Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Le prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi lorsque son contrat de chercheur scientifique a pris fin au début de 2022. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a approuvé sa demande de prestations. Alors qu’il recherchait son prochain emploi de chercheur, il a accepté un poste dans la restauration. Il a déclaré cet emploi et sa rémunération dans ses déclarations bimensuelles. À la fin mai 2022, il a obtenu un nouvel emploi en recherche, qui commençait en septembre 2022. Quand cet emploi ne s’est pas concrétisé, il a renouvelé sa demande de prestations d’assurance-emploi en novembre 2022.

Au cours du processus de renouvellement, la Commission a appris que le prestataire avait cessé son emploi dans la restauration des mois avant d’entreprendre son nouveau travail de recherche. La Commission est remontée à sa demande initiale et l’a de nouveau examinée en exerçant son pouvoir au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a conclu que le prestataire avait quitté son emploi dans la restauration sans justification et l’a exclu du bénéfice des prestations à compter du moment où il a quitté cet emploi. La Commission a maintenu sa décision après révision.

Le prestataire a fait appel de la décision de la Commission auprès de la division générale. Celle-ci a accueilli l’appel et a conclu que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir de réexamen au titre de l’article 52 de manière judiciaire. La Commission a porté la décision de la division générale en appel devant la division d’appel. Celle-ci a conclu que la division générale avait privé la Commission du droit d’être entendue.

La division d’appel a conclu que la question du nouvel examen au titre de l’article 52 était une nouvelle question n’ayant pas été soulevée précédemment. Cela veut dire que la division générale devait suivre la procédure d’usage pour la soulever. Lorsqu’un décideur soulève une nouvelle question, il doit aviser les parties dès que possible, et leur donner la possibilité de répondre. Cela permet d’assurer que le décideur traite les parties de façon équitable et ait des observations complètes pour trancher la question.

Cependant, dans la présente affaire, la division générale ne l’a pas fait. Elle n’a pas avisé la Commission et le prestataire de la question du nouvel examen au titre de l’article 52. Les parties n’ont donc pas eu la possibilité de présenter des preuves et de faire des observations. Ceci a été particulièrement inéquitable envers la Commission.

La division d’appel a conclu que la division générale avait enfreint le droit de la Commission à un processus équitable. La division d’appel a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la division générale aux fins de réexamen. La division d’appel a ordonné à la division générale de donner aux parties l’occasion de présenter des preuves et de faire des observations sur la question du nouvel examen au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c YG, 2024 TSS 45

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Angèle Fricker
Partie intimée : Y. G.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 7 juin 2023
(GE-23-1046)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 décembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 12 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-663

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[2] La division générale a agi de façon inéquitable lorsqu’elle a décidé que la Commission n’aurait pas dû réexaminer la demande de prestations d’assurance-emploi de Y. G.

[3] Pour corriger cette erreur, je renvoie son dossier à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[4] Y. G. est le prestataire dans cet appel. Je l’appelle le prestataire parce qu’il a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi lorsque son contrat de chercheur a pris fin au début de 2022.

[5] La Commission a approuvé sa demande de prestations. Alors qu’il cherchait son prochain emploi dans le domaine de la recherche, il a accepté un emploi dans un restaurant. Il a signalé cet emploi et sa rémunération à l’assurance-emploi dans ses déclarations bimensuelles.

[6] À la fin du mois de mai 2022, le prestataire a obtenu un nouvel emploi dans le domaine de la recherche débutant en septembre 2022. Comme cet emploi n’a pas fonctionné, il a renouvelé sa demande de prestations en novembre 2022.

[7] Au cours du processus de renouvellement, la Commission a appris que le prestataire avait cessé de travailler au restaurant des mois avant de commencer son nouvel emploi de chercheur. Elle est revenue en arrière et a réexaminé sa demande initiale de prestations en exerçant le pouvoir que lui confère l’article 52 de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 1. La Commission a conclu que le prestataire avait quitté volontairement son emploi au restaurant sans justification. Elle l’a exclu du bénéfice des prestations à compter du moment où il a quitté son emploi au restaurantNote de bas de page 2. Cette décision a donné lieu à un trop‑payé.

[8] La Commission a rejeté la demande de révision du prestataire et celui‑ci a fait appel à la division générale du Tribunal. La division générale a accueilli son appel. Elle a estimé que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir de réexamen prévu à l’article 52 de façon judiciaire. Cela a permis à la division générale de conclure que la Commission n’aurait pas dû revenir en arrière et réexaminer la demande initiale de prestations du prestataire.

[9] La division d’appel a ensuite accordé à la Commission la permission de faire appel de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a agi de façon inéquitable. Le prestataire n’est pas d’accord.

Question en litige

[10] Il y a deux questions en litige dans le présent appel :

  • La division générale a-t-elle agi de façon inéquitable en ne donnant pas à la Commission la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments sur la façon dont elle a exercé son pouvoir de réexamen prévu à l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi?
  • Si la division générale a agi de façon inéquitable, comment dois-je corriger cette erreur?

