Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KS c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 1957

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. S.
Représentante : N. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de révisions de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (353813, 353811, 353809, 353812 et 352815) datées du 9 janvier 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 6 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 14 août 2023
Numéro de dossier : GE-20-485,
GE-20-487,
GE-20-524,
GE-20-525,
GE-20-527,

Sur cette page

Décision

[1] Les appels sont tous rejetés. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.

[2] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait le pouvoir d’examiner de nouveau les demandes en question lorsqu’elle l’a fait.

[3] La Commission a démontré que l’appelante a reçu des prestations auxquelles elle n’avait pas droit. Elle doit rembourser les prestations auxquelles elle n’avait pas droit.

Aperçu

[4] L’appelante travaillait dans un spa. En 2014, le spa a fermé ses portes. L’appelante a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et les a obtenues.

[5] La Commission a été informée que plusieurs employés du spa avaient fait des demandes de prestations inhabituelles. Elle a commencé à enquêter sur l’employeuse de l’appelante. Elle a découvert que des demandes de prestations d’assurance-emploi avaient été faites pour des personnes qui n’ont jamais travaillé pour l’employeuse. Des prestations avaient été versées sur le fondement de ces fausses demandes et l’argent semblait avoir été versé à l’appelante. La Commission a donné à l’appelante un avertissement à l’égard des déclarations fausses ou trompeuses et lui demande de rembourser l’argent qui a été versé dans son compte bancaire.

[6] L’appelante soutient qu’elle s’est fait refuser le droit à l’équité procédurale et à la justice naturelle, car la Commission n’a jamais fourni les motifs de ses décisions de lui donner un avertissement ou d’exiger qu’elle rembourse cet argent. De plus, elle affirme n’avoir jamais fait de déclarations inexactes, fausses ou trompeuses à Service Canada et n’avoir jamais déposé de demande de paiement de prestations d’assurance-emploi au nom de tiers. Elle affirme n’avoir en aucun cas tiré profit de représentations inexactes, fausses ou trompeuses faites par une autre partie. Elle soutient être une victime dans cette situation.

[7] La Commission soutient que, lorsqu’elle est d’avis qu’une partie prestataire a fait des déclarations fausses ou trompeuses, elle peut réexaminer une demande de prestations jusqu’à 72 mois après que les prestations ont été versées ou sont devenues payables. Dans les présentes affaires, il incombe également à l’appelante de rembourser les prestations qu’elle a reçues puisqu’elle n’y avait pas droit. Elle soutient que l’appelante a admis qu’elle avait accepté de commettre une fraude en autorisant une autre personne à utiliser son compte bancaire pour des dépôts de prestations d’assurance-emploi.

[8] Je dois décider si la Commission a le pouvoir d’examiner de nouveau ces demandes. Ensuite, je dois décider si la Commission peut tenir l’appelante responsable du remboursement des prestations.

Questions que je dois examiner en premier

L’appelante a déposé six appels devant le Tribunal

[9] Au total, l’appelante a porté en appel six décisions de révision qui ont été rendues par la Commission à son sujet.

[10] Par souci d’efficacité, j’ai tenu une audience pour tous les appels de l’appelante.

[11] L’un des appels est différent des autres, de sorte que j’ai rendu une décision distincte pour cet appelNote de bas de page 1.

[12] La présente décision porte sur les cinq appels comportant des faits similairesNote de bas de page 2.

La mise au rôle de l’audience a été retardée

[13] L’appelante a initialement déposé ses appels auprès du Tribunal en février 2020. À ce moment-là, elle a dit souhaiter que l’audience soit tenue « en personne ».

[14] Pendant la pandémie de COVID-19, il n’a pas été possible de tenir l’audience en personneNote de bas de page 3. Le Tribunal a également eu de la difficulté à communiquer avec la représentante de l’appelante.

[15] Comme la mise au rôle des audiences en personne demeurait difficile, en 2022, nous avons joint la représentante et confirmé que si l’appelante le souhaitait, l’audience pourrait se dérouler plus rapidement par vidéoconférence. L’appelante a accepté cette option, a mis à jour les coordonnées de sa représentante et une audience a été prévue par vidéoconférenceNote de bas de page 4.

[16] À l’ouverture de cette audience par vidéoconférence, la représentante de l’appelante m’a dit qu’elle n’avait pas reçu les observations de la Commission. J’ai choisi d’ajourner l’audience et de la reporter pour donner à l’appelante et à sa représentante le temps d’examiner les observations de la Commission. L’audience s’est finalement déroulée par vidéoconférence le 6 juillet 2022.

Questions en litige

[17] Les questions à trancher dans les cinq dossiers sur lesquels porte la présente décision sont les mêmes :

Question en litige no 1 : La Commission avait-elle le pouvoir d’examiner de nouveau les demandes qui semblaient avoir été présentées par l’appelante?

[18] Pour décider si la Commission avait le pouvoir d’examiner de nouveau les demandes, je dois vérifier si les délais prévus par la loi pour examiner une demande de prestations ont été respectés. Je dois également décider si la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a choisi d’exercer son pouvoir d’examiner de nouveau ces demandes.

Question en litige no 2 : Les décisions de la Commission concernant les sanctions contre l’appelante étaient-elles appropriées?

[19] Pour décider si les décisions de la Commission concernant les sanctions contre l’appelante étaient appropriées, je devrai établir si la Commission pouvait imposer une sanction dans ces cas, si elle pouvait imposer une sanction à un tiers et si elle a agi de façon judiciaire en décidant qu’un avertissement devrait être donné.

Question en litige no 3 : L’appelante est-elle tenue de rembourser l’argent que la Commission lui demande de rembourser?

[20] Pour décider si l’appelante est tenue de rembourser l’argent que la Commission lui demande de rembourser, je devrai décider si la Commission peut exiger qu’un tiers rembourse des prestations d’assurance-emploi qui ont été versées en trop.

