Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KE c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 53

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. E.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Nikkia Janssen

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 20 juillet 2023
(GE-23-824)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 17 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-809

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Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

[2] L’appelante, K. E. (prestataire) n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour la période du 23 juin 2022 au 15 août 2022. La prestataire demeure inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi après le 15 août 2022.

Aperçu

[3] La prestataire fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que la partie intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada, a prouvé que la prestataire avait été suspendue de son emploi le 23 juin 2022 en raison de son inconduite. Autrement dit, elle avait fait quelque chose ou avait omis de faire quelque chose qui lui avait fait perdre son emploi. La division générale a conclu qu’elle n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur.

[4] La division générale a également conclu qu’en raison de son inconduite la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

[5] La prestataire nie avoir commis une quelconque inconduite. Elle soutient que la division générale a commis des erreurs de procédure, de droit et de fait. Elle affirme, par exemple, que la division générale a mal interprété la politique de vaccination de son employeur. Elle soutient également qu’elle a commis des erreurs importantes concernant la preuve. Elle affirme que la preuve démontre que la politique de vaccination de son employeur ne s’appliquait pas à elle, mais que si c’était le cas, elle s’était conformée à la politique.

[6] La prestataire demande à la division d’appel de rendre la décision que, selon elle, la division générale aurait dû rendre. Elle demande à la division d’appel de conclure que (1) la politique de vaccination de son employeur ne s’appliquait pas à elle parce qu’elle était en congé pour raisons médicales et (2) si elle s’appliquait, elle avait respecté la politique de toute façon.

[7] La prestataire demande également à la division d’appel de conclure qu’elle est admissible à des prestations d’assurance-emploi à compter du 23 juin 2022, date à laquelle son employeur l’a mise en congé sans solde.

[8] La Commission reconnaît que la division générale a commis des erreurs de droit et de fait. Toutefois, la Commission soutient que les erreurs de la division générale ne modifient pas le résultat, car elle affirme que la prestataire a quand même commis une inconduite. Elle demande à la division d’appel de rejeter l’appel. La Commission demande à la division d’appel de conclure que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 15 août 2022 parce qu’elle a été suspendue en raison de son inconduite.

Questions en litige

[9] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle respecté un processus équitable?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une suspension?
  3. c) La division générale a‑t‑elle mal interprété ce que signifie l’inconduite?
  4. d) La division générale a-t-elle omis de suivre les autres décisions de la division générale?
  5. e) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des erreurs de fait?
  6. f) Si la réponse à l’une ou l’autre des questions ci-dessus est « oui », comment cela change-t-il le résultat?

Analyse

[10] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si la division générale a commis des erreurs de compétence, de procédure ou de droit, ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 2.

[11] En ce qui concerne ces types d’erreurs de fait, la division générale devait avoir fondé sa décision sur cette erreur, et devait avoir commis l’erreur de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 3.

Le processus de la division générale était équitable

[12] Le processus de la division générale était équitable. La prestataire soutient que le processus de la division générale était injuste, car (1) elle n’a pas obtenu une audience équitable, (2) le membre a négligé certains des faits et (3) le membre n’a pas suivi deux autres affaires de la division générale.

[13] Par ailleurs, la prestataire ne relève rien d’autre qui est injuste au sujet du processus proprement dit, notamment en ce qui concerne la possibilité qu’elle n’ait pas bénéficié de la divulgation complète des documents ou qu’elle n’ait pas obtenu un préavis adéquat de l’audience. Elle ne dit pas non plus qu’elle ne connaissait pas les arguments qu’elle devait réfuter.

[14] La prestataire affirme qu’elle n’a pas eu une audience équitable parce qu’elle n’a pas eu la chance de présenter pleinement ses arguments. Elle affirme aussi que son handicap (anxiété) l’a empêchée de pouvoir tout commenter. Elle affirme qu’elle s’est sentie pressée et qu’elle était extrêmement bouleversée, ce qui a nui à sa capacité de présenter pleinement ses arguments.