[11] La division générale a abordé dans sa décision l’exercice par la Commission de son pouvoir de réexamen prévu à l’article 52 et la question de savoir si elle avait exercé ce pouvoir de façon judiciaire. J’appellerai cela la « question du réexamen » ou la « question du réexamen au titre de l’article 52 ». La Loi sur l’assurance-emploi donne à la Commission le pouvoir de revenir en arrière et de réexaminer une demande après le versement des prestations. Cette disposition diffère de l’obligation de la Commission de réviser sa décision lorsqu’une partie prestataire demande une révision au titre de l’article 112 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Analyse

[12] Les rôles de la division générale et de la division d’appel du Tribunal sont différents. Si la Commission démontre que la division générale a commis une erreur, j’ai le pouvoir d’intervenir et de la corrigerNote de bas de page 3.

[13] Dans cet appel, je dois vérifier si la Commission a démontré que la division générale a agi de façon inéquitableNote de bas de page 4.

[14] Si la Commission ne démontre pas que la division générale a agi de façon inéquitable (ou qu’elle a commis une erreur), je dois rejeter son appel. Si la Commission démontre que la division générale a commis une erreur, je dois la corriger d’une façon simple et rapide tout en respectant les principes d’équité.

La division générale a privé la Commission de son droit d’être entendue

[15] Si la division générale avait l’intention de soulever la question du réexamen au titre de l’article 52, elle aurait dû avertir la Commission et le prestataire et leur donner la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments sur celle-ci.

Les parties n’ont pas soulevé la question de l’exercice par la Commission de son pouvoir de réexamen

[16] La division générale affirme que le prestataire [traduction] « conteste le réexamen de sa demande », mais ne fournit aucune référence pour appuyer cette conclusionNote de bas de page 5.

[17] La Commission soutient que ses arguments écrits à la division générale ne visaient pas à prouver qu’elle avait exercé son pouvoir de réexamen de façon judiciaireNote de bas de page 6. Ses arguments portaient sur la principale question en litige, à savoir si le prestataire avait volontairement quitté son emploi au restaurant. La Commission dit également que le prestataire n’a pas soutenu qu’elle n’aurait pas dû réexaminer sa demande ou qu’il était injuste qu’elle le fasseNote de bas de page 7. Il avait plutôt déclaré qu’il n’avait pas quitté volontairement son emploi ou qu’il était fondé à le faire.

[18] La Commission fait valoir que si la division générale voulait examiner si elle avait exercé son pouvoir de réexamen prévu à l’article 52 de façon judiciaire, elle aurait dû lui donner la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments à ce sujetNote de bas de page 8.

[19] À l’audience de la division d’appel, le prestataire a soutenu, en termes généraux, que le processus de communication des documents et d’audience de la division générale était équitable pour les deux parties. Il a déclaré que la division générale avait le pouvoir de choisir son processus et le droit qu’elle appliquait, sur la base des renseignements que lui-même et la Commission avaient fournis. Le prestataire a ajouté que la division générale avait le pouvoir de juger si la Commission aurait dû réexaminer sa demande. Il n’a pas pris position quant à savoir s’il avait soulevé la question du réexamen à l’audience de la division générale.

[20] J’ai examiné les documents du dossier de la division générale, lu sa décision et écouté l’enregistrement de l’audienceNote de bas de page 9. Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le prestataire n’a pas soulevé la question du réexamen (c’est-à-dire la question de savoir si la Commission a exercé son pouvoir de façon judiciaire). Il ne l’a mentionné nulle part dans ses documents. Ni lui ni la division générale n’ont soulevé cette question à l’audience. La question du réexamen au titre de l’article 52 apparaît pour la première fois dans la décision de la division générale.

Le critère juridique permettant à un décideur de soulever une nouvelle question dans un appel

[21] La question du réexamen au titre de l’article 52 soulevée par la division générale était une nouvelle question. Cela signifie que la division générale devait suivre le processus approprié pour la soulever.

[22] Dans l’affaire Mian, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une question est nouvelle si elle est différente sur les plans juridique et factuel des moyens d’appel soulevés par les parties et qu’on ne peut raisonnablement prétendre qu’elle découle de ces moyens d’appelNote de bas de page 10. La Cour a déclaré que les décideurs peuvent soulever de nouvelles questions dans le cadre d’un appel lorsque plusieurs conditions sont rempliesNote de bas de page 11. Lorsqu’un décideur soulève une nouvelle question, il doit aviser les parties le plus tôt possible et leur donner la possibilité de répondreNote de bas de page 12. Le décideur est ainsi assuré de traiter les parties de façon équitable et de disposer d’observations complètes pour trancher la question.

[23] Le prestataire et la Commission ont uniquement débattu en appel de la question du départ volontaireNote de bas de page 13. Dans un cas de départ volontaire au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, deux questions se posent. Premièrement, la Commission peut-elle prouver que la personne a choisi de quitter son emploi? Deuxièmement, si la personne a quitté son emploi, c’est à elle de prouver qu’elle était fondée à le faire compte tenu de toutes les circonstances qui existaient au moment de son départ. L’analyse doit porter sur ce que la personne et son employeur ont fait ou n’ont pas fait.

