Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SL, 2024 TSS 213

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentant : Gilles-Luc Bélanger
Partie intimée : S. L.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 18 juillet 2023 (GE-23-616)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 25 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 5 mars 2024
Numéro de dossier : AD-23-756

Sur cette page

Décision

[1] La Commission de l’assurance-emploi du Canada est l’appelante dans cet appel. J’accueille son appel.

[2] La division générale a commis une erreur de droit. J’ai corrigé cette erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre.

[3] S. L. est la prestataire dans cet appel. Elle n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi pendant ses vacances d’été.

Aperçu

[4] La prestataire est enseignante. Elle a été au chômage pendant l’été 2022. Elle affirme qu’elle était entre deux contrats de travail et qu’elle devrait pouvoir recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[5] La prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi pour la période entre ses deux postes. La Commission a rejeté sa demande. La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci lui a donné raison et a jugé qu’elle avait droit à des prestations.

[6] Je conclus que la division générale a commis une erreur de droit. Elle n’a pas appliqué la jurisprudence contraignante aux faits de l’affaire. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre.

[7] J’accueille l’appel. Selon la jurisprudence établie, l’emploi de la prestataire auprès de son employeur s’est poursuivi pendant sa période de congé à l’été 2022. La prestataire n’est donc pas admissible aux prestations d’assurance-emploi pendant l’été 2022.

Question préliminaire

[8] À l’audience, la prestataire a lu un document écrit qu’elle avait préparé. Les parties et moi-même avons convenu qu’elle enverrait le document après l’audience. Ce document a été reçu et examinéNote de bas page 1. La Commission a confirmé qu’elle n’avait pas de réponse à fournir concernant ce document.

Questions en litige

[9] Les questions en litige dans cet appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer la jurisprudence contraignante qui permet de déterminer si le contrat d’une enseignante ou d’un enseignant a pris fin?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?

Analyse

[10] Je peux seulement intervenir si la division générale a commis une erreur. Je ne peux prendre en considération que certaines erreurs. Dans la présente affaire, la Commission affirme que la division générale a commis une erreur de fait ou de droit.

[11] Je peux intervenir si la division générale a commis une erreur dans l’application de la loiNote de bas page 2.

La division générale n’a pas appliqué la jurisprudence contraignante qui montre que la prestataire était une enseignante à temps plein qui bénéficiait d’une continuité d’emploi

[12] Il existe une règle générale selon laquelle les enseignantes et enseignants ne peuvent pas recevoir de prestations d’assurance-emploi pendant les périodes de congéNote de bas page 3. La période estivale, pendant laquelle les enfants ne vont pas à l’école, est considérée comme une période de congé. Il est établi en droit que les enseignantes et enseignants qui ne travaillent pas pendant ces périodes de congé ne sont pas considérés comme étant au chômageNote de bas page 4.

[13] Il y a toutefois des exceptions à la règle générale. L’exception en cause dans cette affaire veut qu’une enseignante ou un enseignant n’est pas inadmissible aux prestations d’assurance-emploi si son contrat d’enseignement a pris finNote de bas page 5.

[14] La division générale a jugé que cette affaire portait sur la question de savoir si le contrat d’enseignement de la prestataire avait pris fin ou nonNote de bas page 6. Elle a conclu qu’il avait pris fin et qu’elle devrait pouvoir recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[15] La Commission fait appel de la décision de la division générale au motif que celle-ci a commis une erreur de fait et de droit en jugeant que l’emploi de la prestataire a pris fin. La Commission soutient que la division générale a ignoré la jurisprudence qui permet de déterminer quand il y a une « rupture claire » dans la continuité de l’emploi d’une enseignante ou d’un enseignantNote de bas page 7.

[16] La jurisprudence dans ce domaine est claire. Lorsqu’on examine la situation d’une enseignante ou d’un enseignant à temps plein d’une année scolaire à l’autre, il faut évaluer s’il y a continuité de la relation d’emploiNote de bas page 8. La jurisprudence qualifie une interruption d’emploi de « rupture claire ».

[17] L’idée est qu’à moins qu’il y ait une rupture claire dans l’emploi d’une personne exerçant un emploi dans l’enseignement, celle-ci n’est pas admissible aux prestations pendant les périodes de congéNote de bas page 9. Selon les tribunaux, cela signifie qu’il doit y avoir une rupture de la relation entre l’enseignante ou l’enseignant et l’employeurNote de bas page 10.