[15] Le Tribunal de la sécurité sociale a fixé l’audience à la mi-avril 2023, ce qui donnait à la prestataire environ trois mois pour se préparer. Le Tribunal avait prévu une audience de 90 minutes. L’audience a duré environ 57 minutes. Pendant cette période, le membre a permis à la prestataire de présenter ses arguments et l’a également invitée à faire des observations finales. Je n’ai relevé aucune situation où le membre a pressé la prestataire ou a refusé de la laisser répondre à quelque question que ce soit. La prestataire ne s’est pas opposée à ce moment-là du fait qu’elle n’avait pas suffisamment de temps ni n’a signalé au membre qu’elle n’était pas en mesure de présenter ses arguments ou qu’elle avait de la difficulté à le faire.

[16] À part l’audience, la prestataire a également eu l’occasion de déposer des documents et des observations. Elle s’est prévalue de cette possibilité en déposant des documents à trois dates différentes au moins.

[17] Je ne vois aucune indication à quelque moment que ce soit au cours du processus où la division générale n’aurait pas donné à la prestataire une occasion pleine et équitable de présenter ses arguments.

[18] La prestataire affirme que la division générale a agi injustement en négligeant certains éléments de preuve et en ne suivant pas d’autres affaires. Ces questions ne sont pas vraiment de nature procédurale. J’aborderai ces arguments sous les rubriques des erreurs de droit et de fait.

La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une suspension

[19] La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[20] Une suspension pour inconduite entraîne une inadmissibilité plutôt qu’une exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 4. Le résultat peut sembler le même pour la prestataire, car elle ne reçoit aucune prestation sous le régime de l’un ou de l’autre. Mais il existe une distinction entre les deux. Une exclusion peut entraîner des conséquences plus graves. Par conséquent, la division générale a commis une erreur en concluant qu’elle était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. L’exclusion aurait dû être remplacée par une inadmissibilité.

[21] La prestataire conteste le fait qu’elle a commis une inconduite, peu importe si elle entraîne une inadmissibilité ou une exclusion. Par conséquent, il est nécessaire de tenir compte de la prépondérance des arguments de la prestataire sur la question de savoir si la division générale a commis des erreurs lorsqu’elle a décidé qu’elle avait commis une inconduite.

La division générale n’a pas mal interprété ce qu’est une inconduite

[22] La prestataire ne peut soutenir que la division générale a mal interprété ce que signifie une inconduite aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi.

L’inconduite ne nécessite pas d’acte répréhensible

[23] La prestataire affirme que la division générale a mal interprété ce que signifie une inconduite en omettant d’exiger qu’il y ait un acte répréhensible. Elle fait valoir que l’inconduite implique une conduite ou un comportement inapproprié.

[24] La prestataire nie avoir commis une inconduite parce qu’elle n’a rien fait de mal ou d’inapproprié. Elle a simplement exercé son droit de choisir de ne pas se faire vacciner. Elle affirme que le refus de se faire vacciner ne constitue pas un acte répréhensible grave ou un acte inapproprié.

[25] La prestataire observe également que son employeur ne laisse jamais entendre qu’elle a commis une inconduite. Son évaluation de rendementNote de bas de page 5 ne mentionnait aucune inconduite et son relevé d’emploi indiquait un « congé » pour expliquer sa cessation d’emploi, plutôt qu’un congédiement ou une suspensionNote de bas de page 6.

[26] Les tribunaux ont défini ce que signifie une inconduite aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi. Les tribunaux n’ont pas exigé la présence d’un acte répréhensible. Dans la décision TuckerNote de bas de page 7, la Cour d’appel fédérale a examiné l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déterminé que l’inconduite comporte un élément de caractère délibéré.

