Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : EP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 271

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : E. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Daniel McRoberts

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 4 octobre 2023 (GE-23-1959)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 8 mars 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
La personne qui représente l’intimée
Date de la décision : Le 15 mars 2024
Numéro de dossier : AD-23-939

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes.

[2] Pour corriger ces erreurs, j’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre, et je suis arrivée à la même conclusion.

[3] La période de référence du prestataire peut être prolongée de deux semaines. Ainsi, il a assez d’heures pour établir une période de prestations. Toutefois, il n’a aucun motif valable qui lui permettrait d’antidater sa demande d’assurance-emploi, c’est-à-dire de faire comme si elle avait été présentée plus tôt.

Aperçu

[4] E. P. est le prestataire dans cette affaire. Il a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi. Ensuite, il a demandé à la Commission de l’assurance-emploi du Canada d’antidater sa demande à deux dates antérieures et a fourni des raisons à l’appui.

[5] La Commission a d’abord établi qu’il ne pouvait pas établir une période de prestations parce qu’il n’avait pas accumulé assez d’heures pendant sa période de référence de 52 semaines. La Commission a aussi rejeté sa demande d’antidatation aux deux dates antérieuresNote de bas de page 1. Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale.

[6] La division générale a accueilli en partie l’appel du prestataireNote de bas de page 2. Elle a prolongé sa période de référence de deux semaines et a ainsi conclu qu’il avait accumulé assez d’heures pour établir une période de prestationsNote de bas de page 3. Toutefois, elle a aussi décidé qu’il n’avait aucun motif valable qui justifiait le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi pendant toute la période écoulée. Par conséquent, sa demande ne pouvait pas être antidatée.

[7] Le prestataire a fait appel à la division d’appel du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 4. Il a affirmé que la division générale n’a pas respecté les principes d’équité procédurale et qu’elle a commis une erreur de compétence ainsi que des erreurs de fait importantesNote de bas de page 5. À l’audience de la division d’appel, le prestataire a précisé qu’il se concentrait seulement sur les erreurs de fait de la division générale.

[8] Je considère que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes. Pour corriger ces erreurs, j’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le prestataire a accumulé assez d’heures pour établir une période de prestations pendant sa période de référence prolongée de 54 semaines. Toutefois, il n’a aucun motif valable qui lui permettrait d’antidater sa demande d’assurance-emploi.

Questions en litige

[9] Voici les questions que je dois trancher :

  1. a) La division générale a-t-elle commis des erreurs de fait importantes?
  2. b) Si oui, comment devrais-je les corriger?

Analyse

[10] Il y a erreur de fait si la division générale fonde sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 6.

[11] Voici ce qu’il faut notamment examinerNote de bas de page 7 :

  • La preuve contredit-elle carrément l’une des principales conclusions de la division générale?
  • Est-il impossible de trouver un élément de preuve qui pourrait appuyer rationnellement l’une des principales conclusions de la division générale?
  • La division générale a-t-elle ignoré des éléments de preuve importants qui sont contraires à l’une de ses principales conclusions?

[12] Je peux intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaireNote de bas de page 8.

La division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes

La division générale a commis une erreur lorsqu’elle s’est appuyée sur des faits qui ne faisaient pas partie du dossier ni du témoignage du prestataire

[13] Les parties conviennent que la division générale a commis des erreurs de fait. Plus précisément, la division générale s’est appuyée sur des faits qui ne faisaient pas partie du dossier ni du témoignage du prestataire.

[14] Au paragraphe 36 de sa décision, la division générale a établi que le prestataire a eu des problèmes de santé mentale et des enjeux entourant sa situation familiale, qu’il a déménagé, qu’il a vécu difficilement les confinements lors de la pandémie de COVID-19, et qu’il a dû composer avec des problèmes d’intimité et une infestation de cafards. Elle a affirmé que le prestataire a dit que ces événements l’ont totalement submergé et lui ont causé une dépression nerveuse.

