Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KS c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 160

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Érélégna Bernard

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 14 août 2023
(GE-20-485, GE20-487, GE-20-524, GE-20-525 et
GE-20-527)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 6 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 21 février 2024
Numéro de dossier : AD-23-849, AD-23-850, AD-23-851, AD-23-852 et AD-23-853

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante (la prestataire) travaillait pour un spa. En 2014, le spa a fermé ses portes. La prestataire a personnellement présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et les a reçues.

[3] L’intimée (Commission) a été informée que plusieurs employés du spa avaient fait des demandes de prestations inhabituelles. Elle a commencé à enquêter sur l’employeuse de la prestataire. Elle a découvert que des demandes de prestations d’assurance-emploi avaient été faites au nom de personnes qui n’ont jamais travaillé pour l’employeuse. Des prestations avaient été versées pour ces fausses demandes et l’argent semblait avoir été versé à la prestataire. La Commission a donné à la prestataire un avertissement contre les déclarations fausses ou trompeuses et lui a demandé de rembourser l’argent qui a été versé dans son compte bancaire. La prestataire n’était pas d’accord et a porté en appel la décision de révision auprès de la division générale.

[4] La division générale a décidé que la Commission avait le pouvoir de réexaminer les demandes en question lorsqu’elle l’a fait. Elle a conclu que la prestataire avait participé à des déclarations fausses ou trompeuses concernant des demandes de prestations faites au nom d’autres prestataires en permettant l’utilisation de son compte bancaire. Elle a accepté que l’argent provenant de demandes frauduleuses d’assurance-emploi soit déposé dans son compte bancaire. La division générale a conclu que la prestataire a reçu des prestations auxquelles elle n’avait pas droit et qu’elle doit les rembourser. La division générale a rejeté les appels de la prestataire.

[5] Pour étayer sa demande de permission de faire appel, la prestataire a fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas volontairement participé à la « fraude ». Elle a agi sous la contrainte et sous la pression exercée par S.N., étant donné sa situation financière précaire et son jeune âge au moment des événements. La prestataire a avancé qu’elle était victime des actes frauduleux de S.N. Elle a fait valoir que la Commission aurait dû réclamer les sommes à S.N. En agissant ainsi, la Commission a agi de façon déraisonnable et a enfreint les principes de justice naturelle. La prestataire a fait valoir que la division générale a violé ses droits à l’équité procédurale en prenant plus d’un an pour rendre sa décision. Elle a soutenu que le délai de 9 ans dans son dossier violait ses droits.

[6] Dans une décision détaillée, la division d’appel a décidé d’accorder à la prestataire la permission de faire appel uniquement sur la question du déni de justice naturelle en raison du délai.

[7] Je dois décider si la division générale a commis une erreur en ne tranchant pas une question qu’elle aurait dû trancher.

[8] Je rejette l’appel de la prestataire.

Question en litige

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur en ne tranchant pas une question qu’elle aurait dû trancher?

Questions préliminaires

[10] Il est bien établi que la division d’appel doit tenir compte de la preuve présentée à la division générale pour décider du présent appelNote de bas de page 1.

[11] J’ai écouté l’enregistrement de l’audience de la division générale pour trancher le présent appel.

[12] Je renvoie dans ma décision aux numéros de pièces indiqués dans le dossier principal AD-23-849.

Analyse

La division générale a-t-elle commis une erreur en ne tranchant pas une question qu’elle aurait dû trancher?

[13] Devant la division générale, la prestataire a fait valoir que son droit à la justice naturelle a été violé en raison du délai de 9 ans dans son dossier. Selon elle, un arrêt des procédures devrait être accordé.

[14] La division générale a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir de résoudre ce genre de question et a dirigé la prestataire vers le Bureau de la satisfaction des clients de la Commission.

[15] Devant moi, la prestataire réitère que son droit à la justice naturelle a été violé en raison des délais dans son cas. Elle soutient que les délais sont la faute de la Commission et de la division générale et qu’ils lui ont causé beaucoup de stress et d’anxiété au fil des ans. La prestataire soutient également que sa capacité de présenter une défense pleine et entière a été compromise par les délais excessifs.

[16] La prestataire soutient que la division générale aurait dû ordonner l’arrêt des procédures en raison des délais excessifs qui lui ont causé un préjudice grave.

