Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 140

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission d’en appeler

Demanderesse : H. L.
Défenderesse : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 26 novembre 2023
(GE-22-3971)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Date de la décision : Le 14 février 2024
Numéro de dossier : AD-24-37

Sur cette page

Décision

[1] L’autorisation (permission) de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse, H. L. (la prestataire), demande l’autorisation de porter en appel la décision de la division générale sur la question de l’inconduiteNote de bas de page 1. La division générale a rejeté son appel concernant sa demande de prestations d’assurance-emploi.

[3] La division générale a jugé que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. En effet, elle en est arrivée à la conclusion que la défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Autrement dit, elle a fait quelque chose qui a mené à sa suspension. La division générale a conclu qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[4] La prestataire nie avoir commis une quelconque inconduite. Elle soutient que le membre de la division générale a commis des erreurs de compétence, de procédure, de droit et de fait, et affirme notamment qu’il a mal interprété le sens du terme « inconduite ». Elle affirme en outre que la division générale n’a pas tenu pleinement compte de la preuve qui lui a été présentée.

[5] Avant que la prestataire puisse aller de l’avant avec son appel, je dois décider si celui-ci a une chance raisonnable de succès. Autrement dit, il doit y avoir une cause défendable en droitNote de bas de page 2. Si l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, cela met fin à l’affaireNote de bas de page 3.

[6] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès. Par conséquent, je ne donne pas à la prestataire la permission d’aller de l’avant avec son appel.

Questions en litige

[7] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. a) Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de compétence?
  2. b) Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de procédure?
  3. c) Peut-on soutenir que la division générale a mal interprété ce que signifie l’inconduite?
  4. d) Peut-on soutenir que la division générale a commis des erreurs de fait?

Je n’accorde pas à la prestataire la permission de faire appel

[8] La division d’appel rejette la demande d’autorisation de faire appel si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Il y a une chance raisonnable de succès s’il est possible que la division générale ait commis une erreur de compétence, de procédure, de droit ou un certain type d’erreur de faitNote de bas de page 4.

La prestataire ne peut soutenir que la division générale a commis des erreurs de compétence

[9] La prestataire ne peut soutenir que la division générale a commis des erreurs de compétence. La division générale commet une erreur de compétence si elle excède son pouvoir ou omet de rendre une décision qu’elle aurait dû rendre.

Portée générale de la compétence

[10] La prestataire soutient que la division générale a eu tort de se fonder sur l’affaire CecchettoNote de bas de page 5 pour définir son champ de compétence. Elle affirme que Cecchetto [traduction] « a créé superficiellement la limite à la compétence du TSS en renvoyant à deux affaires qui n’avaient rien à voir avec la compétence ». Elle ajoute que c’est [traduction] « stupéfiant et honteux de voir ce que le TSS et la cour [sic] fédérale font maintenant »Note de bas de page 6.

[11] La prestataire soutient qu’il est contradictoire pour la division générale de nier qu’elle a le pouvoir d’examiner le bien-fondé, la légitimité ou la légalité d’une politique de vaccination ou de se prononcer sur ces questions. Sinon, elle se demande comment elle serait en mesure de déterminer correctement s’il y a eu inconduite.

[12] La prestataire affirme qu’en l’absence de pouvoirs vastes et étendus, la division générale ne sera pas en mesure de déterminer si une partie prestataire a manqué à une obligation résultant expressément ou implicitement de son contrat de travail. Elle affirme qu’il n’y a inconduite que si une partie prestataire manque à une obligation résultant expressément ou implicitement de son contrat de travail.

[13] Le raisonnement de la prestataire comporte des lacunes. La division générale doit déterminer les devoirs et obligations d’une partie prestataire envers un employeur. Ces devoirs et obligations peuvent être énoncés dans le contrat de travail ou dans les politiques de l’employeur. Toutefois, la tâche de déterminer quels sont les devoirs et les obligations d’une partie prestataire ne va pas jusqu’à s’assurer que ces devoirs et obligations sont raisonnables, légitimes ou licites, ou qu’ils ont un certain bien-fondé.

[14] Une fois que la division générale établit quelles sont les obligations d’une partie prestataire, elle n’a pas à aller plus loin et à évaluer le caractère raisonnable ou la légalité de ces obligations. Bref, il est possible de déterminer quels sont les devoirs et obligations d’une partie prestataire sans avoir à examiner si ceux-ci sont raisonnables, légitimes, licites ou méritoires.

