Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 396

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (603418) rendue le 29 août 2023 par
la Commission de l’assurance-emploi du Canada
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Kristen Thompson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 30 janvier 2024
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 6 février 2024
Numéro de dossier : GE-23-3197

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

[2] L’appelante n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations. Autrement dit, elle n’a pas fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, on ne peut pas traiter sa demande comme si elle l’avait présentée plus tôtNote de bas de page 1.

[3] Toutefois, comme l’appelante a demandé des prestations le 6 juin 2022, elle n’a pas à démontrer l’existence d’un motif valable après cette date.

Aperçu

[4] Le 6 juin 2022, l’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi. Elle veut maintenant que la demande soit traitée comme si elle l’avait présentée plus tôt, c’est‑à-dire le 28 novembre 2021. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté cette requête.

[5] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable de retarder sa demande de prestations.

[6] Selon la Commission, l’appelante n’avait aucun motif valable du 28 novembre 2021 au 18 juin 2022. Elle affirme que l’appelante n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation pour vérifier ses droits et ses obligations en ce qui concerne les prestations d’assurance-emploi. La Commission explique que l’appelante a attendu près de six mois avant de présenter sa demande parce qu’elle attendait que ses employeurs produisent ses relevés d’emploi. La Commission ajoute que le formulaire de demande propose des options en cas de difficultés à obtenir les relevés d’emploi.

[7] L’appelante n’est pas d’accord. Elle affirme avoir demandé des prestations d’assurance-emploi le 20 mai 2022. Elle dit qu’elle n’a pas fait le choix délibéré de retarder sa demande. Elle explique que c’est plutôt ses employeurs qui ont tardé à lui remettre les relevés d’emploi. Elle dit avoir agi de façon honnête et de bonne foi.

Question en litige

[8] Peut‑on traiter la demande de prestations comme si l’appelante l’avait présentée le 28 novembre 2021? C’est ce qu’on appelle « antidater la demande ».

Analyse

Que doit démontrer l’appelante?

[9] Pour faire avancer la date d’une demande de prestations, il faut démontrer les deux choses suivantesNote de bas de page 2 :

  • Un motif valable justifiait le retard durant toute la période du retard
  • À la date antérieure (c’est‑à-dire la date à laquelle on veut faire avancer la demande), on remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations.

[10] Dans cette affaire‑ci, les principaux arguments portent sur la question de savoir si l’appelante avait un motif valable. Je vais donc commencer par là.

[11] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, l’appelante doit prouver qu’elle a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle s’est comportée de façon prudente et raisonnable, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait dans une situation semblable.

[12] L’appelante doit démontrer qu’elle a agi ainsi pendant toute la période du retardNote de bas de page 4. Cette période s’étend de la date à laquelle elle veut faire antidater sa demande jusqu’à la date où elle a présenté sa demande.

[13] L’appelante doit aussi démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et ses obligations aux termes de la loiNote de bas de page 5. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a fait de son mieux pour essayer de se renseigner dès que possible sur ses droits et ses responsabilités. Si l’appelante n’a pas fait de telles démarches, elle doit démontrer que c’est en raison de circonstances exceptionnellesNote de bas de page 6.

[14] L’appelante doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire qu’elle doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’un motif valable justifiait son retard.

Quand l’appelante a t-elle demandé des prestations?

[15] Je juge que l’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 6 juin 2022.

[16] Elle affirme les avoir demandées le 20 mai 2022.

[17] La Commission, quant à elle, dit que l’appelante a fait sa demande le 6 juin 2022. Selon la Commission, l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable du 28 novembre 2021 au 18 juin 2022Note de bas de page 7. Elle explique que l’appelante a modifié sa demande le 20 mai 2022, mais sans la soumettre.

[18] L’appelante a déposé un document daté du 3 mai 2022 qui montre qu’elle a reçu un mot de passe temporaire pour faire sa demande de prestations d’assurance-emploi en ligneNote de bas de page 8.

