Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

La Loi sur l’assurance-emploi prévoit que les prestataires qui cessent de travailler « en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif » ne sont pas admissibles aux prestations d’assurance-emploi. Le présent appel porte sur le sens de l’expression « arrêt de travail » tel qu’elle est utilisée dans la Loi sur l’assurance-emploi.

L’appelante est employée municipale et membre d’un syndicat. Elle est la prestataire représentante dans le présent appel collectif. L’appelante et 73 de ses collègues ont demandé des prestations d’assurance-emploi après que leur employeur a imposé un lock-out pendant un conflit collectif. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que l’appelante n’avait pas droit aux prestations parce qu’elle ne travaillait pas en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif.

L’appelante a porté la décision de la Commission en appel à la division générale et obtenu gain de cause. La division générale a conclu qu’il y avait un conflit collectif, mais que la Commission n’avait pas prouvé qu’il y avait eu un arrêt de travail. La Commission a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel, soutenant que la division générale avait mal interprété l’expression « arrêt de travail » telle qu’elle est utilisée dans la Loi sur l’assurance-emploi. La division d’appel a conclu que la division générale avait commis une erreur dans son interprétation d’un arrêt de travail au sens de l’article 36 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Par la suite, la division d’appel a procédé à une interprétation de ce qui constitue un arrêt de travail selon l’article 36 de la Loi sur l’assurance-emploi.

La division d’appel a conclu que le libellé de l’article 36 de la Loi sur l’assurance-emploi est clair. Rien dans le texte de l’article ne laisse croire qu’on s’écarte du sens ordinaire des mots. L’expression « arrêt de travail », dans cet article, signifie qu’il y a arrêt ou cessation d’emploi au lieu d’emploi, ce qui entraîne la perte de l’emploi. Cet arrêt de travail doit être attribuable à un conflit collectif au travail de la partie prestataire. L’article 53 du Règlement sur l’assurance-emploi prévoit la fin d’un « arrêt de travail » pour l’application de l’article 36.

La division d’appel a conclu que l’objet de l’article 36 est maintenu en excluant les mesures temporaires et exceptionnelles pour établir s’il y a eu un arrêt de travail. De toute évidence, ces facteurs ne doivent pas être pris en considération pour établir si l’arrêt de travail a pris fin, et il est logique de ne pas en tenir compte pour décider si l’arrêt de travail a eu lieu.

La division d’appel a conclu que l’interprétation de la division générale d’un « arrêt de travail » comme d’une interruption ou réduction notable des activités d’un employeur, peu importe les moyens utilisés pour poursuivre ses activités, n’est pas conforme au texte, au contexte ou à l’objet de l’article 36 de la Loi sur l’assurance-emploi.

La division d’appel a accueilli l’appel, puis rendu la décision que la division générale aurait dû rendre.

Elle a conclu que, dans la présente affaire, la Commission avait prouvé qu’il y avait un arrêt de travail causé par le conflit collectif. L’arrêt de travail s’était terminé à la fin du conflit collectif lorsque le personnel syndiqué était retourné au travail. La division d’appel n’a vu aucune preuve montrant que l’arrêt de travail aurait pris fin à un autre moment. Elle a établi que l’appelante avait perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif et qu’elle n’avait pas droit aux prestations.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : TG et al. c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 32

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentant : Ian McRobbie
Intimée : T. G.
Représentant : D. M.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 mars 2023
(GE-21-2242)

Membre du Tribunal : Melanie Petrunia
Type d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 24 août 2023

Personnes présentes à l’audience :

Appelante
Représentant de l’appelante
Représentant de l’intimée

Date de la décision : Le 10 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-386

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi) prescrit que les prestataires qui ne travaillent plus « en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif » ne sont pas admissibles au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Le présent appel porte sur le sens du terme « arrêt de travail » tel qu’il est utilisé dans la Loi.

[3] L’appelante, T. G. (la prestataire), est une employée municipale et membre d’un syndicat. Elle est la prestataire représentante dans le présent appel collectif. Elle et 73 de ses collègues ont demandé des prestations régulières d’assurance-emploi après que leur employeur eut imposé un lock-out pendant un conflit collectif.

[4] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a décidé que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations parce qu’elle ne travaillait pas en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

[5] La prestataire a fait appel avec succès de la décision de la Commission devant la division générale du Tribunal. La division générale a conclu qu’il y avait eu un conflit collectif, mais que la Commission n’avait pas prouvé qu’il y avait eu arrêt de travail.

[6] La Commission fait maintenant appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. Elle soutient que la division générale a mal interprété le terme « arrêt de travail » tel qu’il est utilisé dans la Loi.

[7] J’ai décidé que la division générale a commis une erreur dans son interprétation d’un arrêt de travail au sens de l’article 36 de la Loi. J’ai également décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, c’est-à-dire que la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations.

Questions préliminaires

[8] Comme il a été mentionné précédemment, la prestataire est la prestataire représentante dans le présent appel collectif. Son appel en l’espèce a été joint à ceux de ses 73 collègues devant la division générale. Les parties ont convenu de déposer des éléments de preuve et des arguments uniquement relativement à son appel, et une seule décision s’appliquant à tous les prestataires a été rendue. De même, les parties se sont entendues pour dire que la présente décision d’appel s’applique à tous les prestataires faisant partie du groupe.

Questions en litige

[9] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de l’« arrêt de travail » au sens de l’article 36 de la Loi?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?

Analyse

[10] Je ne peux intervenir dans la présente affaire que si la division générale a commis une erreur pertinente. Je dois donc déterminer si la division générale a commis l’une des erreurs suivantesNote de bas de page 1 :

  • elle a omis de suivre une procédure équitable;
  • elle a omis de trancher une question qu’elle aurait dû trancher ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  • elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

[11] Dans la présente affaire, l’interprétation d’un arrêt de travail dans le contexte de la Loi est une question de droitNote de bas de page 2. Cela signifie que je dois décider si l’interprétation d’« arrêt de travail » par la division générale est bonne ou mauvaise.

Le terme « arrêt de travail » au sens de la loi

[12] La loi prescrit que le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut le reprendre en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif dans son lieu de travail n’est pas admissible au bénéfice des prestations. Son inadmissibilité prend fin à la fin de l’arrêt de travail ou le jour où il a commencé à exercer un emploi ailleurs d’une façon régulière.