[17] La Commission est d’avis que la division générale n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a déterminé qu’elle n’avait pas le pouvoir de résoudre ce genre de question. Si elle l’a fait, la Commission soutient que la prestataire ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve exigé dans la décision Norman pour obtenir un arrêt des procéduresNote de bas de page 2.

[18] La division générale a conclu que la Commission avait agi dans les 72 mois suivant la date de présentation de la première demande de prestations. Elle a conclu que, d’après la preuve recueillie, la Commission pouvait croire que plusieurs déclarations ou représentations fausses ou trompeuses avaient été faites. Elle a conclu que la Commission était dans les délais prescrits pour examiner de nouveau les demandes de prestations.

[19] Je n’ai trouvé auparavant aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de la division générale selon laquelle la Commission a agi dans les délais prévus dans la loi. La preuve démontre que la Commission pouvait raisonnablement conclure qu’une déclaration fausse ou trompeuse a été faite relativement aux demandes de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[20] La Commission a terminé son enquête dans le délai de 72 mois prévu par la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). Le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier les délais d’enquête prévus par la Loi. Seul le législateur a le pouvoir de le faire.

[21] Par conséquent, les événements pertinents, en ce qui concerne les délais, se résument comme suit :

  • La Commission a rendu cinq décisions découlant d’un réexamen les 9 et 10 janvier 2020. Ces cinq décisions ont entraîné des versements excédentaires s’élevant à environ 7 000 $.
  • Le 10 février 2020, la prestataire a porté en appel ces cinq décisions découlant d’un réexamen de la Commission devant la division générale. Dans sa demande d’appel, la prestataire a demandé que l’audience se tienne en personne dans un centre Service Canada ou par vidéoconférence dans un centre Service CanadaNote de bas de page 4.
  • Le 9 mars 2020, la représentante de la prestataire a indiqué qu’elle pouvait assister à l’audience les 4, 5, 11 ou 12 mai 2020Note de bas de page 5.
  • Le 10 mars 2020, la division générale a fixé une audience en personne au 4 mai 2020Note de bas de page 6.
  • Le 25 mars 2020, l’audience a été ajournée jusqu’à nouvel ordre à la suite des instructions gouvernementales concernant l’isolement. La prestataire avait insisté pour avoir une audience en personneNote de bas de page 7. On lui a offert de communiquer en tout temps avec le Tribunal si elle changeait d’idée et voulait une audience par téléconférenceNote de bas de page 8.
  • Le 7 octobre 2021, la division générale a laissé un message à la représentante de la prestataire pour savoir si elles souhaitaient avoir une audience plutôt par téléconférence ou vidéoconférenceNote de bas de page 9.
  • Le 8 avril 2022, la division générale a fixé une audience par vidéoconférence au 28 avril 2022Note de bas de page 10.
  • Le 8 avril 2022, la prestataire a demandé un ajournement parce que sa représentante n’était pas libre le 28 avril 2022Note de bas de page 11.
  • Le 20 avril 2022, la division générale a écrit qu’elle avait tenté à plusieurs reprises de communiquer avec la prestataire et sa représentante par téléphone, au moyen des numéros de téléphone au dossier, sans succès, pour lui demander de communiquer avec la division générale sans tarder; elle avait besoin d’une réponse au plus tard le 29 avril 2022Note de bas de page 12.
  • Le 4 mai 2022, la division générale a fixé une audience par vidéoconférence au 19 mai 2022Note de bas de page 13.
  • Le 19 mai 2022, au début de l’audience, la division générale a été informée que la représentante de la prestataire n’avait pas reçu les observations de la Commission. L’audience a été ajournée au 6 juillet 2022, selon les disponibilités des partiesNote de bas de page 14.
  • Le 6 juillet 2022, l’audience a eu lieu par vidéoconférence.
  • Le 14 août 2023, la division générale a rendu sa décision concernant les cinq décisions de réexamen.

[22] Il s’est écoulé 30 mois entre les décisions de réexamen rendues par la Commission et l’audience devant la division générale. Je remarque que le délai de 24 mois est le résultat de l’insistance de la prestataire à avoir une audience en personne pendant la pandémie de COVID-19. Dès le début, la division générale lui a donné la possibilité de modifier le mode d’audience à n’importe quel moment, mais elle n’a pas fait une telle demande. Si elle l’avait fait, une audience aurait pu avoir lieu dès le mois de mai ou le mois de juin 2020. Un autre délai d’un mois est attribuable au fait que la représentante de la prestataire n’était pas disponible à la date d’audience prévue. Ces délais ne sont donc pas attribuables à la négligence ou à la faute de la division générale ou de la Commission et on ne peut le leur reprocher.