[27] La division générale a défini l’inconduite de la façon suivante :

Selon la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle [renvoi omis]. L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré [renvoi omis]. L’appelant n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi [renvoi omis].

Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié ou suspenduNote de bas de page 8 [renvoi omis].

[28] La division générale a adopté la définition d’inconduite tirée de plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale. L’interprétation de l’inconduite par la division générale au sens de la Loi sur l’assurance-emploi est conforme non seulement à ces décisions, mais aussi à la décision Tucker.

[29] La division générale n’a pas mal interprété ce qu’est une inconduite. Elle a reconnu que la conduite d’un employé doit être délibérée. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un acte répréhensible.

Une inconduite peut survenir même si un employeur instaure une nouvelle politique qui ne fait pas partie de la convention collective ou du contrat de travail original de l’employé

[30] La prestataire soutient également que, pour qu’il y ait inconduite, il doit y avoir violation de la convention collective ou du contrat de travail de la personne. Dans son cas, elle souligne que sa convention collective n’exigeait pas la vaccination. Donc, elle nie qu’il y a eu inconduite. Elle affirme que la division générale n’a pas tenu compte de sa convention collective.

[31] Toutefois, il est maintenant bien établi que les politiques et les exigences d’un employeur n’ont pas à faire partie du contrat de travail ou de la convention collective pour qu’il y ait inconduite.

[32] Au cours de la dernière année, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont rendu plusieurs décisions concernant des employés qui n’ont pas respecté la politique de vaccination de leur employeur respectif. Dans chaque cas, ni la convention collective ni le contrat de travail initial n’exigeait la vaccination contre la COVID-19. Pourtant, les tribunaux étaient disposés à accepter qu’il y avait inconduite lorsque les employés ne respectaient pas les politiques de vaccination de leur employeur.

[33] Par exemple, dans l’affaire MattiNote de bas de page 9, la Cour fédérale a décidé qu’il n’était pas nécessaire que la politique de vaccination de l’employeur figure dans l’entente initiale, car « l’inconduite peut être évaluée par rapport à des politiques qui voient le jour après le début de la relation de travail ».

[34] Dans l’affaire KukNote de bas de page 10, M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La politique ne faisait pas partie de son contrat de travail. La Cour fédérale a statué que, malgré tout, il y avait inconduite parce que M. Kuk a volontairement omis de respecter la politique de vaccination de son employeur et qu’il savait quelles seraient les conséquences s’il ne s’y conformait pas.

[35] Dans les affaires CecchettoNote de bas de page 11 et MilovacNote de bas de page 12, la vaccination ne faisait pas partie de la convention collective ou du contrat de travail. La Cour fédérale a conclu qu’il y avait inconduite lorsque les appelants ne se conformaient pas aux politiques de vaccination de leur employeur.

[36] Il y a également de nombreux cas en dehors du contexte des politiques de vaccination qui montrent que les politiques d’un employeur n’ont pas à faire partie du contrat de travail ou de la convention collective d’un employé pour qu’il y ait inconduiteNote de bas de page 13.

La légalité ou le caractère raisonnable d’une politique n’est pas pertinent à la question de l’inconduite

[37] La prestataire nie avoir commis une inconduite parce que la politique de son employeur était illégale et déraisonnable. Elle affirme qu’elle ne faisait qu’exercer ses droits en ne se faisant pas vacciner.

[38] Toutefois, les arguments concernant la légalité et le caractère raisonnable de la politique de vaccination d’un employeur ne sont pas pertinents à la question de l’inconduite. La Cour fédérale a statué que la division générale et la division d’appel n’ont pas le pouvoir d’examiner ces types d’arguments. Dans la décision Cecchetto, la Cour s’est exprimée ainsi :

Comme je l’ai mentionné précédemment, il est probable que le demandeur [Cecchetto] sera frustré par ce résultat, parce que mes motifs ne portent pas sur les questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. Il en est ainsi parce que bon nombre de ces questions débordent tout simplement le cadre de la présente affaire. Il n’est pas déraisonnable pour un décideur de ne pas tenir compte d’arguments de droit qui ne s’inscrivent pas dans la mission qui lui a été conférée par la loi.