Analyse

Les faits en commun

[21] La présente décision porte sur cinq décisions de réexamen qui ont été prises contre l’appelante. Dans les cinq cas, la décision était la même : la Commission a maintenu sa décision initiale selon laquelle l’appelante avait fait des déclarations fausses ou trompeuses et avait reçu des prestations d’assurance-emploi auxquelles elle n’avait pas droit. Elle a également affirmé qu’elle n’imposerait pas de sanction pécuniaire compte tenu des circonstances dans lesquelles l’appelante a fourni de faux renseignements, mais qu’elle a plutôt donné un avertissement.

[22] Il est utile à ce stade-ci d’examiner en détail les faits qui sont communs aux cinq cas.

[23] L’appelante a travaillé pour l’employeuse du 25 mars 2011 au 26 septembre 2014. Lorsque l’entreprise de l’employeuse a fermé ses portes, l’appelante a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et a reçu des prestations pour elle-même.

[24] À la fin de 2014 et au début de 2015, des demandes de prestations ont été faites pour plusieurs personnes ayant des relevés d’emploi produits par l’employeuse. La Commission a versé des prestations à ces « prestataires ». En fait, les « prestataires » ne savaient pas qu’une demande de prestations avait été faite à leur nom.

[25] L’un des « prestataires » a communiqué avec la Commission en juin 2015 pour signaler qu’une demande semblait avoir été faite en son nom, à son insu. Une autre personne a aussi communiqué avec la Commission et a expliqué qu’elle n’avait jamais travaillé pour l’employeuse qui avait émis un relevé d’emploi pour elle.

[26] La Commission a enquêté sur ces demandes et a relevé diverses irrégularités concernant les demandes de prestations, les relevés d’emploi et les demandes de prestations de « prestataires » ayant un relevé d’emploi de l’employeuse.

[27] La Commission a découvert que, dans le cas des cinq « prestataires », des prestations avaient été versées et déposées dans un compte bancaire appartenant à l’appelante.

[28] Le 26 février 2019, les Services d’intégrité de la Commission ont demandé à l’appelante de se présenter à une entrevue le 11 mars 2019.

[29] Il semble que le 2 mars 2019 un avis de dette au montant de 524,00 $ ait été produit à l’intention de l’appelante. Un deuxième avis de dette d’un montant supplémentaire totalisant 5 764,00 $ a été produit le 16 mars 2019. L’appelante ne mentionne pas ces avis, mais ils figurent dans les observations de la Commission.

[30] L’appelante ne s’est pas présentée à l’entrevue du 11 mars, mais a parlé à la Commission par téléphone le 9 avril 2019. Elle a demandé pourquoi une décision avait été prise dans son cas alors qu’elle portait en appel une décision de l’Agence du revenu du Canada concernant sa propre demande de prestationsNote de bas de page 5. La Commission lui a dit que les versements excédentaires étaient liés à des chèques de prestations qu’elle avait encaissés et auxquels elle n’avait pas droit. Elle a accepté de se présenter à une entrevue le 29 avril 2019.

[31] L’appelante a reçu un état des comptes daté du 20 avril 2019. Cet état de compte indique qu’elle devait en tout 6 288,00 $, plus des intérêts de 2,87 $, pour un total de 6 290,87 $. Il n’y a aucune explication quant à l’origine de cette dette sur l’état de compte.

[32] L’appelante a rencontré un enquêteur des Services d’intégrité le 29 avril 2019. Lors de cette entrevue, elle a confirmé les renseignements suivants :

  • Son adresse entre 2014 et 2016.
  • L’employeuse, S.N., vivait dans le même immeuble qu’elle.
  • À l’origine, elle avait un compte bancaire auprès de la banque BMO, mais après avoir reçu trop de chèques de l’employeuse qui ont [traduction] « rebondi », son compte a été fermé. Elle a donc ouvert un nouveau compte à la banque RBC.
  • Elle a reconnu sa signature sur les documents relatifs au compte de la RBC qui lui ont été montrés par l’enquêteur.
  • Le compte est un compte bancaire personnel et elle est la seule à y avoir accès.
  • Elle a reconnu avoir autorisé S.N. à utiliser son compte bancaire pour déposer des chèques parce que S.N. avait de la difficulté à obtenir un compte bancaire.
  • Elle n’a rien reçu en échange des chèques déposés dans son compte et elle ne se souvenait pas pourquoi elle n’avait pas remis l’argent à S.N.
  • Son numéro de téléphone à [nom de l’entreprise] est celui que l’enquêteur lui a montré.
  • Lorsque S.N. a perdu ses entreprises, elle a [traduction] « mis » l’appelante au chômage et lui a dit qu’elle utiliserait l’adresse de l’appelante pour recevoir des documents liés à l’assurance-emploi. L’appelante a accepté et, lorsqu’elle recevait du courrier qui ne lui était pas adressé, elle le transmettait à S.N.
  • Elle a accepté de commettre cette fraude avec S.N. parce que S.N. a fait pression sur elle pour qu’elle accepte. Elle n’a pas reçu de menaces de mort, mais a cru de ne pas avoir le choix. C’est pourquoi elle a donné son numéro de téléphone pour certaines demandes de prestations.

[33] À la suite de cette rencontre, le 10 mai 2019, la Commission a envoyé une série de lettres de décision à l’appelante. Dans chacun des cas, la Commission a dit avoir conclu que l’appelante avait sciemment fait une ou plusieurs affirmations ou déclarations fausses ou trompeuses en agissant pour le compte du « prestataire ». Plus précisément, elle avait déclaré que le « prestataire » avait travaillé pour l’employeuse alors que ce n’était pas le cas, qu’elle avait soumis un faux relevé d’emploi et qu’elle n’avait pas droit à des prestations au nom du « prestataire ».

[34] De plus, chacune de ces lettres indiquait que l’appelante ne serait pas tenue de payer une sanction pécuniaire compte tenu des circonstances dans lesquelles elle a fourni de faux renseignements pendant qu’elle agissait pour les prestataires.

[35] Le 11 mai 2019, la Commission a produit un autre avis de dette d’un montant supplémentaire de 1 572,00 $.

[36] Le 14 juin 2019, l’appelante a demandé à la Commission d’examiner de nouveau sa décision dans toutes ces affaires.