[15] La prestataire affirme que le Tribunal devrait fournir les décisions qui démontrent bel et bien que la compétence du Tribunal comporte de telles limites. Elle se demande également pourquoi la Cour fédérale n’examine pas le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la politique de vaccination d’un employeur.

[16] La prestataire n’est pas d’accord avec la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale sur la portée des pouvoirs du Tribunal. Mais il ne revient pas au Tribunal de se pencher sur cette question. La division générale et la division d’appel sont toutes deux tenues de suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel.

[17] Il existe une bibliothèque croissante de décisions qui appuient la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Cecchetto concernant la portée limitée des pouvoirs du Tribunal. Par exemple, dans l’affaire MattiNote de bas de page 7, la Cour fédérale a confirmé que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner le bien-fondé de la politique de vaccination de l’employeur et qu’il ne devrait donc pas le faire. Dans l’affaire SullivanNote de bas de page 8, la Cour d’appel fédérale a conclu que le Tribunal ne peut examiner le caractère raisonnable des politiques de travail d’un employeur qui ont mené au congédiement d’une partie prestataire.

[18] Lorsqu’il se penche sur la question de l’inconduite, le Tribunal doit plutôt déterminer si une partie prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte), contrairement à ses obligations professionnellesNote de bas de page 9.

[19] Je ne suis pas convaincue que l’on puisse soutenir que la division générale a commis une erreur au sujet de la portée de sa compétence et qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité, la légalité ou le caractère raisonnable de la politique de vaccination de son employeur. Cela dépassait sa compétence.

Article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi

[20] La prestataire soutient que la division générale a omis de prendre en considération l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). Plus particulièrement, elle affirme que la division générale n’a pas examiné les questions suivantes :

  • La discrimination fondée sur la religion est un motif valable de la conduite de son employeurNote de bas de page 10. La prestataire explique qu’elle ne peut se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses. Elle ajoute que se faire vacciner [traduction] « invaliderait irrémédiablement [sa] capacité de se connecter par [ses] pratiques religieuses avec le spirituel/divin »Note de bas de page 11.
  • « Discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques comme motif valable »Note de bas de page 12 pour la conduite de son employeurNote de bas de page 13.
  • Des pratiques de son employeur qui, selon elle, sont contraires à la loi. Elle soutient que son employeur a violé la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi constitutionnelle, la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, le Code criminel et le Code canadien du travail.
  • Conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité.

[21] L’article 29(c) de la Loi prescrit que le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre un congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

[22] Toutefois, ces considérations ne s’appliquent pas lorsqu’il s’agit d’une suspension ou d’un congédiement. La prestataire n’a ni quitté volontairement son emploi ni pris un congé. L’article 29(c) ne s’appliquait tout simplement pas dans la situation de la prestataire. Par conséquent, la division générale n’a pas commis d’erreur de compétence lorsqu’elle ne s’est pas demandé s’il y avait une discrimination, des pratiques de son employeur qui étaient contraires à la loi et des conditions de travail qui constituaient un danger pour la santé ou la sécurité de la prestataire.

[23] La prestataire soutient que ces considérations s’appliquent même en cas de suspension ou de congédiement. Toutefois, les tribunaux ont toujours affirmé qu’il n’est pas du ressort du Tribunal de la sécurité sociale de se pencher sur ces questionsNote de bas de page 14. Il existe d’autres voies que la prestataire peut emprunter sur ces questions.

[24] Je ne suis pas convaincue que l’on puisse soutenir que la division générale n’a pas examiné l’applicabilité de l’article 29(c) de la Loi.

La prestataire ne peut soutenir que la division générale a commis des erreurs de procédure

[25] La prestataire ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de procédure. Elle affirme que la division générale a commis une erreur de procédure, mais elle n’en a précisé aucune.

[26] Une erreur de procédure met en cause l’équité du processus suivi par la division générale. Il ne s’agit pas de savoir si une partie estime que la décision est injuste. Les parties devant la division générale jouissent de droits à certaines protections procédurales, comme le droit d’être entendues et de connaître la preuve qu’elles doivent réfuter, le droit à un avis d’audience en temps opportun et le droit à un décideur impartial.

