Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RN c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 40

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelante : R. N.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Julie Villeneuve

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 25 mai 2023
(GE-22-3860)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 novembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 11 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-603

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le dossier est renvoyé à la division générale pour réexamen uniquement de la question de la disponibilité.

Aperçu

[2] L’intimée (Commission) a décidé que la demanderesse (la prestataire) n’était pas admissible au bénéfice des prestations régulières d’assurance‑emploi à compter du 5 octobre 2020, parce qu’elle suivait un cours de formation de sa propre initiative et qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle était disponible pour travailler. Après révision, la Commission a maintenu sa décision initiale. La prestataire a fait appel de la décision en révision auprès de la division générale.

[3] La division générale a conclu que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a examiné sa décision antérieure de verser des prestations à la prestataire. Elle a conclu que la prestataire voulait retourner au travail, mais qu’elle ne cherchait pas activement un emploi. La division générale a conclu que le choix de la prestataire de chercher du travail uniquement en fonction de son horaire de cours limitait ses chances de trouver du travail.

[4] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur dans l’évaluation de sa situation d’emploi, car elle a été accusée à tort de ne pas chercher activement du travail. Elle soutient qu’elle a fait preuve d’une transparence totale avec les agents à qui elle a parlé et qu’on lui avait constamment garanti qu’elle avait droit aux prestations demandées. La prestataire soutient qu’elle s’est conformée à toutes les exigences.

[5] Je dois décider si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission a agi de façon judiciaire dans son examen de la demande de la prestataire. Je dois également décider si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler.

[6] J’accueille l’appel de la prestataire sur la question de la disponibilité.

Questions en litige

[7] Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission avait agi de façon judiciaire dans l’examen de la demande?

[8] Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler?

Questions préliminaires

[9] Pour trancher le présent appel, j’ai écouté l’enregistrement de l’audience de la division générale tenue le 23 mai 2023.

Analyse

Le mandat de la division d’appel

[10] La Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsqu’elle entend des appels conformément à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loiNote de bas de page 1.

[11] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieureNote de bas de page 2.

[12] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l’appel.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission avait agi de façon judiciaire dans l’examen de la demande?

[13] Tout au long de l’instance et devant la division générale, la prestataire a soulevé la question de savoir si la Commission pouvait examiner sa demande étant donné qu’elle avait déclaré de façon honnête et de bonne foi sa situation scolaire dès le début de sa demande.

[14] La division générale a conclu que la Commission a exercé son pouvoir de manière judiciaire lorsqu’elle a réévalué l’admissibilité de la prestataire à des prestations d’assurance‑emploi.

[15] Pour décider si la division générale a commis des erreurs, il importe d’abord d’examiner les pouvoirs de révision de la Commission avant d’examiner l’incidence des mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations qui sont entrées en vigueur pendant la pandémie.

[16] L’article 52 de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi)confère à la Commission un pouvoir de nouvel examen. Cet article prévoit que la Commission peut examiner de nouveau une demande de prestations dans les 36 mois qui suivent le moment où des prestations ont été payéesNote de bas de page 3.

[17] La jurisprudence a établi que la seule restriction au pouvoir de nouvel examen de la Commission prévu à l’article 52 de la Loi est le délai. Par conséquent, la Commission peut examiner de nouveau une demande en vertu de l’article 52 même s’il n’y a pas de faits nouveaux. En d’autres termes, elle peut retirer son approbation antérieure et exiger des prestataires qu’ils remboursent les prestations qui ont été versées sur le fondement de cette approbationNote de bas de page 4.

[18] Pendant la pandémie, le gouvernement a pris divers arrêtés provisoires modifiant la Loi. L’article 153.161 a été ajouté à la Loi et est entré en vigueur le 27 septembre 2020.

[19] L’article 153.161 de la Loi mentionne ce qui suit :

Disponibilité

Cours ou programme d’instruction ou de formation non dirigé

153.161 (1) Pour l’application de l’article 18(1)a), le prestataire qui suit un cours ou programme d’instruction ou de formation pour lequel il n’a pas été dirigé conformément aux articles 25(1)a) ou b) n’est pas admissible au versement des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là, capable de travailler et disponible à cette fin.

Vérification

(2) La Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, que le prestataire visé au paragraphe (1) est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestations.

[20] Cette disposition temporaire prévoit que, dans l’application de l’article 18(1)a) de la Loi, la Commission peut vérifier qu’un prestataire est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était disponible pour travailler à tout moment après le versement des prestations. Le libellé de l’article 52 de la Loi est différent. Cette disposition prévoit que la Commission peut, dans les 36 mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations.

[21] La prestataire a reçu des prestations après avoir parlé à des agents, qui lui ont garanti qu’elle avait droit à des prestations d’assurance‑emploi même si elle avait mentionné en des termes clairs dès le début de sa demande qu’elle étudiait à temps plein.

