Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1886

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (592428) datée du
18 juillet 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 26 septembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 6 octobre 2023
Numéro de dossier : GE-23-1997

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi parce qu’il n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a demandé des prestations régulières d’assurance‑emploi après avoir quitté son poste de vice-président des ventes chez X (l’employeur) le 6 février 2023. L’intimée (la Commission) a fait enquête au sujet de la raison pour laquelle il a cessé de travailler et a décidé qu’il avait quitté son emploi sans justification. Une exclusion du bénéfice des prestations applicable à sa demande a été imposée au motif qu’il avait quitté son emploi volontairement sans justification. Il ne pouvait donc pas toucher de prestations d’assurance‑emploi.

[4] L’appelant a demandé à la Commission de réviser sa décision. D’après ce qu’il a dit, il n’avait d’autre choix que de quitter son emploi parce que le chef de la direction de l’employeur voulait qu’il fasse du profilage racial lorsqu’il embauchait des employés éventuels, ce qui allait à l’encontre de ses croyances morales. Il a également déclaré que la tâche de mener des entrevues et d’embaucher lui avait été retirée parce qu’il n’était pas d’accord avec le chef de la direction pour dire que l’origine raciale avait un rapport quelconque avec la réussite dans le domaine des ventes. Il croyait s’exposer à d’autres conséquences en allant à l’encontre des directives du chef de la direction. Il a cherché un autre emploi avant de démissionner, mais il a finalement décidé qu’il ne pouvait pas continuer à travailler dans un environnement « très discriminatoire »Note de bas de page 1.

[5] La Commission a maintenu l’exclusion, et l’appelant a fait appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

[6] Je dois décider si l’appelant a démontré qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où il l’a fait.  

[7] L’appelant affirme qu’il a démissionné parce qu’il ne pouvait pas continuer à travailler dans la « culture du racisme » instaurée par le chef de la direction.

[8] Selon la Commission, l’appelant disposait de plusieurs solutions raisonnables autres que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait, y compris continuer de travailler jusqu’à ce qu’il trouve un emploi ailleurs.

[9] Je conclus que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner le 6 février 2023. Cela signifie qu’il n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi et qu’il ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi.

[10] Voici les motifs de ma décision.

Questions en litige

[11] L’appelant est‑il exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[12] Pour répondre à cette question, je dois d’abord traiter du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il quitté son emploi volontairement?

[13] Les parties conviennent que l’appelant a démissionné (autrement dit, il a quitté volontairement son emploi).

[14] L’appelant a dit à la Commission qu’il a démissionné. Il l’a également déclaré à l’audience. Rien ne prouve le contraire.

[15] L’appelant a amorcé la cessation de la relation d’emploi le 6 février 2023. Il a alors informé le chef de la direction qu’il quittait son emploi sur-le-champ, à un moment où l’employeur avait encore du travail à lui confier.

[16] Je conclus donc que l’appelant a quitté volontairement son emploi après son dernier jour de travail le 6 février 2023.

Question en litige no 2 : L’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[17] Les parties ne conviennent pas que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi au moment où il l’a fait.

[18] Selon la loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 2.

[19] Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver l’existence d’une justification.

[20] La loi explique ce que l’on entend par « justification ». Elle prévoit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[21] Il appartient à l’appelant de prouver qu’il était fondé à quitter son emploiNote de bas de page 3.

[22] Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas le 6 février 2023.

[23] Avant de décider s’il était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances au moment de son départNote de bas de page 4.

[24] L’appelant a déclaré qu’il était fondé à quitter son emploi parce qu’il ne pouvait pas continuer à travailler dans la « culture du racisme » instaurée par le chef de la direction. Il a également fait valoir qu’il a vécu 5 des circonstances qui peuvent être considérées comme une justification au sens de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 5.

[25] J’exposerai le témoignage de l’appelant. J’aborderai ensuite tour à tour chacune de ses observations.

