Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 283

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. D.
Représentante : B. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (626788) datée du
9 novembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Peter Mancini
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 4 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 16 janvier 2024
Numéro de dossier : GE-23-3307

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] L’appelante n’a pas démontré qu’elle était fondée (c’est-à-dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand elle l’a fait. Elle n’était pas fondée à quitter son emploi parce que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelante a quitté son emploi le 16 septembre 2023 et a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de son départ. Elle a jugé qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelante a prouvé que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission dit qu’au lieu démissionner quand elle l’a fait, l’appelante aurait pu continuer à travailler jusqu’à ce qu’elle trouve un emploi à temps plein dans la région où elle voulait déménager. La Commission affirme que la relation de l’appelante n’était pas une union de fait telle que définie dans la loi et qu’elle n’avait aucune obligation d’accompagner sa conjointe. La Commission ajoute que même si l’appelante vivait en union de fait au sens de la loi, elle aurait pu rester à son travail jusqu’à ce qu’elle trouve un emploi à temps plein dans la région où elle voulait déménager.

[6] L’appelante n’est pas d’accord et affirme qu’elle avait l’obligation d’accompagner sa conjointe de fait vers un nouveau lieu de résidence. Elle dit qu’elle n’avait pas les moyens de rester seule à St. John’s à Terre-Neuve-et-Labrador parce que son revenu était insuffisant.

Question en litige

[7] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord examiner la question de son départ volontaire. Je dois ensuite décider si elle était fondée à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent que l’appelante a quitté volontairement son emploi

[9] J’admets que l’appelante a quitté volontairement son emploi. L’appelante convient qu’elle a démissionné le 16 septembre 2023. Je ne vois aucun élément de preuve qui contredise cela.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi

[10] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[11] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver qu’on est fondé à le faire.

[12] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Elle précise qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.

[13] L’appelante est responsable de prouver qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 3.

[14] Pour décider si l’appelante était fondée à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 4.

[15] Une fois que j’aurai établi les circonstances qui s’appliquent à l’appelante, celle‑ci devra démontrer qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 5.

Les circonstances entourant le départ de l’appelant

[16] L’appelante affirme que l’une des circonstances prévues par la loi s’applique à son cas. Plus précisément, elle soutient que sa conjointe de fait a trouvé un emploi à temps plein dans une ville plus petite et plus abordable et qu’elle a été obligée d’y déménager avec elle. De plus, elle dit qu’elle n’avait pas les moyens de vivre seule à St. John’s avec son salaire.

[17] L’appelante occupait un emploi à temps plein dans un grand magasin de St. John’s. Elle y a travaillé du 15 octobre 2022 au 16 septembre 2023, soit un peu moins d’un an. Aucun problème au travail ne l’a poussée à quitter son emploi. Elle gagnait le salaire minimum. Avant de démissionner, elle a trouvé un emploi de préposée au nettoyage à temps partiel dans une petite ville où vivait sa famille. Elle ne pouvait pas estimer le nombre d’heures qu’elle travaillerait parce qu’il s’agissait d’un emploi saisonnier.

[18] L’appelante louait un appartement à St. John’s lorsqu’elle y travaillait. Elle trouvait la ville chère et le coût de la vie élevé.

[19] L’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le jour même où elle a démissionné. Dans sa demande, elle a reconnu qu’elle avait quitté son emploi pour une raison qui n’avait rien à voir avec celui-ci. Elle a plutôt déclaré qu’elle avait démissionné parce que le coût de la vie était trop élevé, que son loyer augmentait et qu’elle déménageait de St. John’s pour vivre avec sa familleNote de bas de page 6. B. C. l’a aidée à remplir sa demandeNote de bas de page 7. L’appelante n’a pas mentionné le déménagement de sa conjointe dans sa demande.

[20] Lorsque la Commission a communiqué avec elle, l’appelante a déclaré qu’elle ne pouvait pas trouver de colocataire pour partager le loyer parce qu’elle ne connaissait personne dans la villeNote de bas de page 8. Sa demande de prestations a été rejetée le 18 octobre 2023.