[13] Le libellé de la loi est important dans le présent appel. Le voici :

Conflits collectifs

36 (1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant :

  1. a) soit la fin de l’arrêt de travail;
  2. b) soit, s’il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurableNote de bas de page 3.

[14] La Loi définit le « conflit collectif », mais pas l’« arrêt de travail ». Le Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement) traite des situations où un arrêt de travail prend fin. Cette disposition est libellée comme suit :

Fin d’un arrêt de travail

53 (1) Pour l’application de l’article 36 de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), l’arrêt de travail à une usine, à un atelier ou en tout autre local prend fin lorsque :

  1. a) d’une part, le nombre d’employés présents au travail représente au moins 85 pour cent du niveau normal;
  2. b) d’autre part, les activités qui y sont exercées pour la production de biens ou de services représentent au moins 85 pour cent du niveau normal.

(2) Lorsque, par suite d’un arrêt de travail, il survient des circonstances qui font en sorte que le nombre d’employés présents au travail et les activités liées à la production de biens ou de services à une usine, à un atelier ou en tout autre local ne représentent pas au moins 85 pour cent du niveau normal, l’arrêt de travail prend fin :

  1. a) dans le cas d’une cessation des affaires ou d’une restructuration permanente des activités ou dans un cas de force majeure, au moment où ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances;
  2. b) dans le cas où les conditions économiques ou du marché changent ou dans le cas où surviennent des changements technologiques, au moment où :
    1. (i) d’une part, il y a une reprise des activités à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local,
    2. (ii) d’autre part, ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances.

(3) Aux fins du calcul des pourcentages visés aux paragraphes (1) et (2), il n’est pas tenu compte des mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l’employeur avant ou pendant l’arrêt de travail dans le but d’en compenser les effets.

Contexte

[15] Le syndicat de la prestataire et l’employeur ont entamé des négociations en vue d’une nouvelle convention collective le 20 novembre 2020Note de bas de page 4. Les négociations ont échoué, et l’employeur a présenté une demande de conciliation, ce qu’il était tenu de faire conformément à la loi provinciale régissant les négociations pour le lieu de travailNote de bas de page 5.

[16] Un rapport de conciliation a été signé le 15 juin 2021 et l’employeur a présenté une offre finale le 30 juin 2021. La division générale l’a appelée l’offre finale no 1. Le syndicat a répondu par une offre intitulée Syndicat no 8. L’employeur a ensuite présenté l’offre finale no 2Note de bas de page 6. Le comité de négociation a combiné l’offre du syndicat no 8 et l’offre finale no 2 et a présenté l’offre ainsi combinée aux membres du syndicat pour un voteNote de bas de page 7.

[17] Les membres ont rejeté l’offre finale combinée préparée par le comité de négociation et un vote de grève a été tenu. Les membres ont voté à 99 % en faveur d’une grèveNote de bas de page 8. L’employeur a été informé du rejet et des résultats du vote de grève le 6 juillet 2021Note de bas de page 9.

[18] Le 14 juillet 2021, l’employeur a écrit au représentant syndical national et au président de la section locale pour les informer qu’il mettrait ses employés en lock-out à 5 h le lendemain. L’employeur a également affiché l’annonce du lock-out sur sa page Facebook le soir mêmeNote de bas de page 10.

La décision de la division générale

[19] La division générale a examiné en détail la chronologie susmentionnée et a conclu qu’il y avait eu un conflit collectif. Elle s’est ensuite demandé s’il y avait eu un arrêt de travail causé par ce conflit.

[20] La division générale a fait remarquer qu’il incombe à la Commission de prouver qu’il y a eu arrêt de travailNote de bas de page 11. Compte tenu du fait que la Loi ne définit pas l’« arrêt de travail », la division générale a examiné l’article 53 du Règlement concernant le moment où un arrêt de travail prend finNote de bas de page 12.

[21] La prestataire avait fait valoir qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail parce que l’employeur avait continué d’offrir au moins 85 pour cent de ses services normaux à la villeNote de bas de page 13. Il a continué d’offrir des services en faisant appel à des employés étudiants, à des entrepreneurs privés, au personnel chargé des événements spéciaux et aux membres de la direction en place.

[22] La Commission a fait valoir qu’un arrêt de travail n’est pas seulement une baisse de la production ou du niveau de services, mais aussi une perturbation du cours normal des activités de l’employeurNote de bas de page 14. Elle a précisé que le Règlement concernant la fin d’un arrêt de travail prévoit qu’il n’est pas tenu compte des mesures exceptionnelles ou temporaires pour déterminer si le nombre d’employés a atteint 85 pour cent de son niveau normal, ce qui inclurait le personnel non syndiqué et les travailleurs contractuels utilisés par l’employeur pendant le lock-outNote de bas de page 15.

[23] La division générale a conclu que les critères utilisés pour déterminer quand un arrêt de travail a pris fin, dans le Règlement, ne sont pas pertinents pour déterminer si un arrêt de travail a eu lieu ou s’il est en cours. Elle a conclu qu’elle devait tenir compte de toutes les circonstances pour déterminer si un arrêt de travail s’est produit, et non seulement de la mesure de la réduction sur le plan de la productionNote de bas de page 16.

[24] Après s’être prononcée sur la pertinence du Règlement, la division générale a également conclu que les mesures exceptionnelles et temporaires ne sont exclues de l’analyse que pour déterminer si l’arrêt de travail a pris finNote de bas de page 17. Elle a affirmé que l’« arrêt de travail » renvoie aux activités de l’employeur et non au travail de l’employéNote de bas de page 18.

[25] La division générale a examiné des décisions de la Cour d’appel fédérale et du juge-arbitre canadien (CUB). Les décisions CUB sont des décisions du juge-arbitre, un juge de la Cour fédérale, qui représentait le deuxième palier d’appel dans le cadre de l’ancien régime d’appel administratif pour les questions d’assurance-emploi. Comme la division générale l’a fait remarquer, elle n’est pas tenue de suivre les décisions CUB, mais elle peut être persuadée par le raisonnement qui y est énoncéNote de bas de page 19.

[26] La division générale a conclu que ces décisions appuient le principe selon lequel c’est le niveau des activités d’un employeur qui permet de déterminer si un arrêt de travail a eu lieu ou s’il est en cours. Elle a déclaré que les moyens par lesquels un employeur maintient ses activités ne sont pas déterminants. Il n’y a pas d’arrêt de travail dans les cas où il n’y a pas d’interruption ou de réduction appréciable des activitésNote de bas de page 20.