[19] L’appelante a déposé un document montrant qu’elle a [traduction] « modifié » sa demande. Le document est daté du 20 mai 2022. Il indique qu’elle a accepté ses droits et responsabilités aux termes du programme d’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[20] À l’audience, l’appelante a expliqué qu’elle avait commencé à remplir sa demande de prestations le 3 mai 2022, mais on lui a dit que sa demande était incomplète parce qu’elle n’avait pas de relevé d’emploi pour son emploi à temps partiel. Elle affirme que, le 20 mai 2022, elle a modifié la demande pour montrer qu’elle ne pouvait pas obtenir le relevé d’emploi de cet employeur. Elle dit avoir présenté sa demande ce jour‑là.

[21] Dans l’avis d’appel et les documents d’appel, l’appelante écrit qu’elle a présenté sa demande en juin 2022Note de bas de page 10.

[22] La Commission a déposé un document qui montre qu’elle a reçu la demande de prestations d’assurance-emploi le 6 juin 2022. Le document indique que l’appelante a accepté ses droits et ses responsabilités aux termes du programme d’assurance-emploi. Il précise qu’elle déclare qu’à sa connaissance, les renseignements fournis dans la demande sont exacts et qu’elle veut présenter sa demande de prestations d’assurance-emploi en ligneNote de bas de page 11.

[23] Je conclus que l’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 6 juin 2022. Je m’appuie sur le document déposé par la Commission, car il confirme que l’appelante a présenté sa demande en ligne le 6 juin 2022. Je suis d’accord avec la Commission : le document daté du 20 mai 2022 montre que l’appelante a modifié sa demande, mais pas qu’elle l’a présentée à la Commission.

[24] L’appelante doit démontrer qu’un motif valable justifiait son retard du jour où elle veut faire antidater sa demande jusqu’au jour où elle a vraiment présenté sa demande. Je ne suis pas d’accord avec la Commission sur un point : la période du retard ne va pas du 28 novembre 2021 au 18 juin 2022. Je conclus que la période du retard de l’appelante s’étend du 28 novembre 2021 au 6 juin 2022.

Y avait il un motif valable justifiant le retard de l’appelante?

[25] Je conclus qu’aucun motif valable ne justifiait le retard de l’appelante.

[26] Elle dit qu’elle avait un motif valable parce qu’elle n’a pas décidé de façon délibérée de retarder sa demande. Ce sont plutôt ses employeurs qui ont tardé à lui remettre les relevés d’emploi. Elle dit avoir agi de façon honnête et de bonne foi.

[27] Selon la Commission, l’appelante n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait son retard parce qu’elle n’a pas fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans sa situation pour vérifier ses droits et ses obligations en ce qui concerne les prestations d’assurance-emploi. La Commission affirme que l’appelante a attendu près de six mois avant de soumettre sa demande parce qu’elle attendait que ses employeurs produisent les relevés d’emploi. Elle explique cependant que le formulaire de demande propose des options en cas de difficulté à obtenir les relevés d’emploi.

[28] L’appelante dit qu’elle avait deux emplois. Elle a été congédiée de son emploi à temps plein le 29 novembre 2021. Elle a été congédiée de son emploi à temps partiel le 15 novembre 2021.

[29] Elle dit avoir demandé les relevés d’emploi à ses employeurs en décembre 2021, mais ses demandes ont été ignorées.

[30] L’appelante affirme avoir retardé sa demande parce qu’elle n’avait pas les relevés d’emploi. Elle dit avoir compris que, sans les relevés d’emploi, la demande ne pourrait pas aller de l’avant. Elle affirme que ses employeurs ne respectaient pas les règles du jeu.

[31] L’appelante affirme que l’employeur pour qui elle travaillait à temps plein lui a dit en décembre 2021 qu’il transmettrait le relevé d’emploi directement à Service Canada. Peu de temps après, elle a téléphoné à Service Canada pour s’informer des prochaines étapes. On lui a dit qu’elle pouvait créer un compte en ligne pour voir le relevé d’emploi.

[32] L’appelante raconte qu’elle a consulté le site Web de Service Canada en décembre 2021. Elle dit avoir appris qu’on peut demander des prestations d’assurance-emploi sans relevé d’emploi, mais que cela peut prendre plus de temps.