[15] À l’audience de la division d’appel, le prestataire a expliqué qu’il avait dit à la division générale qu’il avait un trouble anxieux, mais qu’aucune des autres circonstances énumérées au paragraphe 36 de la décision ne s’appliquait à lui.

[16] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Aucune des circonstances énumérées ci-dessus n’a été soulevée par le prestataire (à l’exception de son anxiété). Ces événements ne figurent pas non plus dans le dossier.

[17] Je conclus que la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes. Dans son examen des circonstances exceptionnelles, la division générale s’est fondée sur des faits et des circonstances qui ne faisaient pas partie du dossier ni du témoignage du prestataireNote de bas de page 9.

La division générale a commis une erreur de fait importante en ce qui concerne la période de retard

[18] Le prestataire et la Commission conviennent aussi que la division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a établi la période de retard.

[19] Au paragraphe 32 de sa décision, la division générale a affirmé que le retard de la demande de prestations d’assurance-emploi était seulement de neuf semaines.

[20] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 20 avril 2023Note de bas de page 10. Il a ensuite demandé à la Commission d’antidater sa demande au 1er mai 2022 ou au 18 décembre 2022Note de bas de page 11. 

[21] Selon mes calculs, la période de retard aurait alors été d’environ 17 semaines à partir du 18 décembre 2022, ou d’environ 49 semaines à partir du 1er mai 2022.

[22] Je conclus que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a établi que la période de retard était seulement de neuf semainesNote de bas de page 12. La preuve dont elle disposait montrait autre chose.

La division générale a commis une erreur de fait au sujet des heures requises et des heures accumulées

[23] Les parties conviennent que la division générale a commis des erreurs lorsqu’elle a déterminé le nombre d’heures dont le prestataire avait besoin pour établir une période de prestations et le nombre d’heures qu’il avait accumuléesNote de bas de page 13.

[24] Au paragraphe 41 de sa décision, la division générale a établi que le prestataire avait besoin de 700 heures pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[25] Au paragraphe 55 de sa décision, la division générale a affirmé que le prestataire avait besoin de 600 heures, mais qu’il en avait accumulé seulement 535 au cours de sa période de référence.

[26] La preuve montre que le prestataire avait accumulé 748 heures au cours de sa période de référence de 54 semainesNote de bas de page 14. Il en avait seulement besoin de 700 selon la date de sa demande (le 20 avril 2023) et le taux régional de chômage à ce moment-là (5,9 %)Note de bas de page 15.

[27] La Commission soutient que la correction de cette erreur n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Elle a expliqué que la division générale a accueilli en partie l’appel du prestataire, puisqu’il avait assez d’heures pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[28] La Commission a aussi expliqué qu’elle avait déjà versé des prestations d’assurance-emploi au prestataire. Il avait seulement besoin de 700 heures et en avait accumulé 748. Le prestataire n’a pas contesté ce nombre et a convenu qu’il avait déjà reçu des prestations d’assurance-emploi. 

[29] Je conclus que la division générale a commis des erreurs de fait lorsqu’elle a établi à tort que le prestataire avait accumulé seulement 535 heures au cours de sa période de référence, alors qu’il en avait besoin de 600. La preuve dont elle disposait montrait autre chose. Comme je l’ai mentionné plus haut, le prestataire avait accumulé 748 heures au cours de sa période de référence de 54 semaines et il en avait seulement besoin de 700 pour établir une période de prestations.

[30] J’admets que les erreurs de fait commises par la division générale ne changent pas l’issue de l’affaire. Comme la division générale a accueilli en partie l’appel du prestataire, la Commission a déjà versé des prestations d’assurance-emploi au prestataire.

[31] Enfin, je reconnais que les parties ont soulevé d’autres erreurs de la division générale, mais je me suis concentrée uniquement sur les erreurs ci-dessus.

[32] Je vais maintenant voir comment je peux corriger ces erreurs.

