Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimée était protégée par l’assurance-emploi grâce à un accord pour travailleuse indépendante (à son compte). Elle a demandé des prestations de maternité quand elle en a eu besoin. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté la demande de l’intimée parce qu’elle a établi que la rémunération de son travail indépendant était insuffisante.

L’intimée a fait appel à la division générale. Celle-ci a accueilli son appel et a conclu que la rémunération assurable de l’intimée était suffisante pour qu’elle soit admissible aux prestations de maternité. La Commission a fait appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. Celle-ci a conclu que la division générale avait commis une erreur de compétence et une importante erreur de fait.

La division générale avait compétence pour établir la part de la rémunération de l’intimée qui provenait de son travail indépendant. Toutefois, elle ne pouvait pas décider si la rémunération de son travail indépendant (ou une part de cette rémunération) aurait été assurable s’il n’y avait pas eu de restriction concernant le type d’emploi qu’elle occupait. Selon la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission, toute personne employée ou tout employeur peut demander à l’Agence du revenu du Canada de déterminer une rémunération assurable. Seule l’Agence du revenu du Canada peut rendre cette décision. La division d’appel a conclu que la division générale avait outrepassé sa compétence de la façon suivante : elle avait décidé que l’ensemble de la rémunération nette de l’intimée provenait de son travail indépendant, mais aussi que cette rémunération aurait été assurable. C’était une erreur, puisque seule l’Agence du revenu du Canada peut rendre une telle décision.

La division d’appel a aussi établi que la division générale avait commis une importante erreur de fait parce que ses conclusions ne correspondaient pas à la preuve dont elle disposait. La division générale n’avait pas les éléments de preuve nécessaires pour établir la part de la rémunération nette qui provenait du travail indépendant de l’intimée.

Par conséquent, elle ne pouvait pas décider si l’intimée était admissible aux prestations de maternité. La division d’appel a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c AT, 2023 TSS 1323

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Angèle Fricker
Partie intimée : A. T.
Représentante ou représentant : D. O.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 5 avril 2023
(GE-22-4131)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 19 septembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 3 octobre 2023
Numéro de dossier : AD-23-384

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] A. T. est l’intimée dans le présent appel. Elle bénéficiait d’une couverture d’assurance-emploi dans le cadre d’une entente de travail indépendant. Elle a demandé des prestations de maternité au moment où elle en avait besoin, alors je l’appellerai « la prestataire ». L’appelante est la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Elle a rejeté la demande de prestations de maternité de la prestataire parce qu’elle a conclu que la rémunération de la prestataire provenant d’un travail indépendant n’était pas suffisante pour qu’elle soit admissible.

[3] La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a accueilli son appel, concluant que sa rémunération assurable était suffisante pour être admissible aux prestations de maternité.

[4] L’appelante a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel. J’ai accordé la permission de faire appel et entendu l’appel.

[5] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de compétence et une erreur de fait importante. Je renvoie donc l’affaire à la division générale pour réexamen.

Question préliminaire

[6] La Commission avait fait référence à d’autres décisions du Tribunal dans ses observations. La prestataire n’était pas d’accord avec la façon dont la Commission a utilisé ces décisions, mais elle n’a pas pu trouver les décisions ni ses notes au moment de l’audience. La Commission ne s’est pas opposée à ce que la prestataire ait la possibilité de répondre aux décisions citées. Je lui ai donc donné jusqu’au 26 septembre 2023 pour répondre par écrit et elle m’a fourni une réponse à cette date.

[7] Le Tribunal a donné à la Commission l’occasion de répondre aux observations que la prestataire a présentées après l’audience, mais elle ne l’a pas fait.

[8] J’ai examiné les observations de la prestataire et j’en ai tenu compte dans le corps de la présente décision lorsqu’il y avait lieu.

Questions en litige

[9] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence pour conclure que la rémunération dans l’avis de cotisation de la prestataire aurait été assurable si elle ne provenait pas d’un travail indépendant?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en concluant que la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire était supérieure à la rémunération qu’elle a déclarée comme rémunération provenant d’un travail indépendant à l’annexe 13 de sa déclaration de revenus?
  3. c) Si la division générale a commis une erreur, comment faudrait-il la corriger?