[21] L’appelante a demandé une révision le jour même où elle a été informée du rejet de sa demande. Elle a déclaré ce qui suit dans sa demande de révision : [traduction] « Ma conjointe a déménagé […] et je l’ai suivie ». C’était la première fois que l’appelante mentionnait le déménagement de sa conjointe de St. John’s. Elle a aussi répété qu’elle n’avait pas les moyens de vivre seule à St. John’s.

[22] L’appelante a fourni à la Commission des copies des factures d’électricité pour confirmer combien le coût de la vie était élevé, ainsi qu’une copie de l’avis d’augmentation de loyer que son propriétaire lui a remis. Dans ce document, seule l’appelante est mentionnée comme locataire. L’avis mentionne que le loyer augmentera de 125 $ par mois à compter 1er février 2024. Il n’est pas signé, mais il est daté du 7 juillet 2023.

[23] Au cours de son entretien avec la Commission pendant le processus de révision, l’appelante a été interrogée sur son affirmation selon laquelle sa conjointe avait déménagé de St. John’s. Elle a déclaré [traduction] qu’« elles n’avaient pas cohabité auparavant, car elle ne vivait pas avec sa conjointe à St. John’s, mais seule ». Elle a confirmé qu’elles n’étaient pas fiancées et qu’elles avaient commencé à vivre ensemble en septembre 2023Note de bas de page 9.

[24] La demande de révision de l’appelante a été rejetée et un avis lui a été envoyé le 9 novembre 2023. L’appelante a porté cette décision en appel au Tribunal.

[25] L’appelante prétend maintenant qu’elle vivait en union de fait avec sa conjointe et qu’elles répondent à la définition de conjointes de fait prévue par la loiNote de bas de page 10. L’appelante a fourni une copie d’une lettre de son propriétaire de St. John’s qui indique qu’elle et S. M. ont loué l’appartement du 1er septembre 2022 au 31 août 2023. La lettre comporte ce qui semble être un timbre de signature au-dessus du nom du propriétaire.

[26] L’appelante a déclaré à l’audience qu’elle avait menti sur sa situation de vie dans sa demande de prestations et au cours du processus de révision. Elle a été accompagnée à l’audience par B. C., la même personne qui l’a aidée à remplir sa demande de prestations. Elle a déclaré à l’audience qu’elle était mal à l’aise d’admettre qu’elle était dans une relation homosexuelle dans sa demande de prestations et lors de son entretien avec la Commission. Elle a demandé au Tribunal d’accepter le fait qu’elle vivait en union de fait et qu’elle avait déménagé pour suivre sa conjointe.

[27] Le propriétaire n’a pas été appelé à témoigner à l’audience, pas plus que S. M., la conjointe de l’appelante.

[28] La crédibilité de l’appelante est une question majeure dans cette affaire. Pour pouvoir soutenir qu’elle a quitté son emploi parce qu’elle devait suivre sa conjointe, qui avait déménagé dans une autre région et occupait un emploi à temps plein (article 29(c)(ii) de la Loi sur l’assurance-emploi)Note de bas de page 11, je dois d’abord accepter qu’elle vivait en union de fait au sens de la loiNote de bas de page 12.

[29] D’après les éléments de preuve dont je dispose, je ne peux pas considérer que l’appelante est crédible lorsqu’elle affirme qu’elle et S. B. vivaient en union de fait au sens de la loi. L’appelante a maintenu tout au long de son processus de demande, y compris pendant le processus de révision, qu’elle et S. B. ne vivaient pas ensemble lorsqu’elles étaient à St. John’s. Même si j’admets qu’elle ait pu être réticente à informer la Commission au départ qu’elle était dans une relation homosexuelle, elle a surmonté cette réticence une fois qu’on lui a refusé des prestations et qu’elle a entamé le processus de révision. Au cours de ce processus, elle a informé la Commission qu’elle avait une conjointe et que celle-ci avait emménagé avec elle en septembre 2023. Ce n’est qu’après s’être vu refuser des prestations pendant le processus de révision et avoir entamé le processus d’appel que la prestataire a informé le Tribunal qu’elle et S. B. vivaient ensemble depuis plus de douze mois et qu’elles répondaient à la définition de conjointes de fait prévue par la loi.