[27] La prestataire n’allègue pas qu’elle n’a pas reçu tous les documents au dossier, qu’elle n’a pas reçu un avis suffisant de l’audience ou qu’elle ne connaissait pas la preuve qu’elle devait réfuter. Rien n’indique non plus que la division générale ne lui a pas offert une audience équitable ou une occasion raisonnable de présenter sa preuve. Rien ne porte à croire non plus qu’il y a eu partialité.

[28] Je ne suis pas convaincue que l’on puisse soutenir que le processus de la division générale n’était pas équitable ou que le membre a agi de manière injuste.

La prestataire ne peut soutenir que la division générale a mal interprété ce que signifie une inconduite

[29] La prestataire ne peut soutenir que la division générale a mal interprété ce que signifie une inconduite. La division générale a cité et appliqué des décisions établies de la Cour d’appel fédérale.

[30] La prestataire soutient que la division générale a utilisé un critère juridique incomplet pour déterminer s’il y a eu inconduite. Elle soutient que la division générale devait prendre en considération la légalité et le caractère raisonnable de la politique d’un employeur. Par exemple, elle affirme qu’il n’y a sûrement pas d’inconduite si un employeur exige qu’un employé tue quelqu’un ou se soumette à une agression sexuelle.

[31] La prestataire soutient également que, pour qu’il y ait une inconduite, celle-ci doit satisfaire au critère juridique de l’obligation (« doit »). Selon elle, cela signifie ce qui suit :

  • L’inconduite doit être commise par l’employé pendant qu’il travaillait pour l’employeur.
  • L’inconduite doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail.
  • Il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite et le congédiement. Autrement dit, la conduite doit être la véritable raison de la perte d’emploi et non une excuse ou un prétexte.
  • La politique de l’employeur et la conduite requise d’un employé doivent répondre aux besoins opérationnels de l’employeur.
  • L’inconduite doit avoir un effet préjudiciable important sur l’employeur.

[32] La prestataire n’a cité aucune décision judiciaire à l’appui de ses arguments, bien qu’il ne fasse aucun doute que la conduite en question doit être commise pendant qu’une partie prestataire occupe un emploi et qu’il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite et le congédiement. De façon générale, il doit y avoir manquement à une obligation envers son employeur, bien qu’il ne soit pas nécessaire que celle-ci prenne son origine dans le contrat de travail.

La prestataire affirme que l’inconduite met en cause une violation du contrat de travail

[33] La prestataire soutient que, pour qu’il y ait une inconduite, il doit y avoir un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail.

[34] À cet égard, elle affirme que la division générale a mal interprété les affaires McNamaraNote de bas de page 15, ParadisNote de bas de page 16 et MishibinijimaNote de bas de page 17.

[35] La prestataire affirme que les décisions McNamara et Paradis ne s’appliquent pas parce que les faits sont très différents de sa situation. Elle affirme que M. McNamara devait se soumettre régulièrement à des tests de dépistage de drogues en vertu de sa convention collective. Sinon, et s’il échouait un test de dépistage de drogues, l’accès à l’un ou l’autre des lieux de travail lui serait interdit. De même, dans l’affaire Paradis, la prestataire affirme que la convention collective de M. Paradis exigeait qu’il se soumette à des tests pour démontrer qu’il n’était pas sous l’influence d’une drogue ou de l’alcool.

[36] La prestataire affirme également que la décision Mishibinijima ne s’applique pas. Elle précise que M. Mishibinijima ne s’est pas présenté au travail pour exécuter les fonctions que prévoyait son contrat de travail.

[37] La prestataire affirme que chacun de ces cas se distingue du sien. Elle soutient que, dans chacun de ces cas, les prestataires étaient parties à des conventions collectives qui énonçaient clairement leurs obligations. Elle affirme que, dans son cas, sa convention collective n’exigeait pas la vaccination. Par conséquent, elle n’a pu enfreindre aucune modalité de sa convention collective lorsqu’elle ne s’est pas fait vacciner.

[38] Toutefois, ces décisions ne permettent pas de soutenir qu’une personne ne commet une inconduite que si elle contrevient à sa convention collective ou à son contrat de travail. En outre, les faits dans les affaires McNamara et Paradis ne sont pas tout à fait tels qu’ils ont été énoncés par la prestataire.