Le témoignage de l’appelant

[26] L’appelant a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

  • C’est [traduction] « un professionnel » qui [traduction] « aime travailler ».
  • Il a pris la [traduction] « décision sans précédent » de démissionner sans avoir d’abord trouvé un autre emploi en raison du [traduction] « fardeau mental » qu’il devait supporter pour rester dans son rôle chez X, sachant qu’il devrait soit [traduction] « se conformer » à la [traduction] « culture raciste » établie par le chef de la direction, soit être traité comme [traduction] « ayant fait preuve d’insubordination » pour avoir refusé de s’y conformer.
  • Il cherchait un autre emploi avant de démissionner, mais il a finalement décidé de chercher du travail pendant qu’il était en chômage parce qu’il ne pouvait plus rester chez X.   
  • La société X était une entreprise technologique qui développait et vendait du matériel et des logiciels d’imagerie 3D.
  • Il a commencé à y travailler le 12 décembre 2022 à titre de vice-président des ventes.
  • Son travail consistait à [traduction] « planifier l’ensemble de la stratégie de vente » de l’entreprise.
  • Il s’agissait de [traduction] « mettre en place un plan de vente et une filière de vente des produits en développement » et de [traduction] « former l’équipe des ventes pour exécuter le plan de vente ».
  • Le 22 janvier 2023, le chef de la direction a envoyé un courriel [traduction] « me demandant d’avoir recours au profilage racial » dans l’embauche de personnel affecté aux ventes. Voici le courriel à la page GD3-30.
  • Dans ce courriel, le chef de la direction a remis en question sa décision d’accorder une deuxième entrevue à un candidat de la Pologne et a laissé entendre que les [traduction] « gars ordinaires » avaient plus de succès dans les ventes.
  • C’était la première fois qu’il prenait connaissance des points de vue [traduction] « racistes » du chef de la direction au sujet de l’embauche de vendeurs.
  • Le 23 janvier 2023, il a répondu à ce courriel en disant qu’il ne dresse pas le profil des candidats en fonction de leur [traduction] « bagage culturel ». Son courriel de réponse figure à la page GD3-29.
  • Il reconnaît maintenant que la semaine précédente, le chef de la direction a donné quelques [traduction] « indices subtils de profilage ».
  • Le chef de la direction avait [traduction] « laissé entendre qu’il (le chef de la direction) avait lui-même subi des préjugés en raison de ses origines ethniques (celles du chef de la direction) » — et que cela [traduction] « jouerait un rôle dans la façon dont nous formions l’équipe des ventes ».
  • Cependant, il (l’appelant) a rejeté ces [traduction] « indices » à l’époque et n’y a pas beaucoup pensé.
  • Après avoir envoyé son courriel de réponse, le chef de la direction l’a rencontré et a dit qu’il croyait que l’appelant [traduction] « essayait de l’énerver » en fixant une deuxième entrevue avec le candidat de la Pologne. Le chef de la direction le prenait comme une [traduction] « attaque personnelle ».
  • Il a dit au chef de la direction que sa réaction était [traduction] « décevante ».
  • Il a dit au chef de la direction qu’il [traduction] « n’attaquerait jamais personnellement un pair ou un chef de la direction ». Il a également dit au chef de la direction qu’il n’établirait pas le profil des membres éventuels de l’équipe de vente en fonction de leur origine raciale.
  • Du dimanche 29 janvier 2023 au vendredi 3 février 2023, il s’est rendu à Las Vegas pour le travail pour assister à une conférence.
  • À son retour au bureau le lundi 6 février 2023, il a appris que le chef de la direction avait interviewé des candidats pour l’équipe des ventes [traduction] « toute la semaine » que l’appelant avait passée à la conférence de Las Vegas.
  • Le chef de la direction avait organisé [traduction] « 3 ou 4 deuxièmes entrevues » le 6 février 2023 et l’avait invité (l’appelant) à y participer.
  • Il a assisté à ces deuxièmes entrevues, mais il était [traduction] « tout au plus un observateur ».
  • Seul le chef de la direction parlait.
  • Il (l’appelant) avait peu de choses à dire parce qu’il n’avait jamais parlé à aucun des candidats auparavant. Il avait reçu leurs candidatures à examiner, mais c’était sa première journée de retour au bureau après une semaine d’absence et il n’avait eu [traduction] « que peu de temps pour examiner leur bagage ».
  • [Traduction] « Lors de 90 % des réunions », il n’était qu’un observateur qui [traduction] « essayait de comprendre ce qui se produisait sur place ». Il a seulement [traduction] « pris la parole » pour parler du genre de culture et d’équipe qu’il voulait bâtir.
  • [Traduction] « Mon sang n’a fait qu’un tour », en quelque sorte, lorsque je me suis rendu compte que l’importante tâche d’embauche, une partie essentielle de [m]on travail, m’avait été enlevée [traduction] « simplement parce que je n’étais pas raciste ».
  • Tous les candidats qui ont passé une deuxième entrevue étaient des [traduction] « hommes blancs ».
  • L’organisation de ces deuxièmes entrevues par le chef de la direction le 6 février 2023 était pour l’appelant [traduction] « l’incident final ».
  • Il est rentré chez lui à la fin de la journée et, à 21 h ce soir-là, il a envoyé un courriel au chef de la direction pour lui faire part de sa démission [traduction] « avec effet immédiat ».
  • Il n’a aucunement justifié sa démission.
  • Il n’a pas reçu de réponse du chef de la direction.

[27] L’appelant a reconnu qu’il n’a travaillé chez cet employeur que pendant deux mois avant de démissionner.

[28] Je lui ai demandé de commenter les observations de la Commission selon lesquelles son départ était précipité et selon lesquelles une solution raisonnable aurait été de continuer à travailler tout en cherchant un autre emploi.

[29] Il a déclaré ceci :

  • Il a [traduction] « géré tout un éventail de caractères » tout au long de sa carrière. Il a reconnu que le chef de la direction était [traduction] « un individu très unique » et que son caractère était [traduction] « un peu étrange ».
  • Cependant, il n’a pas reconnu que le chef de la direction [traduction] « était raciste » lorsqu’il effectuait une entrevue pour le poste de vice-président des ventes parce qu’il (l’appelant) se concentrait sur le produit et les personnes avec lesquelles il travaillerait.
  • L’équipe de X [traduction] « comptait un groupe de certains des esprits les plus brillants et les plus intelligents » dont il avait fait partie. [Traduction] « C’était une équipe fantastique ». Il était emballé par l’occasion de faire partie de [traduction] « quelque chose de spécial ».
  • Il a [traduction] « démasqué le racisme » du chef de la direction pendant les deux mois où il était là.
  • Après avoir démissionné, il a vu que cette question était aussi mentionnée régulièrement dans les [traduction] « Avis de Glassdoor » qu’il a trouvés en ligneNote de bas de page 6.
  • Si le chef de la direction avait été [traduction] « un collègue ou un homologue, nul doute que nous aurions pu établir une relation de travail ».
  • Il était cependant le chef de la direction et il possédait le pouvoir décisionnel final.

[30] Dans ses observations finales, l’appelant a déclaré ce qui suit :

  • Le chef de la direction était une personne très exigeante.
  • Il envoyait des courriels pendant la nuit et les fins de semaine; ils étaient remplis de [traduction] « directives aléatoires » sur divers sujets.
  • Le chef de la direction avait comme [traduction] « habitude » de [traduction] « réfléchir à des moments aléatoires et il envoyait des courriels à des moments aléatoires » et [traduction] « à toute heure de la nuit ».
  • Le chef de la direction [traduction] « ne le ménageait pas », ce qui a eu des répercussions sur sa santé mentale.
  • Il était [traduction] « constamment nerveux et en colère ».
  • La charge mentale était telle qu’il n’était [traduction] « pas une personne heureuse » lorsqu’il se réveillait. Il vivait des niveaux élevés de stress.
  • Il [traduction] « accomplit du bon travail », mais le chef de la direction le traitait comme s’il [traduction] « faisait preuve d’insubordination » parce qu’il (l’appelant) [traduction] « n’était pas raciste » et refusait de faire du [traduction] « profilage racial ».
  • Il avait le choix : soit il allait se plier [traduction] « au racisme », soit il [traduction] « allait avoir des ennuis » et être traité comme s’il commettait de l’« insubordination ».
  • [Traduction] « Vous ne pouvez pas être vice-président des ventes et ne pas avoir votre mot à dire dans l’embauche de votre équipe. »
  • Il était inacceptable que le chef de la direction lui dise qu’il avait « tort » parce qu’il [traduction] « n’était pas raciste » et que le chef de la direction [traduction] « choisisse les membres de l’équipe des ventes » en fonction du [traduction] « profilage racial ».
  • Le chef de la direction [traduction] « relie la productivité à l’origine raciale » et voulait que l’équipe des ventes soit formée en fonction de ses croyances (celles du chef de la direction).
  • C’est pourquoi il a pris la [traduction] « décision sans précédent » de [traduction] « quitter une organisation avant de trouver un autre emploi ».
  • Il semble que la Commission tente de trouver une raison de ne pas lui verser de prestations d’assurance‑emploi. [Traduction] « Si le but est de ne pas me payer, d’accord. »
  • Cependant, ce qu’il a appris du mouvement Black Lives Matter, c’est qu’[traduction]« il ne suffit pas de ne pas être raciste ».
  • [Traduction] « Il faut le dire. Nous devons trouver les racines du racisme et devons y remédier. Et personne n’est autorisé à le tolérer. »
  • [Traduction] « Si on le constate, il faut y mettre fin. »
  • Il est donc [traduction] « décevant » que la Commission dise que comme la tâche de recruter des gens avait été retirée, il n’avait pas à participer à des pratiques auxquelles il s’est opposé et aurait pu rester en poste tout en cherchant un autre emploi.  
  • Les pratiques du chef de la direction [traduction] « étaient racistes ». Il ne devrait y avoir [traduction] « aucune tolérance » à cet égard. Elles devraient être [traduction] « inacceptables pour le gouvernement canadien ».