[37] Le 9 janvier 2020, la Commission a fourni ses réponses dans chacune de ces affaires. Dans chaque cas, la Commission a répondu qu’après réexamen, elle n’avait pas modifié sa position et que les décisions communiquées le 10 mai 2019 étaient maintenues.

[38] La première question à laquelle je dois répondre est de savoir si la Commission avait le pouvoir d’examiner de nouveau les demandes de prestations.

Question en litige no 1 : La Commission avait-elle le pouvoir d’examiner de nouveau les demandes présentées à la fin de 2014 et au début de 2015?

[39] Je conclus que la Commission avait effectivement le pouvoir d’examiner de nouveau les demandes de prestations qui ont mené au paiement de prestations ayant abouti dans le compte bancaire de l’appelante.

[40] La Commission a le pouvoir de revoir ses décisions concernant les prestations. Mais il y a aussi des délais prescrits dans la loi que la Commission doit respecter lorsqu’elle examine de nouveau ses décisionsNote de bas de page 6. Habituellement, la Commission dispose d’un maximum de trois ans pour examiner de nouveau ses décisionsNote de bas de page 7.

[41] Dans certains cas, la Commission peut remonter encore plus loin que trois ans. La Commission peut examiner de nouveau les décisions qu’elle a prises jusqu’à six ans plus tôt si elle estime qu’une déclaration erronée a été faiteNote de bas de page 8. Cela ne signifie pas que la Commission doit prouver que la fausse déclaration a été faite délibérément; cela signifie simplement que la Commission doit avoir un motif raisonnable de penser qu’une déclaration ou une affirmation faite relativement aux prestations était fausse.

[42] L’appelante soutient qu’en 2018 il était trop tard pour que la Commission examine sa décision de verser des prestations dans le cadre de ces demandesNote de bas de page 9. La Commission affirme qu’elle peut revenir en arrière pour examiner les demandes remontant à 2014 et à 2015 parce qu’elle était d’avis que de fausses déclarations avaient été faites.

Quand les demandes ont-elles été examinées de nouveau?

[43] Conformément à loi, la Commission n’a pas besoin d’une raison pour examiner de nouveau une demande de prestations si le nouvel examen est effectué dans les 36 mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payablesNote de bas de page 10.

[44] Je dois donc savoir quand les prestations ont été payées ou sont devenues payables. Le tableau suivant indique les dates pertinentes pour les dossiers dont je suis saisie :

Numéro de dossier du Tribunal : Nom sur la demande Date de la demande de prestations Date(s) à laquelle(auxquelles) des prestations auraient été versées à l’appelante pour cette demande
GE-20-485 L. G. 28 avril 2015 14 mai 2015
GE-20-487 K. M. 8 janvier 2015 14 avril 2015
GE-20-524 K. P.-P. 30 décembre 2014 22 mai 2015
5 juin 2015
19 juin 2015
GE-20-525 M.M. 28 avril 2015 29 mai 2015
GE-20-527 J. M. 28 décembre 2014 22 mai 2015
5 juin 2015
19 juin 2015

[45] Puisque l’enquête de la Commission portait sur toutes les demandes de prestations présentées par des « prestataires » qui auraient travaillé pour l’employeuse, je suis d’avis que, si la Commission était « en temps » pour la plus ancienne de ces demandes, elle serait en temps pour un examen dans toutes les affaires dont je suis saisie.

[46] Compte tenu des dossiers dont je dispose, je conclus que la première date à laquelle l’une des demandes pouvait être payée ou payable aurait été le 28 décembre 2014. Il s’agit de la date de la demande de prestations présentée au nom de J.M.

[47] Des éléments de preuve dans les dossiers montrent que l’enquête de la Commission sur cette demande et sur toutes les autres demandes dans les dossiers dont je suis saisie a commencé dès juin 2015.

[48] Le 17 septembre 2015, l’enquêteur des Services d’intégrité de la Commission (l’enquêteur) a présenté une « Demande en vue d’obtenir une ordonnance de communication pour les données financières » et une « Demande en vue d’obtenir une ordonnance de communication générale » (Demandes de communication) afin d’obtenir des renseignements sur un compte bancaire au nom de l’appelante et les opérations qui ont eu lieu dans ce compte du 1er mars 2013 au 22 août 2015. Il a également demandé le nom des personnes autorisées à effectuer des opérations dans le compte et tout autre compte au nom de la titulaire.

[49] Dans les demandes de communication, l’enquêteur affirme que la titulaire du compte bancaire a utilisé le compte pour encaisser des paiements d’assurance-emploi et pour recevoir des dépôts directs auxquels elle n’avait pas droit, au nom de plusieurs demandeursNote de bas de page 11.

[50] Dans un affidavit à l’appui des demandes de communication, l’enquêteur affirme que le 9 juin 2015, une personne a communiqué avec la Commission pour lui expliquer qu’elle avait appris qu’une demande de prestations d’assurance-emploi avait été présentée en son nomNote de bas de page 12. Elle n’avait pas présenté cette demande de prestations et le numéro de téléphone et l’adresse figurant sur la demande de prestations n’étaient pas les siens. Elle a dit être victime d’une fraude d’identité.

[51] L’affidavit indique également que, le 16 juin 2015, l’enquêteur a rencontré une deuxième personne qui affirmait également être victime de fraude d’identité et dont les renseignements personnels avaient été utilisés pour créer une demande de prestations à son insu.

[52] Un juge de paix a accueilli les demandes de communication. Cela signifie que la banque était tenue de fournir les renseignements à l’enquêteur.

[53] La banque concernée a répondu à ces ordonnances de communication le 24 septembre 2015. Elle a confirmé que les comptes bancaires appartenaient à l’appelante. Elle a également confirmé que l’appelante était la titulaire du compte bancaire et la seule personne ayant l’autorisation de l’utiliser.

[54] Une troisième demande de communication a été présentée par l’enquêteur le 5 octobre 2015 en vue d’obtenir une ordonnance générale de communication. Dans la présente demande, la Commission a demandé à la banque des détails supplémentaires, y compris des copies de chèques encaissés à partir du compte et, encore une fois, toutes les opérations effectuées entre le 1er mars 2013 et le 22 août 2015. Cette demande a aussi été accueillie.