[39] Dans l’affaire McNamara, la Cour d’appel n’avait pas d’exemplaire de la convention collective qui énonçait les modalités selon lesquelles l’employeur pouvait effectuer des tests de dépistage de drogues. Toutefois, l’entrepreneur avait sa propre politique réglementant l’accès au chantier, et le prestataire se soumettait à un test de dépistage de drogues pour avoir accès au chantier de l’entrepreneur. Selon les politiques de l’entrepreneur, l’accès au chantier lui a été interdit parce qu’il a échoué au test de dépistage de drogues. Son employeur a donc mis fin à son emploi. La Cour n’avait pas non plus d’exemplaire de la politique de l’entrepreneur.

[40] Bref, bien que M. McNamara ait une convention collective, il a été congédié parce que l’accès au chantier lui a été interdit en raison du non-respect des politiques de l’entrepreneur.

[41] L’affaire Paradis ne concernait pas une convention collective. Cette affaire concernait la politique d’un employeur. Conformément à cette politique, les employés ne devaient en aucun temps être sous l’influence de drogues illicites et de l’alcool ou avoir une dépendance à ceux-ci lorsqu’ils étaient présents sur le lieu de travail.

[42] Il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire que les politiques et les exigences d’un employeur figurent dans le contrat de travail ou la description de travail pour qu’il y ait inconduite. Tant qu’un employeur dispose d’une politique ou d’une exigence, qu’elle soit expresse ou implicite, l’employé est tenu de s’y conformer.

[43] Outre les affaires McNamara et Paradis, d’autres décisions le confirment :

  • Dans l’affaire LemireNote de bas de page 18, la Cour d’appel a conclu qu’il y avait inconduite même si M. Lemire n’avait enfreint aucune modalité de son contrat de travail. Il vendait des cigarettes de contrebande dans les locaux de son employeur. Il avait enfreint une politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail. C’est ce que confirme la Cour lorsqu’elle écrit : « [l]’employeur “dispose” d’une politique sur le sujet […] [Le prestataire] était au courant de la politique »Note de bas de page 19. La Cour d’appel a de nouveau renvoyé à la politique aux para 17, 18 et 20. Elle a noté que l’employeur avait une politique dont M. Lemire a choisi de ne pas tenir compte.
  • Dans la décision NelsonNote de bas de page 20, l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Mme Nelson a été vue en état d’ébriété publiquement dans la réserve où elle travaillait. L’employeur a considéré qu’il s’agissait d’une violation de son interdiction de consommer de l’alcool. Mme Nelson a nié que l’interdiction de consommer de l’alcool de son employeur ait fait partie des exigences de son poste prévues dans son contrat de travail écrit, ou que sa consommation d’alcool se reflète dans son rendement au travail. Malgré cela, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait inconduite. Le fait que la politique de l’employeur interdisant la consommation d’alcool ne faisait pas partie du contrat de travail de Mme Nelson était sans pertinence.
  • Dans l’affaire NguyenNote de bas de page 21, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait inconduite. M. Nguyen avait harcelé un collègue de travail au casino où ils travaillaient. L’employeur avait une politique concernant le harcèlement. Toutefois, la politique ne décrivait pas le comportement de M. Nguyen ni ne faisait partie de son contrat de travail.
  • Dans l’affaire KareliaNote de bas de page 22, l’employeur a imposé de nouvelles conditions à M. Karelia. Il était toujours absent du travail. Ces nouvelles conditions ne s’inscrivaient pas dans le contrat de travail. Malgré tout, la Cour d’appel fédérale a décidé que M. Karelia devait s’y conformer — même s’il s’agissait de nouvelles conditions — sans quoi il y avait inconduite.

[44] Comme je l’ai mentionné précédemment, il y a une bibliothèque croissante de décisions mettant en cause des prestataires qui, dans le contexte de la vaccination contre la COVID-19, ont nié avoir commis une inconduite. Ils ont fait valoir qu’ils ne devraient pas être obligés de se faire vacciner en application des politiques de vaccination de leurs employeurs. Leurs conventions collectives, leurs contrats de travail ou leurs descriptions de travail n’exigeaient pas la vaccinationNote de bas de page 23.

