Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1870

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (530677) datée du 21 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Sylvie Charron
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 mai 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 23 juin 2023
Numéro de dossier : GE-22-4116

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal est en désaccord avec l’appelante.

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue de son emploi. Son employeur affirme qu’elle a été congédiée parce qu’elle s’est opposée à sa politique de vaccination : elle ne s’est pas fait vacciner.

[4] Même si l’appelante ne conteste pas que cela s’est produit, elle affirme que le fait de s’opposer à la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite. Elle soutient également qu’une exemption pour des motifs religieux lui avait été accordée; l’exemption a été annulée par la suite.

[5] La Commission a accepté le motif du congédiement invoqué par l’employeur. Elle a décidé que l’appelante avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi elle a décidé que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Question en litige

[6] L’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi s’il perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur congédie ou suspend le prestataireNote de bas de page 2.

[8] Pour répondre à la question de savoir si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois trancher deux éléments. D’abord, je dois établir le motif pour lequel l’appelante a été suspendue. Je dois ensuite décider si ce motif constitue une inconduite au sens de la loi.

Pourquoi l’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi?

[9] Je conclus que l’appelante a temporairement perdu son emploi parce qu’elle s’est opposée à la politique de vaccination de son employeur.

[10] L’appelante ne le conteste pas. J’admets qu’il s’agit du motif de sa suspension.

[11] L’appelante affirme qu’elle ne pouvait pas se faire vacciner, car cela allait à l’encontre de ses croyances religieuses. Elle soutient que son employeur aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation prévues dans plusieurs lois, notamment la Charte et la Déclaration des droits. Elle ajoute qu’elle travaillait de la maison et qu’elle n’était une menace pour personne en ne se faisant pas vacciner. Elle s’est sentie forcée de recevoir un vaccin expérimental.

[12] La Commission affirme que le refus de se faire vacciner comme l’exige la politique de vaccination de l’employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[13] Je conclus que l’appelante a été suspendue de son emploi parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur

Le motif de la suspension de l’appelante est-il une inconduite au sens de la loi?

[14] Le motif du congédiement de l’appelante est une inconduite au sens de la loi.

[15] La Loi ne précise pas ce que signifie une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des tribunaux administratifs et judiciaires) nous montre comment décider si le congédiement de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique applicable à l’inconduite, à savoir les questions et les critères à prendre en considération dans l’examen de la question de l’inconduite.

[16] D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. L’inconduite doit être une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu mal agir) pour que sa conduite soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[17] Il y a inconduite lorsque l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 6.

[18] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 7.

[19] Je ne peux trancher que les questions qui sont prévues dans la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options au titre d’autres lois. En outre, il ne m’appartient pas de décider si son employeur l’a suspendue à tort ou s’il aurait dû prendre des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à son égardNote de bas de page 8. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que l’appelante a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[20] Dans une affaire dont a été saisie la Cour d’appel fédérale (CAF), intitulée McNamara, l’appelant a soutenu qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance‑emploi parce que son employeur l’avait congédié à tortNote de bas de page 9. Il avait perdu son emploi en raison de la politique de son employeur en matière de dépistage de drogues. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié, puisque le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité parce qu’il consommait de la drogue. De plus, les résultats de son dernier test de dépistage de drogues auraient tout de même dû être valides.

[21] En réponse, la CAF a souligné qu’elle a toujours dit que, dans les cas d’inconduite, la question est de savoir si l’acte ou l’omission de l’employé constitue une inconduite au sens de la Loi, et non s’il a été congédié à tortNote de bas de page 10.

[22] La CAF a également affirmé que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, ce qu’il convient à l’évidence de retenir n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé. Elle a souligné que les employés qui font l’objet d’un congédiement injustifié disposent d’autres recours. Ces recours permettent de sanctionner le comportement de l’employeur et d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables fassent les frais du comportement de l’employeurNote de bas de page 11.

[23] Dans l’affaire plus récente intitulée Paradis, l’appelant a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage de droguesNote de bas de page 12. Il a soutenu qu’il avait été congédié à tort, car les résultats des tests indiquaient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail. Il a affirmé que l’employeur aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La CAF s’est appuyée sur la décision McNamara et a affirmé que la conduite de l’employeur n’était pas un facteur pertinent pour trancher la question de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 13.

[24] De même, dans l’affaire Mishibinijima, l’appelant a perdu son emploi en raison de son alcoolismeNote de bas de page 14. Il a soutenu que son employeur devait lui accorder des mesures d’adaptation parce que l’alcoolisme est considéré comme une déficience. La CAF a affirmé encore une fois que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait; le fait que l’employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation à son égard n’est pas pertinentNote de bas de page 15.

[25] Ces affaires ne concernent pas les politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, ce qu’elles disent demeure pertinent. Il ne m’appartient pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de déterminer s’il avait raison de suspendre l’appelante. Je dois plutôt m’attarder à ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait, et à la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi.