La division générale [du Tribunal de la sécurité sociale] et la division d’appel ont un rôle important à jouer au sein du système judiciaire, mais ce rôle est limité et précis. En l’espèce, ce rôle consistait à établir les raisons pour lesquelles le demandeur [Cecchetto] avait été congédié et à déterminer si ces raisons constituaient une « inconduite ». […]

Malgré les arguments du [prestataire], il n’y a pas de fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 14 [renvoi omis].

(Mis en évidence par la soussignée.)

La Cour fédérale a jugé que la division générale et la division d’appel « ne sont pas les instances appropriées pour déterminer si la politique [de l’employeur] ou le licenciement [de l’employé] étaient raisonnablesNote de bas de page 15 ».

L’absence de mesures d’adaptation d’un employeur n’est pas pertinente à la question sur l’inconduite

[39] La prestataire soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que son employeur aurait pu lui accorder des mesures d’adaptation, plutôt que de la mettre en congé sans solde parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner. Elle aurait pu continuer à travailler de la maison.

[40] Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour déterminer s’il y a inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. En d’autres termes, pour décider s’il y a eu inconduite, la division générale n’avait pas à se demander si l’employeur de la prestataire aurait pu accorder à celle-ci une mesure d’adaptation.

Il y a inconduite lorsque la conduite d’un employé l’empêche de remplir ses obligations

[41] La prestataire affirme que, pour qu’il y ait inconduite, la conduite d’un employé doit l’empêcher de remplir ses obligations. Toutefois, il s’agissait de la même définition que la division générale a citée au paragraphe 13, où elle a écrit « [i]l y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée (ou suspendue) pour cette raisonNote de bas de page 16 ».

[42] La prestataire dit également que la division générale n’a pas appliqué cette partie de la définition d’inconduite. Mais la division générale a examiné ce qui était exigé de la prestataire et la question de savoir si elle avait consciemment et délibérément choisi de satisfaire à ces exigences.

[43] La division générale a souligné à juste titre que l’inconduite implique un empêchement à remplir les obligations d’une personne. Elle a aussi appliqué correctement le droit aux faits.

La division générale n’a pas omis de suivre deux de ses décisions

[44] La prestataire affirme que la division générale n’a pas suivi les décisions ALNote de bas de page 17 et HPNote de bas de page 18, deux décisions rendues par la division générale.

[45] Contrairement aux décisions judiciaires, les décisions de la division générale n’ont aucune valeur de précédent. La division générale n’est pas tenue de suivre les décisions de la division générale, de sorte qu’elle n’a pas omis de suivre les deux décisions. Toutefois, les décisions de la division générale peuvent être d’une certaine utilité, surtout lorsque des faits similaires sont en cause.

[46] L’autre question à trancher est qu’il ne semble pas que la prestataire ait fourni une copie ou une citation de ces deux décisions à la division générale. Par conséquent, on ne peut s’attendre à ce qu’elle sache, ni lui reprocher de ne pas savoir, que la prestataire se fondait sur elles.

[47] Malgré cela, la prestataire affirme que les deux décisions sont semblables à son affaire. Elle affirme qu’elle aurait dû pouvoir s’attendre à une certaine cohérence dans l’issue de son affaire.

[48] La division générale a conclu qu’il n’y avait pas d’inconduite dans l’affaire AL parce que l’employeur avait instauré, de façon unilatérale, une politique de vaccination sans consulter les employés et obtenir leur consentement.

[49] Toutefois, la division d’appel a depuis infirmé la décision ALNote de bas de page 19, de sorte qu’il est peu probable que la division générale ait suivi ou appliqué la décision AL.

