Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 1945

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance‑emploi

Décision

Appelante : H. L.
Intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (561474) datée du 14 décembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean-Yves Bastien
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 novembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 28 novembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-95

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] L’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant son retard à présenter une demande de prestations. Autrement dit, l’appelante n’a pas fourni une explication que la loi accepte. Cela signifie que sa demande ne peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôtNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue de son emploi entre le 5 avril 2022 et le 20 juin 2022 parce qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19. Cette suspension fait l’objet d’un appel distinct (GE-22-3971).

[4] L’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 16 juin 2022. Elle demande maintenant que sa demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 3 avril 2022. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déjà refusé cette demande.

[5] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable de ne pas demander de prestations plus tôt.

[6] La Commission affirme que l’appelante n’avait pas de motif valable parce que [traduction] « la prestataire a cessé de travailler le 5 avril 2022, mais elle n’a demandé des prestations que le 16 juin 2022, soit deux mois et demi plus tard »Note de bas de page 2. La Commission soutient [traduction] « que la prestataire n’a pas agi comme l’aurait fait une “personne raisonnable” dans sa situation pour connaître ses droits et ses obligations sous le régime de la Loi »Note de bas de page 3.

[7] L’appelante n’est pas d’accord. Le 21 octobre 2022, elle a dit à la Commission qu’[traduction] « elle n’était pas au courant des délais pour déposer une demande d’assurance-emploi. [Elle] a dit qu’elle n’avait tout simplement pas le temps et que la présentation d’une demande n’était pas prioritaire à l’époque […]. La prestataire a dit que rien en particulier ne l’empêchait de présenter une demande plus tôt. Tout simplement, elle ne connaissait pas la loi ni n’avait le temps de faire une demande ».Note de bas de page 4

Questions que je dois examiner en premier

L’audience a été reportée à plusieurs reprises

[8] Le personnel du Tribunal a communiqué avec l’appelante pour la première fois le 7 mars 2023 pour lui demander si elle était libre pour une audience le 10 ou le 16 mars 2023. L’appelante, prise de court, a affirmé qu’elle était étonnée qu’une audience ait lieu si tôt. Elle a ajouté qu’elle ne pensait pas être libre avant août ou septembre 2023.

[9] Une conférence préparatoire a eu lieu le 17 mars 2023. L’un des objectifs de cette conférence était de discuter des dates d’audience possibles. L’appelante a demandé que son audience soit reportée [traduction] « jusqu’après la troisième semaine de septembre ». J’ai noté qu’il s’agissait d’un délai anormalement long, mais comme la Commission, qui a assisté à la conférence, n’avait pas d’objection, l’audience a été reportée au 26 septembre 2023.

[10] L’audience a commencé comme prévu le 26 septembre 2023, mais l’appelante a soulevé une allégation de partialité. L’audience a ensuite été interrompue pour permettre au Tribunal d’examiner cette question et de trancher. Dans une décision interlocutoire rendue le 31 octobre 2023, le Tribunal a conclu que l’appelante n’a pas prouvé qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité et a fixé au 9 novembre la date de reprise de l’audience.

Question en litige

[11] La demande de prestations de l’appelante peut-elle être traitée comme si elle avait été faite le 3 avril 2022? C’est ce qu’on appelle l’antidatation de la demande.

Analyse

[12] Pour faire antidater une demande de prestations, il faut prouver les deux éléments suivantsNote de bas de page 5 :

  1. a) L’existence d’un motif valable justifiant le retard pendant toute la période de celui-ci. Autrement dit, fournir une explication que la loi accepte.
  2. b) L’admissibilité au bénéfice des prestations à cette date antérieure (c’est-à-dire, la date à laquelle la partie prestataire souhaite antidater sa demande).

[13] Dans la présente affaire, les principaux arguments portent sur la question de savoir si l’appelante avait un motif valable de retarder sa demande. Je vais donc commencer par cette question.