[55] La banque a répondu à cette troisième ordonnance le 7 décembre 2015. Elle a fourni des copies de chèques encaissés au nom des « prestataires » dans ces dossiers et les détails des opérations du compte de l’appelante pour la période demandée.

[56] Tout cela m’indique qu’à l’automne 2015 la Commission a examiné de nouveau les demandes de prestations qu’elle soupçonnait avec raison d’être frauduleuses parce qu’il existait des éléments de preuve selon lesquels les personnes inscrites comme « prestataires » n’avaient présenté aucune demande de prestations. Cette enquête l’a amenée à examiner de nouveau les demandes et les prestations versées à la suite de ces demandes.

La Commission n’a pas terminé son nouvel examen des demandes dans les 36 mois

[57] Il m’apparaît évident que le nouvel examen par la Commission des demandes de prestations dans les dossiers dont je suis saisie a commencé dès juin 2015. Toutefois, la loi laisse entendre aussi que pour que le processus de réexamen soit terminé, un avis de la décision établissant un versement excédentaire doit être produitNote de bas de page 13.

[58] Selon la preuve dont je dispose, je constate que le 2 mars 2019 un avis de dette a été envoyé à l’appelante pour un montant de 524,00 $. Il concernait le dossier d’une demande de prestations présentée par un « prestataire » le 8 janvier 2015 et pour laquelle des prestations ont été versées le 14 avril 2015Note de bas de page 14.

[59] Un deuxième avis de dette d’un montant supplémentaire totalisant 5 764,00 $ a été produit le 16 mars 2019. Il était lié à deux dossiers dont est saisi le Tribunal. Le premier concernait une demande de prestations présentée par un « prestataire » le 28 décembre 2014Note de bas de page 15. Le deuxième concernait une demande de prestations présentée par un « prestataire » le 30 décembre 2014Note de bas de page 16. Dans les deux dossiers, des prestations ont été versées le 22 mai, le 5 juin et le 22 juin 2015.

[60] La preuve de l’appelante démontre qu’elle a également reçu un « état de compte » daté du 20 avril 2019. Ce relevé indique une dette de 6 290,47 $, ce qui représenterait les totaux inclus dans les avis de dette du 2 mars et du 16 mars 2019, plus des intérêts de 2,47 $.

[61] Un avis de dette final d’un montant de 1 572,00 $ a été envoyé à l’appelante le 11 mai 2019. Il était lié à deux dossiers dont est saisi le Tribunal. Le premier concernait une demande de prestations présentée par un « prestataire » le 28 avril 2015 et des prestations versées le 14 mai 2015Note de bas de page 17. Le deuxième concernait également une demande de prestations présentée par un « prestataire » le 18 avril 2015 et des prestations versées le 29 mai 2015Note de bas de page 18.

[62] Dans tous ces cas, l’avis de dette ou l’état de compte a été produit plus de 36 mois après que les demandes de prestations ont été présentées. Les avis ont également été produits plus de 36 mois après le versement de l’une ou l’autre des prestations.

[63] Je conclus donc que la Commission n’a pas terminé son nouvel examen de l’une ou l’autre des demandes présentées dans les dossiers dont je suis saisie dans les 36 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables.

[64] Je dois maintenant me demander si le nouvel examen a été achevé dans les 72 mois et, dans l’affirmative, si des éléments de preuve indiquent que la Commission estimait qu’une déclaration ou une affirmation fausse ou trompeuse avait été faite relativement aux demandes.

La Commission a bien terminé son nouvel examen des demandes dans un délai de 72 mois

[65] La Commission peut toujours réexaminer une demande jusqu’à 72 mois après le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables si elle estime qu’une déclaration ou une affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations.

[66] Pour décider si la Commission a respecté ou non le délai de 72 mois pour examiner de nouveau une demande de prestations, la Commission n’a pas à prouver qu’il y a eu une fausse déclaration. Elle n’a qu’à démontrer qu’à l’époque, à son avis, une déclaration ou une affirmation fausse ou trompeuse a été faite.

[67] D’après les éléments de preuve susmentionnés, en particulier les affidavits de l’enquêteur à l’appui des demandes de communication, il m’apparaît évident que, de l’avis de la Commission, plusieurs déclarations ou représentations fausses ou trompeuses avaient été faites. Elle a démontré que, dès le 9 juin 2015, il y avait des raisons de croire qu’au moins un des « prestataires » dans les dossiers dont je suis saisie était victime d’un vol d’identité.

[68] En ce qui concerne l’appelante elle-même, une fois que la Commission a reçu la confirmation de la banque en septembre 2015 que le compte bancaire dans lequel des prestations avaient été déposées appartenait à l’appelante et non aux « prestataires » nommés dans les demandes de prestations, elle avait la preuve que l’appelante était impliquée dans les demandes ou déclarations trompeuses.

[69] Dans les multiples lettres de décision envoyées à l’appelante le 10 mai 2019, la Commission a expliqué à l’appelante qu’à l’issue d’une enquête elle avait conclu que l’appelante avait fait des demandes ou des déclarations trompeuses. Plus précisément, elle affirme que l’appelante avait présenté des demandes de prestations d’assurance-emploi au nom des prestataires, présenté de faux relevés d’emploi et reçu le paiement de prestations tandis que la personne nommée dans la demande n’a jamais travaillé pour l’employeuse en cause et qu’elle n’avait pas droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi à leur nomNote de bas de page 19.

[70] Même si j’estime que la Commission n’a informé l’appelante que le 10 mai 2019 des conclusions de l’enquête selon lesquelles elle avait fait des déclarations fausses et trompeuses dans chacun des dossiers dont je suis saisie, elle l’a quand même fait dans les 72 mois suivant la date de présentation de la première demande de prestationsNote de bas de page 20.

[71] Même si la Commission respecte les délais de réexamen d’une demande de prestations, elle n’est pas tenue de réexaminer une demande. Dans la prochaine section, je déciderai si la Commission aurait dû réexaminer les demandes de prestations dans les dossiers dont je suis saisie.

La Commission a-t-elle exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé d’examiner de nouveau les demandes prétendument frauduleuses?

