Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1927

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (630600) datée du 30 novembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Ambrosia Varaschin
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 18 décembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 18 décembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-3415

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations pendant toute la période écoulée. Autrement dit, l’appelant n’a pas fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôtNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a demandé des prestations d’assurance-emploi le 24 octobre 2023. Il veut maintenant que sa demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 23 mars 2023. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déjà rejeté cette demande.

[4] C’est à mon tour de décider si l’appelant a prouvé qu’il avait un motif valable pour ne pas avoir demandé plus tôt des prestations.

[5] La Commission dit que l’appelant ne dispose pas d’un motif valable parce qu’il n’a pas cherché à vérifier ses droits et ses responsabilités en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi avant de présenter sa demande. Tout en reconnaissant que l’appelant avait été aux prises avec une crise de santé mentale pendant une partie du retard, la Commission estime que rien ne l’avait empêché de présenter sa demande plus tôt.

[6] L’appelant n’est pas d’accord. Il affirme qu’il ignorait qu’il pouvait bénéficier de prestations d’assurance-emploi quand il avait été mis à pied de son premier emploi. Il dit qu’après un mois de chômage, il avait contracté des prêts sur salaire pour payer ses factures, et que la pression de ces prêts avait causé chez lui une crise de santé mentale.

Question en litige

[7] La demande de prestations de l’appelant peut-elle être traitée comme si elle avait été présentée le 23 mars 2023? Il bénéficierait ainsi de ce qu’on appelle une « antidate ».

Analyse

[8] Pour profiter d’une antidate de sa demande de prestations, l’appelant a deux choses à prouverNote de bas de page 2 :

  1. a) Il avait un motif valable justifiant la présentation tardive de sa demande pendant toute la période qui s’est écoulée. Autrement dit, il dispose d’une explication jugée acceptable par la loi pour expliquer pourquoi il a tardé à demander des prestations, et ce pour toute la période du retard.
  2. b) Il remplissait les conditions requises à la date fixée plus tôt (c’est-à-dire le jour où il veut que sa demande soit antidatée).

[9] Les principaux arguments dans cette affaire portent sur la question de savoir si l’appelant avait un motif valable. Je vais donc en traiter en premier.

[10] Pour établir qu’il a un motif valable, l’appelant doit démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3. Autrement dit, il doit démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et réfléchie aurait agi dans une situation semblable.

[11] L’appelant doit le démontrer pour toute la période du retardNote de bas de page 4. Cette période s’étend du jour où il veut que sa demande soit antidatée au jour où il a réellement présenté sa demande. Par conséquent, la période de retard pour l’appelant va du 23 mars au 24 octobre 2023.

[12] L’appelant doit aussi démontrer qu’il a vérifié assez rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas de page 5. L’appelant doit donc démontrer qu’il a fait de son mieux pour essayer de s’informer de ses droits et de ses responsabilités dès que possible. S’il ne l’a pas fait, il doit alors démontrer que des circonstances exceptionnelles l’en ont empêchéNote de bas de page 6.

[13] L’appelant doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. En d’autres termes, il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait un motif valable justifiant son retard.

[14] Selon la Commission, l’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard, pour les raisons suivantes :

  • L’appelant a seulement vérifié après sa mise à pied, à la fin septembre, s’il avait droit à des prestations et quelles étaient les obligations que la loi lui imposait.
  • L’appelant a été capable d’aller à ses rendez-vous médicaux et à ses séances de thérapie et de poser sa candidature à des emplois. Sa crise de santé mentale ne l’aurait donc pas empêché de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi.

[15] De son côté, l’appelant affirme qu’il avait un motif valable justifiant son retard, pour les raisons suivantes :

  • Il ne savait pas que l’assurance
  • emploi existait. Il est immigrant et n’a jamais perdu un emploi avant cette année.
  • Sa crise de santé mentale l’a réellement empêché de présenter sa demande, parce qu’il comptait sur ses amis pour l’amener à ses rendez-vous médicaux et pour la plupart de ses tâches quotidiennes.

[16] Je conclus que l’appelant n’a pas prouvé qu’il avait un motif valable justifiant son retard pendant toute la période qui s’est écoulée. Il a seulement démontré qu’il avait un motif valable du 21 mai au 24 octobre 2023.

L’appelant ne connaissait pas la loi

[17] L’appelant n’a pas de motif valable justifiant son retard du 23 mars au 21 mai au motif qu’il ignorait être admissible aux prestations d’assurance-emploi. L’ignorance de la loi elle-même n’est pas une raison valable pour justifier un retardNote de bas de page 7.