[14] Pour prouver qu’elle avait un motif valable, l’appelante doit démontrer qu’elle a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente dans des circonstances semblablesNote de bas de page 6. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a agi de façon raisonnable et prudente comme toute autre personne l’aurait fait si cette personne s’était trouvée dans une situation semblable.

[15] L’appelante doit démontrer qu’elle a agi ainsi pour toute la période du retardNote de bas de page 7. Cette période va de la date à laquelle elle veut que sa demande soit antidatée à la date à laquelle elle a effectivement présenté sa demande. Donc, pour l’appelante, la période du retard va du 3 avril 2022 au 16 juin 2022.

[16] L’appelante doit également démontrer qu’elle a assez rapidement pris des mesures pour comprendre son admissibilité aux prestations et ses obligations aux termes de la loiNote de bas de page 8. Cela signifie que l’appelante doit démontrer qu’elle a essayé d’en apprendre davantage au sujet de ses droits et responsabilités dès que possible et du mieux qu’elle le pouvait. Si l’appelante n’a pas pris de telles mesures, elle doit démontrer que des circonstances exceptionnelles l’en ont empêchéeNote de bas de page 9.

[17] L’appelante doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait un motif valable justifiant le retard.

[18] L’appelante affirme dans une lettre à la Commission le 23 novembre 2022 qu’elle avait un motif valable justifiant le retard pour les raisons suivantesNote de bas de page 10 :

  • Service Canada a fait valoir qu’il ne verserait pas de prestations d’assurance
  • emploi aux employés placés en congé autorisé sans solde en raison de l’obligation de vaccination. Il en a été fait mention sur le grand média CBC peu après la mise en œuvre de l’obligation vaccinale.
  • En réalité, la demande d’assurance-emploi de mes collègues et amis causée par l’obligation vaccinale a été refusée. Cela correspondait à ce dont il était fait mention dans les médias.
  • Au début, je ne savais pas trop ce qu’il en était de l’obligation de vaccination. J’ai besoin de savoir si je peux avoir des prestations d’assurance-emploi avant d’en faire la demande. Pour comprendre cela, je dois résoudre de nombreuses questions. [L’appelante énumère ensuite 18 questions distinctes.]
  • J’ai consulté les sites Web de Justice Canada et de Santé Canada et d’autres sites Web qui fournissent beaucoup de renseignements sur divers enjeux liés à l’obligation de se faire vacciner. La Charte canadienne des droits et libertés. J’ai consulté la jurisprudence pour bien connaître les sujets liés à cette question.
  • Enfin, je dois dire que je suis d’accord avec l’affirmation selon laquelle [traduction] « l’obligation de se faire vacciner est inconstitutionnelle, illégale, non scientifique, contraire à l’éthique ». Je comprends également que la décision de mon employeur de refuser ma demande de mesures d’adaptation pour motifs religieux n’a aucun fondement.
  • Il m’a fallu un certain temps pour confirmer ma position et être assez certaine pour l’énoncer. Cela retarde également la présentation de la demande de prestations d’assurance-emploi.
  • Il est raisonnable que je comprenne bien la situation avant de demander des prestations d’assurance-emploi. Bien que cela cause un retard, je suis beaucoup mieux que les agents de service de l’assurance-emploi qui, sans prendre le temps de bien comprendre la question de la légalité de l’obligation vaccinale, refusent encore les demandes des employés qui ont subi un préjudice en raison de l’obligation vaccinale, ou qui ont peur de respecter nos droits constitutionnels garantis par la Charte même après la suspension de l’obligation vaccinale.
  • Par conséquent, le retard est tout à fait compréhensible et raisonnable.

[1] L’appelante conclut sa lettre en faisant valoir ce qui suitNote de bas de page 11 :

[Traduction]
En résumé, c’est en raison de la position de Service Canada et de la complexité de l’obligation de vaccination dans ce contexte politique particulier que j’ai retardé la présentation de la demande d’assurance-emploi. Si Service Canada pouvait se rendre compte que l’obligation vaccinale était illégale, que l’employeur a refusé de façon déraisonnable à son employée une mesure d’adaptation pour motifs religieux. Ensuite, je n’hésiterais pas à demander des prestations d’assurance-emploi immédiatement. De plus, en raison du peu de temps et d’énergie et du fait que je ne suis pas experte en assurance-emploi, je ne sais pas que le fait de présenter ma demande tardivement me fera perdre la prestation à laquelle j’avais droit.

