Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Citation : RS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 367

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. S.
Représentante ou représentant : Martin Savoie
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (603906) datée du 26 septembre 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Manon Sauvé
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 29 février 2024
Personnes présentes à l’audience : L’appelant
Le representant de l’appelant
Date de la décision : Le 6 mars 2024
Numéro de dossier : GE-23-2806

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Depuis 2022, l’appelant travaille à titre de conducteur de chariot élévateur pour un brasseur de bière commerciale. Le 10 mai 2023, il est congédié pour ne pas avoir respecté la politique de l’employeur concernant la consommation d’alcool.

[4] Il présente une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi à la Commission. Après enquête, la Commission refuse de lui verser des prestations, parce qu’il a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[5] Selon la Commission, l’appelant s’est présenté au travail sous l’influence de l’alcool. Il a admis avoir consommé deux bières avant de se présenter au travail. En raison de ses tâches, il aurait pu mettre en danger ses collègues de travail. Il n’a donc pas respecté la Politique de l’employeur de tolérance zéro au travail.

[6] L’appelant n’est pas d’accord. La Commission n’a pas démontré que le geste d’avoir consommé deux bières avant son quart de travail constitue de l’inconduite. Selon l’appelant, il n’était pas sous l’influence de l’alcool, lorsqu’il s’est présenté au travail. Il n’a pas enfreint la Politique de l’employeur.

Question en litige

[7] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite ?

Analyse

[8] Pour décider si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi ?

[9] Je retiens que depuis le mois de juillet 2022, l’appelant travaille pour un brasseur de bière commerciale. Son travail consiste à transporter des caisses à l’aide d’un chariot élévateur.

[10] Le 10 mai 2023, il se présente au travail avant son quart de travail qui commence à 22 h. Il discute avec des collègues tout en buvant quelques verres de café.

[11] Pendant son quart de travail, un collègue échappe plusieurs caisses de bière. Bien que cela ne fasse pas partie de ses tâches, il donne un coup de main à son collègue pour ramasser les contenants de bière qui se sont déversés.

[12] Vers minuit, son supérieur le convoque pour une rencontre. Selon ce dernier, des collègues ont constaté qu’il dégageait une odeur d’alcool. L’appelant est mis en arrêt de travail, car il ne peut conduire son chariot sous l’influence de l’alcool.

[13] L’appelant est rencontré par son supérieur. Il lui explique qu’il a consommé deux bières entre 16 h et 18 h 30 pendant son souper. Lors de cette rencontre, il est accompagné de son délégué syndical. Son supérieur lui mentionne qu’il ne peut pas travailler en ayant consommé de l’alcool. Il doit rentrer chez lui. Son supérieur lui demande de ne plus recommencer.

[14] Lorsque l’appelant se présente au travail le lendemain, on lui remet une lettre de congédiement. On lui reproche de ne pas avoir respecté les politiques et les procédures de l’employeur concernant la consommation d’alcool. Ce type de comportement n’est pas toléré et il s’agit d’une faute grave.

[15] Lors de son témoignage devant le Tribunal, l’appelant a maintenu sa version des faits. Cependant, il nie avoir mentionné à son employeur que ce n’était pas la première fois qu’il consommait une bière avant de se présenter au travail.

[16] Par ailleurs, il reconnait avoir suivi la formation concernant la politique de consommation d’alcool. Questionné à savoir s’il sait ce que veut dire l’expression « sous l’influence de l’alcool », il répond « non ». Et il n’a pas été informé du sens de cette expression.

[17] Le délégué syndical a également témoigné lors de l’audience. Il confirme que l’appelant a été rencontré le 10 mai 2023. Il était présent lors de la rencontre qui s’est déroulée dans un bureau. Il était proche de l’appelant. Il n’a pas senti d’odeur d’alcool, l’appelant n’avait pas de difficulté à s’exprimer et ses gestes étaient normaux. De plus, le supérieur de l’appelant n’a pas mentionné qu’il serait congédié. Il lui a demandé de ne pas recommencer.

