Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : BL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 246

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : B. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (634125) datée du 12 décembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Rena Ramkay
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 24 janvier 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 31 janvier 2024
Numéro de dossier : GE-24-153

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il n’avait pas une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant, B. L., a quitté son emploi de couvreur le 23 juin 2023 et a demandé des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de l’appelant pour quitter son emploi. Elle a conclu que ce dernier a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] L’appelant affirme qu’il a dû quitter son emploi parce que le travail n’était pas sécuritaire. Il dit qu’il devait monter et travailler sur les toits sans porter de harnais. L’appelant affirme qu’il a aussi utilisé du goudron chaud et de l’asphalte sans l’équipement de protection adéquatNote de bas de page 2. Il dit de ses collègues qu’ils sont ancrés dans leurs habitudes de travail et ne sont pas disposés à se servir de l’équipement de sécurité. Selon l’appelant, c’était qu’une question de temps avant qu’il se blesse.

[6] La Commission affirme que l’appelant a quitté volontairement son emploi sans justification parce qu’il n’a pas épuisé toutes les solutions raisonnables avant de le faire. Elle affirme qu’il aurait pu discuter de l’utilisation d’équipement de sécurité avec son employeur ou déposer une plainte auprès du ministère du Travail si le lieu de travail était dangereux. Selon la Commission, si l’appelant a quitté son emploi parce qu’il n’accumulait pas assez d’heures de travail, il aurait pu continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un nouvel emploi.

[7] L’appelant n’est pas d’accord avec la décision de la Commission selon laquelle il n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi. Il affirme que son employeur savait que ses employés n’utilisaient pas d’équipement de sécurité et que cela ne le dérangeait pas. Il dit qu’il ignorait qu’il pouvait déposer une plainte auprès du ministère du Travail concernant son milieu de travail dangereux. L’appelant a dit que la question des heures insuffisantes était secondaire aux questions de sécurité. De plus, il était convaincu qu’il trouverait un autre emploi rapidement après sa démission.

[8] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[9] Pour répondre à cette question, je dois avant tout aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi

[10] J’accepte le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant reconnait qu’il a quitté son emploi le 23 juin 2023. Son relevé d’emploi confirme qu’il a démissionné le 23 juin 2023Note de bas de page 3. Je n’ai aucune preuve du contraire.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi

[11] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

[12] La loi prévoit qu’une partie appelante est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 4. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[13] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[14] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 6.

[15] Pour prendre une décision, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi. La loi énonce certaines de ces circonstancesNote de bas de page 7.

[16] Après avoir déterminé quelles circonstances s’appliquent à l’appelant, je dois voir s’il a démontré que le départ était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 8.

Les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi

[17] L’appelant a déclaré qu’il a commencé à travailler pour son employeur comme couvreur le 5 juin 2023 et qu’il a quitté son emploi le 23 juin 2023. Il affirme qu’un membre de sa famille qui a travaillé pour l’employeur l’a aidé à obtenir l’emploi quand il était incapable d’en trouver un autre. C’était son premier emploi de couvreur.

[18] L’appelant a déclaré que même s’il a suivi une formation d’un jour sur le travail en hauteur sécuritaire, aucune des mesures de sécurité introduites n’avait été mise en place sur le chantier. Personne n’utilisait de harnais de sécurité pour clouer les bordures de toit ni pour gravir les échelles de 40 pieds.

[19] L’appelant affirme qu’il faisait partie d’une équipe formée d’autres couvreurs qui travaillaient pour l’entreprise depuis de nombreuses années. Il les a décrits comme des hommes « macho » qui avaient beaucoup d’expérience et faisaient les choses à leur façon. Il sentait qu’il ne pouvait pas leur montrer sa peur ou leur demander de l’aide pour accrocher son harnais à des points d’ancrage.

[20] L’appelant affirme qu’il y avait un superviseur qui circulait en voiture pour visiter les chantiers. Il a déclaré que celui-ci pouvait voir que l’équipe n’utilisait pas d’équipement de sécurité et n’a pas remédié à ce problème.

[21] L’appelant a déclaré qu’après quelques semaines de travail, il a téléphoné à un gestionnaire qui travaillait au bureau pour lui dire qu’il démissionnait parce qu’il ne pouvait pas compter sur ce travail pour un horaire normal. Il affirme qu’il ne lui a pas mentionné ses préoccupations en matière de santé et de sécurité. Il n’a pas non plus parlé de ses préoccupations au superviseur qui visitait les chantiers.

[22] Au départ, l’appelant a déclaré à la Commission qu’il avait quitté son emploi parce qu’il n’accumulait pas assez d’heures de travailNote de bas de page 9. Il affirme que même s’il a été embauché comme couvreur à temps plein, le travail dépendait des conditions météorologiques. L’appelant explique qu’il n’avait pas accumulé beaucoup d’heures étant donné qu’il a beaucoup plu pendant ses premières semaines de travail. Pendant son premier appel avec la Commission, il n’a pas mentionné qu’il croyait que les conditions de travail étaient dangereuses.

[23] À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il ne comprenait pas le processus de demande d’assurance-emploi puisqu’il s’agissait de sa première demande. Il pensait devoir dire à la Commission ce qu’il avait dit à son employeur. L’appelant affirme que lors du premier appel, il avait l’impression de subir un interrogatoire et était intimidé. Il affirme qu’avec le recul, il aurait dû fournir tous les renseignements concernant ses préoccupations en matière de sécurité durant cet appel.

[24] L’appelant a fourni deux raisons différentes pour avoir quitté son emploi. Dans ses déclarations initiales à la Commission, il a seulement mentionné le nombre insuffisant d’heures comme raison de son départ. Lorsque la Commission l’a appelé une deuxième fois pour sa demande de révision, il a dit que la véritable raison pour laquelle il avait quitté son emploi était qu’il n’était pas sécuritaire.

