Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1894

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : J. C.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (605731) datée du 11 septembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elyse Rosen
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er novembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 3 novembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-2705

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante n’a pas prouvé qu’elle satisfait aux conditions requises pour que sa demande de prestations soit antidatée.

Aperçu

[3] L’appelante a perdu son emploi le 15 juillet 2022.

[4] Ayant reçu une indemnité de départ d’un an, elle a retardé le moment de demander des prestations d’assurance‑emploi. Elle croyait effectivement ne pas pouvoir demander de prestations d’assurance‑emploi avant que son indemnité de départ ne soit épuisée.

[5] Elle a présenté sa demande de prestations le 29 juin 2023.

[6] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a examiné la demande de l’appelante et a décidé que cette dernière n’avait pas travaillé assez d’heures au cours de sa période de référence pour être admissible à des prestationsNote de bas de page 1. Elle a également refusé d’antidater sa demande. Elle dit qu’elle n’a pas de motif valable de ne pas avoir demandé de prestations plus tôt.

[7] L’appelante ne conteste pas qu’elle n’a pas suffisamment d’heures au cours de sa période de référence pour être admissible à des prestations. Mais elle serait admissible à des prestations si sa demande était antidatée à une date plus rapprochée de la date à laquelle elle a perdu son emploi. Elle porte donc en appel la décision de la Commission de ne pas antidater sa demande.

[8] L’appelante affirme qu’elle a fait des recherches en ligne pour en apprendre davantage sur son admissibilité à l’assurance‑emploi. Elle a conclu, sur le fondement des renseignements qu’elle a lus, qu’elle devait présenter sa demande dans les quatre semaines suivant la fin de son indemnité de départ. Elle s’est également appuyée sur ce qu’elle avait appris dans le contexte d’une demande antérieure de prestations d’assurance‑emploi et sur des renseignements obtenus de son employeur.

[9] Elle dit avoir fait une erreur de bonne foi. Elle ne comprend pas pourquoi sa demande ne peut pas être antidatée à une date plus rapprochée de la date à laquelle elle a perdu son emploi. Elle cotise au régime d’assurance‑emploi depuis plus de 35 ans. Elle estime qu’elle devrait pouvoir accéder à ces fonds maintenant qu’elle en a besoin.

Question en litige

[10] La demande de l’appelante peut‑elle être antidatée au 17 juillet 2022?

Analyse

[11] La loi prescrit que la période de prestations débute, selon le cas, la semaine au cours de laquelle survient l’arrêt de rémunération ou la semaine au cours de laquelle est formulée la demande de prestations, si cette semaine est postérieure à celle de l’arrêt de rémunérationNote de bas de page 2. Elle prescrit également que le prestataire doit avoir suffisamment d’heures pour être admissible à des prestationsNote de bas de page 3.

[12] Puisque le début de sa période de prestations détermine la période pendant laquelle ses heures de référence sont comptées, la loi permet à un prestataire de demander que sa demande de prestations soit traitée comme si elle avait été présentée à une date antérieureNote de bas de page 4. C’est ce qu’on appelle l’antidatation de la demande.

[13] L’appelante a demandé des prestations près d’un an après sa mise à pied. Par conséquent, la plupart des heures qu’elle avait travaillées avant d’être mise à pied ne pouvaient pas être prises en considération pour établir son droit à des prestations. Pour cette raison, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas assez d’heures pour être admissible à des prestations. Elle a donc demandé à la Commission d’antidater sa demande de prestations à la date à laquelle elle a été mise à pied.

[14] Pour faire antidater une demande de prestations, il faut prouver les deux éléments suivants :

  1. 1) L’admissibilité au bénéfice des prestations à cette date antérieure (c’est‑à‑dire, la date à laquelle le prestataire souhaite antidater sa demande).
  2. 2) L’existence d’un motif valable justifiant le retard pendant toute la durée de celui‑ci. Autrement dit, le prestataire a une explication, que la loi accepte, pour avoir demandé des prestations plus tard que ce qu’il aurait dû faire.

[15] La Commission affirme que l’appelante aurait suffisamment d’heures pour être admissible à des prestations si sa demande était antidatée au 17 juillet 2022. Comme je ne dispose d’aucune preuve contraire, j’accepte ce fait.

[16] Cela signifie que je dois seulement déterminer si l’appelante a un motif valable justifiant son retard dans la présentation de sa demande.

L’appelante a-t-elle démontré qu’elle avait un motif valable justifiant son retard?

[17] Je conclus que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable de ne pas avoir présenté sa demande plus tôt.