[45] Dans ces affaires, les prestataires, qui travaillaient tous dans un large éventail d’industries, ont fait valoir qu’ils étaient encore en mesure de remplir leurs fonctions même s’ils n’étaient pas vaccinés. Malgré cela, les tribunaux ont conclu qu’il y avait eu inconduite dans les cas où les employés n’ont pas respecté les politiques de vaccination de leur employeur non prévues dans la convention collective, le contrat de travail ou la description de travail initiaux.

[46] Je ne suis pas convaincue que la prestataire puisse soutenir que la division générale a mal interprété ce que signifie l’inconduite lorsqu’elle n’a pas tenu compte de sa convention collective ni appliqué un critère juridique de l’obligation (« doit »).

La prestataire affirme que la politique d’un employeur doit répondre à des besoins opérationnels et que l’inconduite doit avoir un effet important et préjudiciable sur un employeur

[47] La prestataire affirme que pour qu’il y ait inconduite, il faut que la politique de vaccination d’un employeur réponde à des « besoins opérationnels » et que l’inconduite d’un employé ait un effet important et préjudiciable sur un employeur. La prestataire affirme que son employeur a présenté sa politique de vaccination comme visant à assurer la sécurité au travail. Elle conteste cette affirmation. Elle dit qu’elle aurait pu ne pas se faire vacciner et travailler de la maison sans que cela n’ait quelque impact que ce soit sur son employeur.

[48] La prestataire n’a toutefois fourni aucune source faisant autorité à l’appui de ses arguments.

[49] Les tribunaux ont défini ce que signifie une inconduite aux fins de la Loi. Ils n’ont pas exigé qu’il y ait un effet important et préjudiciable sur un employeur ou que sa politique (et les exigences à l’égard d’un employé) réponde à des besoins opérationnels de l’employeur.

[50] La division générale a adopté la définition d’inconduite tirée de plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale. La manière dont la division générale a interprété l’inconduite en application de la Loi est conforme à ces décisions.

[51] Je ne suis pas convaincue que la prestataire puisse soutenir que la division générale a mal interprété ce que signifie l’inconduite lorsqu’elle n’a pas examiné la question de savoir si la politique de vaccination de son employeur était véritablement conçue pour répondre à ses besoins opérationnels ou si une inconduite pouvait avoir un effet important et préjudiciable sur son employeur.

La prestataire peut soutenir que la division générale a commis une erreur de fait

[52] La prestataire peut soutenir que la division générale a commis une erreur de fait.

[53] Dans le cas d’erreurs de fait prévues à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la division générale doit avoir fondé sa décision sur une erreur commise de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle est saisieNote de bas de page 24.

[54] Cela signifie que les erreurs de fait ne répondent pas toutes à cette définition. Par exemple, si la division générale n’a pas fondé sa décision sur cette erreur, celle-ci ne pourra pas soulever une cause défendable. Je vais donc simplement aborder les types d’erreurs que, d’après la prestataire, la division générale a commises et qui pourraient être visées par l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

[55] La prestataire affirme que la division générale a commis deux erreurs de fait importantes : 1) la politique de son employeur s’appliquait à son égard à l’époque, et 2) elle a refusé de se conformer à la politique de son employeur.

La prestataire affirme que la date limite du 13 décembre 2021 fixée par son employeur ne s’appliquait pas

[56] La prestataire soutient que les délais habituels pour se conformer à la politique de vaccination de son employeur ne s’appliquaient pas parce qu’elle était en congé de maladie du 31 décembre 2021 au 21 février 2022.

[57] L’employeur avait fixé au 13 décembre 2021 la date limite pour se conformer pleinement. Elle affirme que la politique de son employeur donnait deux semaines aux employés qui étaient en congé pour fournir une attestation après leur retour au travail.

[58] La division générale a pris note de la date limite du 13 décembre 2021Note de bas de page 25. Toutefois, elle n’a pas exigé que la prestataire prouve qu’elle s’était conformée avant cette date limite. Elle a noté que la prestataire a demandé une mesure d’adaptation à son employeur et que ce dernier a rejeté sa demande. Elle a également noté que l’employeur a dit à la prestataire que « [sa] dernière journée sera le 22 mars 2022, à moins [qu’elle ait] une preuve de vaccination »Note de bas de page 26.