[31] En plus du témoignage de l’appelant, j’ai également tenu compte des déclarations qu’il a faites dans les documents d’appel supplémentaires qu’il a déposés avant l’audienceNote de bas de page 7.

[32] Je vais maintenant examiner chacune des 5 circonstances que l’appelant a énumérées comme étant des justifications de quitter son emploi au sens de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 8.

Analyse des 5 circonstances de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance‑emploi mentionnées par l’appelant :
  1. a) L’appelant était-il victime de harcèlement au point où il n’avait d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[33] Non, il ne l’était pas.

[34] En vertu de la loi, il existe une justification de quitter volontairement son emploi si l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris le harcèlementNote de bas de page 9.

[35] Le terme « harcèlement » n’est pas défini dans la Loi sur l’assurance‑emploi. Toutefois, d’après la jurisprudence, le harcèlement au travail est généralement perçu comme des actes ou des commentaires verbaux qui pourraient blesser mentalement, embarrasser ou isoler une personne sur le lieu de travail. Il s’agit souvent d’incidents répétés ou d’un modèle de comportement visant à intimider, offenser, diminuer ou humilier une personne ou un groupe de personnes en particulierNote de bas de page 10.

[36] La division d’appel du Tribunal a énoncé des « principes clés » pour décider si un prestataire de l’assurance‑emploi a été victime de harcèlement au travailNote de bas de page 11 :

  1. a) Les auteurs du harcèlement peuvent agir seuls ou en groupe et n’occupent pas nécessairement un poste de superviseur ou de gestionnaire.
  2. b) Le harcèlement peut prendre de nombreuses formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et une menace.
  3. c) Parfois, un seul incident suffit pour constituer du harcèlement.
  4. d) Se concentrer sur la question de savoir si l’auteur du harcèlement savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement aurait offensé, embarrassé ou humilié l’autre personne, ou lui aurait causé quelque autre blessure psychologique ou physique.

[37] Il ne s’agit pas de harcèlement lorsqu’un employeur ou un superviseur prend des mesures raisonnables pour gérer et diriger les travailleurs ou le lieu de travailNote de bas de page 12.

[38] L’appelant soutient qu’il a été victime de harcèlement lorsque le chef de la direction lui a demandé de [traduction] « faire du profilage racial » à l’égard de nouveaux membres du personnel de vente éventuels et lorsque le processus d’embauche lui a été [traduction] « retiré ».

[39] Je conclus que l’appelant n’a pas satisfait au critère juridique relatif au harcèlement que j’ai énoncé précédemment.

[40] Il ne s’agissait pas d’incidents répétés ni d’un modèle de comportement visant à intimider, à offenser, à diminuer ou à humilier l’appelant.

[41] De plus, bien qu’un seul incident puisse constituer du harcèlement, l’incident final décrit par l’appelant n’a pas donné lieu à des circonstances telles qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.  

[42] J’admets que l’appelant s’est indigné de ce que le chef de la direction lui ordonnait, selon lui, de faire (à savoir se livrer au profilage racial des candidats à la vente). Toutefois, aucune preuve n’établit que le chef de la direction avait l’intention d’intimider, d’offenser, de diminuer ou d’humilier l’appelant lorsque le chef de la direction a envoyé le courriel du 22 janvier 2023.  

[43] Lorsque l’appelant a répondu à ce courriel le 23 janvier 2023, il a précisé au chef de la direction qu’il ne [traduction] « dresse pas le profil des candidats en fonction de leur bagage culturel »Note de bas de page 13. Puis, l’appelant a procédé à la deuxième entrevue du candidat de la Pologne. L’appelant a dit au chef de la direction qu’il était [traduction] « déçu » de la réaction du chef de la direction au cours de la conversation qu’ils ont eue plus tard dans la journée. Rien ne prouve que l’appelant se soit senti intimidé par le chef de la direction ou craintif de continuer à exercer son rôle après leurs échanges ce jour-là.

[44] L’appelant a effectué un voyage d’affaires déjà prévu moins d’une semaine plus tard. À son retour au bureau, l’appelant a appris que le chef de la direction avait interviewé des personnes ayant posé leur candidature en vente pendant son absence et qu’il en avait choisi [traduction] « trois ou quatre » pour la deuxième entrevue qui aurait lieu le jour du retour de l’appelant au bureau.

[45] Il n’y a aucune preuve que cela a été fait pour isoler l’appelant en milieu de travail. L’appelant a été invité à ces deuxièmes entrevues et a reçu des renseignements généraux sur les candidats qu’il rencontrerait.

[46] J’admets que l’appelant était en colère (il a témoigné que [traduction] « son sang n’a fait qu’un tour ») parce qu’il n’avait pu contribuer au choix des trois ou quatre candidats qui avaient obtenu une deuxième entrevue et parce qu’il n’avait pas assez de temps pour se préparer avant de rencontrer les candidats.