[22] La preuve montre que la Commission avait déjà vérifié l’admissibilité de la prestataire après avoir parlé à cette dernière une fois son questionnaire sur la formation rempli et avoir permis le versement de prestations.

[23] Cela dit, je suis d’avis que l’article 153.161 doit être lu conjointement avec l’article 52 de la Loi. Les deux dispositions visent à recouvrer des montants reçus à tort par un prestataire. En outre, les décisions d’effectuer une vérification en vertu de l’article 153.161 et d’examiner de nouveau une demande en vertu de l’article 52 sont discrétionnaires.

[24] Cela signifie que, bien que la Commission ait le pouvoir de chercher à vérifier l’admissibilité et d’examiner de nouveau une demande, elle n’est pas tenue de le faire.

[25] La loi prescrit que les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés de manière judiciaire. En d’autres termes, lorsque la Commission décide d’examiner de nouveau une demande, elle ne peut agir de mauvaise foi ou dans un but ou un motif inapproprié, tenir compte d’un facteur non pertinent ou faire fi d’un facteur pertinent, ou agir de manière discriminatoireNote de bas de page 5.

[26] La Commission a élaboré une politique destinée à la guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’examiner de nouveau des décisions en vertu de la Loi. La Commission affirme que la raison d’être de la politique est [traduction] « d’assurer une application uniforme et juste de l’article 52 de la Loi et d’empêcher la création de trop payés lorsque le prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volonté ». La politique prévoit qu’une demande ne sera examinée de nouveau que dans les cas suivants :

  • il y a un moins payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi;
  • des prestations ont été versées par suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droitNote de bas de page 6.

[27] Selon la politique, une période de non‑disponibilité n’est pas une situation dans laquelle des prestations ont été versées contrairement à la structure de la LoiNote de bas de page 7. La prestataire n’a fait aucune déclaration fausse ou trompeuse et elle n’aurait pas pu savoir qu’elle n’avait pas droit aux prestations reçues. Aucun des facteurs mentionnés dans la politique de la Commission ne justifie le nouvel examen de la demande de la prestataire.

[28] Je n’ai aucun doute que la prestataire a agi de bonne foi et qu’elle a mentionné à plusieurs reprises à la Commission qu’elle était aux études. La Commission a examiné la demande sur le fondement des faits qu’elle avait à sa disposition lorsque la décision initiale relative à l’admissibilité a été prise et que des prestations ont été versées.

[29] En l’absence de l’article 153.161 de la Loi, je serais d’accord pour dire que la Commission aurait dû tenir compte des facteurs susmentionnés et de sa propre politique dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider s’il convenait d’examiner de nouveau la demande de la prestataire.

[30] Toutefois, je suis d’avis que, compte tenu des mesures temporaires mises en place pendant la pandémie, la Commission devait exercer son pouvoir discrétionnaire de décider s’il y avait lieu d’examiner de nouveau une demande en gardant à l’esprit l’intention législative de l’article 153.161 de la Loi. En mettant en œuvre cette disposition temporaire pendant la pandémie, le législateur a de toute évidence souhaité insister sur le fait que la Commission avait le pouvoir d’examiner la disponibilité et de déterminer à nouveau si un prestataire qui suivait un cours, un programme d’instruction ou une formation avait droit à des prestations d’assurance‑emploi, même après le versement de prestations.

[31] Dans ces circonstances, je suis d’accord avec la division générale pour dire que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire correctement. La Commission a pris en considération tous les renseignements pertinents lorsqu’elle a décidé d’examiner de nouveau la demande. Aucun nouveau fait pertinent que la prestataire n’avait pas fourni à la Commission n’a été présenté à l’audience de la division générale. Rien n’indique que la Commission a tenu compte de renseignements non pertinents ou a agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire. La Commission a également agi dans un but approprié en examinant de nouveau la demande, à savoir la vérification de l’admissibilité aux prestations.

[32] Selon l’un des principes d’interprétation des lois, le législateur ne parle pas pour rien dire. Dans la mise en application de l’article 153.161 de la Loi, le législateur a de toute évidence décidé que la réouverture d’une décision initiale concernant la disponibilité d’un étudiant prise pendant la pandémie l’emportait sur l’importance que la décision initiale soit définitive. La Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire dans les limites des paramètres établis par le législateur dans le contexte de la pandémie.

[33] Compte tenu des facteurs susmentionnés, je conclus que la division générale n’a commis aucune erreur en décidant que la Commission a exercé son pouvoir de manière judiciaire et qu’elle ne pouvait pas s’ingérer dans la décision de la Commission d’examiner de nouveau l’admissibilité de la prestataire.

[34] Je n’ai aucune raison d’intervenir sur la question de savoir si la Commission a agi de façon judiciaire dans le cadre de l’examen de la demande de la prestataire.

Question en litige no 2 La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler?