[18] Pour prouver qu’elle avait un motif valable, l’appelante doit démontrer qu’elle a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente dans des circonstances semblablesNote de bas de page 5. En d’autres termes, elle doit démontrer qu’elle a fait preuve du même niveau de soin, d’attention et de bon sens dont quiconque se trouvant dans une situation semblable aurait fait preuve.

[19] L’appelante doit démontrer qu’elle a agi ainsi pour toute la période du retardNote de bas de page 6. Cette période va de la date à laquelle elle veut que sa demande soit antidatée jusqu’à la date à laquelle elle a demandé des prestations.

[20] L’appelante doit également démontrer qu’elle a pris des mesures raisonnablement rapides pour comprendre son admissibilité à des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 7. Cela signifie que l’appelante doit démontrer qu’elle a essayé d’en apprendre davantage au sujet de ses droits et responsabilités sous le régime de la loi dès que possible et du mieux qu’elle le pouvait. Si l’appelante n’a pas pris de telles mesures, elle doit démontrer que des circonstances exceptionnelles l’en ont empêchéeNote de bas de page 8.

[21] Le fardeau de la preuve incombe à l’appelante. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait un motif valable de ne pas présenter sa demande plus tôt.

[22] Le motif valable justifiant le retard est interprété très strictementNote de bas de page 9. Cela s’explique par le fait qu’il est difficile pour la Commission d’administrer les demandes et d’examiner correctement l’admissibilité d’un prestataire à des prestations lorsque sa demande de prestations n’est pas présentée rapidementNote de bas de page 10. Donc, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’une demande peut être antidatée.

[23] L’appelante affirme qu’elle n’a pas demandé de prestations plus tôt parce qu’elle avait reçu une indemnité de départ d’un an. Elle a cru que, parce qu’elle avait reçu l’équivalent d’un salaire d’une année, elle ne pouvait demander de prestations d’assurance‑emploi qu’une fois l’année écoulée.

[24] Elle a témoigné qu’en 2004, après avoir perdu son emploi, elle a appelé la Commission pour savoir quoi faire. Elle affirme que la personne à qui elle a parlé lui a dit qu’elle ne pourrait demander de prestations que lorsque son indemnité de départ serait épuisée. Ayant trouvé un autre emploi avant que cela ne se produise, elle n’a jamais demandé de prestations à ce moment‑là. Toutefois, elle a eu l’impression qu’un prestataire ne peut pas demander de prestations d’assurance‑emploi pendant la période pour laquelle il reçoit une indemnité de départ.

[25] Lorsqu’elle a été mise à pied en 2022, elle a été prise d’une grande détresse. Elle dit que, pendant plusieurs mois, elle ne pouvait même pas sortir du lit.

[26] Lorsqu’elle a commencé à se sentir mieux, vers le mois de septembre 2022, elle a fait des recherches en ligne pour en apprendre davantage sur son admissibilité à l’assurance‑emploi. Elle affirme que les renseignements qu’elle a trouvés ont confirmé ce qu’elle croyait, à savoir qu’elle ne pouvait pas demander de prestations d’assurance‑emploi avant que son indemnité de départ soit épuiséeNote de bas de page 11.

[27] Elle a également parlé au service des ressources humaines de son employeur au sujet de la demande de prestations d’assurance‑emploi.  On lui a dit qu’elle ne toucherait des prestations d’assurance‑emploi qu’à la fin de la période pour laquelle elle avait reçu une indemnité de départ.

[28] Donc, se fondant sur tous les renseignements recueillis, elle a conclu qu’elle devait attendre avant de demander des prestations.

[29] La Commission affirme que l’appelante n’a pas agi de la façon dont une personne raisonnable aurait agi dans les circonstances. En effet, dit‑elle, elle n’a jamais communiqué avec la Commission pour confirmer ce qu’elle croyait, à savoir qu’elle ne pouvait demander des prestations d’assurance‑emploi qu’une fois son indemnité de départ épuisée.

[30] Le fait d’agir comme une « personne raisonnable » dans le contexte d’une demande d’antidatation a toujours été considéré par les tribunaux comme signifiant que le prestataire doit prendre des mesures rapidement après avoir cessé de travailler pour en apprendre davantage sur ses droits et obligations sous le régime de la loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 12. Le simple fait de se fier aux renseignements trouvés en ligne ne suffit pas. En effet, les renseignements recueillis en ligne sont de nature générale. Ils ne traitent pas de la situation particulière d’un prestataireNote de bas de page 13.