[18] Il a suivi la formation sur la politique de consommation d’alcool lors de son embauche. Chaque année, il doit suivre une mise à jour. Questionné sur la signification de l’expression « sous l’influence de l’alcool », ce dernier répond qu’on ne lui a pas expliqué ce que veut dire cette l’expression utilisée par l’employeur dans la Politique concernant la consommation d’alcool. Il comprend que la consommation d’alcool est tolérance zéro sur le lieu de travail. On ne lui a pas mentionné qu’il lui était interdit de consommer de l’alcool avant de se rendre au travail. Ce qu’il comprend c’est qu’il ne peut pas se présenter au travail sous l’influence de l’alcool, c’est-à-dire ne pas respecter la limite permise par la Loi.

[19] Le secrétaire syndical a également témoigné lors de l’audience. Il travaille pour l’employeur depuis 25 ans. Il est secrétaire syndical depuis 3 ans. Il a suivi la formation, il a retenu qu’il ne peut pas consommer de l’alcool au travail ni être sous l’influence de l’alcool. Il comprend tout comme le délégué syndical qu’il ne faut pas dépasser la limite permise.

[20] Selon la Commission, l’appelant a contrevenu à la politique de son employeur en consommant de l’alcool quelques heures avant de se rendre au travail. La politique de l’employeur prévoit qu’il est interdit de se présenter au travail sous l’influence de l’alcool, de consommer de l’alcool pendant les heures de travail (à l’exception des cas autorisés par la politique) ou de commettre toute autre violation de la présente politique mondiale sur la responsabilité des employés en matière de consommation d’alcool peut entrainer des mesures disciplinaires, y compris la cessation d’emploiNote de bas de page 2. Ainsi, l’appelant n’a pas respecté la politique de tolérance zéro.

[21] Pour sa part, le représentant de l’appelant soutient que l’appelant n’a pas commis le geste qu’on lui reproche, c’est-à-dire de se présenter au travail sous l’influence de l’alcool.

[22] Premièrement, l’employeur n’a pas demandé à l’appelant à passer un test pour connaitre le taux d’alcool. La politique concernant la consommation d’alcool permet à l’employeur de faire passer un test à un employé. En fait, est-ce qu’il était sous l’influence de l’alcool ?

[23] Deuxièmement, l’employeur n’a pas fourni les noms des personnes qui ont effectivement constaté l’odeur d’alcool que l’appelant aurait dégagé.

[24] Enfin, lors de la rencontre avec son délégué syndical et son supérieur ; l’appelant ne sent pas l’alcool et son comportement est normal.

[25] Par ailleurs, la politique de l’employeur concernant la tolérance zéro et les nombreuses exceptions concerne la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Évidemment, un employé ne peut pas se présenter au travail affecté par l’alcool. La politique ne prévoit pas expressément qu’un employé ne peut pas boire d’alcool avant son quart de travail. Ce qu’elle prévoit c’est qu’on ne peut pas se présenter sous l’influence de l’alcool.

[26] Alors est-ce que l’appelant s’est présenté au travail sous l’influence de l’alcool ? Selon la prépondérance des probabilités, j’estime qu’il est plus probable que l’appelant n’était pas sous l’influence de l’alcool, lorsqu’il s’est présenté au travail.

[27] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la preuve au dossier, des témoignages crédibles de l’appelant, du délégué syndical et du secrétaire syndical. Le délégué syndical qui accompagnait l’appelant lors de la rencontre a eu un accès direct à l’appelant. Il n’a pas détecté d’odeur d’alcool. Et je n’ai pas de preuve contraire.

[28] Également, l’appelant a témoigné qu’il avait aidé un collègue à ramasser un renversement de bière. Il se peut qu’il ait reçu de la bière sur ses vêtements ; ce qui pourrait expliquer l’odeur que des collègues auraient détectée.