Analyse

Principes généraux

[10] La division d’appel ne peut examiner que les erreurs qui correspondent à l’un des moyens d’appel suivants :

  1. a) Le processus d’audience de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
  2. b) La division générale n’a pas décidé d’une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a décidé d’une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
  3. c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
  4. d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

Erreur de compétence

[11] La Commission a soutenu que la division générale avait commis une erreur de compétence. Elle a dit que la division générale ne pouvait pas décider si sa rémunération était suffisante sans d’abord décider si elle aurait été assurable si elle n’avait pas été travailleuse indépendante. La Commission a soutenu que seule l’Agence du revenu du Canada (ARC) peut établir quelle rémunération est assurable.

[12] Je suis d’accord. La division générale avait compétence pour établir laquelle des rémunérations de la prestataire provenait d’un travail indépendant. Toutefois, elle ne pouvait pas établir si cette rémunération provenant d’un travail indépendant (ou quelle partie de celle-ci) serait assurable si elle n’avait pas été exclue parce qu’elle provenait d’un travail indépendant. La Loi sur l’assurance-emploi prévoit que la Commission, l’employé ou l’employeur peut demander à l’ARC de rendre une décision sur le montant de la rémunération assurableNote de bas de page 2. Elle dit que seule l’ARC peut trancher cette questionNote de bas de page 3.

[13] À mon avis, la division générale a outrepassé sa compétence. Elle a décidé que la totalité de la rémunération nette de la prestataire était une rémunération provenant d’un travail indépendant, mais elle a aussi conclu que cette rémunération aurait été assurableNote de bas de page 4. Elle a commis une erreur lorsqu’elle a décidé qu’elle aurait été assurable parce que seule l’ARC peut en décider ainsi.

Erreur de fait importante

[14] La Commission a également soutenu que la division générale n’avait pas d’éléments de preuve sur lesquels elle aurait pu fonder sa conclusion selon laquelle tout son revenu net provenait d’un travail indépendant.

[15] Selon l’avis de cotisation de la prestataire, son revenu total s’élevait à 49 465,70 $ et son revenu net et imposable à 49 455,00 $Note de bas de page 5. Elle a déclaré que son comptable avait inscrit son revenu net sous « dividendes » dans sa déclaration de revenusNote de bas de page 6. Elle a dit qu’il s’agissait de la ligne 1200 ou 1210Note de bas de page 7 de sa déclarationNote de bas de page 8. Elle a convenu qu’il avait déclaré seulement 15,70 $ à l’annexe 13 comme revenu de travail indépendant.

[16] La Commission a déclaré qu’il était « évident » que le revenu de la prestataire ne lui avait pas été versé d’une façon « assurable » parce qu’elle ne l’avait pas déclaré à l’ARC à l’annexe 13.

[17] Je ne suis pas d’accord sur le fait qu’il est évident que le revenu de la prestataire ne comprenait pas de rémunération assurable. La Commission n’a pas besoin de s’en remettre à l’ARC, alors que l’ARC informe simplement la Commission de ce que la prestataire (ou son comptable) a déclaré comme rémunération provenant d’un travail indépendant. La division générale n’est pas non plus tenue de tenir compte des renseignements figurant à l’annexe 13 comme étant déterminants pour la rémunération provenant d’un travail indépendant.

[18] La division générale n’a pas ignoré l’annexe 13, comme l’a fait valoir la CommissionNote de bas de page 9. Elle a choisi de s’appuyer sur des éléments de preuve autres que l’annexe 13 (ou la rémunération provenant d’un travail indépendant déclarée par l’ARC à la Commission à l’annexe 13)Note de bas de page 10 pour établir la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire.