[72] Selon la loi, la Commission « peut examiner de nouveau toute demande de prestations » dans les délais appropriés. Cela signifie que la décision de réexaminer une décision est un pouvoir discrétionnaire : la Commission peut décider si elle réexaminera ou non une demande de prestations.

[73] La Commission doit exercer ce pouvoir discrétionnaire « de façon judiciaire ». Cela signifie que la décision prise de mauvaise foi, à des fins inappropriées, de manière discriminatoire, en tenant compte de facteurs non pertinents ou en omettant de tenir compte de facteurs pertinents doit être annuléeNote de bas de page 21.

[74] Bien qu’aucune des parties n’ait directement fait valoir que la Commission avait exercé ou non son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée lorsqu’elle a décidé de réexaminer les demandes dans ces appels, des décisions récentes de la division d’appel du Tribunal ont laissé entendre que je commettrais une erreur de droit si je ne me penchais pas sur cette questionNote de bas de page 22.

[75] Pour décider si la Commission a agi de façon judiciaire, je dois examiner ce qui pourrait guider la décision de la Commission d’examiner de nouveau une demande de prestations. Comme la loi ne précise pas à quel moment la Commission devrait réexaminer une demande, la Commission a établi une politique administrative pour orienter sa prise de décision.

[76] La politique de la Commission est présentée au chapitre 17 de son Guide de la détermination de l’admissibilité. Bien que je ne sois pas liée par ces règles, je les trouve utiles pour comprendre les règles que la Commission se donne pour assurer l’uniformité et la cohérence dans son processus décisionnel.

[77] Dans la politique, la Commission devrait établir si :

  1. a) il y a un moins‑payé de prestations;
  2. b) des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi;
  3. c) des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  4. d) le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droitNote de bas de page 23.

[78] La division d’appel et d’autres décisions du Tribunal m’amènent à comprendre qu’il s’agit de facteurs pertinents qui devraient être pris en compte si la Commission exerce ce genre de pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. La politique énonce les facteurs pertinents à prendre en considération à la première étape de la décision d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire de procéder à un nouvel examen.

[79] Dans la présente affaire, rien ne laisse entendre que les prestations à l’appelante ont été sous-payées. Je me pencherai donc seulement sur la question de savoir si la Commission a tenu compte de l’une ou l’autre des trois autres questions au moment de décider de réexaminer les demandes de prestations présentées au nom des « prestataires » dans les appels dont je suis saisie.

La Commission a-t-elle tenu compte des facteurs pertinents lorsqu’elle a décidé de réexaminer les demandes de prestations?

[80] La Commission n’a pas expressément donné les raisons pour lesquelles elle a décidé de réexaminer les demandes de prestations dans les affaires dont je suis saisie. Je dois donc me fier aux documents qu’elle a fournis pour comprendre pourquoi elle a décidé de réexaminer ces demandes.

[81] Il ressort clairement de la preuve que la Commission menait une enquête sérieuse sur les circonstances entourant les demandes dans lesquelles des relevés d’emploi ont été produits par l’ancien employeuse de l’appelante.

[82] D’après les demandes de communication de l’enquêteur, je constate que la Commission enquêtait sur une fraude concernant l’achat et la vente de faux relevés d’emploi. Cette demande en soi ne constitue pas une preuve que des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi ou à la suite de déclarations fausses ou trompeuses. Elle laisse seulement entendre qu’à ce moment-là la Commission était d’avis que des déclarations fausses ou trompeuses pouvaient avoir été faites.

[83] L’affidavit de l’enquêteur à l’appui des demandes de communication est également utile pour comprendre que la Commission disposait déjà d’éléments de preuve qui appuyaient sa décision d’examiner les demandes de prestations.

[84] Comme je l’ai mentionné précédemment, le 9 juin 2015, la Commission avait été informée du fait qu’une demande de prestations avait été présentée pour un « prestataire » qui n’était pas au courant de la demande et qui alléguait être victime d’un vol d’identité. Cela soulève en soi des questions pour la Commission, à savoir si les demandes de prestations comme la sienne, lorsque l’employeuse a produit un relevé d’emploi, étaient légitimes et si des prestations avaient été versées relativement à ces demandes.

[85] Mon examen de la demande de prestations présentée au nom du « prestataire » qui a allégué être victime d’un vol d’identité démontre que le numéro de téléphone du « prestataire » est le même que celui de l’employeuse, bien que leurs noms soient différents. À la lumière de l’allégation de vol d’identité du « prestataire », il était pertinent pour la Commission de se demander si des prestations avaient été versées contrairement à la structure de la Loi ou à la suite de déclarations fausses ou trompeuses.

[86] Je ne dispose d’aucune preuve indiquant que la Commission a agi de mauvaise foi ou à une fin inappropriée lorsqu’elle a choisi de réexaminer les demandes de prestations pour lesquelles un relevé d’emploi avait été produit par l’employeuse. Bien que l’appelante estime qu’elle s’est fait refuser une procédure équitable, je ne crois pas que la Commission ait agi de manière discriminatoire, car elle a mis au jour des éléments de preuve selon lesquels elle avait un lien avec les fausses demandes et que cela justifiait une enquête plus approfondie. Enfin, je ne pense pas que la Commission a tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu’elle a décidé d’aller de l’avant avec le nouvel examen des demandes.

[87] Je conclus donc qu’elle a agi de façon judiciaire lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de réexaminer les demandes de prestations présentées par les « prestataires ».

Question en litige no 2 : Les décisions de la Commission concernant les sanctions imposées à l’appelante étaient-elles appropriées?

[88] Dans les cinq affaires dont je suis saisie, la Commission a écrit ce qui suit dans sa lettre du 10 mai 2019 à l’appelante :

[traduction]

« Nous ne vous demanderons pas de payer une sanction pécuniaire compte tenu des circonstances dans lesquelles vous avez fourni de faux renseignements en agissant pour le “prestataire”. Toutefois, si nous découvrons d’autres actes ou omissions, des sanctions plus lourdes ou des poursuites pourraient en découler. Veuillez vous assurer de toujours fournir des renseignements complets et exacts à l’avenir. »

[89] Pour décider si les décisions de la Commission concernant les sanctions contre l’appelante étaient appropriées, je devrai établir si la Commission pouvait imposer une sanction dans ces cas, si elle pouvait imposer une sanction à un tiers et si elle a agi de façon judiciaire en décidant qu’un avertissement devrait être donné.