[31] L’appelante affirme qu’elle a bel et bien fait des recherches en ligne pour s’informer de ses droits et obligations, mais elle n’a pas fait de suivi au téléphone ou en se rendant au bureau de la Commission pour s’assurer qu’elle comprenait ce qu’elle avait lu. Si elle l’avait fait, elle aurait probablement appris qu’elle devait présenter sa demande immédiatementNote de bas de page 14. Elle aurait également probablement appris qu’à la date à laquelle elle a perdu son emploi, la loi avait été modifiée temporairement et son indemnité de départ n’aurait pas été répartie (autrement dit, appliquée) à l’égard de sa demandeNote de bas de page 15.

[32] Je conclus donc qu’en omettant de communiquer avec la Commission, l’appelante n’a pas fait ce qu’on attendrait d’une personne raisonnable dans de telles circonstancesNote de bas de page 16.

[33] Je conclus également qu’il n’y avait rien d’exceptionnel dans les circonstances dans lesquelles l’appelante se trouvait. Sauf pendant les deux premiers mois suivant sa mise à pied, au cours desquels elle dit qu’elle ne pouvait même pas sortir du lit, il n’y a aucune preuve que l’appelante n’était pas en mesure de communiquer avec la Commission pour comprendre ses droits et ses obligations.

[34] J’admets que l’appelante a commis une erreur de bonne foi. Elle a mal compris la loi. Elle n’a pas été en mesure de faire la distinction entre l’établissement d’une période de prestations et la répartition de la rémunération par rapport à ses prestations. La jurisprudence confirme cependant que la bonne foi et le fait de ne pas connaître la loi ne donnent pas lieu à un motif valable justifiant le retard dans la présentation d’une demande de prestationsNote de bas de page 17. La loi est compliquée et les prestataires doivent demander conseil à la Commission sur la façon de procéder et le faire dès qu’ils le peuvent.

[35] La jurisprudence confirme également que le fait de se fier aux conseils erronés d’un tiers, comme un avocat ou un employeur, ne donne pas lieu à un motif valable justifiant le retardNote de bas de page 18. Donc, le fait que l’appelante s’est appuyée sur ce que son employeur lui a dit au sujet de l’incidence de son indemnité de départ sur sa capacité de demander des prestations d’assurance‑emploi ne peut pas servir à établir l’existence d’un motif valable.

[36] L’appelante s’est également fondée sur les renseignements qu’elle a obtenus auprès de la Commission en 2004, selon lesquels elle ne pouvait pas demander de prestations d’assurance‑emploi avant d’avoir épuisé son indemnité de départNote de bas de page 19. Or, elle avait obtenu ces renseignements près de deux décennies auparavant. Je conclus qu’elle aurait dû appeler de nouveau après avoir perdu son emploi en 2022 pour vérifier si les renseignements qu’elle avait reçus à l’époque continuaient de s’appliquer. À mon avis, une personne raisonnableNote de bas de page 20 ne s’en remettrait pas à des renseignements datant de près de 20 ans.

[37] Compte tenu de la preuve, je conclus donc que l’appelante n’a pas de motif valable justifiant le retard dans la présentation de sa demande de prestations.

[38] L’appelante soutient que, même si elle n’a pas de motif valable justifiant le retard, après avoir cotisé au régime d’assurance‑emploi pendant toute sa vie professionnelle, elle devrait être en mesure de bénéficier de ces cotisations. Elle affirme que la Commission retient des sommes qui lui appartiennent et auxquelles elle a droit.

[39] Mais le programme d’assurance‑emploi n’est pas un compte d’épargne, c’est un régime d’assurance. Comme pour tout autre régime d’assurance, il faut satisfaire à certaines conditions pour toucher des prestationsNote de bas de page 21. Dans la présente affaire, l’appelante ne satisfait pas aux conditions. Elle n’est donc pas admissible au bénéfice des prestations. Les sommes qu’elle a versées ne lui appartiennent pas; elles constituent en fait des primes d’assurance.

[40] L’appelante est manifestement une personne travaillante et sincère. Elle estime très difficile de trouver un emploi et vit des moments difficiles sur le plan financier. Elle est très préoccupée par son avenir financier.

[41] Bien que j’éprouve vraiment de l’empathie à son égard, je dois néanmoins appliquer la loi telle qu’elle a été interprétée par les tribunauxNote de bas de page 22. L’appelante n’en a pas fait assez pour s’assurer qu’elle comprenait ses droits et ses obligations à l’égard de l’assurance‑emploiNote de bas de page 23. Je ne suis donc pas en mesure de conclure qu’elle avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande de prestations dans les circonstances.

Conclusion

[42] Je conclus que l’appelante ne satisfait pas aux conditions requises pour que sa demande de prestations soit antidatée. Elle n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard dans la présentation de sa demande de prestations pendant toute la durée de celui‑ci.

[43] C’est donc dire que l’appel est rejeté.

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