[27] La division générale a conclu qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail au lieu de travail de la prestataire parce que les activités de la municipalité ont été maintenues sans grande perturbation attribuable au lock-outNote de bas de page 21.

[28] La division générale a examiné la preuve et les témoignages de la prestataire et d’autres personnes prenant part au conflit collectif. Les parties ne contestent pas les conclusions de fait de la division générale.

[29] La division générale a tiré les conclusions de fait pertinentes suivantes à l’appui de sa conclusion selon laquelle les activités de l’employeur se sont poursuivies en grande partie sans interruption par suite du lock-out :

  1. a) L’employeur a informé le public qu’il avait pris des mesures pour qu’il y ait le moins de perturbations possible.
  2. b) Les témoins ont confirmé par leurs témoignages que les services municipaux avaient été maintenus.
  3. c) Les activités récréatives n’ont pas été perturbées.
  4. d) Les travaux d’immobilisations entrepris avant le lock-out se sont poursuivis et certains ont été achevés pendant le lock-out.
  5. e) La municipalité a continué de percevoir les taxes et de délivrer les permis, mais elle l’a fait au téléphone plutôt qu’en personne.
  6. f) La collecte des ordures s’est poursuivie sans interruption; elle a été assurée par un entrepreneur avec qui des arrangements avaient été pris avant le lock-outNote de bas de page 22.

[30] La division générale a noté que l’employeur avait cessé de fournir des services de répartition des services d’incendie à une municipalité voisineNote de bas de page 23. Elle a constaté que 25 pour cent de l’effectif de l’employeur n’était pas syndiqué et continuait de fournir des services, tout comme le faisaient des employés étudiants pendant les mois d’été. L’employeur comptait aussi sur du personnel non syndiqué chargé des événements spéciaux. Enfin, la division générale a ajouté que l’employeur avait déclaré des économies globales pendant le lock-outNote de bas de page 24.

L’appel de la Commission

[31] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail parce qu’il n’y avait pas eu d’interruption ou de réduction appréciable des activités. Elle affirme que la division générale a fait fi du contexte et de l’objet de l’article 36 de la Loi dans son interprétation de l’« arrêt de travail ».

[32] La Commission soutient que la division générale ne s’est pas demandé si son interprétation de l’« arrêt de travail » cadrait avec l’objectif législatif de préserver la neutralité du programme d’assurance-emploi dans les conflits collectifs.

[33] Selon la Commission, l’« arrêt de travail » doit être interprété au sens large, car il doit s’appliquer aux situations où les employés et l’employeur ne s’entendent pas sur les conditions d’emploi et où les employés cessent de travailler en conséquence. La Commission s’appuie sur le passage suivant de l’arrêt Caron de la Cour suprême du Canada :

[…] un arrêt de travail dû à un conflit collectif provient toujours du fait que l’une ou l’autre des parties au contrat de louage de services ne veut pas l’exécuter. S’il s’agit de la partie patronale, on appelle l’arrêt un lockout; dans le cas où ce sont les employés qui refusent de fournir leurs services, on parle d’une grève. Dans l’un ou l’autre cas c’est le manque de volonté qui constitue l’essence de l’arrêt de travail.Note de bas de page 25

[34] La Commission soutient également que la division générale a fait fi du contexte fourni par le Règlement lorsqu’elle a interprété l’« arrêt de travail ». Elle affirme que le Règlement traite directement du moment où un arrêt de travail prend fin, mais qu’il fournit également des directives sur la question de savoir s’il y a arrêt de travail.

[35] La division générale devait tenir compte du texte, du contexte et de l’objet de l’article 36 de la Loi lorsqu’elle a interprété « arrêt de travail ». La Commission soutient qu’elle n’a examiné que le texte et qu’elle a fait fi du contexte et de l’objet.

[36] La Commission soutient également que la division générale a mal interprété la jurisprudence. Elle affirme qu’elle s’est fondée sur une interprétation erronée de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Procureur général c Simoneau lorsqu’elle a conclu que des mesures temporaires ou extraordinaires ne sont prises en considération que pour déterminer si un arrêt de travail a pris finNote de bas de page 26.

[37] La Commission cite la décision CUB 13355 dans laquelle le juge-arbitre s’est fondé sur l’arrêt Simoneau et a déclaré ce qui suit :

Il reste la question de savoir si la cessation de travail était un « arrêt de travail ». Il est clair qu’il y a eu une cessation de travail de la part des 1 100 membres du syndicat. Sans avancer de définition générale de ce qu’est un « arrêt de travail », il me semble clair qu’un arrêt de travail est censé s’être produit lorsqu’une usine est fermée par suite de la cessation de travail de certains ou de l’ensemble de ses employés habituels ou lorsque la production n’est maintenue que par des moyens extraordinaires. Le simple maintien de la production par des moyens extraordinaires n’empêche pas un « arrêt de travail » de s’être produit au sens de la Loi : voir Procureur général du Canada c Simoneau [1982] 1 C.F. 469 (C.A.).Note de bas de page 27

[38] La division générale a cité la décision CUB 69098C dans sa décision, mais, soutient la Commission, elle n’a pas suivi les directives formulées par le juge-arbitre dans cette affaire. Le juge-arbitre avait conclu qu’il y avait eu arrêt de travail. Il a affirmé que les mesures temporaires et extraordinaires prises avant et pendant l’arrêt de travail ne pouvaient être prises en compte pour déterminer si les niveaux de service étaient descendus sous la barre des 85 pour centNote de bas de page 28.

[39] La prestataire soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’« arrêt de travail ». Elle invoque le principe de neutralité énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hills c Canada (Procureur général)Note de bas de page 29 et affirme que les employés qui sont les victimes innocentes d’un conflit collectif ne devraient pas être contraints d’accepter des conditions de travail défavorables par crainte de ne pas toucher de prestationsNote de bas de page 30.

[40] La prestataire affirme que les faits dans l’affaire Caron étaient différents et que l’existence d’un arrêt de travail n’était pas en cause, de sorte que les principes tirés de cette affaire sont peu pertinents.