[59] Je ne suis pas convaincue que l’on puisse soutenir que la division générale a commis une erreur parce qu’elle a conclu que la date limite applicable pour la vaccination était le 13 décembre 2021. Elle a de toute évidence pris en considération une date postérieure au 13 décembre 2021.

La prestataire affirme qu’elle s’est conformée à la politique de son employeur

[60] La prestataire soutient qu’elle s’est conformée à la politique de son employeur. Elle affirme que la division générale a négligé la preuve démontrant qu’elle était conforme, notamment la preuve suivante :

  • Elle ne pouvait se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses. Elle affirme que son employeur aurait dû accepter ses croyances religieuses comme étant les siennes. Elle a demandé une mesure d’adaptation pour raisons médicales le 8 mars 2022 (date à laquelle elle devait avoir fourni une attestation) et une mesure d’adaptation pour motifs religieux le 22 mars 2022Note de bas de page 27. Son employeur a rejeté les demandes le 9 mars 2022Note de bas de page 28 et le 4 avril 2022.
  • La prestataire affirme qu’elle avait droit à une mesure d’adaptation pour motif religieux et que son employeur aurait dû lui accorder une exemption.
  • Elle affirme également qu’après avoir rejeté sa demande de mesure d’adaptation, son employeur aurait dû lui accorder deux semaines pour fournir une nouvelle attestation et deux autres semaines pour suivre un cours de formation sur les vaccins contre la COVID-19. Elle affirme que les deux semaines prévues pour fournir une attestation auraient dû commencer à courir après sa dernière demande de mesure d’adaptation. Contrairement à sa propre politique, soutient-elle, son employeur ne lui a pas donné l’occasion de fournir une nouvelle attestation ou de suivre une formation avant de la mettre en congé. Elle affirme s’être conformée à la politique jusqu’à ce moment-là.
  • Comme elle avait une immunité naturelle contre la COVID-19, elle n’avait pas besoin de se faire vacciner. D’ailleurs, elle a été infectée en février 2022 et elle ne pouvait se faire vacciner pendant trois mois après son infection. En outre, affirme-t-elle, l’infection a valeur d’au moins un vaccin.
  • Elle affirme que c’est son employeur qui a commis une inconduite.
La politique de vaccination de l’employeur

[61] La politique de l’employeur de la prestataire figure aux pages GDJ 5-3 à GDJ 5-16. L’employeur a préparé un guide pour la mise en œuvre de sa politique sur la vaccination et les testsNote de bas de page 29. Il a énoncé également ses exigences à l’égard des employésNote de bas de page 30.

[62] Suivant cette politique, tous les employés devaient être entièrement vaccinés, à moins que des mesures d’adaptation ne leur soient accordées. Les employés devaient également divulguer leur statut vaccinal en fournissant une attestation de leur statut vaccinal et, au besoin, une preuve de vaccination. La politique exigeait également que les employés en congé autorisé divulguent leur statut vaccinal dans les deux semaines suivant leur retour de tout congé autoriséNote de bas de page 31.

[63] L’employeur avait également l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour motifs religieux ou médicaux ou pour d’autres motifs de distinction illicite.

[64] À l’article 6.7 de la politique, l’employeur a expliqué dans le détail les conséquences d’une non-conformité. L’employeur devait mettre en œuvre les mesures suivantes à l’égard des employés pour qui une mesure d’adaptation ne s’appliquait pas ou qui refusaient de se faire vacciner entièrement ou de divulguer leur statut vaccinal :

6.7.1.1    Dans les deux semaines de la date limite d’attestation, exiger que les employés suivent une formation en ligne sur la vaccination contre la COVID-19;

6.7.1.2.    Deux semaines suivant la date limite d’attestation, mettre les employés en congé administratif sans solde.

[65] L’annexe A de la politique énonce les dates limites d’attestationNote de bas de page 32. En général, la date limite était le 26 novembre 2021, soit deux semaines après la date à laquelle un employé était informé par son gestionnaire que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne s’appliquait pas, ou deux semaines après son retour d’un congé autorisé.

[66] Les employés généralement non vaccinés devaient suivre une formation en ligne entre le 26 novembre 2021 et le 10 décembre 2021Note de bas de page 33. Et, au plus tard le 13 décembre 2021, ces mêmes employés étaient mis en congé administratif s’ils refusaient de se faire vacciner ou s’ils refusaient de fournir une attestation de leur statut vaccinal. Ils étaient considérés comme n’étant pas disposés à se faire vacciner s’ils n’avaient pas attesté avoir reçu leur première dose de vaccination ou s’ils n’avaient présenté aucune demande de mesures d’adaptation.