Réparation : comment corriger les erreurs

Les parties s’entendent sur la façon de corriger les erreurs, alors je vais remplacer la décision de la division générale

[33] Je dois décider comment corriger les erreurs de la division générale. Il y a deux options : rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou lui renvoyer l’affaire pour un nouvel examenNote de bas de page 16.

[34] Le prestataire et la Commission conviennent que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Ils soutiennent que le dossier est complet.

[35] Le prestataire a expliqué qu’il ne veut pas d’autres prestations d’assurance-emploi de la part de la Commission. Il ne veut pas non plus lui devoir une somme d’argent pour des prestations d’assurance-emploi déjà versées après que la division générale a accueilli son appel en partie.

[36] Je suis d’accord avec les parties. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. J’ai toute l’information dont j’ai besoin pour décider si le prestataire avait assez d’heures pour établir une période de prestations et si sa demande d’assurance-emploi pouvait être antidatée. Dans ma décision, je peux tirer les conclusions de fait nécessairesNote de bas de page 17.

Le prestataire a accumulé assez d’heures pour établir une période de prestations

[37] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 20 avril 2023. Sa période de prestations commençait le 16 avril 2023 (le dimanche qui marque le début de la semaine).

[38] La période de référence est habituellement la période de 52 semaines précédant le début de la période de prestationsNote de bas de page 18. Mais il y a des exceptions où une période de référence peut être prolongéeNote de bas de page 19. L’une de ces exceptions est une incapacité de travailler en raison d’une maladie, d’une blessure, d’une mise en quarantaine ou d’une grossesseNote de bas de page 20.

[39] Dans la présente affaire, un élément de preuve médicale montre que le prestataire a été incapable de travailler pendant deux semaines, du 19 décembre 2022 au 2 janvier 2023, en raison de l’extraction de ses dents de sagesseNote de bas de page 21.

[40] Je conclus que la période de référence du prestataire peut être prolongée de deux semaines parce qu’il était incapable de travailler (incapacité). Par conséquent, sa période de référence comporte 54 semaines (52 semaines plus la prolongation de 2 semaines). Sa période de référence de 54 semaines s’étendrait alors du 3 avril 2022 au 16 avril 2023.

[41] Selon le taux régional de chômage (5,9 %) au moment de la demande de prestations d’assurance-emploi (le 20 avril 2023) et sa région économique, le prestataire devait accumuler 700 heures pendant sa période de référence pour établir une période de prestations et recevoir des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 22.

[42] La Commission a confirmé que le prestataire avait accumulé 748 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence de 54 semaines et qu’il pouvait établir une période de prestationsNote de bas de page 23. Le prestataire ne conteste pas ce nombre.

[43] Par conséquent, je conclus que le prestataire a accumulé assez d’heures au cours de sa période de référence de 54 semaines (du 3 avril 2022 au 16 avril 2023) pour établir une période de prestations et recevoir des prestations d’assurance-emploi.

Antidatation

[44] Pour faire antidater sa demande, le prestataire doit prouver qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi pendant toute la période écouléeNote de bas de page 24.

[45] Pour démontrer qu’il avait un motif valable, l’appelant doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 25.

[46] À moins de circonstances exceptionnelles, le prestataire doit démontrer qu’il a vérifié assez rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas de page 26.

[47] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 20 avril 2023, mais il veut que sa demande soit antidatée au 1er mai 2022 ou au 18 décembre 2022. J’ai donc deux périodes de retard à examiner.

[48] La première période de retard va du 1er mai 2022 au 20 avril 2023. Elle représente à peu près 49 semaines.

[49] La deuxième période de retard va du 18 décembre 2022 au 20 avril 2023. Elle représente à peu près 17 semaines.

[50] Le prestataire a dit à la Commission qu’il était aux études de mai à août 2022Note de bas de page 27. Il a ensuite eu un contrat de travail de septembre à décembre 2022. Il est retourné aux études à la nouvelle année, de janvier 2023 au 20 avril 2023, puis a demandé des prestations d’assurance-emploi.

[51] Le prestataire soutient qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi.

[52] Je vais d’abord examiner les notes supplémentaires liées aux discussions téléphoniques entre le prestataire et la Commission.

