Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : EP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 2000

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : E. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (594008) datée du 22 juin 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 6 septembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 3 octobre 2023
Numéro de dossier : GE-23-1959

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Décision

[1] L’appel est accueilli en partie. Le Tribunal de la sécurité sociale est en partie d’accord avec l’appelant.

[2] Dans cet appel, il est question d’une antidatation. L’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant tout le retard de sa demande de prestations. Autrement dit, l’appelant n’a pas une explication acceptable selon la loi.

[3] Il est aussi question de ses heures de travail. L’appelant a démontré qu’il a accumulé assez d’heures pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[4] L’appelant a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi, mais la Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’il n’avait pas accumulé assez d’heures pour être admissibleNote de bas de page 1.

[5] La Commission a rejeté la demande d’antidatation de l’appelant. Par conséquent, sa demande initiale ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt. La Commission soutient aussi que l’appelant n’a pas accumulé assez d’heures, car il en a besoin de 700 heures ou plus, mais il en a accumulé seulement 672.

[6] L’appelant n’est pas d’accord pour deux raisons :

  • Premièrement, il dit qu’il devrait avoir droit à une antidatation. Ainsi, sa période de référence commencerait plus tôt et elle inclurait plus d’heures.
  • Deuxièmement, il conteste sa période de référence. Il soutient qu’il devrait avoir droit à une prolongation pour que sa période de référence inclue plus d’heures.

Question que je dois examiner en premier

J’ai accepté les documents déposés après l’audience

[7] À l’audience, l’appelant a dit qu’il n’avait pas pu travailler pendant deux semaines en décembre 2022. Il a fait des observations écrites à ce sujet lorsqu’il a déposé son appelNote de bas de page 2. Pendant l’audience, il a offert d’envoyer des documents pour appuyer son témoignage. J’ai accepté.

[8] L’appelant a bel et bien présenté un document après l’audience, lequel a été ajouté à son dossier d’appelNote de bas de page 3. Le document a été envoyé à la Commission pour qu’elle puisse présenter des observations supplémentaires. La Commission a choisi de ne pas présenter d’observations supplémentaires.

[9] Je suis convaincu que le document a une valeur probante.

Question en litige

[10] Je dois trancher deux questions :

  • L’appelant a-t-il démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande initiale de prestations d’assurance-emploi? Cette question est liée à l’antidatation.
  • L’appelant a-t-il accumulé assez d’heures pour être admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi?

Analyse

[11] L’appelant peut être admissible aux prestations de deux façons. Je vais commencer mon analyse par la demande d’antidatation. Je passerai ensuite à la question des heures.

Antidatation

[12] L’appelant veut que ses demandes de prestations d’assurance-emploi soient traitées comme si elles avaient été présentées plus tôt. C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande initiale. Il veut une antidatation au 1er mai 2022 ou au 19 décembre 2022.

[13] Il fait valoir que l’une ou l’autre de ces dates lui permettrait de recevoir des prestations, car sa période de référence inclurait assez d’heures.

[14] Pour faire antidater sa demande, l’appelant doit prouver qu’il avait un motif valable justifiant son retard pendant toute la période écouléeNote de bas de page 4. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’un motif valable justifiait son retard.

[15] Pour démontrer qu’il avait un motif valable, l’appelant doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 5. Autrement dit, il doit démontrer qu’il a agi de façon raisonnable et prudente, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait dans une situation semblable.

[16] L’appelant doit aussi démontrer qu’il a vérifié assez rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas de page 6. Bref, il doit démontrer qu’il a fait de son mieux pour essayer de s’informer sur ses droits et ses responsabilités dès que possible. S’il ne l’a pas fait, il doit alors démontrer les circonstances exceptionnelles qui l’en ont empêchéNote de bas de page 7.

[17] L’appelant doit démontrer qu’il a agi ainsi pendant toute la période du retardNote de bas de page 8. Cette période s’étend du jour où il veut que sa demande initiale soit antidatée au jour où il l’a présentée. Par conséquent, sa période de retard s’étend du 1er mai 2022 au 20 avril 2023.