[18] De nombreuses affaires ont porté sur la continuité d’emploiNote de bas page 11. Dans la présente affaire, comme dans la plupart des affaires soumises à la Cour d’appel fédérale, les contrats ont été renouvelés avant ou peu après l’expiration des contrats en vigueurNote de bas page 12. La Cour d’appel fédérale a estimé de façon constante que les enseignantes et enseignants dont le contrat prend fin en juin et qui sont réembauchés pour l’année scolaire suivante ne sont pas admissibles aux prestations d’assurance-emploiNote de bas page 13. Dans cette affaire, la prestataire a obtenu son nouveau contrat pour l’année scolaire suivante avant l’expiration de son contrat précédent.

[19] La Cour d’appel fédérale affirme expressément qu’à moins qu’il n’y ait une « rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congéNote de bas page 14 ».

[20] La division générale a commis une erreur de droit. Elle n’a pas appliqué la jurisprudence contraignante aux faits de l’affaire. La division générale a tenu compte du fait qu’un des contrats de la prestataire a pris fin le 30 juin 2022Note de bas page 15. Elle a ignoré le fait qu’elle a obtenu un contrat pour l’année scolaire suivante avant que ce contrat ne prenne fin. La division générale n’a pas non plus tenu compte du fait que la prestataire était toujours liée à son employeur par ses avantages sociaux.

Réparation

[21] Les parties ont convenu que si je concluais à une erreur, je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Aucune des parties n’a laissé entendre qu’elle n’avait pas présenté tous ses éléments de preuve à la division générale.

[22] J’estime que cela signifie que je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je dois notamment décider si la prestataire est admissible aux prestations d’assurance-emploi pendant ses vacances d’étéNote de bas page 16.

La prestataire n’est pas admissible aux prestations d’assurance‑emploi parce qu’il y avait continuité de sa relation d’emploi

[23] Il n’est pas contesté que la prestataire était une enseignante qualifiée à temps plein au niveau primaire qui était sous contrat pour l’année scolaire de septembre 2021 à juin 2022. En juin 2022, la prestataire s’est vu offrir un emploi permanent à temps plein pour l’année scolaire suivante et elle l’a acceptéNote de bas page 17. La prestataire convient qu’elle a accepté cet emploi avant la fin de son contrat précédentNote de bas page 18. Son nouveau contrat a débuté le 25 août 2022Note de bas page 19.

[24] La loi dit que les enseignantes et enseignants ne sont pas admissibles aux prestations pendant les périodes de congéNote de bas page 20. Il existe une exception si le contrat de travail d’une enseignante ou d’un enseignant a pris fin.

[25] La prestataire affirme que son contrat a pris fin. Elle dit qu’elle n’a pas été payée durant l’été 2022. Elle soutient qu’il y a eu une « rupture claire » dans la continuité de son emploi parce n’importe quoi aurait pu se produire pendant l’étéNote de bas page 21. Cependant, il est établi que la prestataire a effectivement commencé à travailler en août 2022 comme prévu dans son contratNote de bas page 22.

[26] La prestataire reconnaît qu’elle a bénéficié d’avantages sociaux par l’intermédiaire de son employeur pendant l’été. Elle reconnaît également que son contrat à durée indéterminée reconnaissait ses cotisations au régime de retraite et son ancienneté dans l’enseignementNote de bas page 23.

[27] La prestataire soutient qu’elle n’a reçu aucune somme de son employeur au cours de l’été et qu’il y a donc eu une rupture. Elle affirme que son employeur a mentionné cela dans un courriel où il lui a écrit ce qui suit : « Ton contrat a pris fin le 30 juin 2022 et quel que soit le résultat final [sic], ton salaire a déjà été versé. Tu n’es pas payée pendant l’été tant que tu n’as pas terminé ta première année en tant qu’enseignante à temps plein et que tu n’as pas accumulé ton ajustement de 10 moisNote de bas page 24. »

[28] La loi indique clairement qu’il faut tenir compte d’un certain nombre de facteurs pour décider s’il y a une rupture claire dans l’emploi d’une personne. Malheureusement, le fait de ne pas être rémunéré pendant une période de congé n’est pas un facteur décisifNote de bas page 25. Dans plusieurs affaires, les tribunaux ont conclu que même si des parties prestataires n’avaient pas été rémunérées pendant une période de congé, leur contrat n’avait toujours pas pour autant pris finNote de bas page 26. Cela signifie que ces parties prestataires n’étaient pas admissibles aux prestations d’assurance-emploi.