[47] Toutefois, aucune preuve n’établit que le chef de la direction isolait l’appelant, que ce soit en lui retirant le processus d’embauche ou autrement.

[48] Le chef de la direction aurait pu terminer le processus d’embauche et présenter à l’appelant le ou les nouveaux employés des ventes à son retour de la conférence d’une semaine à Las Vegas. Le chef de la direction a plutôt effectué des entrevues préliminaires et a sélectionné trois ou quatre candidats pour la prochaine étape du processus d’embauche (la deuxième entrevue) et a planifié leurs entrevues au retour de l’appelant au bureau.

[49] Il n’y a pas non plus de preuve que le chef de la direction ne s’intéressait pas aux réflexions et aux commentaires de l’appelant au sujet des candidats interviewés le 6 février 2023 ou que le chef de la direction n’était pas disposé à mener la deuxième entrevue d’autres candidats sélectionnés par l’appelant. L’appelant a démissionné avant d’obtenir les éléments de preuve nécessaires pour établir l’une ou l’autre de ces circonstancesNote de bas de page 14.

[50] Pour ces motifs, je conclus que la preuve n’appuie pas la conclusion selon laquelle le chef de la direction avait retiré le processus d’embauche à l’appelant.

[51] Elle ne permet pas non plus de conclure que l’appelant a été victime de harcèlement selon le critère juridique susmentionné.

[52] Pour l’appelant, il aurait été raisonnable de continuer d’occuper son emploi et de participer au processus d’embauche, en fournissant des commentaires sur les candidats qui avaient été interviewés et en présentant d’autres candidats de son propre chef. Une autre solution raisonnable aurait été que l’appelant continue de travailler pour l’employeur tout en cherchant un autre emploi.   

[53] Je conclus donc que l’appelant n’a pas prouvé qu’il a été victime de harcèlement au point où il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

  1. b) L’appelant était-il victime de discrimination au point où il n’avait d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[54] Non, il ne l’était pas.

[55] En vertu de la loi, il existe une justification de quitter volontairement son emploi si l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris la distinction pour un motif illicite en application de la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de bas de page 15.  

[56] Le critère juridique de la discrimination comporte deux volets.

[57] Premièrement, l’appelant doit démontrer les trois facteurs suivantsNote de bas de page 16 :

  • il présente une caractéristique protégée par les lois sur les droitgls de la personne contre la discrimination;
  • il a subi des conséquences fâcheuses ou une perte;
  • la caractéristique protégée était un facteur dans la manifestation des conséquences fâcheuses ou de la perte qu’il a subi, ou y était associée d’une manière quelconque.

[58] Si l’appelant démontre les trois, il a prouvé qu’il y a eu discrimination à première vue. C’est alors, et ce n’est qu’à ce moment, que l’employeur a l’occasion de démontrer pourquoi il ne s’agit pas de discrimination illégaleNote de bas de page 17.  

[59] L’appelant allègue que le chef de la direction avait des opinions racistes et voulait qu’il se livre à du profilage racial du nouveau personnel éventuel.

[60] Toutefois, il ne suffit pas d’affirmer que du personnel éventuel peut être victime de discrimination ou peut subir une perte en raison de son origine raciale. L’appelant doit expliquer comment il a été victime de discrimination au travail pour un motif de distinction illicite et comment il a subi des conséquences fâcheuses ou une perte.

[61] L’appelant ne dit pas comment il a été victime de discrimination ni pour quels motifs.

[62] Il n’identifie pas non plus une perte qu’il a subie en raison d’une prétendue discrimination à son endroit.

[63] Il a témoigné qu’il craignait qu’il puisse subir des conséquences à l’avenir pour avoir refusé de se livrer au profilage racial et pour avoir contesté la position du chef de la direction à ce sujet. Toutefois, rien ne prouve que dans les faits, l’appelant a subi une perte ou des conséquences fâcheuses au moment où il a démissionnéNote de bas de page 18.

[64] Je conclus donc que l’appelant n’a pas prouvé qu’il a été victime de discrimination au point où il n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

  1. c) L’appelant a-t-il vécu des conditions de travail qui constituaient un danger pour sa santé au point où il n’avait d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[65] Non, il n’en a pas vécu.

[66] Selon la loi, il existe un motif valable de quitter volontairement son emploi si l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris des conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécuritéNote de bas de page 19.

[67] Lorsqu’un prestataire de l’assurance‑emploi affirme qu’il a quitté son emploi parce que des conditions de travail dangereuses ou non sécuritaires lui ont occasionné des problèmes de santé, il doit : a) fournir une preuve médicaleNote de bas de page 20, b) tenter de résoudre le problème avec l’employeurNote de bas de page 21 et c) tenter de trouver un autre emploi avant de démissionnerNote de bas de page 22. Et avant de partir pour des raisons de santé, un prestataire de l’assurance‑emploi doit informer son employeur ou la Commission des problèmes de santé qui sont responsables de sa décision de partirNote de bas de page 23.

[68] Le type de preuve médicale requise pour démontrer l’existence d’une justification dépendra des faits et des circonstances de chaque affaire. Toutefois, de façon générale, un prestataire de l’assurance‑emploi doit démontrer un problème de santé particulier plutôt qu’un état général lié au stressNote de bas de page 24.

[69] L’appelant affirme que ses conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé parce que la charge mentale des exigences du chef de la direction à son endroit (le charger d’établir un profil racial de nouveaux membres du personnel éventuels et l’inonder de courriels le soir et la fin de semaine) lui causait des problèmes. Il se réveillait en étant [traduction] « pas une personne heureuse » et éprouvait des niveaux élevés de stress.

[70] Je conclus que l’appelant n’a pas satisfait au critère juridique relatif aux conditions de travail qui constituaient un danger pour sa santé.

[71] Rien ne prouve que l’appelant a consulté un médecin au sujet de son niveau de stress avant de démissionner. Il n’y a pas non plus de preuve qu’il a reçu un diagnostic de maladie liée au stress avant de quitter son emploi ou qu’un médecin lui a conseillé de quitter son emploi pour des raisons de santé.