[90] Il incombe à la Commission de prouver qu’elle était autorisée à imposer une pénalité et qu’elle a agi de façon judiciaire pour établir le montant de la pénalité.

[91] Selon la loi, la Commission ne pouvait imposer une pénalité plus de 36 mois après la date à laquelle l’acte ou l’omission a eu lieuNote de bas de page 24.

[92] Toutefois, la Commission peut donner un avertissement plutôt que d’imposer une pénalitéNote de bas de page 25. Dans ce cas, l’avertissement peut être donné dans les 72 mois suivant la perpétration de l’acte délictueuxNote de bas de page 26.

La Commission avait le pouvoir d’imposer une pénalité à l’appelante

[93] Lorsque certaines infractions sont commises, la Commission peut imposer une pénalité à une partie prestataire ou à toute personne agissant pour la partie prestataireNote de bas de page 27.

[94] La Commission affirme que l’appelante a fourni de faux renseignements alors qu’elle agissait pour le compte de « prestataires » dans ces affaires. Elle a fourni ses notes portant sur les raisons pour lesquelles elle en est arrivée aux décisions qu’elle a rendues au sujet des pénalités dans chacune des affaires dont je suis saisie.

[95] Dans tous les cas, la Commission affirme que l’appelante a accepté des dépôts ou endossé et encaissé des chèques faits au nom des « prestataires » dans son compte bancaire alors qu’elle savait qu’elle n’avait pas le droit de le faire. Elle affirme donc que l’appelante a participé, consenti ou acquiescé à la perpétration d’un acte délictueux mentionné dans la loiNote de bas de page 28.

[96] Après avoir examiné la preuve, je ne suis pas convaincue que l’appelante a présenté les demandes de prestations ou a produit les faux relevés d’emploi au nom des « prestataires ». Je ne suis pas convaincue non plus que c’est elle qui a endossé les chèques qui ont été déposés dans son compte bancaire. Selon moi, il est évident qu’elle ne connaissait pas les « prestataires » et qu’elle n’agissait pas délibérément « en leur nom ».

[97] Toutefois, l’appelante a dit à l’enquêteur des Services d’intégrité qu’elle avait permis à S.N. d’utiliser son numéro de téléphone et son adresse, et ceux-ci figurent dans certaines des demandes de prestations. Sa représentante a confirmé à la Commission qu’elle avait admis avoir « encaissé les paiements » au nom des cinq « demandeursNote de bas de page 29 ». À l’audience devant moi, elle a également confirmé qu’elle avait accepté, après avoir subi les pressions de S.N., que son numéro de téléphone, son adresse et son compte bancaire puissent être utilisés par S.N., qui est peut-être la personne qui a présenté les fausses demandes.

[98] Par conséquent, même si l’appelante ne connaissait pas les « prestataires », je conclus qu’elle a participé à des déclarations fausses ou trompeuses concernant des demandes de prestations faites en leur nom. Elle l’a fait parce qu’elle a accepté que de l’argent provenant de demandes frauduleuses soit déposé dans son compte bancaire. Bien qu’elle n’ait peut-être pas compris le stratagème, elle en a été complice. En acceptant que son compte soit utiisé, elle permettait que soit faite l’affirmation trompeuse selon laquelle elle ou le prestataire au nom duquel les prestations ont été versées avaient droit à ces prestations.

[99] Toutefois, il y a un délai dans lequel la Commission peut imposer une pénalité et je vais examiner cette question maintenant.

Toutefois, la Commission était hors délai pour imposer une pénalité

[100] La Commission ne peut imposer de pénalité si 36 mois se sont écoulés depuis la date de la perpétration de l’acte délictueuxNote de bas de page 30.

[101] Dans les affaires dont je suis saisie, la Commission a rendu des décisions le 10 mai 2019. Ces décisions concernaient des événements qui se sont déroulés, au plus tard, en 2015.

Prestataire présumé Date de la demande de prestations Date(s) à laquelle(auxquelles) des prestations auraient été versées à l’appelante pour cette demande
L.G. 28 avril 2015 14 mai 2015
K.M. 8 janvier 2015 14 avril 2015
K. P.-P. 30 décembre 2014 22 mai 2015
5 juin 2015
19 juin 2015
M.M. 28 avril 2015 29 mai 2015
J. M. 28 décembre 2014 22 mai 2015
5 juin 2015
19 juin 2015

[102] Je remarque que le dernier paiement au nom de l’un ou l’autre des « prestataires » dans ces appels a été versé dans le compte bancaire de l’appelante le 23 juin 2015. Une décision a été rendue le 10 mai 2019, soit 47 mois après le dernier événement qui aurait pu donner lieu à une pénalité. La Commission aurait donc été hors délai pour imposer une pénalité à l’appelante.

La Commission pouvait tout de même donner un avertissement

[103] Même si la Commission était hors délai pour imposer une sanction pécuniaire dans ces affaires, la loi lui permettait tout de même de donner un avertissement au lieu de fixer le montant d’une sanction. La loi accorde jusqu’à 72 mois après la date de la perpétration de l’acte délictueuxNote de bas de page 31.

[104] Comme je l’ai mentionné précédemment dans le passage sur les délais pour le nouvel examen d’une demande, la première mesure dans l’un ou l’autre de ces affaires a été le dépôt d’une demande de prestations le 28 décembre 2014. Les décisions du 10 mai 2019 respectaient bien ce délai de 72 mois.

[105] Dans les décisions du 10 mai 2019, la Commission a affirmé ce qui suit : [traduction] « Nous ne vous demanderons pas de payer une sanction pécuniaire compte tenu des circonstances dans lesquelles vous avez fourni de faux renseignements pendant que vous agissiez pour le (“ prestataire ”). Toutefois, si nous découvrons d’autres actes ou omissions, des pénalités ou des poursuites plus lourdes pourraient en découler. »

[106] Selon moi, cette affirmation constitue un avertissement au sens de la Loi. Et cet avertissement a été donné dans le délai prévu par la Loi.