[23] La prestataire soutient que la division générale a mis plus d’un an pour rendre sa décision. Elle avance que ce délai est six fois plus long que le délai normal de 60 jours.

[24] Dans la décision Norman, la Cour d’appel fédérale avait de sérieuses réserves quant à l’application au domaine des droits économiques des principes élaborés dans le contexte des droits de la personne. Malgré ces réserves, la Cour nous indique que le délai ne constituera pas en soi un abus de procédure justifiant un arrêt des procédures en common law. Pour justifier un arrêt des procédures dans le contexte du droit administratif, la Cour affirme qu’il faut prouver qu’un délai inacceptable a causé un préjudice importantNote de bas de page 15.

[25] La division d’appel s’est penchée à plusieurs reprises sur la question de savoir si le Tribunal a compétence pour statuer sur une telle demande. La division d’appel semble divisée sur cette questionNote de bas de page 16. Quoi qu’il en soit, même si je devais conclure que la division générale avait compétence, je suis d’avis que la prestataire n’a pas démontré au moyen de la preuve devant la division générale qu’elle a droit à la réparation qu’elle demande.

[26] Il peut y avoir déni de justice naturelle et manquement à l’obligation d’équité lorsqu’un délai compromet la capacité d’une partie de répondre aux plaintes portées contre elle, notamment parce que ses souvenirs se sont estompés, parce que des témoins essentiels sont décédés ou parce que des éléments de preuve ont été perdus. Bref, le délai excessif doit compromettre l’équité de l’audience.

[27] Un délai inacceptable peut également constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Par conséquent, pour constituer un abus de procédure dans les cas où l’équité de l’audience n’a pas été compromise, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. En plus de sa longue durée, le délai doit avoir causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public.

[28] Je conviens avec la prestataire que le délai de plus d’un an pour que la division générale rende sa décision est inacceptable. Toutefois, ce délai n’a pas nui à l’équité de l’audience tenue le 6 juillet 2022.

[29] Je ne vois pas comment le fait d’attendre 13 mois pour que la division générale rende sa décision a causé à la prestataire un préjudice important alors qu’elle avait déjà accepté d’attendre 24 mois pour une audience en personne au lieu de présenter rapidement sa cause à la division générale en acceptant un autre type d’audience en mars 2020.

[30] Je ne vois pas comment la prestataire a subi un préjudice important en raison du délai, étant donné que la prestataire a admis, lors d’une entrevue tenue par la Commission le 29 avril 2019, qu’elle avait autorisé S.N. à utiliser son compte bancaire, qu’elle avait encaissé des chèques et qu’elle ne se souvenait pas pourquoi elle n’avait pas remis l’argent à S.N.Note de bas de page 17.

[31] Même si S.N. devait de l’argent à la prestataire ou que d’autres témoins potentiels avaient encaissé des chèques sous la pression de S.N., cette preuve n’aurait pas changé le fait que la prestataire avait reçu et conservé de l’argent de la Commission qui lui avait été versé sur le fondement de fausses demandes d’assurance-emploi. Elle n’avait pas droit à cet argent et doit le rembourser. Par conséquent, aucun témoin essentiel ou document pertinent n’a été perdu.

[32] Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience de la division générale qui a duré deux heures, je conclus que la prestataire a été en mesure de répondre aux plaintes déposées contre elle et que l’équité de l’audience n’a aucunement été affectée.

[33] La preuve présentée ne justifie tout simplement pas d’accorder une réparation fondée sur les principes applicables du droit administratif. Je ne peux conclure, selon les enseignements de la Cour d’appel fédérale, que le délai a causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public.

[34] Je conclus que la prestataire ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que le délai dans le déroulement de l’instance était inacceptable et qu’elle avait subi un préjudice important d’une telle ampleur qu’elle heurte le sens de la justice et de la décence du public.

[35] Je sympathise avec la prestataire, qui était très jeune au moment des événements en question, mais rien n’appuie l’ordonnance d’une réparation fondée sur les principes applicables du droit administratif.

Conclusion

[36] L’appel est rejeté.

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