[25] Lorsque la preuve est contradictoire, je dois décider quel élément de preuve je privilégie. Ce faisant, je dois expliquer pourquoi je le privilégieNote de bas de page 10.

[26] La Commission fait valoir que je dois accorder plus d’importance aux déclarations initiales et spontanées qu’à celles qui font suite à une décision défavorableNote de bas de page 11. Je ne suis pas d’accord parce que je n’ai aucune raison de ne pas croire le témoignage de l’appelant. Je reconnais qu’il ne connaissait pas les processus de l’assurance-emploi et que le premier appel lui a causé du stress. J’estime qu’il est raisonnable de ne pas avoir fourni tous les renseignements sur son départ dans ces circonstances.

[27] J’ai trouvé que le témoignage livré par l’appelant à l’audience était crédible. Il était détaillé, exempt de contradictions et donnait une vue d’ensemble de ses conditions de travail. Je suis convaincue que les mesures de sécurité adéquates n’étaient pas mises en place sur son chantier. Je reconnais que le manque d’heures était une raison secondaire, quoiqu’il soit aussi une circonstance qui a mené à son départ.

[28] En disant que ses conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité, l’appelant fait référence à une des circonstances énoncées dans la loi selon laquelle il était fondé à quitter son emploi si le départ était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 12. 

[29] Par conséquent, j’estime que les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi étaient les suivantes : ses conditions de travail représentaient un danger pour sa santé et sa sécurité, et il n’accumulait pas assez d’heures de travail.

[30] Maintenant, je dois vérifier si le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable dans son cas. 

L’appelant avait des solutions raisonnables

[31] La Commission affirme que le départ de l’appelant n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Voici ce qu’elle dit :

  • S’il a quitté son emploi en raison du manque d’heures, il aurait pu le conserver jusqu’à ce qu’il en trouve un autre.
  • Si le lieu de travail n’était pas sécuritaire, il aurait pu déposer une plainte auprès du ministère du Travail.
  • Si l’équipement de sécurité n’était pas utilisé au travail, il aurait pu en parler à son employeur.

[32] L’appelant affirme que conserver son emploi jusqu’à ce qu’il en trouve un autre n’était pas une solution raisonnable parce que le travail n’était pas sécuritaire. Il croyait que sa santé et sa sécurité étaient mises à risque parce qu’il aurait pu trébucher et tomber de l’échelle ou du toit à tout moment.

[33] L’appelant a déclaré qu’il ignorait qu’il aurait pu déposer une plainte auprès du ministère du Travail. Même s’il avait été au courant et qu’il avait déposé une plainte, il doute que celle-ci ait eu une quelconque influence parce qu’il aurait été le seul à se plaindre. Il est convaincu qu’il aurait été congédié s’il s’était plaint à l’extérieur de l’entreprise.

[34] L’appelant affirme qu’il n’avait pas envisagé la possibilité de discuter avec l’employeur du fait de ne pas utiliser l’équipement de sécurité sur le chantier. Il a déclaré que c’est aux membres de l’équipe de décider comment ils veulent travailler. Il dit que le superviseur savait qu’ils n’utilisaient pas d’équipement de sécurité et ne leur a pas demandé de le faire. Il ne croyait pas qu’à lui seul, il aurait pu changer les conditions de travail.

[35] Je reconnais que l’idée de rester en poste jusqu’à ce qu’il trouve un nouvel emploi n’était pas une solution raisonnable pour l’appelant. Elle en serait une si le manque d’heures était la seule raison de son départ. Cependant, je suis convaincue que le témoignage de l’appelant au sujet des conditions de travail dangereuses pour sa santé est véridique. Son départ répond à l’une des circonstances énoncées dans la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13. Je conclus qu’au moment de sa démission, il croyait que les conditions sur le chantier étaient si dangereuses et intolérables qu’il devait partir.

[36] Je suis également convaincue que déposer une plainte auprès du ministère du Travail n’était pas une solution raisonnable pour l’appelant. Il a déclaré qu’il ne savait pas qu’il pouvait le faire. Il ajoute qu’il n’est pas convaincu que sa plainte aurait eu un impact puisqu’il aurait été le seul à en déposer une. Selon moi, il est logique que l’appelant présume qu’il aurait été le seul parce que le reste de son équipe avait choisi de travailler sans équipement de sécurité. Mener une enquête aurait pris du temps et l’appelant aurait continué à travailler alors qu’il craignait pour sa sécurité. Pour ces motifs, je juge que ce n’était pas une solution raisonnable autre que le départ.

[37] L’appelant ne pensait pas que parler à son employeur aurait changé quoi que ce soit. Mais s’il croyait qu’il y avait des problèmes de sécurité, c’était sa responsabilité de tenter de régler la situation avec son employeur avant de quitter son emploiNote de bas de page 14.

[38] Je reconnais que l’appelant pensait que parler à son employeur ne changerait pas ses conditions de travail. Cependant, je suis d’avis qu’il n’a pas donné à son employeur l’occasion de répondre à ses préoccupations avant de démissionner. La loi est claire : les prestataires (appelants) devraient discuter des conditions de travail avec leur employeur afin d’établir s’il peut les modifier en réponse à leurs préoccupationsNote de bas de page 15.

[39] J’estime que parler à son employeur pour régler des problèmes était une solution raisonnable autre que le départ. J’estime qu’il aurait dû informer son employeur qu’il se sentait en danger sur le chantier pour voir si les problèmes de sécurité pourraient être résolus.

[40] Compte tenu des circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi, le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas, pour les raisons mentionnées ci-dessus. Ainsi, l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[41] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[42] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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