[33] L’employeur chez qui l’appelante occupait un poste à temps plein a produit un relevé d’emploi daté du 17 décembre 2021Note de bas de page 12.

[34] L’appelante affirme avoir demandé son code d’accès personnel le 20 décembre 2021 pour créer un compte en ligne. Elle a reçu le code en janvier 2022.

[35] L’appelante explique que, de décembre 2021 à mars 2022, elle a fait de son mieux pour obtenir ses relevés d’emploi.

[36] Elle dit que son compte en ligne a été créé en mars 2022. Elle dit avoir aussi reçu par la poste un relevé d’emploi de l’employeur pour qui elle travaillait à temps plein.

[37] Elle explique qu’en mars 2022, l’employeur pour qui elle travaillait à temps partiel lui a remis une ébauche de son relevé d’emploiNote de bas de page 13. Elle dit qu’elle ne pouvait pas l’utiliser pour demander des prestations parce qu’il était incomplet et qu’il portait la mention [traduction] « ébauche ».

[38] Elle raconte que, le 20 mai 2022, elle a modifié sa demande pour montrer qu’elle ne pouvait pas obtenir le relevé d’emploi pour son poste à temps partiel. Elle explique qu’elle a présenté sa demande à ce moment‑là parce qu’elle savait déjà depuis décembre 2021 qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi même si elle n’avait pas son relevé d’emploi.

[39] Selon l’appelante, de décembre 2021 à mai 2022, son retard était dû au stress causé par la pandémie et la perte de ses emplois. Elle dit que, durant cette période, elle n’avait aucune aide médicale pour gérer son stress.

[40] L’employeur pour qui l’appelante travaillait à temps partiel a produit plusieurs relevés d’emploi : un daté du 21 juin 2022, un daté du 7 juillet 2022 et deux datés du 1er septembre 2022Note de bas de page 14.

[41] L’appelante explique qu’elle n’a jamais reçu de prestations d’assurance-emploi auparavant. Elle affirme qu’elle travaille depuis ses 18 ans.

[42] Le formulaire de demande précise que la personne qui fait la demande a la responsabilité de fournir le relevé d’emploi de chaque emploi occupé au cours des 104 semaines précédentes. Il précise que tous les relevés d’emploi sont nécessaires pour finaliser la demande. Il explique qu’en cas de difficulté à obtenir un relevé d’emploi, la personne peut communiquer avec Service Canada ou remplir le formulaire de demande de relevé d’emploiNote de bas de page 15.

[43] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations. Elle a déclaré qu’en décembre 2021, elle savait que même si elle n’avait pas de relevé d’emploi, elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi, mais que cela pourrait prendre plus de temps. En décembre 2021, une personne de Service Canada lui a dit qu’elle pouvait créer un compte en ligne pour voir le relevé d’emploi produit par l’employeur pour qui elle travaillait à temps plein. Je juge qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait sa demande de prestations peu de temps après avoir reçu ces renseignements.

[44] L’appelante n’a pas démontré que les circonstances étaient exceptionnelles. Elle dit qu’elle était stressée par la pandémie et la perte de ses emplois. Mais comme elle n’avait aucun suivi médical et qu’elle n’a fourni aucune preuve pour confirmer ses dires, je juge que rien ne l’empêchait de présenter sa demande assez rapidement.

L’appelante remplit-elle les conditions requises pour recevoir des prestations?

[45] Le Tribunal a confirmé qu’à compter du 5 juin 2022, l’appelante n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour inconduiteNote de bas de page 16. La Commission a changé sa décision sur la disponibilité de l’appelanteNote de bas de page 17. Il se peut que d’autres raisons l’empêchent de remplir les conditions requises pour recevoir des prestations, mais à compter du 6 juin 2022, l’appelante n’a pas à démontrer qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande.

Conclusion

[46] L’appelante n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations pendant toute la période du retard. Cependant, elle a présenté sa demande le 6 juin 2022, alors elle n’a pas à démontrer qu’un motif valable justifiait son retard à partir de cette date.

[47] L’appel est accueilli en partie.

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