[41] La prestataire soutient que le cours normal des activités de l’employeur n’a pas été perturbé par le conflit collectif. Elle affirme que les faits prouvent que l’employeur n’a subi aucune conséquence et qu’il a poursuivi ses activités comme d’habitude le jour même du lock-out.

[42] La prestataire fait valoir que la division générale avait à sa disposition tous les faits et toutes les observations. Il lui était loisible d’interpréter l’« arrêt de travail » comme elle l’a fait, et elle n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a appliqué ses conclusions de fait à cette interprétation.

La division générale a mal interprété l’« arrêt de travail » dont il est question à l’article 36 de la Loi

[43] Pour interpréter l’« arrêt de travail », la division générale s’est fondée sur les principes qu’elle a tirés de la jurisprudence. Je conclus cependant que la division générale a mal interprété les directives énoncées dans certaines des affaires sur lesquelles elle s’est fondée et qu’elle n’a pas traité de celles qui contredisaient son interprétation.

[44] La division générale a conclu que les critères, énoncés dans le Règlement, pour déterminer à quel moment un arrêt de travail prend fin, ne s’appliquent pas à la question de savoir si l’arrêt de travail a commencé ou s’il est en cours.

[45] La division générale s’est appuyée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Procureur général du Canada c DaigneaultNote de bas de page 31. Dans cette affaire, le juge-arbitre avait conclu qu’une entreprise continuait de fonctionner et que la production se poursuivait à plus de 85 pour cent du niveau normal. La Cour d’appel fédérale a conclu que le juge-arbitre avait commis une erreur de droit lorsqu’il avait conclu qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail. La Cour suprême a dit ceci :

Lorsque, comme ici, tous les employés d’une unité de négociation ont, en fait, cessé de travailler, cette cessation de travail peut, ou non, suivant les circonstances, constituer un arrêt de travail au sens de l’article 44. Mais le fait que cette cessation de travail se traduise par une diminution de production de toute l’entreprise, inférieure à 15 p. 100, n’est pas un motif suffisant pour conclure qu’il n’y a pas d’arrêt de travail au sens de l’article 44.

[46] Compte tenu de la conclusion susmentionnée de la Cour d’appel fédérale, la division générale a conclu que les circonstances générales doivent être prises en compte pour déterminer s’il y a eu arrêt de travail et non seulement si la production a été réduite de plus de 15 pour centNote de bas de page 32.

[47] La division générale s’est également appuyée sur cette déclaration tirée de l’arrêt Daigneault pour conclure que l’article 53(3) du Règlement ne s’applique qu’aux fins de déterminer si un arrêt de travail a pris fin. Elle a conclu qu’il ressort clairement du libellé de l’article 53(3) que le recours à des mesures temporaires ou extraordinaires est exclu du calcul des 85 pour cent des niveaux de production ou des employés pour décider si un arrêt de travail a pris fin.

[48] La division générale a conclu que le Règlement ne s’applique pas à la question de savoir si un arrêt de travail a commencé ou est en cours.

[49] Je conclus que l’arrêt Daigneault n’appuie pas la conclusion de la division générale selon laquelle l’article 53 du Règlement ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de déterminer si un arrêt de travail a eu lieu. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’il était erroné en droit de conclure qu’il n’y avait pas eu arrêt de travail parce que le niveau de production était demeuré supérieur à 85 pour cent.

[50] L’arrêt Daigneault a été rendu avant l’entrée en vigueur de l’article 53 du Règlement. Les tribunaux et les juges-arbitres ont généralement adopté l’approche selon laquelle un arrêt de travail prend fin lorsque les niveaux de production ou le nombre d’employés ont atteint 85 pour cent du niveau normal. Cette approche a été codifiée, dans une certaine mesure, par l’adoption de ce qui est maintenant l’article 53 du Règlement.

[51] L’arrêt Daigneault n’appuie pas la conclusion de la division générale selon laquelle le recours à des mesures temporaires ou extraordinaires est exclu du calcul des 85 pour cent des niveaux de production ou des employés seulement pour décider si un arrêt de travail a pris fin. Les motifs de cette décision sont brefs et mentionnent simplement que le maintien d’un niveau de production supérieur à 85 pour cent ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu d’arrêt de travail.

[52] Je conclus que la division générale a commis une erreur dans son interprétation de cette décision lorsqu’elle a conclu que l’article 53 du Règlement ne s’applique pas. La décision ne traite pas de la pertinence de mesures temporaires ou extraordinaires aux fins de décider s’il y a eu arrêt de travail.

[53] La division générale a également cité l’arrêt Simoneau de la Cour d’appel fédérale à l’appui de la proposition selon laquelle ce n’est qu’au moment de déterminer si un arrêt de travail a pris fin que les mesures temporaires ou extraordinaires prises par un employeur sont prises en compteNote de bas de page 33. Encore une fois, je suis d’avis qu’il s’agit d’une interprétation erronée de l’arrêt Simoneau.

[54] L’arrêt Simoneau concernait une grève des employés d’une station de radio. Le juge-arbitre a conclu que l’arrêt de travail avait pris fin lorsque l’employeur a diffusé une programmation « presque normale ». Il a pu reprendre ce niveau de diffusion à l’aide d’un ordinateur, ce que le juge-arbitre a qualifié de « mesures temporaires et exceptionnelles »Note de bas de page 34.

[55] La Cour d’appel fédérale a conclu que le juge-arbitre avait commis une erreur de droit. Elle a renvoyé l’affaire au juge-arbitre, lui ordonnant de trancher l’affaire :

…[en tenant pour acquis que ] lorsqu’un employeur est victime d’une grève, on ne peut dire que l’arrêt de travail de ses employés ait pris fin pour le seul motif que l’employeur a réussi à maintenir ou rétablir sa production (mis en évidence par la soussignée).

[56] L’arrêt Simoneau portait sur la question de savoir si un arrêt de travail avait pris fin. Il n’était pas contesté dans cette affaire qu’il y avait eu un arrêt de travail.

[57] Cela ne signifie toutefois pas que la Cour d’appel fédérale a conclu que les mesures temporaires ou extraordinaires prises par un employeur ne sont pertinentes que pour déterminer si un arrêt de travail a pris fin. Comme l’indique le passage souligné, la Cour a de toute évidence fait référence à un employeur qui réussit à maintenir ses activités, et pas seulement à reprendre celles-ci ultérieurement. Encore une fois, cette décision est antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 53 du Règlement.