[19] La Commission a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve contredisant l’annexe 13. Elle a fait référence à PN, une décision différente de la division générale, apparemment pour démontrer qu’une preuve serait requise pour réfuter l’annexe 13. Comme dans la présente affaire, le comptable de la prestataire P. N. n’avait pas rempli les documents appropriés pour montrer sa rémunération provenant d’un travail indépendantNote de bas de page 11. Toutefois, le comité de la division générale a utilisé d’autres éléments de preuve que l’annexe 13 déposée pour corriger le revenu de travail indépendant de la prestataire.

[20] Dans ses observations présentées après l’audience, la prestataire affirme qu’elle ne comprend pas pourquoi la Commission soutient que la division générale a commis une erreur en concluant qu’elle a reçu une rémunération supplémentaire provenant d’un travail indépendant, alors qu’un autre groupe de la division générale a été en mesure de le faire dans l’affaire PN.

[21] Je comprends la position de la prestataire et je ne suis pas d’accord avec la Commission sur le fait qu’il n’y avait « aucune preuve » de la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire au-delà de l’annexe 13. La prestataire a déclaré qu’elle avait un revenu de travail indépendant que son entreprise lui a versé à titre de dividendes. Elle a reconnu que ce revenu n’avait pas été déclaré à l’annexe 13, mais qu’elle avait voulu que son comptable s’assure qu’elle remplissait les conditions pour recevoir des prestations de maternité de l’assurance-emploi.

[22] La qualité de la preuve de la prestataire ne correspondait peut-être pas à celle de la preuve dans PN, mais il y avait des éléments de preuve montrant que la prestataire avait une rémunération provenant d’un travail indépendant qui n’était pas inscrite à l’annexe 13. Mon rôle n’est pas de modifier la façon dont la division générale a évalué ou soupesé la preuve, comme la Commission le reconnaît dans ses propres observationsNote de bas de page 12.

[23] Néanmoins, je suis d’accord avec la Commission pour dire que la division générale a commis une erreur de fait importante.

[24] La division générale a conclu (indirectement) que les 49 455,00 $ du revenu net de la prestataire provenaient de son travail indépendant. Elle a déclaré que la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire est le montant qui aurait été sa rémunération assurable pour l’année si son emploi avait été assurableNote de bas de page 13. De plus, elle a conclu que la totalité de la somme de 49 455,00 $ aurait été une rémunération assurable, si sa rémunération provenant d’un travail indépendant avait été assurableNote de bas de page 14. L’ensemble de ces déclarations laisse nécessairement entendre que la division générale a accepté que la totalité de la somme de 49 455,00 $ était un revenu de travail indépendant.

[25] Selon la division générale, la prestataire a dit que la totalité de son revenu provenait du travail indépendant, mais ce n’est pas exact. Il est vrai que la prestataire a déclaré qu’elle avait [traduction] « seulement un revenu de travail indépendant » dans sa demande de prestationsNote de bas de page 15. Cependant, cette décision répondait à une question où elle devait choisir entre deux options : elle pouvait choisir « un revenu de travail indépendant seulement » ou « une combinaison de revenu d’emploi et de revenu d’emploi assurable ». Par conséquent, la réponse de la prestataire prouve seulement qu’elle a compris que tous ses revenus d’emploi provenaient d’un travail indépendant. Elle n’exclut pas la possibilité que le revenu net figurant sur son formulaire d’impôt ou sur son avis de cotisation ait inclus le revenu provenant d’une source autre que l’emploi.

[26] Dans son témoignage, la prestataire a seulement dit que son comptable avait déclaré tous ses revenus comme des dividendes. Elle a affirmé qu’il savait qu’elle s’était inscrite au programme de prestations d’assurance-emploi pour les travailleurs autonomes et qu’elle croyait qu’il s’en occupait. Elle a donné une opinion non spécialisée selon laquelle il aurait dû déclarer ses revenus comme étant des « revenus de profession libérale » (à l’annexe 13 de Revenu Canada, où il a seulement déclaré 15,70 $)Note de bas de page 16.