[67] La division générale a précisé à quel moment l’employeur a informé la prestataire de ses exigences et des conséquences de ne pas se conformer à celles-ci. Dans sa lettre datée du 5 avril 2022, l’employeur a mentionné qu’il a rappelé ses exigences à la prestataire le 22 février 2022Note de bas de page 34. C’était le lendemain du retour de la prestataire de son congé de maladie.

[68] Le 8 mars 2022, soit deux semaines après son retour de congé, la prestataire a demandé une mesure d’adaptation pour raisons médicales. Le lendemain, son employeur a rejeté sa demande, estimant qu’elle n’était pas appuyéeNote de bas de page 35. L’employeur l’a informée qu’elle avait jusqu’au 22 mars 2022 pour se conformer à sa politique, à défaut de quoi elle serait mise en congé.

[69] Il y a eu un échange de communications entre la prestataire et son employeur. La prestataire a écrit à son employeur le 10 mars 2022 pour lui dire qu’elle devrait obtenir une prolongation du délai parce qu’elle avait acquis une immunité naturelle, ou deux semaines supplémentaires pour fournir une attestation si elle présentait une autre demande de mesure d’adaptation.

[70] L’employeur a répondu ce qui suit le jour même : [traduction] « Il n’y aura pas de prolongation. Toutes ont été refusées, et la dernière journée sera le 22 mars 2022, à moins que vous ayez une preuve de vaccination ».Note de bas de page 36

[71] Le 22 mars 2022, date à laquelle elle devait se conformer ou être mise en congé, la prestataire a demandé une mesure d’adaptation pour motif religieux.

[72] Malgré sa réponse du 10 mars 2022, l’employeur n’a pas mis la prestataire en congé le 22 mars 2022. Cela ressortait clairement de sa lettre du 4 avril 2022.

[73] Le 4 avril 2022, l’employeur a rejeté la demande de mesure d’adaptation pour motif religieux de la prestataireNote de bas de page 37. Il a également informé cette dernière que si elle ne se conformait pas à sa politique au plus tard le 5 avril 2022, il la mettrait en congé à compter du 6 avril 2022 jusqu’à ce qu’elle se conforme.

[74] Le 5 avril 2022, l’employeur a écrit de nouveau, disant lui avoir rappelé le 22 février 2022 les exigences de la politiqueNote de bas de page 38. Il a affirmé que, selon ses dossiers, la prestataire n’était pas disposée à se faire vacciner, de sorte qu’elle était considérée comme ne se conformant pas. Elle serait mise en congé le 6 avril 2022. Il a donné suite à cette mise en garde et l’a mise en congé le 6 avril 2022.

[75] La division générale n’a pas abordé les échanges entre l’employeur et la prestataire qui ont précédé la suspension de cette dernière le 6 avril 2022. La prestataire soutient que son employeur aurait dû lui accorder deux semaines de plus pour fournir une attestation après qu’il a refusé sa demande de mesures d’adaptation le 4 avril 2022.

[76] Je suis convaincue que l’on peut soutenir que la division générale n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait. La politique de l’employeur exigeait que les employés fournissent une attestation deux semaines après qu’un gestionnaire les eut informés que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne s’appliquait pas. La décision de la division générale ne permet pas de savoir si le membre s’est demandé si cette disposition s’appliquait dans le cas de la plus récente demande de la prestataire datée du 22 mars 2022 et, dans l’affirmative, quelles étaient les conséquences, le cas échéant, sur la question de l’inconduite.

[77] L’employeur de la prestataire a dit à cette dernière qu’elle n’obtiendrait aucune prolongation si elle présentait une autre demande de mesures d’adaptation et qu’elle serait mise en congé à compter du 22 mars 2022. Pourtant, à cette date, l’employeur de la prestataire ne l’a pas mise en congé. On peut donc soutenir que la prestataire pouvait raisonnablement s’attendre à ce que son employeur évalue sa demande de mesures d’adaptation et, s’il rejetait cette demande, à ce qu’elle obtienne deux semaines pour fournir une attestation avant d’être mise en congé.

