Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ES c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 77

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Demandeur : E. S.
Défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 mai 2023
(GE-23-698)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Date de la décision : Le 25 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-651

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Décision

[1] L’autorisation (permission) de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur, E. S. (prestataire), demande l’autorisation (la permission) de faire appel de la décision de la division générale.

[3] La division générale a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu qu’il ne pouvait pas toucher de prestations parentales parce qu’il ne les a pas demandées dans le délai prescrit. Elle a jugé qu’il a demandé ces prestations en dehors de ce qu’elle a appelé la « période de prestations parentales », c’est‑à‑dire la période pendant laquelle il pouvait à son avis toucher ce type de prestations.

[4] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de procédure et de droit. Il soutient plus particulièrement que la division générale ne lui a pas accordé une audience équitable. Il affirme qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter ses arguments parce que la membre de la division générale ne lui a pas permis de présenter des éléments de preuve ou des arguments concernant la demande de son épouse. Il soutient également que la décision de la division générale était insuffisante en ce sens qu’elle ne lui a pas permis de comprendre comment la membre en est arrivée à sa décision.

[5] Le prestataire affirme également que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas tenu compte de la demande de congé parental de son épouse. Il soutient que sa demande et celle de son épouse sont inextricablement liées. Il dit que la période de prestations parentales de son épouse a été prolongée et qu’il aurait donc dû pouvoir s’appuyer sur ce fait pour obtenir lui aussi une prolongation de la période de prestations parentales. Le prestataire fait valoir qu’il n’y a aucune raison, sur le plan juridique, de lui refuser une prolongation supplémentaire de la période de prestations parentalesNote de bas de page 1.

[6] Avant que le prestataire puisse aller de l’avant avec son appel, je dois décider si celui‑ci a une chance raisonnable de succès. Autrement dit, il doit y avoir une cause défendable en droitNote de bas de page 2. Si l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, cela met fin à l’affaireNote de bas de page 3.

[7] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès. Par conséquent, je ne donne pas au prestataire la permission d’aller de l’avant avec son appel.

Questions en litige

[8] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. (a) Peut‑on soutenir que le processus de la division générale était inéquitable?
  2. (b) Peut‑on soutenir que la division générale aurait dû prendre en considération la demande de prestations de l’épouse du prestataire?
  3. (c) Peut‑on soutenir que la division générale n’avait aucune raison en droit de refuser au prestataire une autre prolongation de la période de prestations parentales?

Je n’accorde pas au prestataire la permission de faire appel

[9] La division d’appel doit accorder la permission de faire appel, à moins que l’appel n’ait aucune chance raisonnable de succès. Il existe une chance raisonnable de succès s’il est permis de croire que la division générale a commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 4.

[10] Pour ce type d’erreur de fait, la division générale doit avoir fondé sa décision sur une erreur commise de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle est saisie.

Le prestataire ne peut soutenir que le processus de la division générale était inéquitable

Audience équitable

[11] Le prestataire soutient que la division générale ne lui a pas accordé une audience équitable. Il affirme qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter pleinement sa preuve. Il voulait témoigner et faire valoir que, comme son épouse avait obtenu une prolongation de la période de prestations parentales, lui aussi aurait dû obtenir une prolongation. Le prestataire soutient que la demande de son épouse était inextricablement liée à la sienne et qu’elle a eu une incidence sur la sienne. Il affirme plutôt que la division générale ne lui a pas donné l’occasion de faire valoir ces arguments.

[12] De plus, le prestataire allègue que la défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, dans sa décision de révision [traduction] « mentionne expressément comme fondement de sa décision que, bien que son épouse ait droit à une prolongation de ses prestations, ce n’est pas le cas pour lui »Note de bas de page 5. Il affirme qu’il aurait dû être autorisé à plaider ces questions parce que la Commission les a soulevées dans sa décision de révision.