[107] Bien que la Commission ait le pouvoir d’imposer une pénalité ou de donner un avertissement dans ces cas, la loi ne l’oblige pas à le faire. La décision était discrétionnaire. Je dois donc décider si la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de donner des avertissements dans les dossiers dont je suis saisie.

La Commission a agi de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé qu’un avertissement devait être donné

[108] Je conclus que la Commission a agi de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de donner un avertissement dans les dossiers dont je suis saisie.

[109] Comme je l’ai mentionné précédemment, pour que le pouvoir discrétionnaire ait été exercé de façon judiciaire, il ne doit pas avoir été exercé de mauvaise foi, à des fins inappropriées ou de manière discriminatoire, compte tenu de facteurs non pertinents ou en omettant de tenir compte de facteurs pertinentsNote de bas de page 32.

[110] Chacun des dossiers comprend les notes de la Commission concernant les facteurs qui ont contribué à la décision de maintenir la décision de donner un avertissement à l’issue d’un nouvel examen.

[111] À partir de ces notes, je peux constater qu’au moment de décider s’il y avait lieu d’imposer une pénalité, la Commission a estimé que le compte bancaire dans lequel ont été déposés les paiements de prestations dans ces dossiers appartenait à l’appelante, qu’elle l’a reconnu lors de l’entrevue avec l’enquêteur et qu’elle a admis avoir reçu de l’argent qui ne lui appartenait pas.

[112] Elle a noté que des fonds versés au nom d’une autre personne avaient été réclamés par l’appelante. Elle a reconnu que l’appelante avait dit avoir donné l’argent à S.N., mais elle ne pouvait pas le prouver. Comme la Commission souligne que l’appelante ne peut pas le prouver, ce facteur n’est pas pertinent et elle n’en tient pas compte dans sa décision sur la pénalité. La Commission remarque plutôt que les fonds ont été versés dans le compte bancaire de l’appelante, ce qui est pertinent.

[113] Mais surtout, dans chaque cas, j’observe que la Commission a reconnu que la décision avait été rendue plus de 36 mois après la perpétration de toute infraction. Elle ne pouvait donc pas imposer de pénalité, seulement donner un avertissement.

[114] La Commission n’a pas agi de mauvaise foi ou dans un but illégitime en enquêtant sur cette fraude et en vérifiant si l’appelante était responsable du rôle qu’elle a joué dans le stratagème. Elle n’a pas agi de manière discriminatoire, car elle a permis à l’appelante de présenter ses explications avant de donner un avertissement. Elle a tenu compte de facteurs pertinents, comme les admissions de l’appelante selon lesquelles elle avait reçu l’argent et le fait qu’elle était hors délai pour imposer des sanctions pécuniaires.

[115] Même si la Commission a donné des avertissements au lieu d’imposer des sanctions pécuniaires à l’appelante, elle a tout de même exigé que l’appelante rembourse l’argent qui a été versé dans ses comptes à partir de fausses demandes. À cette fin, elle a produit des avis de dette pour les montants que l’appelante doit rembourser selon elle.

[116] Je vais maintenant décider si la Commission pouvait demander à l’appelante de rembourser cet argent.

Question en litige no 3 : L’appelante est-elle responsable du versement excédentaire?

[117] Oui, l’appelante est responsable des versements excédentaires dans tous les cas.

[118] Selon la loi, lorsqu’une personne reçoit des prestations d’assurance-emploi auxquelles elle n’a pas droit, elle doit rembourser ces prestationsNote de bas de page 33. C’est ce qu’on appelle un versement excédentaire.

[119] L’appelante soutient qu’elle n’a pas tiré profit de la situation dans laquelle elle s’est retrouvée. Mais la preuve démontre qu’elle a bel et bien reçu l’argent qui a été versé en raison des fausses déclarations.

[120] Deux types de paiements ont été effectués à l’issue des fausses demandes de prestations; dans certains cas, les paiements ont été effectués par dépôt direct, dans d’autres, un chèque a été fait, puis endossé par une personne au nom de l’appelante et déposé dans le compte de l’appelante.

[121] Le tableau suivant montre ce que la Commission a versé à titre de prestations aux faux « prestataires » et où est allé l’argent, selon la preuve que je vois au dossier :

[traduction]

Date du paiement Prestataire présumé Montant du paiement Où il s’est rendu
14 avril 2015 KM 448,00 $ Chèque déposé dans le compte bancaire de l’appelante le 4 mai 2015
14 mai 2015 LG 448,00 $ Chèque déposé dans le compte bancaire de l’appelante le 21 mai 2015
22 mai 2015 KPP 896,00 $ Dépôt direct dans le compte bancaire de l’appelante le 26 mai 2015
22 mai 2015 JM 896,00 $ Dépôt direct dans le compte bancaire de l’appelante le 26 mai 2015
29 mai 2015 MM 896,00 $ Chèque déposé dans le compte bancaire de l’appelante le 5 juin 2015
5 juin 2015 KPP 896,00 $ Dépôt direct dans le compte bancaire de l’appelante le 9 juin 2015
5 juin 2015 JM 896,00 $ Dépôt direct dans le compte bancaire de l’appelante le 9 juin 2015
19 juin 2015 KPP 448,00 $ Dépôt direct dans le compte bancaire de l’appelante le 23 juin 2015
19 juin 2015 JM 896,00 $ Dépôt direct dans le compte bancaire de l’appelante le 23 juin 2015

[122] Même si je ne suis pas convaincue du fait que l’appelante a présenté les fausses demandes de prestations ou a présenté les déclarations bimensuelles de prestations qui ont mené au versement de prestations par dépôt direct, la Commission a prouvé que le compte bancaire dans lequel était versé l’argent était détenu par l’appelante. Dans le dossier, je vois la preuve que le 20 mai 2015 la banque a reçu des demandes de modification des renseignements sur le dépôt direct pour les demandes faites au nom de KPP et de JM dans le compte de l’appelante.