[72] De même, aucune preuve n’établit que l’appelant a porté ses problèmes de santé à l’attention de l’employeur. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve selon lesquels l’appelant a eu des discussions avec le chef de la direction au sujet de son besoin d’établir certaines limites et attentes en ce qui concerne la réponse aux courriels professionnels pendant ses temps libres. Et malgré son témoignage passionné sur la nécessité de [traduction] « dénoncer » le racismeNote de bas de page 25, l’appelant a choisi de ne pas discuter avec le chef de la direction pour résoudre [traduction] « l’incident final » du 6 février 2023Note de bas de page 26.

[73] Enfin, il n’y a aucune preuve des démarches de recherche d’emploi de l’appelant avant sa démissionNote de bas de page 27. Il n’y a que son témoignage selon lequel il a cherché du travail, mais a décidé qu’il ne pouvait plus rester après l’incident final.

[74] J’admets que l’appelant a peut-être commencé à chercher un autre emploi à un moment donné au cours de ses deux mois de travail chez X, surtout compte tenu de son témoignage selon lequel le chef de la direction était une personne [traduction] « unique » et [traduction] « étrange » et un patron exigeant.

[75] Cependant, j’ai plus de mal à croire qu’entre le courriel du chef de la direction daté du 22 janvier 2023 (par lequel, selon l’appelant, il a pris connaissance pour la première fois des points de vue problématiques du chef de la direction sur l’embauche de personnel affecté aux ventes) et sa découverte des deuxièmes entrevues que le chef de la direction avait organisées le 6 février 2023 (l’incident final), l’appelant a décidé de démissionner pour des raisons de santé et a intensifié ses démarches de recherche d’emploi pour trouver immédiatement un emploi ailleurs. D’autant plus qu’il s’est rendu à Las Vegas pour le compte de l’employeur du 29 janvier au 3 février et que sa première journée de retour au bureau était le 6 février 2023. L’appelant n’aurait eu que 4 jours au bureau entre l’envoi de sa réponse par courriel le 23 janvier 2023 (pour indiquer qu’il ne fait pas de profilage racial des personnes éventuellement embauchées) et son retour au travail le 6 février 2023. Il n’a pas décrit d’autres incidents pendant cette période.   

[76] Pour ces motifs, je conclus que la preuve n’appuie pas la conclusion selon laquelle l’appelant a vécu des conditions de travail qui constituaient un danger pour sa santé selon le critère juridique susmentionné.

[77] Pour l’appelant, il aurait été raisonnable de consulter un médecin au sujet de son stress lié au travail pour voir s’il devait prendre un congé pour raisons médicales ou quitter son emploi en raison de ce stress. Une autre solution raisonnable aurait consisté pour l’appelant à parler au chef de la direction du stress qu’il éprouvait en raison des habitudes de communication du chef de la direction et du prétendu profilage racial des nouveaux candidats à la vente — et à voir si le chef de la direction a pris des mesures pour atténuer le stress de l’appelant sur l’une ou l’autre des questions. Et il aurait été raisonnable pour l’appelant de chercher et de trouver un autre emploi avant de démissionner. Le prestataire n’a rien fait de tout cela.

[78] Je conclus donc que l’appelant n’a pas prouvé qu’il avait vécu des conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, de sorte qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner lorsqu’il l’a fait.

  1. d) L’appelant a-t-il subi des changements importants dans ses fonctions de sorte qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[79] Non, il n’en a pas vécu.

[80] En vertu de la loi, il existe une justification de quitter volontairement son emploi si l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris une modification importante de ses fonctionsNote de bas de page 28.

[81] Lorsque l’appelant m’a demandé d’examiner cette disposition de la loi, il a mentionné que le chef de la direction lui avait retiré l’embauche de l’équipe, mais il a ensuite laissé entendre qu’il ne croyait pas vraiment que cela était [traduction] « important »Note de bas de page 29.

[82] Je vais quand même aborder ce motif.

[83] La Cour a déclaré que si les conditions d’emploi sont considérablement modifiées, un prestataire pourrait être fondé à quitter son posteNote de bas de page 30. Le tribunal a conclu à l’existence d’une justification si l’employeur a agi unilatéralement d’une manière qui modifie fondamentalement les conditions d’emploi telles qu’elles existaient avant la cessation d’emploiNote de bas de page 31.

[84] Je dois examiner les questions suivantesNote de bas de page 32 : la version des faits de l’appelant appuie-t-elle une conclusion selon laquelle il y a eu des changements importants dans sa rémunération au sens de la loi et, dans l’affirmative, n’y avait-il pas d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[85] À mon avis, les faits ne permettent pas de conclure que des changements importants ont été apportés aux fonctions de l’appelant.

[86] L’appelant a déclaré qu’il a appris pour la première fois que le chef de la direction était prétendument raciste dans le courriel du 22 janvier 2023 du chef de la direction, qu’il considérait comme une directive de ce dernier de faire du profilage racial à l’endroit des candidats vendeurs éventuels.  Le lendemain, il a envoyé un courriel de réponse dans lequel il mentionne qu’il [traduction] « n’établit pas le profil des candidats en fonction de leur bagage culturglael »Note de bas de page 33. L’appelant a eu un échange désagréable avec le chef de la direction après que l’appelant ait envoyé cette réponse et ait précisé qu’il avait l’intention de procéder à une deuxième entrevue du candidat. Le chef de la direction s’y serait opposé.

[87] Une semaine plus tard, l’appelant s’est rendu à Las Vegas pour le compte de l’employeur du 29 janvier au 3 février. Après son retour au bureau le 6 février 2023, l’appelant a appris que le chef de la direction avait organisé 3 ou 4 deuxièmes entrevues pour cette journée. L’appelant a rencontré les candidats et a constaté qu’ils correspondraient tous au profil racial souhaité par le chef de la direction.

[88] Il a compris que la tâche de l’embauche lui avait été retirée.

[89] J’admets que l’embauche d’associés aux ventes représentait une partie importante des fonctions de l’appelant à titre de vice-président des ventes. Cependant, je ne peux souscrire à la conclusion de l’appelant du 6 février 2023 selon laquelle le chef de la direction lui avait retiré ces fonctions.

[90] L’employeur était actuellement en période d’embaucheNote de bas de page 34. L’appelant était à l’extérieur du bureau, en voyage d’affaires, toute la semaine précédente. Le chef de la direction avait organisé 3 ou 4 deuxièmes entrevues en l’absence de l’appelant, mais elles devaient avoir lieu lorsque l’appelant serait de retour au travail pour qu’il puisse y participer. Lorsque l’appelant est arrivé au travail le 6 février, il a été invité à assister aux deuxièmes entrevues et a reçu les documents du candidat pour examen.