[13] En fait, la décision de révision de la Commission ne renvoie pas du tout à l’épouse du prestataire. La décision est assez brève et mentionne simplement que la Commission maintient sa décision initiale du 22 décembre 2022 sur la question des prestations parentalesNote de bas de page 6. La décision initiale de la Commission ne fait pas non plus référence à la demande de l’épouse du prestataireNote de bas de page 7.

[14] De plus, le prestataire soutient que sa demande est nécessairement liée à celle de son épouse.

[15] La demande de prestations parentales du prestataire est, dans une certaine mesure, liée à la demande de son épouse. Par exemple, le choix par un parent de demander des prestations parentales standards ou prolongées lie l’autre parent si ce dernier demande également des prestations parentales. Par exemple, un parent ne peut pas recevoir de prestations prolongées si l’autre parent a déjà choisi de recevoir des prestations standards.

[16] Toutefois, cela ne signifie pas que tout ce qui se rapporte à la demande de l’épouse du prestataire est pertinent. Dans le cas d’un parent qui demande une prolongation de la période de prestations parentales, la Loi sur l’assurance‑emploi précise en des termes clairs à quel moment des prestations peuvent être versées et à quel moment le paiement des prestations parentales prend fin, et ni l’un ni l’autre moment ne se rapporte à la question de savoir si l’autre parent a reçu une prolongation des prestations ni n’en dépend.

[17] Manifestement, la division générale a jugé que la situation de l’épouse du prestataire n’était pas pertinente. De plus, sa situation était nécessairement différente parce qu’elle avait également reçu des prestations de compassion et des prestations de maternité avant de recevoir des prestations parentales.

[18] La division générale est maître de ses instances. Elle peut limiter les preuves et les arguments lorsqu’elle juge ceux‑ci non pertinents. Ayant jugé que la situation de l’épouse du prestataire n’était pas pertinente par rapport aux questions dont elle était saisie, la division générale avait le droit de réorienter l’attention du prestataire vers des questions pertinentes.

[19] De plus, le prestataire n’était pas limité à déposer des éléments de preuve ou des arguments à l’appui. Le Tribunal de la sécurité sociale lui a accordé la permission de déposer des documents à l’appui avant l’audience.

[20] Je ne suis pas convaincue que le prestataire puisse soutenir qu’il n’a pas eu une audience équitable ni l’occasion de présenter pleinement sa preuve.

Caractère suffisant des motifs

[21] Le prestataire soutient également que les motifs de la division générale sont insuffisants. Il affirme qu’il ne peut comprendre comment la division générale en est arrivée à sa décision. Il dit avoir droit à une certaine justification.

[22] Pour déterminer si la décision de la division générale dans son ensemble est raisonnable, je dois examiner si elle [traduction] « porte les caractéristiques du caractère raisonnable – justification, transparence et intelligibilité – et si elle est justifiée par rapport aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision [citation omise] »Note de bas de page 8. Une décision raisonnable doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent.

[23] Comme l’a statué la Cour suprême du Canada, « [l]es motifs donnés par les décideurs administratifs servent à expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause. Ils permettent de montrer aux parties concernées que leurs arguments ont été pris en compte et démontrent que la décision a été rendue de manière équitable et licite. Les motifs servent de bouclier contre l’arbitraire »Note de bas de page 9.

[24] La division générale a énoncé le raisonnement juridique et probatoire de sa décision. Elle a précisé les dispositions applicables de la Loi sur l’assurance‑emploi et les a appliquées aux faits de l’affaire.

[25] La division générale a d’abord examiné la période de prestations parentales du prestataire. Elle a calculé la période compte tenu de la disposition applicable de la Loi sur l’assurance‑emploi (article 23(2)). Cet article définit le moment où la période de prestations parentales commence et se termine habituellement. Dans le cas du prestataire, la période de prestations parentales aurait normalement pris fin 52 semaines après la semaine au cours de laquelle son enfant est né. La division générale l’a bien expliqué.