[123] Je ne suis pas non plus convaincue que l’appelante était la personne qui endossait les chèques faits par la Commission et déposés dans son compte bancaire. Il est assez évident que la signature sur la plupart des chèques ne correspond pas à celle de l’appelante qui figure sur la carte de signature de la banque. Toutefois, la Commission a prouvé que ces chèques ont été déposés dans le compte bancaire de l’appelante.

[124] Elle l’a prouvé en fournissant une copie du relevé bancaire de l’appelante pour la période en question. Dans tous les cas décrits dans le tableau ci-dessus, je peux voir une entrée de fonds qui correspond au montant des prestations versées par la Commission à la suite de l’une des demandes présentées au nom d’un « prestataire ».

[125] L’appelante m’a dit qu’elle avait subi des pressions de la part de son employeuse S.N. pour qu’elle la laisse utiliser son adresse postale et ses renseignements bancaires parce que S.N. éprouvait des difficultés financières et ne pouvait pas avoir son propre compte. J’admets que l’appelante s’est sentie menacée lorsque S.N., qui vivait dans le même immeuble qu’elle, lui a dit qu’elle pouvait annuler les prestations d’assurance-emploi de l’appelante si elle ne l’aidait pas. Je comprends que S.N. conduisait l’appelante à la banque et lui demandait de retirer l’argent de son compte bancaire pour elle.

[126] La raison pour laquelle je ne peux conclure que l’appelante est exempte de tout blâme dans la présente affaire est que l’appelante a consenti à ce que l’argent du stratagème de l’employeuse soit versé dans son compte bancaire. Elle l’a dit à l’enquêteur de la Commission et encore une fois lors de l’audience devant moi. Elle ne savait peut-être pas quel était le stratagème, ni d’où provenait l’argent, mais elle permettait que son numéro de téléphone, son adresse et son compte bancaire soient utilisés à cette fin.

[127] De plus, l’appelante affirme qu’elle a pris l’argent qui entrait dans son compte et le remettait à S.N. Elle soutient qu’elle n’en a pas bénéficié. Malheureusement, ce n’est pas ce que démontre la preuve.

[128] D’après les relevés bancaires produits par la Commission, je peux voir clairement les dépôts dans les comptes de l’appelante. Mais je ne vois pas de retraits correspondants ni de transferts précis à une autre personne. Même si je le pouvais, cela ne dégagerait toujours pas la responsabilité de l’appelante d’avoir reçu l’argent en premier lieu.

[129] Je reconnais que l’appelante n’était probablement pas la personne qui a présenté les fausses demandes de prestations ou qui a rempli les déclarations ayant mené au versement des prestations. Toutefois, la loi prévoit que toute personne, et pas seulement le prestataire, doit rembourser les prestations qu’elle reçoit et auxquelles elle n’a pas droitNote de bas de page 34.

[130] L’appelante a également fait valoir que la Commission devait tenter de récupérer l’argent auprès de S.N. et non auprès d’elle.

[131] Je n’ai pas le pouvoir de dire à qui la Commission devrait demander un remboursement. Dans la présente affaire, ce que je peux dire, c’est que la Commission a prouvé que l’appelante a obtenu l’argent, de sorte qu’elle peut lui demander de le rembourser.

[132] La Commission a démontré que l’appelante a reçu de l’argent qui a été payé à partir de fausses demandes d’assurance-emploi. L’appelante n’avait pas droit à cet argent. Donc, elle doit le rembourser.

Autres questions

[133] L’argument principal de l’appelante dans ces affaires est qu’elle n’a pas eu droit à l’équité procédurale. Bien que le Tribunal n’ait pas le pouvoir de tirer des conclusions sur l’équité procédurale, je crois qu’il est important de reconnaître cet argument.

[134] Je comprends la frustration de l’appelante par rapport à sa situation. Elle a été convoquée pour rendre compte d’événements survenus plusieurs années avant d’être invitée à une entrevue avec l’enquêteur des Services d’intégrité de la Commission. Les premiers avis de dette produits à son égard l’ont été avant qu’elle rencontre l’enquêteur et il n’y a eu aucune explication réelle de l’origine de la dette.

[135] Toutefois, je tiens à souligner deux points : Premièrement, dans une lettre datée du 26 février 2019, l’appelante a été invitée à une entrevue le 11 mars 2019. L’appelante ne s’est pas présentée à cette entrevue. Elle n’a communiqué avec la Commission au sujet de l’entrevue manquée que le 9 avril 2019. À ce moment-là, on lui a dit au téléphone que le versement excédentaire était lié à l’encaissement de chèques de prestations auxquelles elle n’avait pas droit, et elle n’a pas demandé d’autres renseignements ni contesté cette affirmation à ce moment-là. Cela me montre qu’elle a eu deux occasions de discuter de ces questions avant que l’état de compte de ces dossiers ne soit produit le 20 avril 2019.

[136] Deuxièmement, je tiens à souligner que l’appelante a eu l’occasion de demander à la Commission de réexaminer ses décisions une fois qu’elles ont été rendues. Elle a profité du processus de demande de révision. Dans sa demande de révision et de nouveau dans son avis d’appel au Tribunal, l’appelante ne soutient pas ne pas avoir reçu les montants que la Commission lui demande de rembourser.

[137] Puisque, dans son appel devant le Tribunal, l’appelante allègue qu’il y a eu violation de ses droits à la justice naturelle, à l’équité procédurale et à l’application régulière de la procédure, j’ai vérifié si l’appelante soulève une prétention qui devrait être traitée dans le cadre du processus d’appel du Tribunal fondé sur la Charte.

[138] J’ai conclu qu’il ne s’agit pas d’une affaire où l’appelante soulève une contestation constitutionnelle devant le Tribunal. Bien que l’appelante ait allégué que ses droits ont été violés, elle n’a pas dit que la violation était fondée sur un article de loi ou de règlement. C’est plutôt son traitement par la Commission qu’elle estime injuste. Je n’ai pas le pouvoir de trancher ce genre de question et je conseille à l’appelante de s’adresser au Bureau de la satisfaction des clients de la Commission.

Conclusion

[139] Les appels sont tous rejetés.

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