[91] Il n’y a aucune preuve que le chef de la direction avait l’intention de poursuivre ou de terminer le processus d’embauche sans l’appelant, sans tenir compte des commentaires de ce dernier ou sans lui permettre de recruter d’autres candidats pour une deuxième entrevueNote de bas de page 35.

[92] L’appelant était manifestement contrarié (il a déclaré que [traduction] « son sang n’a fait qu’un tour ») par le chef de la direction qui a mené les premières entrevues en son absence et par ce qu’il considérait comme le profilage racial des candidats. Cependant, je ne peux ignorer que l’appelant a démissionné avec effet immédiat et qu’il n’a pas pris la peine d’informer le chef de la direction de la raison de son départ subit ni ne l’a justifié. J’en déduis qu’il ne souhaitait pas conserver cet emploi.

[93] Pour ces motifs (et pour les motifs énoncés aux sous-titres a)Note de bas de page 36 et c)Note de bas de page 37qui précèdent), la preuve ne permet pas de conclure que l’appelant a subi des changements importants dans ses fonctions selon le critère juridique susmentionné.

[94] Pour l’appelant, il aurait été raisonnable de demander au chef de la direction de clarifier le processus d’embauche des candidats à la vente et de confirmer l’autorité et le rôle de l’appelant dans ce processus. Il incombait à l’appelant de discuter avec le chef de la direction plutôt que de présumer simplement que les actions du chef de la direction témoignaient d’un changement dans ses fonctions, surtout que cette fonction (embaucher des candidats aux ventes) occupait une partie importante de son rôle de vice-président des ventes. Il ne l’a pas fait.

[95] Je conclus donc que l’appelant n’a pas prouvé que ses fonctions ont fait l’objet de modifications importantes telles qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

  1. e) L’appelant était-il victime des pratiques de l’employeur contraires au droit telles qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[96] Non, il n’en a pas vécu.

[97] En vertu de la loi, il existe une justification de quitter volontairement son emploi si l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les pratiques de l’employeur contraires au droitNote de bas de page 38.

[98] Si un employeur exige qu’un prestataire accomplisse des actes illégaux ou contraires à l’éthique des affaires, le prestataire peut être fondé à quitter son posteNote de bas de page 39. Le terme « illégal » a un sens plus large que simplement « contraire au droit criminel » et peut comprendre des infractions aux normes et aux lois relatives à l’emploiNote de bas de page 40, aux conventions collectivesNote de bas de page 41 et aux certifications des commissions de délivrance de permisNote de bas de page 42.

[99] L’appelant affirme que le chef de la direction lui a demandé d’établir le profil racial de candidats éventuels en vente, ce qui va à l’encontre de la législation sur les droits de la personne, de la législation sur les normes d’emploi et de ses obligations éthiques à titre d’ingénieur.

[100] Une pratique de profilage racial de personnel éventuel peut être illégale et contraire à l’éthiqueNote de bas de page 43.

[101] L’appelant doit démontrer qu’il était tenu d’exercer une telle pratique comme condition de son emploi pour prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi conformément à l’article 29(c)(xi) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[102] Il ne l’a pas fait.

[103] Dans le courriel du 22 janvier 2023 (à la page GD3-30), le chef de la direction compare sa propre expérience de travail dans le domaine des ventes à celle des [traduction] « gars ordinaires ». Il demande à l’appelant si l’on peut s’attendre à ce que [traduction] « l’intégration » d’un candidat provenant directement de la Pologne donne les [traduction] « résultats souhaités » étant donné que les [traduction] « cultures des deux pays diffèrent beaucoup ».

[104] L’appelant a répondu par courriel le lendemain (à la page GD3-29) qu’il ne dresse pas le profil des candidats en fonction de leur [traduction] « bagage culturel »Note de bas de page 44, et qu’il étudie seulement [traduction] « leur expérience, leurs compétences, leur éthique de travail, la facilité de les former, leur salaire souhaité, leurs études et leur compatibilité avec notre équipe ».

[105] Le chef de la direction a répondu quelques minutes plus tard (courriel à la page GD3-28) qu’il s’agissait également des « variables » qu’il examinait. Le chef de la direction a également déclaré que X comptait [traduction] « un groupe de membres plus diversifié plus que la moyenne, ce qui fait ressortir notre orientation ».

[106] Le chef de la direction a ajouté qu’à son avis, des considérations culturelles et linguistiques entrent en ligne de compte [traduction] « lorsqu’il s’agit de ventes » et a terminé en disant à l’appelant [traduction] « n’hésitez pas à faire part de vos réflexions ».

[107] Comme l’appelant l’a déclaré, c’est exactement ce qu’il a fait au cours de sa conversation avec le chef de la direction plus tard ce jour-là. Il a ensuite procédé à la deuxième entrevue du candidat polonais.

[108] Les courriels du chef de la direction n’ordonnent pas explicitement à l’appelant de se livrer au profilage racial du nouveau personnel éventuel ou ne le menacent pas de conséquences pour son emploi s’il refuse de le faire.

[109] L’appelant soutient cependant que ces messages étaient implicites dans les courriels du chef de la direction du 22 et du 23 janvier 2022.

[110] Je juge que la preuve n’appuie pas cette prétention.

[111] Rien n’établit que l’appelant a considéré les courriels du chef de la direction comme un avertissement de ne pas procéder à la deuxième entrevue du candidat polonais ou de ne présenter que des candidats « ordinaires » à l’avenir. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve selon lesquels l’appelant a considéré les courriels du chef de la direction comme des menaces de congédiement, de rétrogradation ou d’autres conséquences négatives s’il procédait à la deuxième entrevue prévue du candidat polonais. L’appelant a déclaré qu’il avait établi clairement sa position contre le profilage racial dans la conversation qu’il a eue avec le chef de la direction le 23 janvier 2023 après leur échange de courriels plus tôt dans la journéeNote de bas de page 45. L’appelant a ensuite poursuivi son travail comme d’habitude, a mené la deuxième entrevue du candidat polonais et est parti pour assister à la conférence à Las Vegas une semaine plus tard, sans autre incident.