[50] Dans la décision AL, la division d’appel a conclu que la division générale avait dépassé sa compétence en examinant le contrat de travail d’A.L. La division d’appel a également conclu que la division générale avait commis des erreurs de droit. La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a affirmé que l’employeur ne pouvait pas imposer de nouvelles conditions à la convention collective. La division d’appel a conclu que la division générale avait également commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il devait y avoir violation du contrat de travail pour qu’il y ait inconduiteNote de bas de page 20.

[51] Dans l’affaire HP, la division générale a conclu qu’il n’y avait pas d’inconduite parce que rien ne prouvait que l’employeur avait déjà dit à H.P. qu’il refusait sa demande d’exemption, qu’on lui avait dit qu’elle devait se conformer à la politique ou qu’il lui avait donné du temps pour se conformer à sa politique après avoir rejeté sa demande d’exemption.

[52] La division générale a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que H.P. a délibérément, consciemment, intentionnellement ou volontairement violé la politique de vaccination de l’employeur. Comme la division générale a conclu que la prestataire ne savait pas que son employeur avait refusé sa demande d’exemption, elle a conclu que la prestataire ne pouvait pas savoir qu’elle serait incapable de remplir ses obligations ou qu’il était réellement possible qu’elle soit suspendue.

[53] La décision HP reposait largement sur les faits. Aucun nouveau principe juridique ne ressort de la décision HP. En fait, dans les deux cas, la division générale a énoncé la même définition de l’inconduite et a cité les mêmes décisions judiciaires.

La division générale a commis une erreur de fait

[54] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait sur la question de savoir si elle était exemptée de la politique de vaccination de son employeur ou s’y était conformée. Cependant, la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu qu’elle savait ou aurait dû savoir que la politique de vaccination de son employeur s’appliquait en juin 2022.

[55] La prestataire soutient que la division générale a conclu à tort qu’elle avait commis une inconduite. Elle affirme que sa conclusion était fondée sur des constatations erronées et de fausses hypothèses selon lesquelles la politique de vaccination de son employeur s’appliquait à elle et qu’elle ne s’y était pas conformée. La prestataire affirme que même si la politique ne s’appliquait pas à elle, elle s’y est quand même conformée en divulguant son statut vaccinal.

La politique de vaccination de l’employeur s’appliquait à la prestataire

[56] La politique de vaccination de l’employeur s’appliquait à la prestataire même si elle était en congé pour raisons médicales de son emploi permanent à temps partiel. Cela s’explique par le fait que la prestataire travaillait à un autre titre pour son employeur en raison d’une mesure d’adaptation médicale. Elle travaillait comme employée occasionnelle. Par conséquent, la politique s’appliquait à elle en sa qualité d’employée occasionnelle.

[57] La prestataire affirme qu’elle était en congé pour raisons médicales de son poste permanent à temps partiel depuis décembre 2020 et qu’elle bénéficiait d’une mesure d’adaptation pour raisons médicales depuis janvier 2021Note de bas de page 21. Son employeur la laissait travailler de la maison dans un poste occasionnel.

[58] L’employeur de la prestataire a instauré sa politique de vaccination en octobre 2021. La prestataire était au courant de la politique de vaccination de son employeur. La politique exigeait que les employés se fassent vacciner, à moins qu’ils bénéficient d’une exemption approuvée.

[59] La prestataire affirme qu’elle n’avait pas besoin de se faire vacciner, car elle travaillait de la maison et ne se présentait pas au lieu de travail de son employeur. Elle n’avait pas de contact direct avec les autres employés ou les clients.

[60] La prestataire affirme également que la section 1.2.1 de la politique s’appliquait à elle. La section exemptait les employés en congé de devoir se conformer à la politique jusqu’à ce qu’ils comptent retourner au travail. La prestataire était en congé pour raisons médicales de son poste permanent. Elle affirme donc que la politique ne s’appliquait pas à elle.