[58] Plusieurs décisions CUB se sont appuyées sur l’arrêt Simoneau pour affirmer que des mesures temporaires ou extraordinaires sont pertinentes pour déterminer s’il y a eu arrêt de travail.

[59] Dans la décision CUB 19727, le juge-arbitre Strayer a cité l’arrêt Simoneau lorsqu’il a déclaré ce qui suit :

Essentiellement, le prestataire plaide qu’il n’y a pas eu d’arrêt de travail, parce que la direction a recruté des travailleurs remplaçants pour que les salles de cinéma, y compris celle pour laquelle il travaillait, continuent de fonctionner pendant le lock-out. Toutefois, la jurisprudence ici encore est claire : si le travail se poursuit au moyen de mesures extraordinaires et non grâce au retour de la majorité des anciens employés, il y a « arrêt de travail ».Note de bas de page 35

[60] Dans une autre décision, la décision CUB 13355, le juge-arbitre Strayer s’est également appuyé sur l’arrêt Simoneau lorsqu’il a déclaré ce qui suit :

Sans avancer de définition générale de ce qu’est un « arrêt de travail », il me semble clair qu’un arrêt de travail est censé s’être produit lorsqu’une usine est fermée par suite de la cessation de travail de certains ou de l’ensemble de ses employés habituels ou lorsque la production n’est maintenue que par des moyens extraordinaires. Le simple maintien de la production par des moyens extraordinaires n’empêche pas un « arrêt de travail » de s’être produit au sens de la Loi : voir Procureur général du Canada c Simoneau [1982] 1 C.F. 469 (C.A.).Note de bas de page 36

[61] La décision CUB 15919 concernait un appel représentatif mettant en cause 87 travailleurs qui avaient été mis en lock-out par l’employeur. L’employeur a maintenu les services grâce aux heures supplémentaires des surveillants et à l’exécution de travaux par des sous-traitants. Le conseil arbitral a jugé qu’il n’y a pas eu arrêt de travail.

[62] En appel, le juge-arbitre Jerome s’est fondé sur la définition d’arrêt de travail énoncée dans la décision CUB 13355 et a conclu qu’il y avait un arrêt de travail parce que des mesures extraordinaires avaient été prises pour maintenir la production aux niveaux antérieurs à l’arrêt de travailNote de bas de page 37.

[63] Dans la décision CUB 15424, le juge-arbitre Dubé s’est fondé sur l’arrêt Simoneau lorsqu’il a conclu qu’« un arrêt de travail a lieu si l’employeur doit avoir recours à des mesures exceptionnelles pour continuer ses activités »Note de bas de page 38.

[64] Il est évident que la division générale a commis une erreur dans son interprétation de l’arrêt Simoneau lorsqu’elle a conclu que les mesures temporaires et extraordinaires prises par un employeur ne sont pertinentes que pour déterminer à quel moment un arrêt de travail prend fin.

[65] Enfin, la division générale a renvoyé à la décision CUB 69098C, signalant que le juge-arbitre dans cette affaire avait conclu qu’un arrêt de travail s’était produit et que, conformément à l’article 53(3) du Règlement, on ne pouvait tenir compte des mesures extraordinaires ou temporaires prises par l’employeur.

[66] Malgré ce renvoi à la décision CUB 69098C, la division générale a conclu ce qui suit :

Je suis convaincue, compte tenu des principes énoncés dans les décisions CUB citées, que c’est le niveau des activités d’un employeur qui permet de déterminer si un arrêt de travail a eu lieu ou s’il est en cours. La façon dont le niveau des activités est atteint, que ce soit au moyen de mesures temporaires ou extraordinaires, n’est pas déterminante. Autrement dit, peu importe les moyens utilisés pour maintenir les opérations, lorsqu’il n’y a pas d’interruption ou de réduction appréciable des opérations, il n’y a pas d’arrêt de travail.

[67] La division générale a conclu que les activités de l’employeur se sont poursuivies en grande partie sans interruption attribuable au lock-out. Elle n’a tiré aucune conclusion sur la question de savoir si cela était attribuable aux mesures extraordinaires ou temporaires prises par l’employeur, mais elle a manifestement conclu que la façon dont les activités ont été maintenues n’était pas pertinente.

[68] Je conclus que la division générale a fondé sa décision sur ce qui constitue un arrêt de travail sur une interprétation erronée de la jurisprudence.

[69] Je suis d’avis également que la division générale a commis une erreur dans son interprétation de l’« arrêt de travail ». Les tribunaux ont dit que, lorsqu’il interprète la loi, le Tribunal doit tenir compte du texte, du contexte et de l’objet de la loiNote de bas de page 39. La division générale n’est pas tenue de procéder à un exercice officiel d’interprétation législative, mais son interprétation doit cadrer avec le texte, le contexte et l’objet.

Le sens d’arrêt de travail dont il est question à l’article 36

[70] Le terme « arrêt de travail » n’est pas défini dans la loi. Au cours des nombreuses années où l’article 36 de la Loi et ses prédécesseurs ont existé dans la loi, aucune définition claire de l’« arrêt de travail » n’a non plus été énoncée dans la jurisprudence.

[71] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Palmer [appel de la décision CUB 69098], la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au juge-arbitre en chef, signalant que la décision antérieure n’avait pas analysé une « question importante, à savoir ce qui constitue un arrêt de travail en droit »Note de bas de page 40.

[72] La décision CUB 69098C a suivi la décision de la Cour d’appel fédérale. Dans sa décision, le juge-arbitre a dit ceci :

Le syndicat prétend que je devrais me pencher sur l’expression « arrêt de travail » et en donner une définition pour obéir à la directive de la Cour d’appel fédérale. Je ne suis pas convaincu que tel est le sens de la décision de la Cour. Je dois certainement tirer une conclusion concernant l’arrêt de travail, mais selon mon interprétation, le jugement de la Cour n’exige pas que je redéfinisse l’« arrêt de travail ». Il est vrai qu’il n’en existe pas de définition dans la Loi ou dans le Règlement, mais il y a peut-être de bonnes raisons à cela.

[…]

À mon avis, le sens de l’expression est dicté par le contexte. Je préfère m’en remettre à ce que je considère toujours comme une solide jurisprudence de la Cour d’appel fédérale.