[27] La prestataire est une psychologue qui a travaillé avec ce qui semble être une organisation professionnelle, dont elle était la seule actionnaire. Si c’est exact, les revenus qu’elle a tirés de ces services (et qui ont été versés à l’entreprise) pourraient être considérés comme un revenu provenant d’un travail indépendant aux fins de l’assurance-emploi. Peu importe si elle tire ce revenu de l’entreprise par le biais d’un salaire ou en se versant des dividendes. C’est ce qui est indiqué dans le Guide de la détermination de l’admissibilité de la CommissionNote de bas de page 17.

[28] Malgré cela, la preuve n’a pas permis de conclure que tous les dividendes étaient une rémunération provenant d’un travail indépendant. Il y a d’autres possibilités. Par exemple, une partie des dividendes qu’elle a reçus aurait pu provenir de la distribution de gains réalisés par la vente d’immobilisations de l’entreprise. Ou bien, une partie aurait pu être une distribution de revenus passifs provenant du réinvestissement par l’entreprise des revenus provenant des services de la prestataire. La preuve n’est pas claire sur la question de savoir si les dividendes représentaient uniquement une distribution de la rémunération provenant du travail indépendant.

[29] Rien n’indique non plus que l’argent versé à la prestataire en 2021 à titre de dividende ou de dividendes provenait entièrement de sa période de référence ni que ces dividendes de 2021 représentaient le bénéfice net après déduction de toutes les dépenses correctement associées aux revenus de 2021.

[30] Je reconnais qu’il y avait au moins certains éléments de preuve qui laissaient croire que son revenu net comprenait le revenu d’un travail indépendant, et rien ne disait qu’elle avait un revenu provenant d’une autre source que le travail indépendant. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il y avait des éléments de preuve sur lesquels la division générale pouvait fonder sa conclusion selon laquelle tout son revenu net était un revenu de travail indépendant ni établir la part de son revenu provenant du travail indépendant.

[31] La division générale a commis une erreur de fait importante parce que sa conclusion ne découlait pas de la preuve dont elle disposait. Elle n’avait pas les éléments de preuve dont elle avait besoin pour établir quelle proportion du revenu net de la prestataire était un revenu de travail indépendant. Cela signifie qu’elle ne pouvait pas évaluer si la prestataire remplissait les conditions pour recevoir des prestations de maternité.

Réparation

[32] J’ai relevé des erreurs dans la façon dont la division générale a rendu sa décision, alors je dois maintenant décider ce que je vais faire à ce sujet. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 18.

[33] La Commission affirme que j’ai tous les éléments de preuve dont j’ai besoin pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle dit cela parce qu’elle estime que l’annexe 13 est suffisante pour établir que la rémunération assurable de la prestataire n’était pas assez élevée pour qu’elle soit admissible. Toutefois, la Commission convient qu’elle pourrait demander une décision de l’ARC si je renvoyais l’affaire à la division générale.

[34] La prestataire affirme qu’elle n’aurait rien de nouveau à apporter à une nouvelle audience de la division générale et que je devrais simplement rendre la décision.

[35] Je ne suis pas d’accord avec la Commission et la prestataire. J’ai conclu que la division générale n’avait aucun élément de preuve lui permettant de conclure que la prestataire avait reçu une rémunération de travail indépendant suffisante pour être admissible. J’ai également conclu qu’elle n’avait pas la compétence nécessaire pour évaluer si cette rémunération provenant d’un travail indépendant aurait été assurable.

[36] Je n’ai pas d’éléments de preuve sur lesquels je pourrais me fonder pour évaluer si la prestataire avait reçu une rémunération suffisante provenant d’un travail indépendant.

[37] De plus, la Commission a contesté le fait que la rémunération réelle provenant du travail indépendant de la prestataire (et non le montant déclaré à tort à l’annexe 13) serait autrement assurable. Je ne peux pas présumer que sa rémunération provenant d’un travail indépendant est assurable ou qu’elle ne l’est pas. Seule l’ARC peut répondre à cette question.

[38] Je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen. La prestataire doit s’attendre à devoir prouver qu’elle a reçu une rémunération provenant de son travail indépendant pendant sa période de référence. Une fois que la division générale est convaincue du montant de cette rémunération, elle peut demander à la Commission d’obtenir une décision de l’ARC.

Conclusion

[39] J’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

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