[61] La politique est ainsi rédigée :

  1. [traduction]
  2. Employés
  3. 1. Tous les employés […] doivent :
    1. 1.1. Être entièrement vaccinés contre la COVID-19 […] à moins d’en être exempté en raison d’une contre-indication médicale reconnue ou d’un autre motif protégé par la […] Loi sur les droits de la personne.
    2. 1.2. Fournir une preuve de vaccination complète ou une exemption approuvée au service de santé, sécurité et mieux-être au travail d’ici le 30 novembre 2021.
      1. 1.2.1. Ou d’ici la date prévue du retour (après le 30 novembre 2021) des employés en congé (y compris un congé pour raisons médicales).
        1. […]
  4. Exemptions valides à la vaccination
  5. 15. Toute exception médicale valide à la vaccination contre la COVID-19 doit être :
    1. 15.1. Approuvée conformément aux directives du […] médecin-hygiéniste en chef :
      1. 15.1.1. Faire référence au protocole de vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour les employeurs, les exploitants et les employés des milieux à risque élevé,
    2. 15.2. Accordée par le fournisseur de soins de santé primaires de l’employé;
    3. 15.3 Présentée aux Affaires médicales ou à Santé, sécurité et mieux-être au travail (SSMT), selon le cas.
  6. 16. Les exemptions accordées pour un motif prévu dans la […] Loi sur les droits de la personne doivent être soumises aux Affaires médicales ou aux Services aux personnes, selon le cas, aux fins de l’examen de l’exemption.
  7. 17. Les exemptions valides ont été examinées au cas par cas et peuvent donner lieu à des mesures comme la réaffectation à d’autres tâchesNote de bas de page 22.

[62] Même si la prestataire était en congé pour raisons médicales relativement à son poste permanent à temps partiel, elle travaillait néanmoins activement pour le même employeur, même si c’était à un autre titre et selon une mesure d’adaptation pour raisons médicales.

[63] La politique de vaccination indique clairement que l’employeur envisageait que la politique s’applique à tous les employés, autres qu’à ceux qui ne travaillaient pas (auquel cas elle s’appliquerait lorsqu’ils comptaient retourner au travail). La politique devait donc s’appliquer à la prestataire au titre duquel elle travaillait.

[64] La politique n’offrait pas d’exemptions aux personnes qui travaillaient à domicile ou à l’extérieur du lieu de travail de l’employeur. L’employeur a énuméré les exemptions qui étaient valides et offertes dans sa politique. Le travail à distance ne figurait pas dans la liste, contrairement aux exemptions médicales ou aux exemptions pour un motif protégé dans la Loi sur les droits de la personne de la province.

[65] S’il y avait une ambiguïté quant à l’application de la politique, l’employeur a abordé cette question le 23 juin 2022 lorsqu’il a informé la prestataire qu’elle s’appliquait à sa situation. La prestataire savait donc au moins depuis le 23 juin 2022 que la politique s’appliquait et que son employeur s’attendait à ce qu’elle s’y conforme.

La prestataire s’est méprise sur le fait qu’elle avait une exemption approuvée

[66] La preuve n’a pas démontré que la prestataire avait une exemption approuvée. L’employeur a défini ce qu’il considérait comme une exemption valide à la vaccination. Il a été très précis. L’exemption devait être approuvée et devait faire référence au protocole de vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour les employeurs, les exploitants et les employés des milieux à risque élevé.

[67] La prestataire affirme que, même si la politique de vaccination de son employeur s’appliquait à elle, elle avait une exemption médicale approuvée puisqu’elle était en congé pour raisons médicales de son poste permanent à temps partiel. Cependant, ce n’était pas suffisant.