[18] L’appelant n’a fait aucun effort pour s’informer de ses droits et de ses obligations. Même si je suis sensible à l’argument voulant que les nouveaux arrivants ne connaissent pas les systèmes et les programmes canadiens, cette méconnaissance est la raison même pour laquelle les prestataires devraient déployer tous les efforts raisonnables pour s’informer de leurs droits, de leurs responsabilités et des services qui leur sont offerts. L’appelant avait été gérant de restaurant pendant six ans. Je comprends son argument voulant qu’il pensait que les prestations d’assurance-emploi étaient seulement offertes dans l’optique de la COVID-19. Par contre, énormément de nouvelles et d’informations circulaient quant aux changements apportés au régime d’assurance-emploi en raison de la COVID-19. Comme l’appelant était gérant dans l’une des industries les plus durement touchées par la pandémie, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il connaisse et comprenne les prestations d’assurance-emploi.

[19] Dans la décision CUB 52548, le prestataire a fait valoir que sa méconnaissance de la Loi sur l’assurance-emploi, en tant qu’immigrant, était la seule raison pour laquelle il avait tardé à présenter sa demande. Aucune loi de ce genre n’existait dans ses pays d’origine, le Liban et le Mali. Le juge-arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral en s’exprimant comme suit :

Malgré le brillant plaidoyer servi par l’appelant et malgré toute la sympathie que peut inspirer la situation précaire dans laquelle il se débat, il suffit de répéter cet enseignement de la jurisprudence qui veut que l’ignorance de la Loi et la bonne foi ne sauraient suffire à elles seules pour équivaloir à un motif valable d’avoir laissé s’écouler environ un an avant de présenter une demane [sic] de prestations.

[20] Dans la décision CUB 76667, la prestataire était une immigrante et n’avait jamais demandé de prestations d’assurance-emploi dans le passé. Elle a dit qu’elle ignorait l’obligation de présenter une demande de prestations dans le mois suivant la perte de son emploi et qu’elle pensait qu’il était attendu qu’elle fasse de vaillants efforts pour trouver un emploi avant de présenter une demande. Personne ne lui avait alors dit qu’elle devait présenter une demande de prestations. Le conseil arbitral a rejeté son appel parce qu’elle s’était « uniquement employée à trouver un emploi et ne s’[était] pas informée de la procédure à suivre pour demander des prestations régulières. » Le juge-arbitre a confirmé comme suit la décision du conseil arbitral :

En l’espèce, la prestataire n’a fait aucun effort pour s’informer de ses droits et de ses obligations, et ce, pendant quelque huit mois. […] Rien ne l’empêchait de faire une demande de prestations, ou à tout le moins, de s’informer de ses droits et obligations en ce qui concerne une demande de prestations régulières. Selon la jurisprudence, cette inaction de sa part ne peut être considérée comme le comportement d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

L’appelant a contracté des prêts sur salaire

[21] J’estime que l’appelant ne dispose pas d’un motif valable justifiant son retard du fait qu’il a contracté des prêts pendant cette période, parce qu'il anticipait de trouver un emploi.

[22] L’appelant affirme qu’il pensait trouver du travail rapidement parce que beaucoup d’emplois étaient offerts dans la gestion de l’hôtellerie et de la restauration et qu’il a beaucoup d’expérience dans ce secteur. Il dit avoir postulé à plus de 100 emplois durant son premier mois de chômage, mais être resté sans nouvelles.

[23] L’appelant n’avait donc pas une attente raisonnable d’emploi. Il a simplement présumé qu’il aurait bientôt un emploi. En général, l’attente d’un emploi n’est pas un motif valable pour retarder la présentation d’une demande d’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[24] L’appelant affirme qu’après ce premier mois, il a commencé à contracter des prêts sur salaire. Il dit qu’il n’avait pas compris comment fonctionnait l’intérêt sur ces prêts, et que certains avaient des intérêts accumulés de 48 %. Il affirme que ces dettes ont été la principale cause de sa crise de santé mentale. Pourtant, selon la loi, une personne qui choisit de vivre de son épargne montre ainsi qu’elle n’a pas l’intention de demander des prestations, et ne dispose pas à ce titre d’un motif valable pour justifier son retardNote de bas de page 9. En dépit des implications pour l’appelant, le fait de contracter un prêt est équivalent au fait de vivre de son épargne, d’un point de vue juridique : dans les deux cas, il vit grâce à ses propres ressources, et montre qu’il n’a pas l’intention de demander des prestations.

[25] L’appelant ne dispose pas d’un motif valable en invoquant les prêts qu’il a contractés, comme ceux-ci ne l’empêchaient pas de demander des prestations d’assurance-emploi.

L’appelant était malade

[26] Je juge que la crise de santé mentale de l’appelant représentait une circonstance exceptionnelle qui l’aurait empêché d’entreprendre des démarches pour vérifier ses droits et ses obligations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi.

