Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

La prestataire a fait une demande de prestations d’assurance-emploi alors qu’elle était étudiante à temps plein. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a rejeté sa demande parce qu’elle n’avait pas démontré sa disponibilité pour travailler. La prestataire a demandé une révision et la Commission a maintenu sa décision.

La prestataire a fait appel à la division générale, qui a rejeté son appel. La division générale a décidé que la prestataire n’avait pas démontré qu’elle voulait retourner travailler aussitôt qu’un emploi à temps plein lui serait offert. La preuve relative à sa recherche d’emploi était vague, et il n’était pas crédible qu’elle ait postulé plus de 40 emplois. Ainsi, la prestataire n’avait pas prouvé qu’elle faisait des démarches suffisantes pour trouver du travail. Elle avait aussi limité indûment ses chances de retourner travailler à cause de ses études à temps plein. La prestataire a fait appel de la décision de la division générale en appel à la division d’appel.

Devant la division d’appel, la Commission a soutenu que la division générale n’avait pas respecté les principes de justice naturelle. La division générale avait permis à la prestataire d’envoyer des documents sur sa recherche d’emploi après l’audience. Cependant, elle n’avait pas donné à la représentante de la prestataire des directives claires sur ce qu’elle voulait y voir ou avait besoin d’y voir. La division générale a ensuite conclu que la preuve n’était ni crédible ni suffisante, sans avoir d’abord donné à la prestataire l’occasion de fournir des clarifications ou de répondre. La prestataire était d’accord avec la Commission concernant ces erreurs. La prestataire n’était pas à l’audience. Une membre de sa famille la représentait. Rien n’indiquait que la membre de sa famille avait une formation juridique quelconque ou qu’elle aurait déjà représenté d’autres personnes en audience. Les démarches de recherche d’emploi de la prestataire constituaient un enjeu juridique central dans l’appel. De plus, son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi, alors qu’elle n’habitait pas chez elle et en était à sa dernière année universitaire, était en jeu dans cet appel. La division d’appel a conclu que la procédure de la division générale avait été inéquitable pour la prestataire, car elle ne lui avait donné aucune information concernant la preuve qu’elle pouvait soumettre pour démontrer ses démarches de recherche d’emploi.

Par ailleurs, la division d’appel a conclu que la division générale avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Page c Canada (Procureur général), 2023 CAF 169. La division d’appel a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la division générale à des fins de réexamen.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 153

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : M. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Daniel McRoberts

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
22 août 2023 (GE-23-850)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 7 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
La personne de soutien de l’appelante
La personne qui représente l’intimée
Date de la décision : Le 19 février 2024
Numéro de dossier : AD-23-875

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de M. M.

[2] M. M et la Commission de l’assurance-emploi du Canada conviennent que la division générale a commis deux erreurs. J’accepte l’accord des parties à ce sujet.

[3] Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la façon dont je dois corriger ces erreurs. J’ai décidé de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[4] M. M. est la prestataire dans cette affaire. Je l’appelle « prestataire » parce qu’elle a demandé des prestations d’assurance-emploi lorsqu’elle étudiait à temps plein.

[5] La Commission a rejeté sa demande parce qu’elle n’avait pas démontré qu’elle était disponible pour travailler. Quand la prestataire a demandé une révision, la Commission a maintenu sa décision.

[6] La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais elle n’a pas assisté à l’audience. Sa mère y a participé en tant que représentante. Après l’audience, la division générale a permis à la prestataire d’envoyer des documents sur ses démarches de recherche d’emploi, ce qu’elle a fait.

[7] La division générale a rejeté l’appel. Elle a établi que la prestataire n’avait pas démontré qu’elle voulait retourner travailler dès qu’un emploi à temps plein lui serait offert. Sa preuve de recherche d’emploi était vague, et il n’était pas vraiment possible que la prestataire ait postulé à plus de 40 emplois. La prestataire n’a donc pas prouvé qu’elle faisait des démarches suffisantes pour trouver du travail. De plus, ses études à temps plein ont limité indûment (c’est-à-dire trop) ses chances de retourner travailler.

J’accepte l’accord des parties au sujet des erreurs de la division générale

[8] La prestataire et la Commission (les parties dans cette affaire) conviennent maintenant que la division générale a commis deux erreurs. La prestataire affirme que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre et corriger les erreurs ainsi. La Commission affirme que je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

J’accepte l’accord des parties au sujet des erreurs de la division générale

[9] La division générale et la division d’appel du Tribunal ont des rôles différents. Si la prestataire démontre que la division générale a fait erreur, j’ai le pouvoir d’intervenir et de corriger l’erreurNote de bas de page 1.