[24] Pour décider si la Commission a exercé son pouvoir prévu à l’article 52 de façon judiciaire, la division générale devait appliquer le critère établi par les tribunauxNote de bas de page 14. Pour agir de façon judiciaire, le décideur ne doit pas : a) agir de mauvaise foi, b) agir dans un but ou pour un motif irrégulier, c) prendre en compte un facteur non pertinent, d) ignorer un facteur pertinent ou e) agir de façon discriminatoire. La question est de savoir ce que la Commission a fait ou n’a pas fait.

[25] La question du réexamen au titre de l’article 52 est différente sur les plans juridique et factuel de la question du départ volontaire et elle n’en découle pas.

[26] Par conséquent, la question du réexamen soulevée par la division générale était une nouvelle question.

La division générale a agi de façon inéquitable en n’Informant pas la Commission de la nouvelle question

[27] Dans l’affaire Mian, la Cour suprême a souligné qu’il est souvent possible pour un décideur d’ajuster le processus pour s’assurer qu’il est équitableNote de bas de page 15. Cela peut consister à accepter une demande d’ajournement de l’audience ou à donner aux parties la possibilité de déposer des observations écrites.

[28] Les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale prévoient ce type de garanties en matière d’équité procédurale. Les Règles permettent aux membres du Tribunal de décider des questions à traiter, de tenir des conférences avec les parties, d’accorder des ajournements et de donner aux parties la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations avant ou après l’audience. Le Tribunal doit appliquer les Règles de manière à ce que le processus d’appel soit simple et rapide tout en respectant les principes d’équitéNote de bas de page 16.

[29] Ce n’est pas ce que la division générale a fait dans cette affaire. Elle n’a pas informé la Commission et le prestataire de la question du réexamen au titre de l’article 52. Les parties n’ont donc pas eu l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations. Cela était particulièrement injuste pour la Commission. La division générale a jugé que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir de réexamen de façon judiciaire. Elle a ensuite décidé que la Commission n’aurait jamais dû réexaminer la demande du prestataire et a accueilli son appel sans trancher la question du départ volontaire.

[30] La division générale a donc enfreint le droit de la Commission à un processus équitable.

Correction de l’erreur (la réparation)

[31] Comme la division générale n’a pas agi de façon équitable, j’ai le pouvoir de corriger cette erreurNote de bas de page 17. La division d’appel corrige généralement les erreurs de deux manières : 1) je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou 2) je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[32] La Commission affirme que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, tant sur la question du réexamen au titre de l’article 52 que sur la question du départ volontaireNote de bas de page 18. Elle dit cependant que si j’estime que le dossier est incomplet, je dois renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[33] Le prestataire a déclaré que je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, même s’il a également dit qu’aucune information ne manquait dans le dossier. Il explique qu’il se sent plus à l’aise de s’adresser à la division générale parce qu’elle se concentre sur la preuve et [traduction] « la présentation de sa version », plutôt qu’à la division d’appel qui se concentre sur les erreurs et les arguments juridiques.

[34] L’erreur de la division générale signifie que les parties n’ont pas eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations sur la question du réexamen au titre de l’article 52. Le dossier est donc incomplet et je ne peux pas rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[35] La décision de la division générale a sensibilisé le prestataire à la question du réexamen au titre de l’article 52. À la division d’appel, il a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve et des observations sur cette questionNote de bas de page 19. Cependant, je ne peux pas accepter de nouveaux éléments de preuve. Les audiences de la division d’appel servent à réviser les décisions de la division générale en se basant sur les mêmes éléments de preuve que ceux dont elle disposait, à de rares exceptions près qui ne s’appliquent pas la présente affaireNote de bas de page 20.

[36] Je suis également préoccupé par le fait que les éléments de preuve présentés par la Commission à la division générale ne permettent pas d’effectuer une analyse en connaissance de cause. Selon la politique de réexamen de la Commission, les « déclarations fausses ou trompeuses » sont un facteur qu’elle doit prendre en compte lorsqu’elle exerce son pouvoir de réexamenNote de bas de page 21. Devant la division d’appel, la Commission a déclaré qu’elle a tenu compte de ce facteur et que le prestataire a fait des déclarations fausses ou trompeuses. Le prestataire n’est pas du tout d’accord. Cependant, ses déclarations bimensuelles couvrant les périodes où il a travaillé au restaurant et où il a cessé d’y travailler ne faisaient pas partie de la preuve devant la division générale. Idéalement, elles devraient en faire partie.

[37] Ainsi, comme le processus suivi par la division générale n’a pas permis aux parties de présenter des éléments de preuve et des observations sur la question du réexamen au titre de l’article 52, je renvoie le dossier du prestataire à la division générale pour réexamen.

[38] La division générale devrait donner aux parties l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations sur la question du réexamen au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Conclusion

[39] J’accueille l’appel de la Commission. La division générale a agi de façon inéquitable lorsqu’elle a tranché l’appel du prestataire.

[40] Pour corriger l’erreur, je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

[41] La division générale devrait donner aux parties l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations sur la question du réexamen au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi.

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