[53] Premièrement, le prestataire a dit à la Commission que des professeurs lui ont dit qu’il ne pouvait pas recevoir de prestations d’assurance-emploi pendant ses étudesNote de bas de page 28. Ses camarades lui ont dit la même choseNote de bas de page 29.

[54] Deuxièmement, le prestataire s’est informé auprès de Service Canada entre le 1er mai 2022 et le 19 avril 2023. On lui a dit qu’il ne serait pas autorisé à recevoir des prestations d’assurance-emploi pendant ses études et qu’il devrait présenter une demande après avoir obtenu son diplômeNote de bas de page 30. Il a fait d’autres appels téléphoniques en 2021Note de bas de page 31.

[55] Troisièmement, le prestataire a dit à la Commission qu’il n’était pas vraiment certain d’avoir droit aux prestations d’assurance-emploi. Il s’est décrit comme une personne anxieuse, alors il ne voulait pas présenter une demande et risquer de passer pour un fraudeurNote de bas de page 32.

[56] À l’audience de la division générale, le prestataire a déclaré qu’il s’est efforcé de s’informer sur les prestations d’assurance-emploi de multiples façons selon le temps qu’il avaitNote de bas de page 33. Il a expliqué qu’il avait des cours plus de 50 heures par semaine et qu’il était très occupé, alors il n’avait pas eu le temps de chercher des failles dans le système.

[57] Il a aussi dit à la division générale qu’il a un grave trouble anxieux et que, dans son esprit, il craignait de recevoir une amende ou d’avoir un [traduction] « dossier » lié à une demande d’assurance-emploi frauduleuse assortie de fausses déclarationsNote de bas de page 34.

Le prestataire n’a aucun motif valable qui lui permettrait d’antidater sa demande d’assurance-emploi

[58] J’estime que le prestataire n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi pour toute la période écoulée. J’ai tenu compte des deux périodes pour lesquelles il a demandé l’antidatation (à partir du 1er mai 2022 ou du 18 décembre 2022).

[59] J’admets que le prestataire a peut-être reçu des renseignements erronés de la part de ses professeurs, de ses camarades, et peut-être même de Service Canada. Toutefois, cela ne l’empêchait pas de demander des prestations d’assurance-emploi.

[60] Par exemple, j’estime qu’il aurait pu demander des prestations d’assurance-emploi en mai ou en décembre 2022. Il aurait pu faire un suivi auprès de Service Canada par la suite pour en savoir plus sur son admissibilité et discuter de ses inquiétudes au sujet de la fraude. Même s’il était occupé par ses études, il aurait pu présenter une demande de prestations d’assurance-emploi en ligne à tout moment ou visiter un centre de Service Canada pendant les heures d’ouverture.

[61] Je conviens que le prestataire a agi de bonne foi. Je comprends qu’il ne voulait pas risquer de demander des prestations d’assurance-emploi et d’être sanctionné. Cependant, les tribunaux ont établi que l’ignorance de la loi, même de bonne foi, ne suffit pas à établir un motif valableNote de bas de page 35.

[62] Je juge que les circonstances dans l’affaire, qu’elles soient considérées individuellement ou cumulativement, n’étaient pas exceptionnelles. On s’attend à ce qu’une personne vérifie assez rapidement les obligations que la loi lui impose. Ce n’est pas ce que le prestataire a fait.

Conclusion

[63] L’appel est rejeté. La division générale a commis des erreurs de fait importantes. J’ai remplacé sa décision par la mienne, et je suis arrivée à la même conclusion.

[64] En ce qui concerne les heures de travail, le prestataire en a accumulé assez pour établir une période de prestations qui commençait le 16 avril 2023, en fonction de sa période de référence prolongée de 54 semaines. Ces semaines comprennent une prolongation de deux semaines.

[65] En ce qui concerne l’antidatation, le prestataire n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi pendant les deux périodes mentionnées. Il n’a donc pas droit à une antidatation.

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