[27] La Commission affirme que la santé mentale de l’appelant lui permettait quand même d’aller à ses rendez-vous médicaux, de voir son psychologue et de faire des recherches d’emploi. Il n’était donc pas malade au point d’être incapable de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi.

[28] L’appelant n’est pas d’accord. D’après son témoignage, ses amis s’occupaient de gérer ses affaires quotidiennes pendant qu’il était malade. Il dit qu’il n’était pas capable de fonctionner comme un adulte responsable pendant sa crise de santé mentale.

[29] L’appelant a rapporté qu’il avait commencé à se sentir déprimé durant la dernière semaine de mai. Ses amis avaient alors pris un rendez-vous pour qu’il voie son médecin, le 6 juin. Entre le 6 et le 13 juin, l’appelant a tenté de se suicider une fois et est allé à l’urgence de son hôpital local. Le 13 juin, l’appelant a été mis en contact avec le service d’intervention en cas de crise des ressources en santé mentale de sa région. Il a déclaré que ses amis l’amenaient à tous ses rendez-vous, s’assuraient qu’il mangeait et prenait ses médicaments, et cherchaient du travail pour lui. Il a affirmé que ses amis demandaient à leurs employeurs et leur entourage respectifs s’ils avaient du travail qu’il pourrait faire une fois qu’il irait assez bien pour retravailler.

[30] L’appelant a déclaré qu’il avait commencé à se sentir mieux en août et qu’il avait commencé à travailler comme ouvrier d’usine le 21 août. Il a dit avoir seulement appris que les prestations d’assurance-emploi existaient quand il avait été mis à pied de cet emploi-là.

[31] Je juge que l’appelant a démontré qu’il était incapable de se renseigner sur les prestations d’assurance-emploi ou de présenter une demande à cet effet à compter du 21 mai 2023. De toute évidence, l’appelant vivait une grave crise de santé mentale et avait besoin de l’aide de ses amis pour accomplir les tâches du quotidien. Il ne serait donc pas raisonnable de supposer qu’il aurait pu se renseigner sur les prestations d’assurance-emploi ou en faire la demande.

[32] L’appelant avait donc un motif valable justifiant son retard du 21 mai 2023 au 24 octobre 2023, date à laquelle il a présenté sa demande.

Le motif valable doit exister durant toute la période du retard

[33] Selon la loi, un prestataire doit, à moins de circonstances exceptionnelles, agir comme « une personne raisonnable » et « vérifie [r] assez rapidement » son admissibilité aux prestations et ses droits et ses obligations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10. J’ai déjà conclu que nous avons affaire à des circonstances exceptionnelles dans le cas de l’appelant. Néanmoins, il demande une antidate remontant au 23 mars, alors que ses problèmes de santé ont seulement commencé durant la dernière semaine de mai.

[34] La Loi sur l’assurance-emploi exige que l’appelant ait eu un motif valable pendant toute la période de son retardNote de bas de page 11. Elle prévoit aussi qu’il lui faut démontrer un motif valable pendant toute la période allant jusqu’à l’antidateNote de bas de page 12. Je considère que l’appelant n’a pas de motif valable pour justifier son retard entre le 23 mars et le début de sa crise de santé mentale, vers le 21 mai. Je ne peux donc pas accueillir son appel pour motif valable.

[35] Une antidate ne doit pas être prise à la légère, car il s’agit d’une exception à la règleNote de bas de page 13. Il est nécessaire à la bonne administration du régime d’assurance-emploi que les demandes soient présentées à temps. L’imposition de cette obligation à l’ensemble des prestataires vise à ce que toutes et tous soient traités de façon égaleNote de bas de page 14. Comme l’a si bien dit la Cour d’appel fédérale, « [m] alheureusement, ce sont souvent ceux qui ont peu d’expérience ou qui n’ont aucune expérience en ce qui concerne les prestations d’emploi et qui ont les meilleures intentions qui s’empêtrent dans l’amas de dispositions législatives et réglementairesNote de bas de page 15 ».

[36] Hélas, dans l’état actuel de la loi, bien que l’appelant ait un motif valable pour la dernière partie de son retard, il n’a pas de motif permettant d’antidater sa demande puisque l’antidate souhaitée précède le 21 mai 2023. S’il avait demandé une antidate pour le 21 mai 2023, l’issue du présent appel aurait été différente.

[37] Je n’ai pas besoin de vérifier si l’appelant remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations à la date antérieure. À défaut d’avoir un motif valable, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

Conclusion

[38] L’appelant n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations pendant toute la période écoulée.

[39] L’appel est rejeté.

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