[78] Autrement dit, on peut soutenir qu’il n’y a peut-être pas eu d’inconduite le 6 avril 2022, date à laquelle l’employeur a suspendu la prestataire. La prestataire s’attendait à obtenir deux semaines pour fournir une attestation, à compter de la date à laquelle elle a appris que son employeur avait refusé sa demande de mesures d’adaptation.

L’octroi d’un congé serait un exercice théorique

[79] Bien que la prestataire ait une cause défendable, je ne lui donne pas la permission d’aller de l’avant avec l’appel pour deux raisons :

  1. (1) La prestataire a demandé tardivement des prestations d’assurance-emploi. Elle n’a présenté une demande que deux mois après avoir été suspendue de son emploi. Elle n’a pu faire antidater sa demande comme si elle l’avait présentée plus tôt parce qu’elle n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable pendant toute la période du retardNote de bas de page 39.
  2. (2) La prestataire n’était pas disponible pour travailler aux fins de la Loi. Elle devait démontrer qu’elle était disponible pour travailler au cours d’une période de neuf jours, soit du 13 juin 2022 au 24 juin 2022. Mais elle n’a pas démontré une volonté suffisante de retourner sur le marché du travail par ses démarches pour trouver un emploi convenable, et elle a établi des conditions personnelles qui limitaient indûment ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 40.

[80] Le résultat de ces deux décisions sur les questions de l’antidatation et de la disponibilité signifie que même si la prestataire devait obtenir gain de cause dans un appel de cette affaire, elle n’aurait pas droit à des prestations d’assurance-emploi à compter de sa suspension en avril 2022 jusqu’à son retour au travail en juin 2022. Autrement dit, l’issue de tout appel serait entièrement théorique.

[81] Il existe des parallèles avec l’affaire HinesNote de bas de page 41. Dans cette affaire, la division d’appel a accordé l’autorisation de faire appel. Elle a conclu que la division générale avait fait une déclaration juridique trop générale selon laquelle l’âge de Mme Hines posait un obstacle absolu à l’admissibilité à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[82] La division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas tenu compte du fait qu’il y avait des exceptions, notamment la question de savoir si Mme Hines pouvait avoir été invalide, de sorte que sa demande aurait pu être réputée avoir été présentée à une date antérieure avant qu’elle atteigne l’âge de 65 ans. La division d’appel avait souligné que si Mme Hines espérait obtenir gain de cause dans son appel, il serait difficile d’établir qu’elle était invalide et qu’elle avait donc droit à des prestations d’invalidité.

[83] La Cour fédérale a statué que la division d’appel ne pouvait accorder l’autorisation en se fondant sur des « motifs purement théoriques » qui n’étaient pas étayés par le dossier. Il n’y avait aucune preuve pouvant appuyer une conclusion d’invalidité. Par conséquent, Mme Hines ne pouvait antidater sa demande ni ne pouvait être jugée admissible à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[84] Il n’importait pas que la division générale ait mal énoncé le droit dans l’affaire Hines en faisant une déclaration juridique trop générale. La Cour fédérale a statué que la preuve devait encore démontrer que Mme Hines pouvait obtenir gain de cause en appel et être jugée invalide et donc admissible à des prestations. En fin de compte, la preuve n’appuyait pas Mme Hines.

[85] C’est la situation même dans laquelle la prestataire se retrouve. La division générale n’a peut-être pas tenu compte de tous les éléments de preuve essentiels dont elle disposait sur la question de l’inconduite, mais les éléments de preuve tirés des décisions portant sur l’antidatation et la disponibilité signifient que la prestataire n’aurait pas droit à des prestations d’assurance-emploi au bout du compte.

[86] Bien que les dossiers portant sur l’antidatation et la disponibilité soient distincts, la prestataire a demandé par le passé que ses demandes soient examinées ensembleNote de bas de page 42. J’ai examiné les trois affaires ensemble et les décisions du Tribunal sont définitivesNote de bas de page 43. Donc, si j’accordais l’autorisation, je le ferais en me fondant sur des « motifs purement théoriques » qui ne sont pas étayés par le dossier global. Même s’il n’y avait pas d’inconduite, la prestataire ne pourrait recevoir de prestations d’assurance-emploi en raison des questions de l’antidatation et de la disponibilité.

Conclusion

[87] Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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