[112] L’appelant soutient également que les mesures prises par le chef de la direction pour sélectionner les trois ou quatre candidats à recevoir pour une deuxième entrevue pendant son absence à la conférence laissaient entendre que l’appelant devait se livrer à du profilage racial et qu’il subirait des conséquences s’il refusait de le faire.

[113] Cependant, la preuve n’appuie pas cette prétention non plus.

[114] À son retour au bureau le 6 février 2023, l’appelant a appris que le chef de la direction avait organisé 3 ou 4 deuxièmes entrevues pour cette journée. L’appelant a rencontré les candidats et a constaté qu’ils correspondaient tous au profil racial prétendument souhaité par le chef de la direction.

[115] Selon lui, cela prouve que le profilage racial était une condition de son emploi parce qu’il montre que le chef de la direction lui avait donné un choix : soit se conformer à la directive de profiler les candidats à la vente sur le plan racial, soit être traité comme un employé faisant preuve d’insubordination en se faisant retirer la tâche d’embauche.

[116] Pour les motifs énoncés dans mon analyse sous les sous-titres a)Note de bas de page 46, c)Note de bas de page 47 et d)Note de bas de page 48 qui précèdent, j’ai conclu que l’appelant n’a pas prouvé que le chef de la direction lui avait retiré la tâche d’embaucher des candidats éventuels en vente le 6 février 2023.

[117] Sans preuve que l’embauche lui avait été retirée, l’appelant n’établit aucunement qu’il avait subi (ou qu’il subirait) des conséquences liées à son emploi pour avoir refusé de dresser le profil racial des candidats éventuels à la vente (comme le retrait du rôle d’embauche clé de son poste de vice-président des ventes).

[118] Et si l’appelant ne prouve pas qu’il a fait face ou qu’il ferait face à des conséquences d’un refus de présenter des profils raciaux de personnel éventuel, il ne peut démontrer qu’il était tenu de faire du profilage racial comme condition de son emploi lorsqu’il a quitté son emploi le 6 février 2023.

[119] L’appelant a démissionné avant d’obtenir la preuve qui aurait pu établir cette circonstance.  

[120] Je conviens avec la Commission que l’appelant aurait pu, à titre de solution de rechange raisonnable à son départ, communiquer ses préoccupations au sujet du profilage racial éventuel en milieu de travail à une organisation externe comme le ministère du Travail provincial ou la Commission provinciale des droits de la personne. La raison d’être de ces organisations est non seulement d’enquêter sur les plaintes, mais aussi de fournir des conseils et des ressources pour résoudre les problèmes et les différends en milieu de travail.

[121] L’appelant aurait également pu, comme solution raisonnable, demander au chef de la direction de confirmer le rôle et l’autorité de l’appelant dans le processus d’embauche. Il incombait à l’appelant de discuter avec le chef de la direction plutôt que de présumer que les actions du chef de la direction (en choisissant trois ou quatre candidats pour une deuxième entrevue, qui correspondent tous au profil racial que le chef de la direction aurait préféré) supposaient que l’appelant devait choisir entre faire quelque chose qu’il estimait illégal et contraire à l’éthique ou faire face à des conséquences pour son emploi s’il refusait de le faire.

[122] L’appelant n’a envisagé aucune de ces solutions raisonnables.

[123] Je conclus donc que l’appelant n’a pas prouvé qu’il avait fait l’expérience de telles pratiques de l’employeur contraires au droit qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

Voilà qui met fin à mon analyse des 5 circonstances énumérées par l’appelant qui figurent à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[124] Je traiterai maintenant de la dernière circonstance que l’appelant m’a demandé d’examiner.

[125] L’appelant a déclaré qu’il avait démissionné parce qu’il ne pouvait pas continuer à travailler dans la [traduction] « culture du racisme » instaurée par le chef de la direction.

[126] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un motif énuméré dans la Loi sur l’assurance‑emploi, j’examinerai maintenant les observations de l’appelant selon lesquelles il était fondé à quitter son emploi en raison d’un milieu de travail hostile et toxique.

  1. f) Le milieu de travail était-il si hostile ou toxique que l’appelant n’avait d’autre solution raisonnable que de démissionner le 6 février 2023?

[127] Non, il ne l’était pas.

[128] Des conditions de travail insatisfaisantes ne constitueront une justification de quitter un emploi que si elles sont si « manifestement intolérables » que le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploiNote de bas de page 49.

[129] Je conclus qu’en ce qui concerne l’appelant, de telles circonstances n’existaient pas.

[130] L’appelant n’a pas prouvé que le chef de la direction a créé une [traduction] « culture du racisme »Note de bas de page 50 chez X ni que le milieu de travail était [traduction] « très discriminatoire »Note de bas de page 51.

[131] Dans ses documents d’appel, l’appelant a inclus deux publications en ligne non datées du chef de la direction (aux pages GD2-13 et GD2-20) et un courriel interne non daté du chef de la direction (à la page GD3-14) qui, selon lui, montrent que le chef de la direction a fait preuve de racisme en milieu de travailNote de bas de page 52. Il a également soumis trois [traduction] « avis tirés de Glassdoor »Note de bas de page 53 qui ont été affichés par d’autres employés en juillet 2023, soit après la démission de l’appelant. Ces avis désignent le chef de la direction comme étant [traduction] « raciste » (page GD6-2) [traduction] « incompétent » (page GD6-2) et comme [traduction] « une fraude » (page GD6-3), et l’appelant affirme qu’ils montrent que le chef de la direction ne changerait jamais.

[132] Certains de ces documents sont certes troublants; cependant, ils ne constituent pas des éléments de preuve requis pour établir une culture du racisme ou de discrimination généralisée en milieu de travail à compter du 6 février 2023, date à laquelle l’appelant a démissionné.

[133] Il n’y a pas non plus assez d’éléments de preuve pour établir que l’appelant a vécu des conditions de travail si hostiles ou toxiques qu’elles seraient considérées comme manifestement intolérables à compter du 6 février 2023. J’accorde plus de poids au témoignage de l’appelant lui-même au sujet des événements survenus entre le 22 janvier 2023 (lorsque le chef de la direction a envoyé le courriel sur l’embauche de [traduction] « gars ordinaires ») et l’incident final du 6 février 2023. Ces événements, décrits en détail par l’appelant à l’audience, n’atteignent pas le niveau de conditions de travail manifestement intolérablesNote de bas de page 54.  