[26] La division générale a ensuite examiné les arguments des parties concernant la prolongation de la période de prestations parentales du prestataire. Elle a exposé les circonstances dans lesquelles une prolongation peut être accordée en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi. Des prolongations peuvent être accordées lorsque l’enfant est hospitalisé, si le prestataire est un membre des Forces canadiennes rappelé en service, ou si le prestataire touche plus d’un type de prestation spéciale.

[27] La Commission a plaidé en faveur d’une prolongation de cinq semaines, compte tenu de la preuve selon laquelle l’enfant du prestataire avait été hospitalisé pendant cinq semaines civiles. La division générale a noté le témoignage du prestataire selon lequel son enfant avait été hospitalisé à d’autres occasions, mais le prestataire n’a pas fourni de preuve confirmant ces autres dates.

[28] La division générale a jugé qu’il convenait de prolonger de cinq semaines la période de prestations parentales du prestataire étant donné l’hospitalisation de son enfant. Elle a expliqué que cela signifiait que la période des prestations parentales a été prolongée jusqu’au 3 septembre 2022.

[29] La division générale s’est ensuite demandé s’il y avait d’autres conditions requises pour permettre d’autres prolongations. Elle a noté que le prestataire n’appartenait à aucune autre catégorie qui aurait permis une prolongation supplémentaire de la période des prestations parentales. Et elle a mentionné que le prestataire n’était pas un membre des Forces canadiennes rappelé en service et qu’il n’avait pas reçu d’autres prestations spéciales.

[30] La division générale s’est ensuite demandé si le prestataire pouvait toucher des prestations parentales. Toutefois, elle a décidé que le prestataire ne pouvait recevoir des prestations que pendant la période de prestations parentales. Cette interprétation de l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance‑emploi concernant le paiement des prestations parentales est conforme à la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans une affaire appelée MartinNote de bas de page 10 selon laquelle les prestations sont versées pendant la période de prestations parentales.

[31] La division générale a conclu que le prestataire a demandé des prestations parentales le 17 novembre 2022. Elle a noté que le prestataire a travaillé pour la dernière fois le 10 octobre 2022 et que la Commission a commencé la période de prestations du prestataire le 9 octobre 2022.

[32] La division générale a mentionné que la période de prestations du prestataire a commencé le 9 octobre 2022, après la fin de sa période de prestations parentales, le 3 septembre 2022. Toutefois, la Loi sur l’assurance‑emploi limite le moment où l’on peut recevoir des prestations parentales. Comme la division générale l’a également signalé, personne ne peut recevoir de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales. Comme la période de prestations parentales était fermée pour le prestataire, il ne pouvait pas recevoir de prestations parentales.

[33] La division générale s’est également penchée sur les arguments du prestataire selon lesquels il a reçu des renseignements trompeurs de la Commission. Elle a expliqué qu’elle a un pouvoir limité et qu’elle ne peut accorder aucune mesure de réparation pour corriger ce genre de situations.

[34] La division générale a expliqué le raisonnement justifiant sa décision. Il existe une chaîne d’analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et sa décision est justifiée par rapport aux faits et au droit. Je ne suis pas convaincue que le prestataire puisse soutenir que les motifs de la division générale étaient insuffisants.

Le prestataire ne peut pas soutenir que la division générale a omis de tenir compte de la demande de prestations de son épouse

[35] Le prestataire soutient que la division générale a omis de tenir compte de la demande de prestations de son épouse.

[36] Toutefois, comme je l’ai mentionné précédemment, la demande de prestations de son épouse n’était pas pertinente pour déterminer si le prestataire pouvait obtenir une autre prolongation du nombre de semaines de la période pendant laquelle des prestations parentales étaient payables.

[37] Comme l’a statué la Cour d’appel dans Martin, « [l]es paragraphes 23(3) à 23(3.3) [de la Loi sur l’assurance-emploi] prévoient des exceptions à la règle du paragraphe 23(2) et permettent certaines prolongations restreintes de la période de 52 semaines de versement de prestations parentales »Note de bas de page 11. Bref, les prolongations sont limitées.