[29] Par ailleurs, la Politique de l’employeur prévoit que les employés doivent consommer de façon responsable et avec modération ; veillez à ce que leur jugement, leur performance et la sécurité ne soient jamais compromis au travailNote de bas de page 3. Les employés ne peuvent pas consommer de l’alcool pendant les heures de travailNote de bas de page 4, sauf exception. Un test de dépistage peut être exigé, lorsqu’il existe un motif raisonnable de soupçonner que l’employé peut avoir des drogues illicites ou être en état d’ébriété. Être intoxiqué au sens de la loi signifie que le niveau d’intoxication de la personne se situe au-dessus de la limite légale pour conduire un véhicule dans le territoire donnéNote de bas de page 5.

[30] La politique prévoit également que le fait de se présenter sous l’influence de l’alcool, de consommer de l’alcool pendant les heures de travail peut entrainer des mesures disciplinaires et la perte de l’emploi. La question demeure donc, si l’appelant était sous l’influence de l’alcool à son travail. Il faut comprendre que la politique n’est pas tolérance zéro concernant l’alcool consommé avant de se rendre au travail, mais de ne pas être sous l’influence de l’alcool.

[31] Selon Le Larousse l’expression « sous influence » se définit comme étant complètement asservi à quelque chose (drogue, alcool, etc.), à un groupe ou soumis à une manipulation d’ordre idéologique, psychologiqueNote de bas de page 6.

[32] Je suis d’avis que cette preuve n’a pas été faite par la Commission. Il n’y a rien qui prouve que l’appelant était effectivement sous l’influence de l’alcool. Et il n’y a rien dans la Politique de l’employeur qui stipule qu’une personne ne peut pas consommer de l’alcool en tout temps de façon raisonnable pendant un repas et de se rendre au travail quelques heures après. Il n’y a pas de tolérance zéro pour la consommation d’alcool en dehors du travail. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’employeur demande de faire preuve de jugement et de respecter les Lois en dehors du lieu de travail.

[33] J’estime que la Commission n’a pas démontré les faits reprochés à l’appelant. En effet, lorsqu’il s’agit d’inconduite, il faut se baser sur des éléments de preuve clairs et non de simples conjectures et hypothèsesNote de bas de page 7. Dans ce cas-ci, la Commission tout comme l’employeur se sont basés sur des commentaires de collègues de travail sans vérifier les faits reprochés.

[34] De plus, l’inconduite est une violation de la loi, d’un règlement ou d’une règle de déontologie et peut faire en sorte qu’une condition essentielle à l’emploi cesse d’être satisfaiteNote de bas de page 8. On doit examiner les faits. On ne peut pas non se contenter d’adopter la conclusion de l’employeur sur l’inconduite. Il faut une appréciation objective permettant de dire que l’inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l’emploiNote de bas de page 9.

[35] L’appréciation subjective par un employeur du type d’inconduite qui justifie le renvoi ne saurait être considérée comme liant le Tribunal et ne saurait satisfaire au fardeau de la preuve qui incombe à la CommissionNote de bas de page 10.

[36] Or, la Commission n’a pas démontré que l’appelant a enfreint une règle, une loi ou un règlement. L’employeur a soutenu que l’appelant n’a pas respecté des règles, sans en fournir la preuve à la Commission. Il s’est fié aux déclarations de collègues de travail qui demeurent anonymes, il n’a pas fait passer un test de dépistage à l’appelant. De plus, le délégué syndical présent lors de la rencontre n’a pas détecté d’odeur d’alcool ni que l’appelant était sous l’influence de l’alcool. Congédier une personne en raison d’une inconduite est une chose grave qui entraîne des répercussions importantes. La Commission ne peut pas se contenter d’adhérer à la thèse de l’employeur qui ne fournit pas une preuve claire.

[37] Je n’ai pas besoin d’examiner si les gestes commis par l’appelant constituent de l’inconduite. La Commission n’a pas prouvé que l’appelant n’a pas respecté la Politique de l’employeur. Elle ne pouvait pas se contenter d’adhérer à ses prétentions.

[38] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[39] La Commission n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[40] Par conséquent, l’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.