[18] L’appelant affirme qu’un motif valable justifiait son retard parce que des professeurs, des camarades ou des membres du personnel de la Commission lui ont toujours dit que ses études le rendaient inadmissible aux prestations.

[19] L’appelant dit avoir téléphoné à la Commission en décembre 2022. Il affirme qu’on lui a dit que pendant ses études à temps plein, il n’était pas admissible aux prestations. Au printemps 2023, il a rappelé la Commission, alors que ses études étaient interrompues à cause d’un conflit de travail, et il a reçu une réponse semblable.

[20] L’appelant affirme avoir reçu des renseignements erronés au sujet de son admissibilité aux prestations pendant ses études. Je ne suis pas d’accord. Cela ne veut pas dire que je ne crois pas l’appelant. Je le crois lorsqu’il affirme s’être fait dire que les personnes aux études à temps plein n’ont probablement pas droit aux prestations.

[21] Pour recevoir des prestations régulières, il faut répondre à deux exigences principales. La première : établir une période de prestations. La deuxième : remplir les conditions d’admissibilité continue. Pour les prestations régulières, l’une de ces conditions est la preuve de la disponibilité.

[22] Dans le cas de l’appelant, ses questions concernaient ses études. La réponse semble naturelle, car les tribunaux ont déjà tranché en la matière : les personnes aux études à temps plein sont présumées ne pas être disponibles pour travailler. Elles doivent réfuter cette présomption pour avoir droit aux prestations. Une décision judiciaire a déjà énuméré trois éléments à prouverNote de bas de page 9. La partie prestataire doit donc démontrer qu’elle  :

  • souhaite retourner travailler aussitôt qu’un emploi convenable lui serait offert;
  • a fait des démarches pour trouver un emploi convenable;
  • n’a pas établi de conditions personnelles qui limiteraient indûment (c’est-à-dire trop) ses chances de retourner travailler.

[23] Dans les circonstances, il est fort probable que d’autres personnes et même la Commission aient dit à l’appelant que les prestations n’étaient pas payables pendant ses études. Toutefois, cela n’empêchait pas l’appelant de présenter une demande. L’appelant affirme qu’il n’a pas déposé de demande en raison des réponses qu’il a reçues. La seule façon de savoir si une personne est admissible à des prestations est de passer par un processus complet d’évaluation des faits après que la personne a présenté sa demande et que des réponses ont été fournies.

[24] Si l’appelant avait demandé s’il pouvait recevoir des prestations de maladie après sa chirurgie dentaire, il aurait sans aucun doute reçu une réponse différente.

[25] Une antidatation à mai ou décembre 2022 ne signifie pas que l’appelant aurait eu droit à des prestations pendant ses études. Étant donné ses heures accumulées, il pourrait très bien être en mesure d’établir une période de prestations, mais il devrait quand même prouver sa disponibilité pour le travail pendant ses études.

[26] L’appelant explique qu’il a présenté sa demande dès la fin de ses études. Ainsi, il pensait éviter toute conséquence négative. Il ne voulait pas être accusé de fraude. La Commission affirme qu’il n’est pas du tout question de fraude lorsqu’une personne fait une demande et que des réponses honnêtes sont fournies.

[27] La Commission affirme que rien ne prouve que l’appelant lui a téléphoné parce que le dossier ne comporte pas de renseignements supplémentaires concernant la demande. Cet argument ne me convainc pas. Tout document de renseignements supplémentaires concernant une demande est un ajout à une demande de prestations. Il va de soi que s’il n’y a pas de demande, il ne peut pas y avoir de renseignements supplémentaires.

[28] L’appelant a-t-il agi comme une personne raisonnable? Je le crois lorsqu’il dit avoir téléphoné à la Commission et avoir demandé s’il était admissible aux prestations pendant ses études. Cependant, je ne suis pas convaincu qu’il ait demandé s’il pouvait présenter une demande et qu’il ait posé des questions sur les prestations de maladie.

