membres du personnel avaient jusqu’à 10 h le 7 janvier 2022 pour fournir une attestation et que les personnes qui ne seraient pas entièrement vaccinées seraient placées en congé sans solde à compter du 10 janvier 2022Note de bas de page 8.

[27] Lorsque le prestataire s’est présenté au travail le 10 janvier 2022, il avait déjà pris la décision de ne pas se conformer du tout à la politique de l’employeur. De plus, l’employeur l’avait averti en personne qu’il serait placé en congé sans solde le 10 janvier 2022 jusqu’à ce qu’il réponde à l’exigence.

[28] Dans ces circonstances, même si le prestataire fait valoir que son gestionnaire et son délégué syndical lui ont dit de se présenter au travail le 10 janvier 2022, il pouvait prévoir que son refus de se conformer à la politique l’obligerait à prendre un congé sans solde.

[29] Le fait que l’employeur a modifié la politique à plusieurs reprises au fur et à mesure que la situation évoluait pendant la pandémie ne signifie pas qu’il ne l’a pas appliquée de façon uniformeNote de bas de page 9. La politique était claire dès le départ : toute personne doit confirmer son statut vaccinal ou elle sera placée en congé sans solde.

[30] Par conséquent, la division générale a évalué les actions du prestataire pour décider ce qui suit :

  1. a) il connaissait la politique de l’employeur;
  2. b) il a délibérément refusé de la suivre;
  3. c) il connaissait les conséquences s’il ne la respectait pas.

[31] Selon la prépondérance de la preuve, la division générale a conclu que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[32] Une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10.

[33] Il n’est pas vraiment contesté qu’un employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour assurer la santé et la sécurité de son personnel en milieu de travail. Dans le cas présent, l’employeur a suivi les directives médicales disponibles à ce moment-là ainsi que l’orientation du gouvernement fédéral pour mettre en œuvre une politique visant à protéger la santé de toutes les personnes salariées pendant la pandémieNote de bas de page 11. La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été suspendu.

[34] Il n’appartenait pas à la division générale de décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[35] Le prestataire soutient que son employeur a enfreint plusieurs lois ainsi que les modalités de sa convention collective.

[36] Je dois réitérer que la division générale ne pouvait pas se pencher sur la relation de droit du travail, la conduite de l’employeur ou la pénalité imposée par l’employeur. Elle devait se concentrer sur la conduite du prestataire.

[37] C’est une chose de se demander s’il existe une obligation explicite ou implicite, mais c’en est une autre de se demander si l’obligation a été valablement imposée par l’employeur. La deuxième question ne relève pas de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[38] L’employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de son personnel. Les personnes qui estiment qu’une nouvelle politique contredit leur contrat de travail ou leur convention collective peuvent poursuivre leur employeur pour congédiement injustifié ou déposer un grief. Si elles croient qu’une nouvelle politique viole leur intégrité physique ou leur liberté d’expression, elles peuvent traduire leur employeur en justice ou devant un tribunal des droits de la personne. Toutefois, le processus de demande d’assurance-emploi n’est pas la façon de régler de tels différends.

[39] La Cour fédérale a jugé que, même si une personne dépose une plainte légitime contre son employeur, « il n’appartient pas aux contribuables canadiens de faire les frais de la conduite fautive de l’employeur par le biais des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 13 ».

[40] Les questions de savoir si l’employeur aurait dû accorder des mesures d’adaptation au prestataire en lui permettant de se protéger autrement, s’il a enfreint la loi et la convention collective ou si sa politique a violé les droits de la personne et les droits constitutionnels relèvent d’une autre instance. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas la tribune appropriée par laquelle le prestataire peut obtenir la réparation qu’il demandeNote de bas de page 14.

[41] La Cour fédérale a rendu une décision récemment dans l’affaire Cecchetto concernant l’inconduite d’un prestataire et son refus de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 15. Contrairement aux observations du prestataire, la décision de la Cour fédérale aborde directement la plupart des arguments qu’il a portés à ma connaissance.

[42] Dans cette affaire, le prestataire a soutenu que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur n’est pas une inconduite. Il a fait valoir qu’il n’était pas prouvé que le vaccin était sécuritaire et efficace. Le prestataire a eu l’impression d’être victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a soutenu qu’il a le droit de contrôler sa propre intégrité physique et que ses droits ont été violés au titre du droit canadien et du droit international.

[43] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel. En faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait en effet manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 16. La Cour a déclaré qu’il existe d’autres moyens par lesquels le prestataire peut adéquatement faire valoir ses revendications à l’intérieur du système judiciaire.

[44] L’affaire Cecchetto a depuis été suivie par cinq autres décisions de la Cour fédérale concernant la vaccination : Kuk, Milovac, Francis, Matti et DavidsonNote de bas de page 17. Ces décisions indiquent toutes qu’en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de leur employeur, les prestataires ont manqué à leurs obligations envers leur employeur et ont perdu leur emploi en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a répété à plusieurs reprises que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination de l’employeur ni de se prononcer à ce sujet.

[45] Comme je l’ai déjà mentionné, le rôle de la division générale dans les cas d’assurance-emploi n’est pas de décider si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la partie prestataire de façon injustifiée, mais plutôt de décider si la partie prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[46] La preuve prépondérante dont disposait la division générale démontre que le prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension.

[47] Je ne vois aucune erreur révisable commise par la division générale lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement en fonction des paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 18.

[48] Le prestataire soutient que l’employeur a par la suite rappelé certaines personnes au travail. Ce fait ne change pas la nature de l’inconduite qui a d’abord mené à la suspension du prestataireNote de bas de page 19.

[49] Je suis pleinement conscient que le prestataire peut demander réparation devant une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

[50] Je conclus que la division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée ni commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le prestataire avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Ce moyen d’appel est dénué de fondement.

Utilisation de gabarits par la membre de la division générale

[51] Le prestataire soutient que l’utilisation de gabarits par la membre de la division générale soulève une question d’équité. Il affirme que cela semble l’avoir empêchée de traiter toutes les questions qu’il a soulevées devant la division générale.

[52] La division générale a dû traiter un très grand nombre de demandes d’appel concernant la question de l’inconduite liée au refus de suivre la politique de vaccination d’un employeur. Il n’est donc pas inhabituel de trouver une répétition du langage dans ses décisions, car les demandes soulèvent des questions semblables.

[53] Je remarque que la membre de la division générale n’a pas ignoré les arguments du prestataire. Elle a tenu une audience de deux heures, a écouté les arguments du prestataire, a rendu une décision complète et détaillée de 25 pages portant sur les arguments de fond du prestataire et a déterminé que la plupart de ses arguments ne relevaient pas de sa compétence. Ce faisant, elle a correctement appliqué la jurisprudence de la Cour fédérale.

[54] Le simple fait que le prestataire ne soit pas d’accord avec certains paragraphes de la décision de la division générale qui se trouvent également dans d’autres décisions et qui portent sur son interprétation juridique de l’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi ne soulève pas de question d’équité ni de crainte raisonnable de partialité.

[55] Ce moyen d’appel est dénué de fondement.

Conclusion

[56] L’appel est rejeté.

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