[68] La prestataire avait reçu son exemption médicale avant que l’employeur n’instaure sa politique de vaccination. Il n’y a dans le dossier d’audience aucune preuve qui montre que le médecin-hygiéniste en chef avait approuvé l’exemption médicale de la prestataire ou que son exemption faisait référence au protocole de vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour les employeurs, les exploitants et les employés des milieux à risque élevé. Par conséquent, elle répondait à la définition de l’employeur d’une exemption approuvée.

La preuve n’a pas démontré que la prestataire aurait dû savoir que, jusqu’au 23 juin 2022, elle ne se conformait pas à la politique de vaccination de son employeur

[69] La division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que, jusqu’au 23 juin 2022, la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle ne se conformait pas à la politique de vaccination de son employeur.

[70] La prestataire travaillait à domicile depuis janvier 2021. Son employeur a instauré sa politique de vaccination en octobre de la même année. Selon la politique, les employés devaient fournir leur preuve de vaccination complète ou d’exemption approuvée au plus tard le 30 novembre 2021. La prestataire n’a pas fourni de preuve de vaccination complète ni d’exemption approuvée au plus tard le 30 novembre 2021. Son employeur lui a permis de continuer à travailler.

[71] En février 2022, la prestataire a posé sa candidature pour une nomination d’un an et s’est fait offrir l’emploi, ce qui lui a permis de continuer à travailler à distanceNote de bas de page 23. La prestataire a continué de travailler sans être vaccinée.

[72] Son employeur aurait dit à la Commission que la prestataire [traduction] « était passée entre les mailles du filet et qu’elle aurait dû être mise en congé sans solde pour non‑respect de la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur plusieurs mois plus tôtNote de bas de page 24 ».

[73] Toutefois, en permettant à la prestataire de continuer à travailler pendant plusieurs mois alors qu’elle n’était pas vaccinée, soit jusqu’au 23 juin 2022, l’employeur l’a amenée à croire à tort qu’elle n’avait pas à se faire entièrement vacciner. En effet, elle croyait que cela faisait partie de sa mesure d’adaptation pour raisons médicales.

[74] Par conséquent, la prestataire ne pouvait pas être au courant et ne pouvait raisonnablement savoir qu’en ne se faisant pas vacciner ou en n’obtenant pas une exemption approuvée, elle subirait des conséquences et serait suspendue le 23 juin 2022.

Après le 23 juin 2022, la prestataire a demandé une mesure d’adaptation pour motif religieux

[75] L’employeur affirme qu’une fois qu’il a appris que la prestataire n’était pas vaccinée, il a immédiatement communiqué avec elle et l’a mise en congé sans solde pour non-respect de sa politique de vaccinationNote de bas de page 25. La prestataire l’a confirmé. Elle aurait dit à la Commission que son gestionnaire l’avait appelée le 23 juin 2022 et l’avait informée qu’elle était mise en congé sans solde immédiatement parce qu’elle n’était pas vaccinée contre la COVID-19Note de bas de page 26. À ce moment-là, elle savait qu’à moins d’obtenir une exemption, elle devait se faire vacciner complètement pour être conforme.

[76] Le 19 juillet 2022, la prestataire a demandé à son employeur une mesure d’adaptation fondée sur des motifs religieuxNote de bas de page 27.

L’employeur de la prestataire a rejeté la demande de mesures d’adaptation de cette dernière

[77] Le 15 août 2022, l’employeur a dit à la prestataire qu’il n’acceptait pas sa demande de mesures d’adaptationNote de bas de page 28. La Commission affirme que l’employeur a informé la prestataire du processus à suivre si elle avait l’intention de se faire vacciner, y compris la façon dont elle pourrait retourner au travail.

[78] L’employeur a rappelé à la prestataire que la vaccination contre la COVID-19 était maintenant une condition de son emploi. Il lui a dit que, si elle refusait la vaccination, elle ne satisfaisait pas aux exigences de la politique de vaccination. Elle demeurerait en congé sans solde.