[29] Une personne peut poser de nombreuses questions. Chaque demande est différente. Je ne pense pas que l’intention soit d’antidater une demande simplement pour augmenter le nombre d’heures, afin qu’une personne soit admissible, pour ensuite la déclarer inadmissible pendant ses études. Si l’appelant avait été au courant des heures et des questions à poser, il aurait pu discuter de sa situation. La Commission affirme que l’ignorance de la loi n’est pas une raison valable pour une antidatation. Je suis d’accord. C’est aussi ce que les tribunaux ont établiNote de bas de page 10.

[30] L’appelant a bien expliqué qu’il était toujours capable de travailler, même s’il n’arrivait pas à faire ses tâches quotidiennes. Il dit que l’espoir de travailler le motivait à sortir de chez lui. Lorsqu’il travaillait, il n’avait pas de temps pour les problèmes médicaux, car il travaillait souvent 60 heures par semaine. Il dit qu’il a des antécédents familiaux de dépression et que son père lui a montré à se tirer d’affaire tout seul. Il a donc appris à travailler malgré ses difficultés.

[31] La loi prévoit qu’à moins de circonstances exceptionnelles, on s’attend à ce qu’une personne vérifie assez rapidement si elle a droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposeNote de bas de page 11.

[32] J’estime qu’en raison des effets cumulatifs de la situation de l’appelant, on peut conclure qu’il y a eu des circonstances exceptionnelles pendant la courte période de neuf semaines. Je reconnais que la Commission présente des observations en réponse à chacun des enjeux de l’appelant. Cependant, elle n’a pas tenu compte de l’ensemble des circonstances.

[33] Je reconnais que la disposition de la Loi sur l’assurance-emploi concernant l’antidatation n’est pas le produit d’un « simple caprice législatifNote de bas de page 12 ». Elle renferme une politique essentielle à l’administration efficace de cette loi. L’antidatation d’une demande de prestations peut nuire à l’intégrité du régime. En effet, elle permet d’accorder des prestations de façon rétroactive et inconditionnelle, souvent sans possibilité de vérification des critères d’admissibilité pendant la période de rétroactivitéNote de bas de page 13.

[34] L’antidatation n’est pas un droit, mais un avantage possible si l’on démontre que l’on remplit les conditions requises. Les tribunaux ont établi qu’il s’agit d’un avantage exceptionnel. L’obligation de demander rapidement des prestations est un devoir très sévère et strictNote de bas de page 14. C’est pourquoi l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée avec prudence.

[35] Aucune des parties ne conteste le fait que l’appelant a omis de vérifier rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposait. Mais la loi prévoit des circonstances exceptionnelles.

[36] Je ne suis pas convaincu que l’appelant s’est basé sur des suppositions non fondées selon lesquelles il allait travailler. Il a plutôt démontré qu’il a agi de façon raisonnable et prudente, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait dans une situation semblable. Je le crois lorsqu’il dit que tout ce qu’il vivait a eu une incidence sur ses gestes et les raisons pour lesquelles il a tardé à présenter ses demandes. Il a eu des problèmes de santé mentale et des enjeux entourant sa situation familiale, il a déménagé, il a vécu difficilement les confinements lors de la pandémie de COVID-19, et il a dû composer avec des problèmes d’intimité et une infestation de cafards. Il a dit que ces événements l’ont totalement submergé et lui ont causé une dépression nerveuse.

[37] Je conclus tout de même que l’appelant n’a pas démontré qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui l’ont empêché de vérifier assez rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposait, pendant toute la période écoulée avant qu’il ne présente sa demande.

Conditions d’admissibilité aux prestations

[38] Il ne suffit pas d’arrêter de travailler pour obtenir des prestations d’assurance-emploi. Une personne doit prouver qu’elle y est admissibleNote de bas de page 15. L’appelant doit le prouver selon la prépondérance des probabilités en démontrant qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est admissible aux prestations.

[39] Pour être admissible, l’appelant doit avoir accumulé assez d’heures pendant une certaine période. Cette période s’appelle la « période de référenceNote de bas de page 16 ».