[10] La loi établit les types d’erreurs dont je peux tenir compte. À l’audience, les parties ont convenu que :

  • la procédure de la division générale était inéquitable, car celle-ci n’a pas donné assez de renseignements sur le type de preuve de recherche d’emploi à fournir après l’audience;
  • la division générale avait commis une erreur de droit lorsqu’elle n’avait pas suivi (ou du moins pris en considération) une nouvelle décision de la Cour d’appel fédérale sur la disponibilité des personnes aux études à temps plein.

[11] J’accepte l’accord des parties au sujet de ces erreurs pour les raisons que je vais expliquer ci-dessous.

La procédure de la division générale était inéquitable

[12] La division générale commet une erreur si sa procédure est inéquitable. Selon la loi, il s’agit d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procéduraleNote de bas de page 2.

[13] L’obligation d’équité procédurale garantit que toute décision administrative est issue d’une procédure équitable et ouverteNote de bas de page 3. Dans le cadre de cette procédure, chaque partie a la possibilité de présenter ses éléments de preuve et ses arguments complètement. La nature de la procédure garantissant l’équité dépend toutefois du cadre juridique et des circonstances de l’affaireNote de bas de page 4.

[14] Les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale favorisent l’équité et la participation des parties au processus d’appel, en fonction de leur situation particulièreNote de bas de page 5. Ces règles prévoient que le Tribunal rend ses décisions de façon active, ce qui veut dire qu’il peut aller au-delà des processus que les tribunaux utilisent typiquementNote de bas de page 6. Plus précisément, le Tribunal doit, par exemple :

  • aider les parties et les représentantes et représentants à comprendre le processus d’appel;
  • décider quelles procédures sont appropriées dans les circonstances;
  • fournir des renseignements sur les lois applicables;
  • fournir des renseignements sur les éléments de preuve que les parties peuvent présenterNote de bas de page 7.

[15] La Commission a affirmé que la division générale n’avait pas respecté les principes de justice naturelleNote de bas de page 8. La division générale a permis à la prestataire d’envoyer des documents de recherche d’emploi après l’audience. Cependant, elle n’a pas donné à la représentante des instructions claires sur ce à quoi elle s’attendait ou ce qui était requis. La division générale a ensuite établi que la preuve n’était pas crédible ou suffisante sans avoir d’abord donné à la prestataire la chance de clarifier sa position ou de fournir une réponse.

[16] La prestataire est d’accord avec la Commission au sujet de ces erreurs.

[17] La prestataire n’était pas présente à l’audience. Elle était représentée par une personne de sa famille. Rien n’indique que cette personne avait une formation juridique ou de l’expérience en représentation en contexte d’audience. Les démarches de recherche d’emploi de la prestataire étaient un élément juridique clé. Et l’enjeu dans l’appel était son droit aux prestations d’assurance-emploi, pendant sa dernière année d’université, alors qu’elle était loin de chez elle.

[18] Je suis d’accord avec la Commission. La procédure de la division générale était inéquitable pour la prestataire, parce qu’on ne l’a pas informée des éléments de preuve qu’elle pouvait présenter pour montrer sa recherche d’emploi. Je n’ai pas besoin d’examiner l’argument de la Commission concernant l’autre erreur d’équité (au sujet de la crédibilité de la preuve) pour trancher le présent appel.

La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas pris en considération la décision Page

[19] La division générale commet une erreur de droit si elle ignore une décision judiciaire qu’elle doit prendre en considération. Le Tribunal est tenu de suivre toute décision d’une cour fédérale sur une question de droit lorsqu’il tranche un appel sur la même question de droit. Le Tribunal a donc deux choix : suivre les décisions judiciaires d’application obligatoire ou expliquer pourquoi il ne le fait pas.

Règles entourant la disponibilité pour le travail

[20] Pour pouvoir recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi, une personne doit démontrer qu’elle est capable de travailler et disponible à cette fin, mais incapable de trouver un emploi convenableNote de bas de page 9. Autrement dit, elle doit prouver qu’elle cherche du travail de façon continue, mais qu’elle ne parvient pas à trouver un emploi convenable.