[26] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination.
  • L’employeur a informé l’appelante en termes clairs de ses attentes concernant la vaccination. 
  • L’employeur a envoyé de nombreuses lettres à l’appelante pour lui faire part de ses attentes après le refus de sa demande de mesures d’adaptation pour des motifs religieux : assister à une séance de formation sur les avantages de la vaccination contre la COVID et se faire vacciner. On lui a également dit qu’elle serait suspendue si elle ne respectait pas la politique de vaccination.
  • L’appelante savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

[27] L’appelante affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • La politique de vaccination de l’employeur n’était pas une loi.
  • Elle ne faisait pas partie de son contrat d’emploi.
  • L’appelante ne pensait pas qu’elle serait suspendue si elle ne se faisait pas vacciner; elle croyait que les lois du pays l’emporteraient et qu’elle obtiendrait une exemption de la politique pour ses croyances religieuses sincères.
  • Elle a été contrainte.
  • Elle n’a pas eu suffisamment de temps pour se conformer à la politique après le refus de sa demande de mesures d’adaptation.

[28] La politique de vaccination de l’employeur prévoit ce qui suit :

  • Elle entre en vigueur le 6 octobre 2021.
  • Elle s’applique à tous les employés, même ceux qui travaillent de la maison.
  • Les employés doivent divulguer leur statut vaccinal avant la date limite du 29 octobre 2021.
  • Le défaut de se conformer donnera lieu à un congé sans solde jusqu’à ce que l’employé se conforme ou que la politique soit annuléeNote de bas de page 16.

[29] L’appelante savait ce qu’elle devait faire aux termes de la politique de vaccination et ce qui se passerait si elle ne s’y conformait pas. Le 10 février 2022, l’employeur a dit à l’appelante que son appel du refus de sa demande d’exemption pour des motifs religieux était rejeté.

[30] À ce moment-là, il aurait dû être évident pour l’appelante qu’elle avait deux choix : obtenir une première dose du vaccin et le déclarer, ou accepter d’être suspendue et mise en congé sans solde.

[31] L’appelante affirme qu’elle a été mise en congé le 14 février 2022. Elle soutient qu’elle n’avait eu que quatre jours pour se conformer à l’obligation de se faire vacciner. À mon avis, cette affirmation est mensongère. Bien que le délai de quatre jours soit exact, l’appelante aurait pu informer son employeur qu’elle allait se conformer à la politique et fixer une date à laquelle elle le feraitNote de bas de page 17. Elle avait été avertie longtemps avant que le congé était la conséquence de son défaut de se faire vacciner; lorsqu’il est devenu évident qu’elle n’aurait pas d’exemption religieuse, la suspension n’était pas une surprise.

[32] J’ai lu toutes les observations de l’appelante avec grand intérêt. Je ne doute pas du fait qu’elle est vraiment sincère dans ses croyances religieuses. Toutefois, ce n’est pas à moi de décider du caractère raisonnable du rejet par son employeur de sa demande d’exemption pour motifs religieux et des mesures d’adaptation qui en découlaient. Il revient à un autre tribunal ou à un arbitre de grief d’en décider.

[33] Je souligne que l’employeur n’a pas [traduction] « l’obligation de prendre des mesures d’adaptation » tant qu’une exemption n’est pas accordée. Comme l’exemption a été refusée dans la présente affaire, l’employeur n’était pas tenu d’accorder des mesures d’adaptation à l’appelante en raison de ses croyances religieuses.

[34] De même, je n’ai pas le pouvoir de me prononcer sur l’aspect contractuel de la relation de l’appelante avec l’employeur. Encore une fois, il serait préférable que cette question soit traitée au niveau syndical dans le cadre d’un grief ou devant les tribunaux.

[35] L’appelante présente des observations sur le fait que la coercition qu’elle a subie lorsqu’elle a été forcée de se faire vacciner ou de perdre son gagne-pain pourrait être de nature criminelle. Il s’agit d’une question pour les cours de justice et non pour le Tribunal.

[36] Il convient de répéter que le refus de prestations d’assurance-emploi pour [traduction] « inconduite » ne signifie pas que l’appelante a mal agi. Selon la Loi, cela signifie que l’employé a volontairement contrevenu à la politique de l’employeur, en sachant qu’il risquait d’être suspendu en conséquence.

[37] Je me dois de me concentrer sur la connaissance de l’appelante de la politique de vaccination et sur son comportement en conséquenceNote de bas de page 18. Le refus par l’employeur de la demande d’exemption religieuse de l’appelante n’est pas pertinent dans le présent contexte.

[38] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur a dit en termes clairs à l’appelante ce qu’il attendait de son personnel en matière de vaccination. 
  • L’employeur a envoyé plusieurs lettres à l’appelante pour lui faire part de ses attentes, à la fois de façon générale et lorsque des mesures d’adaptation ont été demandées et finalement rejetées en appel.
  • L’appelante connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non‑respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Ainsi, l’appelante a‑t‑elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

[39] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées ci‑dessus, je conclus que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[40] Cela s’explique par le fait que les gestes de l’appelante ont mené à sa suspension. Elle a agi délibérément. Elle savait qu’elle risquait d’être suspendue de son emploi en raison de son refus de se faire vacciner, surtout après le rejet de son appel relatif à une demande d’exemption pour motifs religieux.

Conclusion

[41] La Commission a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[42] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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