[40] En général, le nombre d’heures requis dépend du taux de chômage dans la région de la personneNote de bas de page 17. L’appelant aurait eu besoin de 700 heuresNote de bas de page 18. Il n’a pas contesté l’établissement de sa région économique, le taux de chômage dans cette région ni le nombre d’heures requis selon la règle générale.

[41] Rien ne me fait douter de la nécessité de 700 heures selon la règle générale. J’accepte donc que c’est un fait. Je considère que l’appelant avait besoin de 700 heures pour être admissible aux prestationsNote de bas de page 19.

Période de référence de l’appelant

[42] La période de prestations est différente de la période de référence. Ces deux périodes n’arrivent pas en même temps. La période de prestations est la période pendant laquelle une personne peut recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[43] La loi prévoit que la période de prestations commence au moment qui arrive en dernier entre ceux-ci :

  • le dimanche de la semaine où survient l’arrêt de rémunération;
  • le dimanche de la semaine où la demande initiale de prestations est présentéeNote de bas de page 20.

[44] L’arrêt de rémunération de l’appelant a commencé le 16 décembre 2022Note de bas de page 21. L’appelant a présenté sa demande de prestations le 20 avril 2023.

[45] Je conclus donc que sa période de prestations commençait le 16 avril 2023.

[46] Comme je l’ai mentionné plus haut, les heures prises en compte sont celles de la période de référence. En général, la période de référence est la période de 52 semaines précédant le début de la période de prestationsNote de bas de page 22. Toutefois, il est possible de prolonger la période de référenceNote de bas de page 23.

[47] La Commission a établi que la période de référence de l’appelant comportait les 52 semaines habituelles, du 17 avril 2022 au 15 avril 2023.

[48] La Commission soutient que l’appelant ne remplit pas les conditions requises pour prolonger sa période de référence. Je conviens qu’avec les renseignements que la Commission avait au début, elle avait raison de tirer cette conclusion. Il y a toutefois de nouveaux renseignements. Je dois décider ce qui est le plus probable.

[49] Dans l’ensemble de la preuve et de l’audience, le changement de déclarations est la seule fois où, selon moi, la crédibilité de l’appelant a été mise à l’épreuve. J’estime qu’il est possible que l’appelant ait oublié l’extraction de ses dents de sagesse et son incidence sur sa capacité de travailler. L’appelant a fourni une preuve à l’appui de ses déclarations les plus récentes. Je le crois. Je crois que c’était un simple oubli de sa part.

[50] Par conséquent, je considère que l’appelant remplit une des conditions prévues par la loi pour prolonger sa période de référenceNote de bas de page 24. Il remplit les conditions requises pour faire prolonger sa période de référence de deux semaines. Son certificat médical indique qu’il était incapable de travailler du 19 décembre 2022 au 2 janvier 2023.

[51] Selon la preuve dont je dispose, je juge que la période de référence qui s’étend du 9 janvier 2022 au 7 janvier 2023 est correcte.

Heures de travail accumulées

L’appelant est d’accord avec la Commission

[52] L’appelant n’a pas contesté le nombre d’heures accumulées. Il est d’accord avec les heures qui figurent dans ses deux relevés d’emploi.

[53] L’appelant ne conteste pas ses heures et rien ne m’amène à en douter. J’accepte donc que c’est un fait.

[54] Je ne peux pas changer le nombre d’heures. C’est ce nombre que je vais utiliser pour trancher l’appel. De ses 555 heures accumulées, 535 se situent dans sa période de référence.

Alors, l’appelant a-t-il accumulé assez d’heures pour être admissible aux prestations?

[55] Oui. L’appelant a accumulé 535 heures au cours de sa période de référence, alors qu’il en avait besoin de 600.

Conclusion

[56] L’appelant n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations pendant toute la période écoulée.

[57] Mais il a accumulé assez d’heures pour être admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi, compte tenu du début de sa période de prestations, le 16 avril 2023.

[58] L’appel est rejeté.

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