[…]

Il y a eu un arrêt de travail selon les balises établies dans l’affaire Caron précitée. Celui-ci est survenu parce que l’une des parties n’a pas respecté son obligation. Telle est l’essence d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. Il serait peu pratique de tenter de donner une nouvelle définition de l’expression « arrêt de travail ».Note de bas de page 41

[73] Je suis d’accord pour dire qu’une définition stricte d’« arrêt de travail » pourrait être peu pratique et que l’analyse de la question de savoir s’il y a eu un arrêt de travail sera toujours dictée par le contexte. Bien que la jurisprudence n’ait offert aucune définition claire, on peut y trouver les consignes suivantes :

  • Il y a arrêt de travail lorsque le travail est maintenu par des moyens extraordinaires et non par le retour de la majorité des travailleursNote de bas de page 42.
  • Un arrêt de travail peut être le résultat d’une grève ou d’un lock-outNote de bas de page 43.
  • Il s’agit d’une question de volonté et de la conséquence du refus de l’une des parties au contrat d’exécuter celui-ciNote de bas de page 44.
  • L’arrêt de travail renvoie aux activités de l’employeur et non au travail de l’employéNote de bas de page 45.
  • Un arrêt de travail est censé s’être produit lorsqu’une usine est fermée par suite de l’arrêt de travail de certains ou de l’ensemble de ses employés habituels ou lorsque la production n’est maintenue que par des moyens extraordinairesNote de bas de page 46.
  • Un arrêt de travail signifie que les opérations normales d’un employeur cessentNote de bas de page 47.
  • Un arrêt de travail peut être causé par l’employeur, l’employé ou le syndicatNote de bas de page 48.

[74] Je retiens de la jurisprudence qu’un arrêt de travail peut résulter d’une grève ou d’un lock-out et qu’il survient lorsque les activités normales d’un employeur cessent. Pour déterminer si les activités normales ont cessé, il n’est pas tenu compte des mesures temporaires ou extraordinaires prises par un employeur pour maintenir les services. La réponse à la question de savoir s’il y a eu un arrêt de travail est dictée par le contexte.

[75] L’intention des parties est un facteur clé pour déterminer si un « arrêt de travail » a eu lieu ou s’il est en cours. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale à la majorité dans l’arrêt Caron :

(…) ce qui caractérise essentiellement l’arrêt de travail de l’article 44 et le distingue de la perte de l’emploi du prestataire est l’aspect « volonté » : un arrêt de travail dû à un conflit collectif provient toujours du fait que l’une ou l’autre des parties au contrat de louage de services ne veut pas l’exécuter. S’il s’agit de la partie patronale, on appelle l’arrêt un lockout; dans le cas où ce sont les employés qui refusent de fournir leurs services, on parle d’une grève. Dans l’un ou l’autre cas c’est le manque de volonté qui constitue l’essence de l’arrêt de travail.Note de bas de page 49 

[76] Lorsque les employés décident intentionnellement de cesser de travailler en faisant la grève, il y a arrêt de travail. Lorsque l’employeur décide intentionnellement d’empêcher les employés de travailler en imposant un lock-out, il y a aussi arrêt de travail. Lorsque les parties règlent leur différend et mettent fin à la grève ou au lock-out, l’arrêt de travail prend fin même si les employés ne peuvent pas tous revenir au travail en même temps.

[77] Cette interprétation de l’« arrêt de travail » dont il est question à l’article 36 cadre avec le texte, le contexte et l’objet de la disposition.

Le texte est clair

[78] Le libellé de l’article 36 de la Loi, énoncé précédemment dans la présente décision, est clair. Rien dans le texte de la disposition ne suggère de s’écarter du sens ordinaire des mots.

Conflits collectifs

36 (1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant :

  1. a) soit la fin de l’arrêt de travail;
  2. b) soit, s’il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable.Note de bas de page 50

[79] Le terme « arrêt de travail » dans cette disposition sous-entend une cessation ou un arrêt de travail au lieu de travail qui entraîne la perte d’emploi. Cette cessation de travail doit être attribuable à un conflit collectif au lieu de travail du prestataire.

[80] Je conclus que le texte de l’article 36 permet que soit pris en compte le Règlement dans l’interprétation de l’« arrêt de travail » et que l’article 53 du Règlement fournit un contexte important. L’article prescrit « sous réserve des règlements » et prévoit qu’une inadmissibilité prendra fin à la fin de l’arrêt de travail. De même, l’article 53 du Règlement renvoie à l’article 36 de la Loi, ce qui montre que les deux articles s’appliquent ensemble.

Le contexte suggère d’exclure la prise en compte de mesures temporaires ou extraordinaires

[81] L’article 53 du Règlement prescrit à quel moment un « arrêt de travail » prend fin pour l’application de l’article 36. Encore une fois, le texte est important et je le répéterai ici.

Fin d’un arrêt de travail

53 (1) Pour l’application de l’article 36 de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), l’arrêt de travail à une usine, à un atelier ou en tout autre local prend fin lorsque :

  1. a) d’une part, le nombre d’employés présents au travail représente au moins 85 pour cent du niveau normal;
  2. b) d’autre part, les activités qui y sont exercées pour la production de biens ou de services représentent au moins 85 pour cent du niveau normal.

(2) Lorsque, par suite d’un arrêt de travail, il survient des circonstances qui font en sorte que le nombre d’employés présents au travail et les activités liées à la production de biens ou de services à une usine, à un atelier ou en tout autre local ne représentent pas au moins 85 pour cent du niveau normal, l’arrêt de travail prend fin :

  1. a) dans le cas d’une cessation des affaires ou d’une restructuration permanente des activités ou dans un cas de force majeure, au moment où ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances;
  2. b) dans le cas où les conditions économiques ou du marché changent ou dans le cas où surviennent des changements technologiques, au moment où :
    1. (i) d’une part, il y a une reprise des activités à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local,
    2. (ii) d’autre part, ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances.

(3) Aux fins du calcul des pourcentages visés aux paragraphes (1) et (2), il n’est pas tenu compte des mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l’employeur avant ou pendant l’arrêt de travail dans le but d’en compenser les effets.

[82] La disposition prescrit « pour l’application de l’article 36 de la Loi », ce qui laisse entendre qu’il s’applique à l’ensemble de la disposition et non seulement à l’article 36(1)a). La question de savoir si l’article 53(3) n’est pertinent que pour déterminer si un arrêt de travail a pris fin est une question déterminante dans le présent appel.