[30] Le seul élément de preuve présenté à l’appui de cette nouvelle demande est la lettre du propriétaire. Comme je l’ai mentionné, le propriétaire n’a pas été appelé pour confirmer que la lettre provenait de lui. De plus, l’avis d’augmentation de loyer mentionne l’appelante comme locataire, et non l’appelante et S. B. comme locataires. Pour cette raison, je ne peux pas accorder beaucoup d’importance à la lettre du propriétaire. Il ne me reste donc que le témoignage de l’appelante. Je remarque que S. B. n’a pas été appelée pour confirmer la relation. L’appelante affirme qu’elle n’a pas été sincère avec la Commission lorsqu’elle a dit qu’elle vivait seule et de nouveau lorsqu’elle a dit que sa conjointe n’avait emménagé avec elle qu’en septembre 2023. Étant donné que l’appelante a raconté différentes histoires à différents moments concernant sa relation, je ne peux pas accorder beaucoup d’importance à son témoignage. Je ne pense pas que l’appelante vivait en union de fait et, par conséquent, l’article 29(c)(ii) de la Loi sur l’assurance-emploi ne s’applique pas.

[31] Après avoir établi que l’appelante n’avait pas l’obligation de quitter son emploi pour accompagner sa conjointe, il me reste à évaluer son argument selon lequel elle a démissionné et accepté un emploi à temps partiel dans une autre région parce que le coût de la vie, y compris le loyer, était trop élevé à St. John’s pour qu’elle puisse y rester. J’accepte les éléments de preuve présentés par l’appelante montrant que ses dépenses étaient élevées et que son loyer allait augmenter en février 2024.

[32] Au moment où l’appelante a démissionné, elle travaillait 40 heures par semaine au salaire minimum et vivait à St. John’s. Sa conjointe a accepté un poste à temps plein dans une autre région de Terre-Neuve. L’appelante a décidé de quitter son emploi et de la suivre. Elle a trouvé un emploi à temps partiel dans le même village qu’elle. J’estime que l’augmentation potentielle du loyer de l’appelante et le fait qu’elle croyait en avoir plus pour son argent au village qu’à St. John’s ont également joué un rôle dans sa décision de quitter son emploi.

L’appelante avait d’autres solutions raisonnables

[33] Je dois maintenant vérifier si l’appelante n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi quand elle l’a fait.

[34] L’appelante dit que c’était le cas parce que le coût de la vie était trop élevé et que son revenu lui permettrait d’avoir un niveau de vie plus élevé dans le village où vivaient son conjoint et sa famille. Elle ne pouvait tout simplement se permettre de rester à St. John’s.

[35] La Commission n’est pas d’accord et avance que l’appelante aurait pu rester dans son appartement jusqu’à ce que son loyer augmente. Elle aurait pu chercher un emploi à temps plein au village avant de quitter son emploi. La Commission affirme également que le fait de quitter son emploi pour obtenir un avantage financier n’est pas une circonstance qui justifie de courir un risque pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[36] J’estime que l’appelante aurait pu rester à St. John’s jusqu’à ce qu’elle trouve un emploi à temps plein dans la région où elle souhaitait déménager, ou jusqu’à ce que l’augmentation de loyer prenne effet. Elle aurait pu s’efforcer de trouver une colocataire avec laquelle elle aurait pu partager les dépenses. Je pense que le déménagement de la conjointe de l’appelante dans une autre région a été la principale raison pour laquelle elle a décidé de démissionner. Vouloir être avec sa conjointe et chercher un endroit plus économique pour vivre peuvent représenter de bonnes raisons pour l’appelante de quitter son emploi, mais ce ne sont pas des raisons valables au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[37] Compte tenu des circonstances entourant le départ de l’appelante, celle-ci avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi au moment où elle l’a fait, pour les raisons mentionnées ci-dessus.

[38] L’appelante n’était donc pas fondée à quitter son emploi.

Conclusion

[39] Je conclus que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations.

[40] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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