[79] Le 1er septembre 2022, l’employeur a envoyé une lettre de suivi dans laquelle il confirmait que sa politique de vaccination s’appliquait et que la prestataire devait être entièrement vaccinée comme condition de son emploiNote de bas de page 29.

[80] La Commission soutient que la preuve indique clairement que le 15 août 2022 :

  1. i. la prestataire savait qu’elle n’avait pas d’exemption approuvée;
  2. ii. son employeur exigeait qu’elle soit vaccinée, sinon elle continuerait d’être suspendue;
  3. iii. elle a fait le choix délibéré et conscient de ne pas prendre d’autres mesures pour tenter de se conformer (autrement dit, informer son employeur de son intention de se faire vacciner et de s’inscrire pour recevoir une première dose).

[81] La Commission soutient que, compte tenu de cette preuve, la prestataire a donc été suspendue de son emploi en raison de son inconduite à compter du 15 août 2022. La Commission soutient que, compte tenu des circonstances, il n’est pas pertinent que la prestataire n’ait pas reçu un préavis suffisant pour se conformer à la politique de son employeur après que celui-ci eut refusé sa demande de mesures d’adaptation.

[82] L’employeur avait déjà suspendu la prestataire le 23 juin 2022 parce qu’elle n’était pas vaccinée à ce moment-là. Mais surtout, la politique de vaccination indiquait clairement que les employés devaient être entièrement vaccinés ou obtenir une exemption approuvée d’ici le 30 novembre 2021. La politique ne disait rien au sujet du report de la date limite de conformité pour les personnes qui ont demandé une mesure d’adaptation après le 30 novembre 2021.

[83] Toutefois, comme la division générale l’a décidé, pour qu’il s’agisse d’une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, délibérée ou intentionnelleNote de bas de page 30.

[84] Il y a inconduite lorsque la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit suspendue ou congédiéeNote de bas de page 31.

[85] La prestataire ne respectait pas la politique le 23 juin 2022. Mais cela ne voulait pas dire que sa conduite était délibérée à ce moment-là. Elle a seulement appris à cette date que la politique s’appliquait à elle et qu’elle n’était pas conforme.

[86] Lorsque l’employeur a instauré sa politique pour la première fois en octobre 2021, il a donné aux employés un préavis de plusieurs semaines selon lequel ils devaient être entièrement vaccinés ou obtenir une exemption approuvée. Étant donné que la prestataire n’a appris que le 23 juin 2022 que la politique s’appliquait et qu’elle devait s’y conformer, il était alors raisonnable qu’on lui accorde un délai semblable pour se faire entièrement vacciner ou obtenir une exemption approuvée.

[87] J’admets que la preuve démontre que la prestataire était suspendue ou en congé de son emploi en raison de son inconduite à compter du 15 août 2022.

[88] À ce moment-là, la prestataire avait appris que son employeur avait refusé sa demande de mesures d’adaptation. Et, à ce moment-là, elle a également pris la décision délibérée et consciente de ne pas satisfaire autrement aux exigences de son employeur, même si elle savait que cela entraînerait des conséquences.

Sommaire

[89] Jusqu’au 23 juin 2022, la prestataire ignorait que son employeur exigeait qu’elle soit entièrement vaccinée ou qu’elle obtienne une exemption approuvée à sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[90] La division générale a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 23 juin 2022 pour une période indéterminée. Toutefois, la division générale a commis une erreur de droit et une erreur de fait. Une suspension entraîne une inadmissibilité et non une exclusion.

[91] La preuve a également démontré que l’inconduite n’est survenue que le 15 août 2022Note de bas de page 32. Cela signifie que la prestataire n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour la période du 23 juin 2022 au 15 août 2022. La prestataire demeure inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi après le 15 août 2022.

Conclusion

[92] L’appel est accueilli en partie. L’exclusion est remplacée par une inadmissibilité. La date de début de l’inadmissibilité au bénéfice des prestations d’assurance-emploi est corrigée du 23 juin au 15 août 2022.

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