[35] La division générale a conclu que la prestataire n’a pas réfuté la présomption selon laquelle elle n’était pas disponible pour travailler, car elle n’avait pas déjà travaillé à temps plein pendant ses études et il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle.

[36] Je suis d’avis que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle a conclu qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle. Il ne suffit pas de souligner la thèse des parties et de simplement mentionner que la prestataire n’a pas satisfait à l’une des exceptions à la présomption.

[37] Il a été statué que la nature de l’emploi antérieur d’un prestataire et sa capacité démontrée de conserver un emploi à temps partiel à long terme, tout en faisant simultanément des études à temps plein, constituent une circonstance exceptionnelle suffisante pour réfuter la présomption de non‑disponibilitéNote de bas de page 8.

[38] Se fondant sur les facteurs Faucher, la division générale a conclu que la prestataire voulait retourner au travail, mais qu’elle ne cherchait pas activement un emploi. La division générale a également conclu que le choix de la prestataire de chercher du travail uniquement en fonction de son horaire de cours limitait ses chances de trouver du travail. Elle a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler au sens de la loiNote de bas de page 9.

[39] La prestataire conteste vigoureusement le fait qu’elle ne cherchait pas de travail pendant sa période de prestations. Elle soutient qu’elle cherchait activement du travail et fait valoir qu’une fois résorbée la pénurie d’emplois liée à la pandémie, elle a réussi à trouver deux emplois à temps partiel à compter de septembre 2022 tout en fréquentant l’école à temps plein.

[40] La division générale a conclu que les démarches de la prestataire n’étaient pas suffisantes pour satisfaire aux exigences du deuxième facteur Faucher. Elle a constaté qu’elle ne cherchait pas activement un emploi tous les jours ou même toutes les semaines.

[41] Toutefois, la division générale n’a pas expliqué pourquoi elle a rejeté le témoignage de la prestataire selon lequel il lui avait été très difficile de trouver un deuxième emploi à temps partiel pendant ses études en raison des circonstances inhabituelles créées par la pandémie. La prestataire a déclaré qu’il y avait peu d’offres d’emploi convenables et qu’il y avait beaucoup de personnes à la recherche d’un emploi dans son domaine de travail. La Commission ne lui a jamais demandé d’élargir sa recherche d’emploi.

[42] La prestataire a déclaré qu’elle a distribué son curriculum vitæ dans des épiceries, car celles‑ci figuraient parmi les établissements qui étaient ouverts à l’époque parce qu’ils étaient considérés comme offrant un service essentiel. Elle a fait des recherches sur Tik TokNote de bas de page 10. De plus, une fois que l’incertitude créée par la pandémie s’est dissipée, a‑t‑elle dit, elle a décroché grâce à ses démarches deux nouveaux emplois qui lui ont permis de travailler plus de 30 heures par semaine pendant ses études à temps plein.

[43] Lorsqu’elle décide que la preuve doit être écartée ou qu’il faut lui accorder peu de poids ou ne pas lui en accorder du tout, la division générale doit expliquer les motifs de la décision. Elle ne l’a pas fait en l’espèce. Il s’agit d’une erreur de droit.

[44] De plus, compte tenu de l’arrêt Pagé, récemment rendu par la Cour d’appel fédérale, la division générale a commis une erreur dans l’application du troisième facteur Faucher en concluant que la prestataire avait établi des conditions personnelles qui pourraient avoir limité indûment ses chances de retourner au travail, car elle n’était disponible pour travailler qu’en dehors de ses heures d’école les soirs de semaine et les fins de semaineNote de bas de page 11.

[45] La Cour a établi que les étudiants à temps plein ne sont pas toujours inadmissibles aux prestations d’assurance‑emploi s’ils ne sont pas disponibles pour travailler à temps plein le jour. Il n’est pas erroné en droit de conclure à la disponibilité du prestataire s’il est disponible pour occuper un emploi compatible avec son horaire de travail antérieur

[46] Pour toutes ces raisons, je suis justifié d’intervenir.

Réparation

Il y a deux façons de corriger les erreurs de la division générale

[47] Lorsque la division générale commet une erreur, la division d’appel peut corriger celle‑ci de deux façons :

  1. Elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience;
  2. Elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Le dossier est incomplet et je ne peux trancher l’affaire sur le fond

[48] Étant donné que la récente décision Pagé a été rendue après que l’audience de la division générale a été tenue et qu’elle établit à l’intention du Tribunal des lignes directrices sur la disponibilité des étudiants pendant leurs études à temps plein, adaptées aux nouvelles réalités du marché du travail, je conclus que le dossier est incomplet. Entre autres choses, la division générale doit examiner le fait que la prestataire a par le passé combiné études et travail.

[49] Je n’ai donc d’autre choix que de renvoyer le dossier à la division générale pour réexamen de la question de la disponibilité.

Conclusion

[50] L’appel est accueilli. Le dossier est renvoyé à la division générale pour réexamen uniquement de la question de la disponibilité.

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