[29] La loi prévoit que lorsqu’une enseignante ou un enseignant obtient un nouveau contrat avant la fin de son ancien contrat, il n’y a pas de rupture claire dans son emploiNote de bas page 27. La prestataire a déclaré qu’elle avait dit à la division générale qu’on lui avait offert un poste permanent en juin 2022 qu’elle avait acceptéNote de bas page 28. Elle a déclaré avoir reçu oralement une offre de contrat lors d’un appel Zoom au cours duquel elle a pu choisir une affectation dans son école actuelle. Cela constituait son acceptation de l’offre d’emploi. Il y avait donc un contrat de travail. Le fait qu’elle n’ait jamais rien signé ne signifie pas qu’elle n’avait pas de contrat.

[30] Le 28 juin 2022, l’employeur de la prestataire a envoyé un courriel à tout le personnel pour confirmer qu’elle était la candidate retenue pour le poste d’enseignanteNote de bas page 29. La prestataire a expliqué à la division générale que l’appel Zoom avait eu lieu quelques jours avant que le courriel du 28 juin 2022 soit envoyé à tout le personnelNote de bas page 30. J’estime que cela signifie qu’elle a accepté l’offre d’emploi en juin 2022. Son contrat de travail suivant devait commencer le 25 août 2022.

[31] La prestataire, avant la fin de son contrat précédent, s’est vu offrir et a accepté un emploi permanent pour l’année scolaire suivante. Cela signifie qu’elle n’était pas vraiment « chômeuse » au sens de la jurisprudenceNote de bas page 31. Pour qu’une enseignante ou un enseignant soit véritablement au chômage, il faut qu’il y ait une « véritable rupture » de la relation avec son employeurNote de bas page 32. Par exemple, si une enseignante ou un enseignant est « véritablement au chômage », cela signifie qu’il est à la recherche d’un emploi convenable et capable de l’accepterNote de bas page 33. Dans la présente affaire, la prestataire avait déjà obtenu un contrat permanent qui devait commencer en août 2022.

[32] La jurisprudence s’est penchée sur la question de savoir si une enseignante croyait véritablement que son contrat avait pris fin. La jurisprudence note que si l’enseignante pensait véritablement être au chômage, elle aurait cherché un emploiNote de bas page 34. Dans la présente affaire, il n’y a aucune preuve que la prestataire cherchait du travail. Cela est probablement dû au fait qu’elle savait qu’elle avait un emploi à temps plein qui commençait en août 2022.

[33] La prestataire soutient qu’elle n’était pas enseignante permanente pendant l’année scolaire 2021-2022. Cependant, je ne crois pas que cela signifie qu’il y a eu une rupture claire de son emploi.Note de bas page 35

[34] La Cour d’appel fédérale dit précisément qu’à moins qu’il y ait une « […] rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congéNote de bas page 36 ».

[35] Les tribunaux ont également déclaré que ce ne sont pas seulement les dates de début et de fin des contrats qui sont importantesNote de bas page 37. Il doit y avoir une véritable rupture de la relation entre la personne employée et l’employeur. La prestataire reconnaît qu’elle a conservé ses avantages sociaux, son régime de retraite et son ancienneté entre ses deux contrats. Cela signifie qu’il existait une relation employeur-employée continue.

[36] J’estime que cela implique qu’il n’y a pas de rupture claire dans l’emploi de la prestataire. En d’autres termes, il y avait continuité de sa relation d’emploi avec son employeur. Cela signifie qu’elle ne relève pas de l’exception prévue par la loi et qu’elle n’est pas admissible aux prestations pour la période de congé estivale de 2022.

[37] Par conséquent, comme il y avait continuité de la relation entre la prestataire et son employeur, cela signifie qu’elle n’est pas admissible aux prestations.

Je ne peux pas tenir compte des difficultés financières pour rendre ma décision

[38] La prestataire m’a demandé de tenir compte du fait qu’elle avait des difficultés financières pendant l’été 2022 et qu’elle essaie toujours de s’en remettreNote de bas page 38. Je suis sensible à sa situation. Malheureusement, je dois respecter la loi et elle est claire. Je ne peux pas conclure que la prestataire est admissible à des prestations lorsqu’elle ne répond pas au critère juridique de l’exception.

Conclusion

[39] L’appel est accueilli.

[40] La division générale a commis une erreur de droit. Elle n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’elle a évalué s’il existait une relation continue entre la prestataire et son employeur.

[41] J’ai corrigé les erreurs en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire n’est pas admissible aux prestations pendant la période de congé estivale de 2022.

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