[19] La Commission affirme que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard parce qu’elle a cessé de travailler le 5 avril 2022 et qu’elle n’a demandé des prestations que le 16 juin 2022, soit deux mois et demi plus tard.

[20] La Commission affirme que l’appelante n’a pas agi comme l’aurait fait une « personne raisonnable » dans sa situation pour connaître ses droits et ses obligations sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi. Plus précisément, la prestataire a tardé à présenter une demande pour les raisons suivantesNote de bas de page 12 :

  • Elle a entendu dire qu’elle n’aurait pas droit à des prestations selon différentes sources comme les médias, des collègues et des amis.
  • Elle ne s’était jamais renseignée sur l’assurance-emploi. Elle ne savait pas qu’il y avait un délai pour présenter une demande ou qu’elle pourrait perdre des prestations si elle présentait une demande tardive.
  • Ce n’était pas sa priorité. Elle avait peu de temps et d’énergie pour régler le problème, car elle n’est pas une superfemme, elle doit s’occuper de ses enfants, elle doit composer avec un stress financier et mental, et l’obligation de vaccination de son employeur lui faisait mal sur les plans émotionnel, physique et mental.
  • Elle ne savait pas trop à quoi s’en tenir concernant l’obligation vaccinale et elle devait savoir si elle avait droit à des prestations d’assurance-emploi avant de présenter une demande.
  • Il lui a fallu un certain temps pour résoudre les questions qu’elle se posait concernant l’obligation vaccinale de l’employeur et confirmer sa position, ce qui a également causé le retard dans la présentation de sa demande.

[21] La Commission soutient que les raisons pour lesquelles l’appelante a tardé à présenter sa demande ne constituent pas un motif valable. [Traduction] « Même si elle ne savait pas trop si elle avait droit à des prestations ou non, une personne raisonnable aurait communiqué avec Service Canada (SC) pour s’enquérir de ses droits et obligations. Toutefois, aucun document au dossier ne montre que la prestataire a communiqué avec SC avant de faire sa demande le 16 juin 2021. Si elle avait pris des mesures plus tôt pour s’enquérir de ses droits et obligations, elle aurait pu éviter cette fâcheuse situation ».Note de bas de page 13

[22] La Commission cite une jurisprudence et soutient que [traduction] « la Cour d’appel fédérale a réitéré que l’ignorance de la loi, même combinée à la bonne foi, ne constitue pas un motif valable. Le critère juridique à appliquer en ce qui concerne le motif valable est la question de savoir si la partie prestataire a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’enquérir des droits et des obligations que lui impose la Loi ».Note de bas de page 14

[23] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable de retarder sa demande de prestations, puisqu’elle n’a pas pris de mesures raisonnablement rapides pour comprendre son droit aux prestations et ses obligations en vertu de la loi. Elle a plutôt choisi d’attendre plusieurs mois, pendant qu’elle effectuait ses propres recherches, plutôt que de simplement communiquer avec Service Canada pour obtenir des conseils.

[24] Je préfère l’argument de la Commission selon lequel : [traduction] « Dans le cas qui nous occupe, le fait de ne pas savoir qu’il y avait un délai précis pour présenter une demande, de supposer qu’elle n’aurait pas droit à des prestations ou de ne pas avoir le temps de présenter une demande n’est pas une raison qui peut être considérée comme étant un motif valable pour présenter une demande en retard. »Note de bas de page 15

[25] Je n’ai pas à me demander si l’appelante était admissible à des prestations à une date antérieure. Si l’appelante n’a aucun motif valable, sa demande ne peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

Conclusion

[26] L’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard dans la présentation de sa demande de prestations pendant toute la période du retard.

[27] L’appel est rejeté.

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