Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : VM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 194

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : V. M.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 25 octobre 2023
(GE-23-2270)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 29 février 2024
Numéro de dossier : AD-23-1074

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue de son emploi. Son employeur a dit l’avoir suspendue parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 mise en place au travail. Elle n’a pas eu d’exemption. Elle a alors demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission de l’assurance-emploi) a décidé que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision infructueuse pour la prestataire, celle-ci a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a établi que la prestataire avait été suspendue après avoir refusé de se conformer à la politique de son employeur. Elle n’a pas eu d’exemption. Selon la division générale, la prestataire savait ou aurait dû savoir que son employeur pouvait la suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. Elle affirme que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il y avait eu suspension en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social établit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Il s’agit des erreurs révisables suivantes :

  1. La procédure de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a décidé d’une question qui dépassait sa compétence.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission de faire appel est une étape qui vient avant l’examen sur le fond. C’est une première étape que la partie prestataire doit franchir, où la barre est moins haute que durant l’appel sur le fond. Lors de la demande de permission de faire appel, la partie prestataire n’a pas à prouver ce qu’elle avance. Elle doit plutôt montrer que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, elle doit établir qu’une erreur susceptible de révision a été commise et peut permettre à l’appel d’être accueilli.

[11] Alors, avant de donner la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés ci-dessus et qu’au moins un de ces motifs a une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

[12] La prestataire affirme que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il y avait eu suspension en raison d’une inconduite. Essentiellement, voici ce que la prestataire réitère devant la division d’appel :

  • La politique était déraisonnable et ne faisait pas partie de son contrat de travail.
  • Il existait d’autres mesures sanitaires, notamment l’utilisation d’un équipement de protection individuelle et le travail à l’extérieur.
  • Il manquait de données à long terme sur l’efficacité ou l’innocuité du vaccin.
  • La politique allait à l’encontre de plusieurs lois et principes juridiques, notamment le consentement éclairé, l’intégrité physique, les lois sur la protection de la vie privée, le Code criminel canadien, le Code de Nuremberg et la Loi sur les normes d’emploi.
  • Aucune loi fédérale ou provinciale n’exige la vaccination.

[13] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite au sens de la loi entourant l’assurance-emploi. Dans la notion d’inconduite, ce n’est pas nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour arriver à une conclusion d’inconduite, l’acte reproché doit être délibéré ou, du moins, d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a délibérément décidé d’ignorer les répercussions de cet acte sur son travail.

[14] Le rôle de la division générale n’est pas de se prononcer sur la sévérité de la sanction imposée par l’employeur. Ce n’est pas non plus de savoir si celui-ci a commis une inconduite en suspendant la prestataire, de sorte que sa suspension serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire a commis une inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[15] À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue parce qu’elle avait refusé de se conformer à la politique de son employeur. Elle avait été informée de la politique et aurait eu le temps de s’y conformer. Elle n’a pas eu d’exemption. Son refus était intentionnel. Elle a agi délibérément. C’est la cause directe de sa suspension.

[16] Selon la division générale, la prestataire savait ou aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[17] La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante, que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[18] Une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi Note de bas de page 1.

[19] On s’entend pour dire qu’un employeur doit prendre toutes les précautions raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations de l’Agence de la santé publique du Canada et de Santé publique Ontario lorsqu’il a mis en œuvre sa politique visant à préserver la santé et la sécurité de son personnel pendant la pandémie. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été suspendue.

[20] Il n’appartenait pas à la division générale de décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur pendant la pandémie étaient efficaces ou raisonnables.

[21] Je dois répéter que la division générale ne pouvait pas se pencher sur les relations de travail, la conduite de l’employeur ou la sanction qu’il a imposée. Elle devait s’en tenir à la conduite de la prestataire.

[22] Se demander s’il y avait une obligation explicite ou implicite est une chose. C’en est une autre de se demander si l’obligation était légitime. La seconde question dépasse le cadre de l’assurance-emploiNote de bas de page 2.

[23] Pendant la durée d’un emploi, il se peut qu’un employeur tente d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de son personnel. À ce moment-là, une personne qui croit qu’une nouvelle politique viole son contrat de travail ou sa convention collective peut poursuivre son employeur pour congédiement injustifié ou déposer un grief. Si une personne estime qu’une nouvelle politique viole son intégrité physique ou sa liberté d’expression, elle peut amener son employeur en cour ou devant un tribunal des droits de la personne. Chose certaine, les demandes d’assurance-emploi ne servent pas à régler de tels différends.

[24] La Cour fédérale a établi que, même si les reproches d’une personne contre un employeur sont légitimes, « il n’appartient pas aux contribuables canadiens de faire les frais de la conduite fautive de l’employeur par le biais des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 3 ».

[25] Il revient à d’autres instances d’évaluer si l’employeur aurait dû accorder des mesures d’adaptation à la prestataire en lui permettant d’utiliser d’autres moyens de protection, si l’employeur a enfreint la loi ou violé ses droits en matière d’emploi, ou si la politique a violé ses droits fondamentaux et constitutionnels. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas l’endroit où la prestataire pourra obtenir la réparation qu’elle recherche Note de bas de page 4.

[26] Récemment, la Cour fédérale a rendu une décision dans une affaire intitulée Cecchetto. Celle-ci concerne une inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19 Note de bas de page 5.

[27] Dans cette affaire, le prestataire a fait valoir que le refus de se conformer à une politique vaccinale imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il a avancé que rien ne prouvait que le vaccin était sûr et efficace. Il s’est senti discriminé par son choix médical personnel. Il a ajouté qu’il avait le droit de contrôler sa propre intégrité physique et que ses droits avaient été violés selon la loi canadienne et internationale.

[28] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel. Elle a conclu que le prestataire avait manqué à ses obligations envers son employeur et qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, lorsqu’il avait fait le choix personnel et délibéré de déroger à la politique vaccinale de son employeur Note de bas de page 6. La Cour a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications adéquatement.

[29] Depuis l’affaire Cecchetto, les cours fédérales ont rendu sept autres décisions sur la vaccination : les décisions Kuk, Milovac, Francis, Matti, Davidson, Sullivan et AbdoNote de bas de page 7. Ces décisions mentionnent toutes que les prestataires ont manqué à leurs obligations envers leurs employeurs et qu’ils ont perdu leurs emplois en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, lorsqu’ils ont fait le choix personnel et délibéré de déroger à la politique vaccinale de leurs employeurs. La Cour fédérale a répété plusieurs fois que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’évaluer ou d’établir le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique vaccinale d’un employeur.

[30] Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale dans les affaires d’assurance-emploi n’est pas de décider si l’employeur a commis une inconduite en suspendant une personne employée, de sorte que sa suspension serait injustifiée. Son rôle est plutôt de décider si la personne a commis une inconduite au sens de la loi entourant l’assurance-emploi et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[31] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique que son employeur avait établie en réponse aux circonstances pandémiques exceptionnelles. C’est ce qui a entraîné sa suspension.

[32] La division générale ne semble avoir commis aucune erreur révisable lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite en suivant uniquement les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite conformément à la Loi sur l’assurance-emploi.

[33] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé qu’il est plus probable qu’improbable (selon la prépondérance des probabilités) que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite.

Conclusion

[34] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, j’arrive à une seule conclusion : l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. La prestataire n’a présenté aucun motif qui correspond à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés plus haut et qui pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

[35] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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