[134] Il arrive dans de nombreuses affaires que les tribunaux imposent aux prestataires de l’assurance‑emploi de tenter de régler des problèmes liés au milieu de travail avec leur employeur ou de chercher un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de démissionnerNote de bas de page 55.

[135] Je ne peux faire fi de cette obligation.

[136] Je reconnais que l’appelant était insatisfait de sa situation chez X.

[137] Il n’y travaillait que depuis deux mois et le chef de la direction s’avérait très exigeant et l’inondait de courriels sur son temps personnel. Lorsque le chef de la direction a remis en question sa décision d’accorder une deuxième entrevue à un candidat vendeur de la Pologne parce que ce n’était pas un [traduction] « gars ordinaire », il a senti que le chef de la direction était raciste et l’incitait l’être lui aussi. Il a précisé au chef de la direction (dans un courriel et au cours d’une conversation avec le chef de la direction) qu’il n’avait pas établi le profil des candidats en fonction de leur bagage culturel et a procédé à la deuxième entrevue. Toutefois, lorsque le chef de la direction a organisé trois ou quatre autres deuxièmes entrevues pendant que l’appelant était parti à une conférence pour les candidats qui correspondent au profil racial que le chef de la direction aurait préféré, l’appelant a présumé que le chef de la direction lui avait retiré le processus d’embauche parce qu’il refusait de dresser le profil racial des candidats à la vente. Il n’était pas prêt à se conformer à cette façon de faire. Il a participé aux entrevues des candidats du chef de la direction le 6 février 2023 et a démissionné ce soir‑là.

[138] Cependant, l’appelant n’a pas fourni de preuve qu’il prenait des mesures pour remédier à ses conditions de travail insatisfaisantes avant de quitter son emploi.

  • Si pour l’appelant il était inacceptable de recevoir des courriels à la maison en dehors des heures de travail, il lui incombait d’en informer le chef de la direction et de préciser quelles étaient les attentes et les limites.
  • S’il croyait que le chef de la direction était raciste dans ses pratiques d’embauche et qu’il lui ordonnait de l’être aussi, il incombait à l’appelant d’avoir une discussion franche et complète avec le chef de la direction au sujet de la conduite appropriée en milieu de travail et de ce qu’il (l’appelant) était prêt à faire. C’est particulièrement le cas étant donné le témoignage de l’appelant selon lequel si le chef de la direction avait été un collègue ou un homologue et avait exprimé ces opinions racistes [traduction] « absolument, nous pourrions établir une relation de travail »Note de bas de page 56. L’appelant a démontré de solides compétences en communication dans son témoignage et ses observations. Je n’ai aucun doute qu’il aurait pu avoir un dialogue productif avec le chef de la direction sur cette question s’il avait choisi de le faire.

[139] L’appelant s’est plutôt mis volontairement en situation de chômage sans d’abord prendre des mesures pour conserver cet emploi.

[140] Une solution de rechange raisonnable aurait consisté à donner au chef de la direction la possibilité de régler les problèmes en milieu de travail, que ce soit en prenant les mesures que j’ai énoncées au paragraphe 136 qui précède ou aux sous-titres a) à e) qui précèdent de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance‑emploi. La démission de l’appelant par courriel le soir de son premier jour de retour au bureau (6 février 2023) avec effet immédiat et sans donner au chef de la direction quelque raison que ce soit de son départ immédiat témoigne du manque d’intérêt de l’appelant à conserver cet emploi.

[141] Une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler chez X jusqu’à ce qu’il ait obtenu un autre emploi. Je ne dis pas que l’appelant aurait dû se livrer au profilage racial que le chef de la direction lui demandait, selon lui. Je dis plutôt qu’il aurait été raisonnable que l’appelant continue à occuper son emploi et à participer au processus d’embauche, à fournir des commentaires sur les candidats qui avaient été interviewés et à proposer d’autres candidats de son propre chef — et d’exercer ses autres fonctions de vice-président des ventes — jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi. C’est particulièrement le cas étant donné qu’il avait déjà précisé au chef de la direction (dans un courriel et lors d’une conversation le 23 janvier 2023) qu’il ne ferait pas le profil du personnel éventuel.

[142] La décision de quitter un emploi pour des raisons personnelles, comme un patron difficile et exigeant, le sentiment que votre autorité est sapée et le sentiment de la personne d’être traitée comme si elle commettait de l’insubordination sans raison légitime (comme l’a décrit l’appelant), pourrait bien être un motif valable de quitter un emploi.

[143] Toutefois, les tribunaux ont affirmé qu’un motif valable de quitter un emploi n’est pas la même chose que l’exigence législative de « justification »Note de bas de page 57; et qu’il est possible qu’un prestataire ait un motif valable de quitter son emploi, mais pas de « justification » au sens de la loiNote de bas de page 58.

[144] J’estime que la preuve indique très fortement que l’appelant a quitté son emploi chez X pour des raisons personnelles.

[145] Je reconnais que, le 6 février 2023, l’appelant avait un désir urgent de se retirer d’une situation fâchante et stressante avec le chef de la direction. Cependant, il ne peut s’attendre à ce que les cotisants à la caisse d’assurance‑emploi assument les coûts de sa décision unilatérale de quitter son emploi à cette fin. Les tribunaux ont statué que le fait de quitter son emploi pour améliorer sa situation — qu’il s’agisse de la nature du travail ou du lieu de travail, de la rémunération ou d’autres facteurs liés au mode de vie — ne constitue pas une justification au sens de la loiNote de bas de page 59.

[146] L’appelant disposait des solutions de rechange raisonnables que j’ai énoncées précédemment. Il n’a pas cherché à donner suite à ces solutions raisonnables.

[147] Je conclus donc que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il vivait des conditions de travail si manifestement intolérables que sa démission le 6 février 2023 constituait la seule solution raisonnable.

[148] Cela signifie qu’il n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi parce que son milieu de travail était devenu intolérable.  

Conclusion

[149] L’appelant disposait d’autres solutions raisonnables que de démissionner lorsqu’il l’a fait. Il ne s’est pas prévalu de ces solutions raisonnables et n’a donc pas prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi chez X le 6 février 2023.

[150] Cela signifie qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[151] L’appel est rejeté.

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