[38] Les articles 22(3) à 23(3.3) de la Loi sur l’assurance‑emploi ne prévoient aucune prolongation fondée sur la situation du conjoint d’une partie prestataire, y compris la question de savoir si ce conjoint a obtenu une prolongation de la période de prestations parentales. Donc, le fait que l’épouse du prestataire a obtenu une prolongation n’était pas pertinent.

[39] Je ne suis pas convaincue que l’on puisse soutenir que la division générale n’a pas tenu compte de la demande de prestations de l’épouse du prestataire.

Le prestataire ne peut soutenir que la division générale n’avait aucune raison sur le plan juridique de lui refuser une autre prolongation de la période de prestations parentales

[40] Le prestataire soutient que la division générale n’avait aucune raison sur le plan juridique de lui refuser une autre prolongation de la période de prestations parentales.

[41] La Loi sur l’assurance‑emploi prévoit des prolongations, mais elles sont limitéesNote de bas de page 12. La division générale l’a expliqué. Elle a écrit :

La partie prestataire qui prend soin d’un nouveau‑né peut toucher des prestations parentales de l’assurance‑emploi [citation omise]. Elle ne peut cependant toucher de prestations parentales que pendant la période de prestations parentales. La période de prestations parentales commence la semaine de la naissance de l’enfant et se termine habituellement 52 semaines plus tard.

Dans certains cas, la période de prestations parentales peut être plus longue que 52 semaines. Si l’enfant de la partie prestataire était à l’hôpital [citation omise], ou si la partie prestataire est un membre des Forces canadiennes qui est rappelé en service [citation omise], la Commission peut prolonger la période de prestations parentales. Elle peut également prolonger la période de prestations parentales si la partie prestataire touche plus d’un type de prestations spéciales [citation omise].Note de bas de page 13

[42] La division générale a cité les articles 12(3)(b), 23(2) et 23(3) à (3.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[43] Elle a ensuite appliqué ces dispositions aux faits et a décidé qu’aucune autre prolongation ne pouvait être accordée au prestataire. Outre les hospitalisations de son enfant, aucune de ces autres circonstances ne s’appliquait à lui.

[44] Le prestataire soutient qu’il devrait avoir droit à des prolongations un peu comme son épouse. Cette dernière a reçu des prestations de compassion, des prestations de maternité et des prestations parentales. Le prestataire affirme qu’elle a reçu 85 semaines de prestations. Il affirme qu’elle a reçu des prestations parentales plus d’un an après la naissance de leur enfant.

[45] Le prestataire affirme que, si la période de prestations parentales prend fin 52 semaines après la naissance de leur enfant, son épouse a reçu des prestations à l’extérieur de la période de prestations parentales. Il dit qu’il devrait en être autant pour lui.

[46] Toutefois, comme l’a fait remarquer la division générale, la période de prestations parentales peut être prolongée si un prestataire touche plus d’un type de prestations spéciales. C’est ce qui distinguait probablement le cas du prestataire de celui de son épouse. Elle a reçu d’autres prestations spéciales sous forme de prestations de compassion et de prestations de maternité. Elle pouvait se prévaloir de la prolongation prévue à l’article 23(3.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[47] Pour obtenir une prolongation en vertu de l’article 23(3.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi, la partie prestataire doit avoir été payée pour plus d’un des motifs mentionnés aux articles 12(3)(a) à (f) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[48] Je ne dispose pas de tous les éléments de preuve concernant la demande de l’épouse du prestataire, mais elle était probablement admissible à la prolongation en vertu de l’article 23(3.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi parce qu’elle satisfaisait à ces exigences. Elle a reçu des prestations de compassion et des prestations de maternité. Le prestataire n’ayant pas reçu d’autres prestations spéciales, il ne pouvait obtenir aucune prolongation en application de l’article 23(3.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[49] La division générale a précisé les lois applicables et a fourni une justification juridique à l’appui de sa décision. Pour cette raison, je ne suis pas convaincue que l’on puisse soutenir que la division générale n’avait aucune raison sur le plan juridique de refuser au prestataire une autre prolongation de la période de prestations parentales.

Conclusion

[50] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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