[21] Les personnes aux études à temps plein, comme la prestataire, sont présumées ne pas être disponibles pour travailler et ne pas avoir droit aux prestationsNote de bas de page 10. Ces personnes ont la responsabilité de prouver que la présomption ne s’applique pas à elles.

La décision Page clarifie l’approche qui permet de décider si une personne aux études à temps plein est disponible pour travailler

[22] La Cour d’appel fédérale a tranché l’affaire Pageaprès l’audience de la division générale dans la présente affaire, mais avant la date de sa décisionNote de bas de page 11.

[23] Dans la décision Page, la Cour :

  • a reconnu que le Tribunal avait rendu des décisions contradictoires sur la question de savoir si les personnes aux études à temps plein étaient disponibles pour travailler et si elles pouvaient recevoir des prestations d’assurance-emploi;
  • a examiné, interprété et résumé les principes qui ressortent des affaires judiciaires les plus importantes concernant la disponibilité des personnes aux études à temps plein (voir le résumé aux paragraphes 66 à 69 de la décision);
  • a défini et approuvé une approche contextuelle pour décider si une personne aux études à temps plein a réfuté la présomption selon laquelle elle n’est pas disponible pour travailler (voir le paragraphe 69 de la décision);
  • a indiqué que cette analyse contextuelle relève du troisième élément de l’affaire Faucher (voir le paragraphe 70 de la décision)Note de bas de page 12.

[24] La division générale affirme que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore expliqué clairement la relation entre la présomption selon laquelle les personnes aux études à temps plein ne sont pas disponibles pour travailler et les articles de loi sur la disponibilitéNote de bas de page 13. Cependant, dans la décision Page, la Cour d’appel fédérale l’a bel et bien expliqué, et ce, avant que la division générale ne tranche l’affaire de la prestataire.

[25] La décision Page est une décision déterminante des cours fédérales sur la disponibilité des personnes aux études à temps plein. Elle a clarifié l’interprétation de la loi. Par conséquent, la division générale devait tenir compte de la décision Page et appliquer les principes qui en ressortent (ou expliquer pourquoi elle n’allait pas les appliquer)Note de bas de page 14. Mais la division générale n’a fait ni l’un ni l’autre.

[26] J’accepte donc l’accord des parties selon lequel la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas tenu compte de la décision Page.

Réparation : renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen

[27] La loi me donne le pouvoir de corriger (réparer) les erreurs de la division générale. Dans des appels comme celui-ci, je corrige habituellement les erreurs d’une des façons suivantes : 1) en renvoyant l’affaire à la division générale pour réexamen; 2) en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre, en fonction de la preuve présentée à la division générale, sans tenir compte de nouveaux éléments de preuve.

[28] Les parties ne s’entendent pas sur la façon de corriger les erreurs.

[29] La prestataire a affirmé que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle a dit que la situation avait assez duré. Et elle a fourni à la division générale tout ce qui avait été demandé.

[30] La Commission a soutenu que la preuve présentée à la division générale était incomplète. Il manquait des éléments de preuve importants concernant la recherche d’emploi de la prestataire, en raison de la procédure inéquitable de la division générale. Selon la Commission, il est alors dans l’intérêt de la justice naturelle de permettre à la prestataire de fournir cette preuve, au Tribunal de poser des questions et aux parties de présenter des observations à propos de sa recherche d’emploi.

[31] La Commission a aussi fait valoir que la disponibilité des personnes aux études à temps plein est une question de fait. De plus, la décision Page établit que la division générale doit effectuer une analyse contextuelle pour décider de la disponibilité de ces personnes. La Commission a affirmé que cette analyse dans la situation de la prestataire doit tenir compte de faits qui ne faisaient pas partie de la preuve présentée à la division générale.

[32] Je suis d’accord avec la Commission. La preuve comporte des lacunes en raison de la procédure inéquitable de la division générale. Celle-ci n’a pas donné aux parties l’occasion de présenter une preuve et des arguments complètement en fonction de la décision Page. Par conséquent, je ne peux pas rendre une décision éclairée sur la disponibilité de la prestataire et son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.

[33] Comme je ne peux pas rendre une décision éclairée fondée sur le dossier de la division générale, je lui renvoie l’affaire pour réexamen.

Conclusion

[34] J’accueille l’appel de la prestataire.

[35] Je suis d’accord avec les parties que la procédure de la division générale était inéquitable pour la prestataire et qu’il y a eu erreur de droit lorsque la division générale n’a pas pris en considération la décision Page.

[36] Par souci d’équité envers les parties, je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

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