[83] La disposition prescrit en des termes clairs que les mesures exceptionnelles ou temporaires prises par un employeur avant et pendant un arrêt de travail ne sont pas prises en compte pour déterminer si le nombre d’employés et le niveau d’activités ont atteint 85 pour cent des niveaux normaux.

[84] Il est illogique d’affirmer que de telles mesures prises par un employeur avant un arrêt de travail dans le but d’en compenser les effets ne doivent pas être prises en compte pour déterminer si l’arrêt a pris fin, mais qu’elles peuvent être prises en compte pour décider si l’arrêt a commencé.

[85] L’exemple suivant témoigne de l’illogisme de cette interprétation :

  • Scénario no 1 – Un milieu de travail constate une réduction évidente du nombre d’employés et du niveau de production par suite d’une grève ou d’un lock-out, ce qui déclenche un arrêt de travail. Une semaine plus tard, l’employeur met en place pour maintenir les services des mesures temporaires et exceptionnelles qui subsistent jusqu’à la fin du conflit collectif. Ce n’est que grâce à ces mesures temporaires et exceptionnelles que le travail se poursuit.
  • Scénario no 2 – Dans le même lieu de travail, en prévision d’une grève ou d’un lock-out, l’employeur met en place les mêmes mesures temporaires et exceptionnelles une semaine plus tôt. Il n’y a aucune réduction des effectifs ou de la production, uniquement grâce aux mesures temporaires. Celles-ci sont maintenues jusqu’à la fin du conflit collectif.

[86] Si l’article 53(3) du Règlement ne s’appliquait que pour déterminer si l’arrêt de travail a pris fin, selon le scénario no 1, l’arrêt de travail ne serait terminé qu’à la fin du conflit collectif. Les employés seraient inadmissibles au bénéfice des prestations pendant la durée du conflit collectif.

[87] Dans le scénario no 2, si l’article 53(3) ne s’appliquait pas pour déterminer si l’arrêt a commencé, il n’y aurait pas d’arrêt de travail et, par conséquent, aucune inadmissibilité pendant la durée du conflit collectif. L’arrêt de travail qui n’a jamais commencé ne pourrait prendre fin. J’estime que cette interprétation ne cadre pas avec le contexte et le régime législatif.

[88] Je conclus que le contexte appuie l’exclusion des mesures temporaires et exceptionnelles pour déterminer s’il y a eu réduction des effectifs ou des niveaux de production et, par conséquent, un arrêt de travail.

Objet

[89] L’objet de l’article 36 a été énoncé par la Cour suprême du Canada et confirmé par la Cour d’appel fédérale : il consiste à maintenir la neutralité dans les conflits collectifs et à éviter qu’un employeur finance indirectement ses employés pendant un conflit collectifNote de bas de page 51. Cet objet a été critiqué, mais aucun autre objet n’a été suggéré.

[90] La prestataire invoque la décision Hills à l’appui de sa thèse selon laquelle une inadmissibilité dans sa situation punit les victimes innocentes d’un conflit collectif. Elle affirme que la Cour dans cette affaire a fait remarquer qu’une telle approche pourrait forcer les employés à accepter des conditions de travail défavorables par crainte d’être mis en lock-out et de se voir refuser des prestations.

[91] Dans l’affaire Hills, les juges à la majorité ont examiné l’historique de la disposition et signalé que la raison d’être initiale [traduction] « n’est plus très bien reçue aujourd’hui »Note de bas de page 52. L’arrêt Hills concernait principalement ce qui était alors l’article 44(2)a) de la Loi, maintenant l’article 36(4). Celui-ci prévoit que l’inadmissibilité ne s’applique pas si le prestataire peut prouver qu’il « ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il ne le finance pas et qu’il n’y est pas directement intéressé ».

[92] Dans l’arrêt Hills, le prestataire appartenait à un syndicat et a été mis à pied par suite d’une grève d’employés représentés par une section locale différente du même syndicat. Le prestataire n’a pas reçu d’indemnité de grève, mais une partie des cotisations qu’il devait verser à son syndicat a servi à verser une indemnité aux membres de l’autre section locale en grève.

[93] Dans l’arrêt Hills, le prestataire a été considéré comme étant inadmissible au bénéfice des prestations sur le fondement de l’article 44 (maintenant l’article 36) de la Loi et la Commission a décidé qu’il n’avait pas réussi à prouver qu’il ne finançait pas le conflit collectif. La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si le paiement obligatoire des cotisations syndicales détourné vers un fonds de grève équivaut au financement d’un conflit collectif.

[94] Les juges à la majorité ont conclu que l’inadmissibilité du prestataire, qui ne touchait aucune indemnité de grève, ne participait pas à la grève ou n’était pas susceptible d’en tirer profit, était incompatible avec l’objectif déclaré de la neutralité gouvernementaleNote de bas de page 53. Toutefois, la juge L’Heureux-Dubé a déclaré ce qui suit :

Il est indéniable que la participation active d’un prestataire à un conflit collectif qui se déroule à son lieu de travail ou une contribution libre et volontaire de sa part à un fonds de grève qui sert à soutenir un conflit à ce même lieu de travail entraînerait l’application de la disposition prévoyant l’exclusion du bénéfice des prestations dans le cas d’un conflit collectif.Note de bas de page 54

[95] Je conclus que les commentaires de la Cour suprême du Canada concernant le maintien de la neutralité doivent être lus à la lumière de l’accent mis dans cette affaire sur la disposition de réadmissibilité prévue à l’article 44(2)a) de l’époque. Le commentaire ci-dessus montre que la Cour ne concluait pas que les prestataires qui sont directement intéressés par le conflit collectif pourraient ne pas être inadmissibles.

[96] Je conclus qu’il serait contraire à l’intention de maintenir la neutralité du gouvernement dans les conflits collectifs d’obliger la Commission ou le Tribunal à déterminer si un prestataire en lock-out ou en grève est une victime innocente d’un conflit collectif. Cela consisterait à évaluer le bien-fondé des thèses des parties dans un conflit collectif, ce qui ne permettrait pas de maintenir la neutralité.

[97] Je conclus que l’objet de l’article est maintenu par l’exclusion des mesures temporaires et exceptionnelles pour déterminer s’il y a eu arrêt de travail. Il ne faut manifestement pas tenir compte de ces facteurs pour déterminer si l’arrêt de travail a pris fin, et il est logique de ne pas en tenir compte non plus pour décider s’il y a eu arrêt de travail.

[98] L’interprétation par la division générale d’un « arrêt de travail » comme étant une interruption ou une réduction appréciable des activités d’un employeur, peu importe les moyens que ce dernier utilise pour les maintenirNote de bas de page 55, ne cadre pas avec le texte, le contexte ou l’objet de l’article 36 de la Loi.

Réparation

[99] Les parties s’entendent pour dire que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre si je conclus qu’elle a commis une erreurNote de bas de page 56.

[100] Je suis d’accord. Je conclus qu’il convient en l’espèce de substituer ma propre décision. Les faits ne sont pas contestés et les parties ont eu l’occasion de présenter pleinement leur preuve devant la division générale.

Il y a eu un arrêt de travail dû à un conflit collectif

[101] La Commission doit démontrer que la prestataire n’a pas droit à des prestations régulières en établissant ce qui suit :

  1. (1) Il y a eu un conflit collectif dans les lieux en question;
  2. (2) Le conflit collectif y a causé un arrêt de travail;
  3. (3) La prestataire a perdu son emploi ou n’a pas pu le reprendre en raison de l’arrêt de travailNote de bas de page 57.

[102] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu un arrêt de travail causé par le conflit collectif.

[103] Les faits démontrent que l’une des parties, l’employeur, n’avait pas la volonté, comme il le fallait, de respecter les modalités de son contrat avec les employés lorsqu’il a imposé le lock-out. Dans son communiqué de presse intitulé : [traduction] « La Ville de Grand Falls-Windsor déclenche l’arrêt de travail des employés syndiqués », l’employeur a expliqué avoir amorcé des moyens de pression et mis les employés en lock-outNote de bas de page 58.

[104] À la suite du lock-out, les employés ont installé des piquets de grève à l’hôtel de ville, au site des travaux publics, au site des parcs et loisirs et à deux arénasNote de bas de page 59. Tous les membres du syndicat en grève ont reçu une indemnité de grèveNote de bas de page 60.

[105] L’unité de négociation comptait 90 employés syndiqués, qui ont été mis en lock-out par l’employeur, tandis que 25 membres du personnel étaient exclus de l’unité de négociation et occupaient principalement des postes de gestionNote de bas de page 61. En outre, 25 employés saisonniers travaillaient à temps plein de mai à octobreNote de bas de page 62.

[106] L’employeur a pris les mesures suivantes en prévision d’une grève ou d’un lock-out :

  • Il a publié une demande de propositions pour des services d’entretien en électricité « en vue d’un éventuel arrêt de travail »Note de bas de page 63.
  • Il a préparé des contrats en vertu desquels des entrepreneurs pourraient accomplir le travail des employés syndiquésNote de bas de page 64.
  • Il a fait venir des entrepreneurs sur les lieux le jour du lock-outNote de bas de page 65.
  • Il a formé des cadres intermédiaires et des employés non syndiqués pour effectuer le travail de répartitionNote de bas de page 66.
  • Il a informé une municipalité voisine qu’il ne fournirait plus de services de répartition des services d’incendieNote de bas de page 67.
  • La direction a demandé une liste de tâches dont étaient assortis les postes de l’unité de négociation et a appris comment effectuer le travail associé à ces postesNote de bas de page 68.

[107] En l’espèce, l’employeur a maintenu des services à un niveau équivalent à celui qu’il maintenait avant le lock-out ou s’en approchant. Pour y arriver, il a fait appel à la direction, aux travailleurs contractuels et au personnel saisonnier et non syndiqué. Environ 75 % des employés municipaux faisaient partie du syndicat et étaient visés par le lock-out.

[108] L’employeur a donné en sous-traitance la collecte des ordures et certains travaux supplémentaires habituellement effectués par les membres de l’unité de négociationNote de bas de page 69. Un entrepreneur a effectué des essais d’asphalte normalement effectués par des employés de l’unité de négociationNote de bas de page 70. L’entente de services prévoyait que l’une ou l’autre des parties pouvait résilier l’entente pour quelque raison que ce soitNote de bas de page 71.

[109] Je conclus que les mesures prises par l’employeur pour que les entrepreneurs et les gestionnaires exécutent les tâches des employés en lock-out étaient temporaires et qu’elles ne doivent donc pas être prises en compte pour déterminer s’il y a eu réduction du nombre d’employés et des niveaux de service.

[110] Rien dans l’entente conclue avec les entrepreneurs ne laissait entendre que la prestation des services se voulait permanente. De même, l’exécution par les gestionnaires des tâches des employés en lock-out est manifestement une mesure temporaire.

[111] La preuve permet de croire que les employés saisonniers et occasionnels faisaient partie des effectifs ordinaires de l’employeurNote de bas de page 72. Le recours à ces travailleurs lors du lock-out n’était pas une mesure temporaire ou exceptionnelle.

[112] Si l’on exclut les mesures temporaires de l’analyse, il est évident que le cours normal des activités de l’employeur a été perturbé. En raison du lock-out, les effectifs ordinaires ont été réduits d’environ 75 pour cent. Si l’on tient compte des employés saisonniers supplémentaires, les effectifs pendant le lock-out étaient encore bien en deçà de 85 pour cent du niveau normal.

[113] Dans le cours normal des activités de l’employeur, les services municipaux étaient principalement fournis par les employés syndiqués. Bien que la prestation de bon nombre de ces services se soit poursuivie, il a fallu pour y arriver avoir recours temporairement à des gestionnaires et à des entrepreneurs.

[114] À l’audience, la prestataire a fait valoir que l’employeur a maintenu ses activités en faisant appel à des gestionnaires, à des entrepreneurs et à des employés occasionnels et saisonniers jusqu’à la fin du conflit collectif et jusqu’au retour des employés syndiqués. Cela concorde avec la preuve.

[115] Je conclus que l’arrêt de travail a pris fin à la fin du conflit collectif lorsque les employés syndiqués sont retournés au travail. Je ne vois aucune preuve que l’arrêt de travail a pris fin à un autre moment.

Conclusion

[116] L’appel est accueilli. La prestataire a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif et elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations.

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